Rapport n° 94 (1996-1997) de M. Alain LAMBERT , fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 novembre 1996

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N° 94

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la proposition de résolution de Mme Hélène LUC, MM. Claude BILLARD, Paul LORIDANT, Mmes Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS, Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, Michelle DEMESSINE, MM. Guy FISCHER, Félix LEYZOUR, Louis MINETTI, Robert PAGÈS, Jack RALITE et Ivan RENAR, tendant à créer une commission d'enquête sur la situation du groupe Thomson et les conditions de sa privatisation,

Par M. Alain LAMBERT,

Sénateur,

Rapporteur général.

( 1) Cette commission est composée de : MM. Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini, vice-présidents ; Emmanuel Hamel, René Régnault. Alain Richard, François Trucy, secrétaires ; Alain Lambert, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Maurice Schumann, Michel Sergent, Henri Torre, René Trégouët.

Voir le numéro :

Sénat : 47 (1996-1997).

Entreprises publiques.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La proposition de résolution présentée par Mme Hélène Luc et plusieurs des ses collègues, tendant à créer une commission d'enquête sur la situation du groupe Thomson et les conditions de sa privatisation, (proposition n° 47 du 29 octobre 1996) est soumise à l'examen de la commission des finances.

Il nous faut apprécier la présente proposition de résolution au plan de la légalité et, si cette première condition est remplie, au plan de l'opportunité.

Est-il juridiquement possible de créer la commission d'enquête souhaitée par Mme Hélène Luc et plusieurs de ses collègues ?

Aux termes de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires :

"Outre les commissions mentionnées à l'article 43 de la Constitution, seules peuvent être éventuellement créées au sein de chaque assemblée parlementaire des commissions d'enquête ; les dispositions ci-dessous leur sont applicables.

"Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées.

"Il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter... "

Selon l'article 11 du Règlement du Sénat :

"La création d'une commission d'enquête par le Sénat résulte du vote d'une proposition de résolution, déposée, renvoyée à la commission permanente compétente, examinée et discutée dans les conditions fixées par le présent Règlement. Cette proposition doit déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion.

Lorsqu'elle n'est pas saisie au fond d'une proposition d'enquête, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale est appelée à émettre un avis sur la conformité de cette proposition avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. La proposition de résolution fixe le nombre des membres de la commission d'enquête, qui ne peut comporter plus de vingt et un membres..."

Rappelons qu'une proposition de résolution (n° 3065) tendant à la création d'une commission d'enquête sur "la situation financière et les conditions dans lesquelles le Gouvernement souhaite privatiser le groupe Thomson SA" a été déposée au mois d'octobre 1996, sur le bureau de l'Assemblée nationale par M. Laurent Fabius et les membres du groupe socialiste et apparentés. Cette proposition est en cours d'examen par la commission des finances de l'Assemblée nationale et son rapporteur, M. Patrick Devedjian, devrait remettre son rapport le 26 novembre prochain.

La commission d'enquête proposée par la proposition de résolution de Mme Hélène Luc et de plusieurs de ses collègues aurait pour objet "la situation du groupe Thomson et les conditions de sa privatisation" .

Sous réserve de l'appréciation que pourrait faire, le cas échéant, la commission des lois, la proposition de résolution de Mme Hélène Luc et plusieurs de ses collègues ne semble soulever aucune difficulté tant au regard de l'ordonnance de 1958 qu'à celui du Règlement du Sénat. Son objet porte effectivement aussi bien sur la gestion d'une entreprise nationale que sur des faits, déterminés avec suffisamment de précision pour pouvoir faire l'objet d'une commission d'enquête. Par ailleurs, votre rapporteur n'a pas connaissance de poursuites judiciaires en cours portant sur les faits dont la commission d'enquête aurait à connaître.

Les conditions légales de la création de la commission d'enquête, souhaitée par la proposition de résolution présentée par Mme Hélène Luc et plusieurs de ses collègues étant remplies, est-il opportun de mettre en place cette commission d'enquête sénatoriale ?

* *

*

EXPOSÉ GÉNÉRAL

On rappellera brièvement la situation du groupe Thomson, puis les conditions de sa privatisation avant de faire part de la position de la commission.

