IV. OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR

Première observation

Trois notes de conjoncture parues au milieu de l'exercice 1996 permettent de mesurer la situation financière des collectivités locales en 1995 et 1996.

La première, élaborée par la Direction de la comptabilité publique, souligne l'effet de ciseau accru, constaté en 1995, entre des recettes fiscales frappées par une décélération de leur taux de progression et des dépenses en progression sensible.

L'autofinancement brut des collectivités territoriales aurait ainsi ralenti sa progression en 1995 (+2,3 % contre +4,2 % en 1994) et aurait même diminué pour les régions.

Aussi, après une quasi-stagnation en 1994, les investissements directs des collectivités auraient-ils sensiblement diminué en 1995 (- 5,4 % ).

La deuxième note rédigée pour le compte de l'Observatoire des finances locales, par notre collègue Joël Bourdin, misait, en 1996, sur une reconstitution de l'épargne nette, sous l'effet d'une réduction des frais financiers -si la tendance à la baisse des taux se poursuit- d'une moindre progression des frais de personnel -en l'absence d'un relèvement des taux de cotisation à la CNRACL- et de la croissance des recettes fiscales -sous l'effet d'un phénomène, classique, de rattrapage après les élections municipales.

La troisième note, celle publiée par le Crédit local de France, semble devoir valider ce diagnostic, mais observe qu'en dépit d'un assainissement certain cette année de la situation financière des collectivités locales, l'investissement tarde à repartir.

L'équipement direct subirait une nouvelle contraction de 0,6 % de son montant, ce phénomène étant encore plus accentué pour les communes (- 2,9 %), particulièrement celles de moins de 10.000 habitants, qui demeurent pourtant très largement éligibles à la DGE.

Les budgets locaux semblent ainsi refléter une inquiétude des responsables locaux sur leurs marges de manoeuvre à venir, compte tenu des risques externes qui continuent de les menacer, au premier chef desquels les décisions de l'Etat.

Deuxième observation

Dans ce contexte de morosité, le Gouvernement peut, à juste titre, faire valoir le caractère protecteur, en 1997, du pacte de stabilité adopté voici un an par le Parlement.

En l'absence de ce mécanisme, la dotation de compensation de la taxe professionnelle, hors réduction pour embauche et investissement, aurait, en effet, subi une contraction de son montant de 0,61 %, alors que la DCTP apparaît cette année en hausse de 2 %

Cette présentation, pour fondée qu'elle soit, appelle cependant de sérieuses nuances de la part de votre rapporteur :

1/ Les ponctions opérées ces dernières années sur la DCTP ont été nombreuses et massives. En outre, les communes les plus peuplées ont subi cette année les conséquences de la suppression de la première part de la dotation globale d'équipement.

2/ L'amputation de plus de moitié de la compensation versée par l'Etat au titre de la réduction pour embauche et investissement renoue avec des habitudes que les élus locaux pouvaient souhaiter obsolètes dans le nouveau contexte du pacte de stabilité.

Les dispositions de l'article 20 du projet de loi de finances sont clairement inacceptables aux yeux de votre rapporteur spécial s'agissant de la mise en cause de la compensation d'une exonération décidée par l'Etat.

Le procédé est d'autant moins justifiable que depuis l'instauration du ticket modérateur de 2 % à compter de 1992, le REI n'a cessé de voir son poids diminuer dans les charges de l'Etat :

1991 : 5.234 millions de francs (soit le maximum jamais atteint) ;

1992 : 4.248 millions de francs ;

1993 : 3.925 millions de francs ;

1994 : 3.498 millions de francs ;

1995 : 2.999 millions de francs ;

1996 : 3.026 millions de francs (évaluation, soit une progression de + 0,9 % par rapport à 1995).

Le Gouvernement ne saurait donc invoquer, comme pour les efforts d'économie réalisés ces dernières années, un quelconque dynamisme de cette dotation, incompatible avec l'évolution des ressources budgétaires, pour expliquer sa volonté de casser sa progression.

3/ Enfin, la solution trouvée pour éviter un relèvement, en 1997, des cotisations de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, apparaît, par définition, précaire.

Dès 1998, sera à nouveau posée la question de la viabilité financière de la CNRACL.

De ce point de vue, trois leviers peuvent être actionnés : relever le taux des cotisations ; rogner sur les prestations ; alléger la charge imposée à la CNRACL au titre de la surcompensation entre régimes spéciaux de salariés.