I. ÉLÉMENTS SUR LA SITUATION DU GROUPE THOMSON SA

Le groupe Thomson SA ayant fait l'objet d'une large couverture médiatique depuis la décision de privatisation et sa situation ayant été analysée en détail dans le rapport spécial sur les comptes spéciaux du Trésor, les entreprises publiques et les privatisations de notre collègue, le député Patrick Devedjian 1 ( * ) , on ne fera ici que rappeler quelques éléments essentiels.

Ce groupe est présent dans deux domaines majeurs de l'électronique : l'électronique grand public, par sa filiale Thomson-Multimédia, et l'électronique professionnelle, par sa filiale Thomson-CSF. Thomson-CSF a subi la crise liée à la restriction des budgets militaires. Cependant son chiffre d'affaires s'est inscrit en hausse en 1994. Thomson-Multimédia (TMM) a subi une érosion régulière de ses ventes de 1990 à 1992 et une forte baisse de ses marges sous la pression des concurrents japonais.

Globalement, le chiffre d'affaires du groupe a connu une forte accélération en 1988, passant de 60 milliards de francs en 1987 à 76,7 en 1989, puis a stagné et même régressé pour s'établir à 72 milliards de francs en 1995, dont 36,5 pour TMM et 35,5 pour Thomson-CSF. L'augmentation constatée depuis 1988 traduit le redéploiement significatif de Thomson qui accroît de 44 % son chiffre d'affaires réalisé à l'international, en raison, notamment, d'opérations de croissance externe.

Cette évolution a été accompagnée d'un résultat net généralement négatif à partir de 1990, en raison de la forte progression de l'endettement et de la répercussion des résultats du Crédit Lyonnais, dont Thomson est actionnaire. Ce résultat a été négatif à hauteur de 2,1 milliards de francs en 1994 et de 2,7 milliards en 1995.

En 1995, l'endettement net du groupe était de 23,46 milliards de francs et les capitaux propres étaient négatifs de 3,7 milliards.

BILAN DE LA NATIONALISATION DE THOMSON SA

(dressé par M. le ministre de l'économie dans un dossier remis aux parlementaires en octobre 1996 "Pourquoi privatiser ?")

1. L'appartenance au secteur public n'a pas été un atout pour Thomson

Entre 1982 (date de la nationalisation de Thomson SA) et 1996 (en intégrant les prévisions disponibles pour 1996), les capitaux propres part du groupe de Thomson SA sont passés de 3,6 milliards de francs à - 6,5 milliards et l'endettement net a progressé de 9,3 milliards à 23,4 milliards.

De 1988 (date d'acquisition des activités "électronique grand public" de General Electric) à fin 1995, les pertes cumulées de Thomson Multimédia se sont élevées à 10 milliards de francs. Sur la même période, les capitaux propres de Thomson Multimédia sont passés de 5 milliards de francs à - 200 millions et l'endettement net a doublé, passant de 6,6 à 13,8 milliards.

2. L'actionnaire public n'a pas rempli son devoir d'actionnaire et n'a pas recapitalisé l'entreprise lorsque c'était nécessaire.

Afin de financer l'acquisition des activités électronique grand public de General Electric, le gouvernement avait promis en 1989 de réaliser une augmentation de capital de 6 milliards de francs. L'augmentation a été réalisée en 1990 et a été limitée à 2 milliards de francs. Au total, entre 1982 et 1990, les recapitalisations ont été inférieures à 7 milliards de francs.

3. La démarche "banque-industrie" au sein du secteur public a fait subir au groupe Thomson des pertes importantes.

Ainsi, la cession progressive entre 1989 et 1993 des activités financières de Thomson (Altus Finance) au Crédit Lyonnais, payée à Thomson en titres Crédit Lyonnais, aura coûté entre 1993 et 1995 au groupe Thomson environ 8,2 milliards de francs.

4. La privatisation est destinée à renforcer la situation financière de Thomson et à assurer le financement de son développement et de sa capacité à créer des emplois.

II. LA PRIVATISATION DU GROUPE THOMSON SA.

Thomson SA est la société holding, détenue directement ou indirectement à près de 100 % par l'Etat, de deux groupes d'entreprises rassemblées autour de Thomson multimédia, détenue à 100 %, pour les activités d'électronique grand public, et de Thomson CSF, détenue à 58 % (le reste du capital étant dispersé en bourse) pour "l'électronique professionnelle d'Etat" (électronique militaire). Par ailleurs, le groupe Thomson détient une participation de près de 20 % dans le Crédit Lyonnais (3,01 pour Thomson SA et 16,86 pour Thomson CSF) et Thomson CSF détient une participation de 17,3 % dans SGS-Thomson, filiale spécialisée dans les semi-conducteurs.

Il convient de rappeler les conditions dans lesquelles le gouvernement a décidé de privatiser le groupe Thomson SA, avant d'examiner de façon plus approfondie, les modalités retenues pour cette privatisation.

1. La décision de privatiser le groupe Thomson SA

Conformément aux orientations définies par le Président de la République, le gouvernement a décidé de privatiser Thomson SA dans son périmètre actuel, c'est à dire sans procéder à un démembrement des composantes du groupe. On rappellera brièvement le droit applicable avant d'examiner la procédure suivie.

a) Le droit applicable

Juridiquement, cette décision trouve son fondement dans le paragraphe I de l'article 2 de la loi n° 93-923 du 19 juillet 1993 de privatisation qui dispose que :

"Sera transférée du secteur public au secteur privé la propriété des participations majoritaires détenues directement ou indirectement par l'Etat soit dans les entreprises figurant sur la liste annexée à la présente loi (sur laquelle figure le groupe Thomson SA), soit dans toute société dont l'objet principal serait de détenir directement ou indirectement une participation dans une entreprise figurant sur cette liste.

"Ces transferts seront effectués conformément aux dispositions du titre II de la loi n° 86-912 du 6 août 1986."

Ce même article prévoit que le transfert du secteur public au secteur privé sera décidé par décret. Les décisions du ministre chargé de l'économie relatives à la mise en oeuvre de ce transfert ne peuvent intervenir qu'après la publication de ce décret dont l'intervention est suivie de la désignation, toujours par décret, du président du conseil d'administration ou des membres du directoire (article 2, paragraphe II de la loi de 1993).

Enfin, sur le fondement de l'article 10 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations, le gouvernement peut, dans l'intérêt national, décider de transformer l'action ordinaire de l'Etat en une action spécifique (usuellement désignée sous le nom de golden share).

b) La procédure suivie

Le décret décidant de procéder au transfert de la participation majoritaire de l'Etat a été pris le 20 février 1996 (décret n° 96-137 autorisant le transfert au secteur privé de la société Thomson SA 2 ( * ) ).

Il a été immédiatement suivi du décret portant nomination de M. Marcel Roulet comme président-directeur général de la société Thomson SA (décret du 21 février 1996 3 ( * ) ).

Enfin, le décret n° 96-689 du 2 août 1996 a institué une action spécifique de l'Etat au capital de Thomson SA 4 ( * ) .

Ce dernier décret prévoit que :

- tout franchissement à la hausse du seuil de détention directe ou indirecte de titres du dixième du capital ou des droits de vote de la société doit être approuvé préalablement par le ministre chargé de l'économie ;

- un représentant de l'Etat siège au conseil d'administration, sans voix délibérative ;

- le gouvernement a la possibilité de faire opposition aux décisions de cession ou d'affectation à titre de garantie de certains actifs (Thomson CSF et les autres sociétés du groupe ayant des activités en matière de défense militaire).

2. Les modalités de la privatisation

Il convient, ici aussi, de rappeler le droit applicable avant d'examiner la procédure suivie.

a) Le droit applicable

En application de l'article 4 de la loi du 6 août 1986 précitée 5 ( * ) , il existe deux sortes de privatisation :

- la privatisation par recours au marché qui peut être effectuée soit directement, par voie d'offre publique de vente sur le marché boursier, soit par l'intermédiaire d'un syndicat bancaire chargé de placer les titres auprès du public ;

- la privatisation de gré à gré 6 ( * ) .

On notera, accessoirement, que le gouvernement a parfois utilisé ces deux procédures de façon simultanée afin de s'assurer de la constitution de groupes d'actionnaires stables dans le cas de sociétés privatisées essentiellement selon la procédure de marché 7 ( * ) .

On notera également que, dans tous les cas, la Commission de la privatisation est amenée à déterminer la valeur de l'entreprise (article 3 1° de la loi du 6 août 1986 précitée).

La procédure applicable aux privatisations de gré à gré a été précisée par l'article premier du décret n° 93-1041 du 3 septembre 1993, (modifié par le décret n° 95-947 du 25 août 1995) qui prévoit deux cas de figure :

- les cessions de participations minoritaires d'entreprises publiques, dans le cadre d'un accord de coopération industrielle, commerciale ou financière 8 ( * ) .

- les "autres cas", c'est à dire les cessions de participations majoritaires ou de la totalité du capital.