Votre rapporteur ne peut que rappeler une nouvelle fois le caractère excessif de la surcompensation qui représente aujourd'hui plus de la moitié des dépenses de la Caisse et constitue une opération de débudgétisation au détriment des collectivités locales. Son voeu est donc que la réflexion, urgente et annoncée par le Gouvernement dans son rapport sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, porte sur un aménagement de ce levier.

Troisième observation

Tout autant que les incertitudes entourant l'évolution des relations financières entre l'Etat et les collectivités territoriales, malgré l'intervention d'un pacte de stabilité, l'inquiétude des élus locaux trouve son fondement dans la multiplication des transferts non compensés de charges et l'imposition d'obligations nouvelles.

Dans un rapport récent de l'Observatoire des finances locales, notre collègue Paul Girod a tenté un recensement des nouvelles charges que l'Etat a créées ou transférées au détriment des collectivités locales, sans prévoir la compensation ou la ressource correspondantes. On citera, pêle-mêle, les actions d'insertion du RMI et le financement du coût de l'assurance personnelle pour les Rmistes ; l'accroissement des coûts des transports scolaires lié notamment à l'aménagement des rythmes et à l'augmentation de la durée moyenne des études ; le financement des routes nationales dans le cadre des contrats de plan Etat-Régions en contradiction avec les répartitions de compétences prévues par les lois de décentralisation : le plan Université 2000...

La liste pourrait s'allonger si le Sénat ne décidait pas de revenir sur une disposition, éminemment contestable, introduite à l'Assemblée nationale dans le projet de loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie, qui prévoit qu'en cas de dépassement des seuils de pollution et de déclenchement de la procédure d'alerte, la gratuité d'accès aux transports collectifs est obligatoire dans les agglomérations concernées.

Dans le même ordre d'idée, en l'absence de tout chiffrage du gouvernement, rien ne peut garantir que le prélèvement de 500 millions de francs sur les réserves du régime de l'allocation temporaire d'invalidité (ATI) prévu par l'article 43 du projet de loi relatif à l'emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d'ordre statutaire sera suffisant pour financer le coût du congé de fin d'activité institué par ce texte, et que les collectivités locales ne devront pas assumer sur leurs ressources une partie de cette nouvelle charge imposée par l'Etat.

Pour l'avenir enfin, une étude récente du Crédit local de France révèle que les collectivités territoriales, pour satisfaire à diverses contraintes dans les domaines de l'environnement et de la sécurité, devront investir près de 1.000 milliards de francs sur le quinquennat 1996-2000, soit environ 200 milliards de francs par an, alors que la moyenne de ces dernières années s'établit plutôt autour de 150-160 milliards de francs :

- pour l'assainissement, une directive européenne oblige les villes à traiter les eaux usées d'ici 2005 au plus tard : de 1995 à 2005, la réalisation de nombreuses stations d'épuration devrait représenter 70 milliards de francs d'investissements. Le traitement des eaux pluviales représente un besoin de 80 à 100 milliards de francs supplémentaires ;

- le traitement des déchets ménagers imposé par la loi de 1992 devrait se traduire par des investissements d'un montant de 40 à 50 milliards de francs d'ici 2002 ;

- les projets en cours de réalisation ou à l'étude dans le domaine des transports publics urbains représentent 30 milliards de francs d'ici l'an 2000 ;

- les collectivités ont déjà beaucoup investi dans le domaine de l'éducation et devraient encore injecter environ 25 milliards de francs par an dans le financement des travaux de rénovation et de sécurité dans les locaux scolaires.

Il paraît donc plus que jamais nécessaire d'imposer à l'Etat une extension du concept de pacte de stabilité aux transferts et créations de charges nouvelles en exigeant la mise au point d'un véritable code de bonne conduite.

Premier élément de méthode : il convient de redéfinir les champs de compétences entre l'Etat et les différents niveaux de collectivités territoriales, conformément à ce que prévoit la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.

Second élément de méthode : les coûts induits pour les collectivités locales des décisions prises par le législateur ou l'autorité réglementaire doivent systématiquement faire l'objet d'une étude d'impact financier préalable. Au-delà, cette démarche doit permettre d'en finir avec les transferts de compétences sans transferts de ressources adéquates, c'est-à-dire suffisamment dynamiques pour que ne se reproduise pas l'effet de ciseaux constaté ces dernières années entre les dépenses et les recettes.

De ce dernier point de vue, il serait bon que le Gouvernement s'acquitte cette année de son obligation de transmettre au Parlement le rapport d'activité de la commission consultative d'évaluation des charges, conformément aux dispositions de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire. Ce rapport doit, en effet, contenir un bilan des compétences transférées ou confiées aux collectivités locales en-dehors des lois de décentralisation.

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