Le second alinéa du 2° de l'article premier du décret du 3 septembre 1993 précité prévoit alors que le choix du ou des acquéreurs, en fonction des offres et des garanties apportées, et les conditions de la cession sont fixés sur avis conforme de la Commission de privatisation.

La décision de vente ou d'échange de gré à gré des titres ou droits des entreprises publiques fait l'objet d'une publicité assurée par une insertion dans le Journal officiel.

Jusqu'en 1995, le décret d'application ne prévoyait, en dehors du cas particulier des accords industriels, qu'une seule procédure comportant un appel d'offres. Le décret du 25 août 1995 a utilisé la possibilité ouverte par la loi de prévoir une procédure sans appel d'offres. Il existe donc désormais deux procédures :

(1) La procédure avec cahier des charges

C'est la procédure dite avec "appel d'offres". Celui-ci est publié sous forme d'avis au Journal officiel et indique, en même temps que la décision de procéder à la vente de gré à gré, le lieu où les acquéreurs pourront retirer le cahier des charges (généralement le ministère de l'économie et des finances) et le délai dont ils disposent (au minimum quinze jours) pour déposer leurs offres d'achat. Le contenu de ce cahier des charges n'est donc pas rendu public et même s'il peut être retiré par tout intéressé, le grand public n'en a pas connaissance.

Aucun texte ne fixe ce que doit contenir un tel cahier des charges ; il peut donc soit comporter des conditions précises, soit se borner à demander aux candidats de répondre à différentes questions.

Cette procédure a été utilisée pour la constitution des groupes d'actionnaires stables et pour un certain nombre de privatisations de pur gré à gré comme celles de la Compagnie Générale Maritime, la Banque Laydernier ou le CIC.

(2) La procédure sans cahier des charges

Dans ce cas, il n'y a pas publication de l'appel d'offres, ce qui ne signifie nullement qu'il n'y a pas mise en concurrence. Le ministre chargé de l'économie "désigne une personnalité indépendante dont le nom est rendu public et qui établit un rapport portant sur les conditions et le déroulement de l'opération ; ce rapport est remis au ministre et à la commission de la privatisation." (article premier du décret du 3 septembre 1993 précité).

Comme dans le cas précédent, la décision doit être publiée au Journal officiel sous forme d'avis, mais cet avis ne fait qu'indiquer le nom de la personnalité indépendante retenue pour établir le rapport sur les conditions et le déroulement de l'opération.

Cette procédure a été utilisée à trois reprises, dans le cas de la Banque française du commerce extérieur (B.F.C.E.) (décret n° 95-1280 du 12 décembre 1995, avis relatif à la privatisation de gré à gré du 13 décembre 1995, avis de la Commission de la privatisation du 23 janvier 1996 et arrêté du 25 janvier 1996 autorisant la cession), la Société française de production et de création audiovisuelle (S.F.P.) (décret n° 96-637 du 16 juillet 1996) et la Compagnie française de navigation rhénane (C.F.N.R.) (décret n° 96-657 du 24 juillet 1996, avis relatif à la privatisation de gré à gré du 25 juillet 1996, avis de la Commission de la privatisation du 5 novembre 1996 et arrêté du 8 novembre 1996). Pour l'instant, seule la privatisation de la SFP n'a pas été achevée.

Les étapes juridiques d'une opération de privatisation de gré à gré sans cahier des charges sont les suivantes :

- décret de privatisation ;

- avis du Gouvernement relatif à la privatisation de gré à gré publié au Journal officiel indiquant le nom de la personnalité indépendante chargée d'établir un rapport ;

- avis de la Commission de la privatisation, cet avis doit être conforme au choix du gouvernement concernant l'acquéreur et à la valeur retenue pour la cession, à défaut la procédure s'interrompt ;

- arrêté fixant les modalités du transfert.

Les cessions de participations de gré à gré

1. Les cessions de participations minoritaires dans le cadre d'un accord de coopération industrielle, commerciale ou financière.

2. La privatisation par appel d'offres avec cahier des charges.

3. La privatisation sans cahier des charges.

b) La procédure suivie

Dans son rapport sur la privatisation de Thomson SA remis au Premier ministre le 22 juillet, M. Marcel Roulet, président du groupe, soulignait la difficulté de lancer une opération de marché, compte tenu de la mauvaise santé du secteur électronique grand public. Il a examiné également les "marques d'intérêt" d'éventuels candidats dans le cadre d'une privatisation de gré à gré.

On notera que l'Etat s'est également entouré du conseil de la banque Rothschild & Cie et que la banque Lazard a assisté Thomson SA.

Au vu des recommandations du rapport de M. Marcel Roulet, et sur proposition de M. le ministre chargé de l'économie, le Gouvernement a décidé de retenir la procédure de privatisation de gré à gré, sans appel d'offres.

La décision de procéder par voie de gré à gré sans appel d'offres a été rendue publique le 2 août et publiée au Journal officiel le 3 août 1996 9 ( * ) .

M. Bernard Ducamin, président de section au Conseil d'Etat, a été désigné comme personnalité indépendante chargée d'établir le rapport sur les conditions et le déroulement de l'opération.

Ce rapport a été remis au ministre de l'économie et des finances aux environs du 15 octobre ainsi qu'à la Commission de privatisation. Il analyse les deux candidatures qui se sont dégagées pour la reprise de Thomson : celles d' Alcatel-Alsthom et de Lagardère Groupe sans prendre parti pour l'une ou pour l'autre, mais en examinant la conformité du processus au regard des principes de neutralité et d'égalité de traitement entre les candidats.

En raison de la confidentialité de la procédure de gré à gré, le contenu des offres n'a pas été rendu public et votre rapporteur n'est pas en mesure d'apprécier l'opportunité du choix effectué.

Néanmoins, d'après les informations disponibles, les deux offres étaient quasiment identiques, en termes de prix, et fixaient la valeur de l'entreprise aux environs de - 11 milliards de francs. Cela signifie que l'Etat devra, préalablement à la privatisation, recapitaliser l'entreprise pour cette valeur, comme cela a été indiqué dans le communiqué du gouvernement du 16 octobre dernier.

Le gouvernement a décidé de rendre publique, le 16 octobre dernier, sa "préférence" sur le choix du repreneur, en l'occurrence Lagardère Groupe, avant l'avis de la Commission de la privatisation.

Comme le fait remarquer le député Patrick Devedjian dans son rapport spécial sur les comptes spéciaux du Trésor 10 ( * ) cette pratique, déjà utilisée dans le cas de la SFP, n'est imposée par aucun texte. Elle tient au fait que les sociétés impliquées dans ce dossier (Thomson CSF, Lagardère Groupe, Alcatel-Alsthom) sont cotées et qu'il était indispensable de conjurer tout risque de "fuites" provenant "d'initiés", afin d'éviter des évolutions artificielles des cours de bourse des sociétés en question.

Concrètement, le groupe Lagardère rachètera à l'Etat la totalité de Thomson-CSF pour un montant symbolique de 1 franc. Il procédera alors à la recapitalisation de Thomson Multimédia, qui sera cédé, également pour un franc symbolique au groupe coréen Daewoo. La valeur des actifs de la branche multimédia sera alors égale à la dette qu'elle portera. Lagardère y conservera une participation de 15 %.

Les actionnaires minoritaires de Thomson-CSF se verront offrir la possibilité de "rester partenaires" par le truchement de certificats de valeur garantie : Lagardère leur proposera de racheter leurs actions à un cours "égal à celui retenu pour déterminer le prix offert pour l'achat de la globalité de Thomson SA". Ce prix, qui a été déterminé sur la base d'une analyse multicritères réalisée par la banque d'affaires Banexi, est de 156 francs par action Thomson CSF, ce qui représente 7,8 milliards de francs pour la totalité du flottant. Cette offre sera financée par les ressources propres de Lagardère, assisté d'un ensemble d'investisseurs financiers.

Les activités de haute technologie (espace, défense et télécommunications) de Lagardère seront apportées à Thomson SA, puis rétrocédées à Thomson-CSF, qui prendra le nom de Thomson Matra, avant d'être absorbé par Thomson SA. La nouvelle entité sera cotée en bourse où elle viendra se substituer à Thomson-CSF, sous le nom de Thomson Matra. Lagardère Groupe en détiendra environ 60 %. Le flottant sera en tout état de cause inférieur à 40 %.

Les fonds propres de la nouvelle entité devraient être de l'ordre de 17 milliards. La participation de Thomson dans le groupe SGS Thomson devrait être cédée, selon un accord d'actionnaires, à CEA Industries ou à France Télécom. Concernant la participation au Crédit Lyonnais, un accord a été conclu et l'Etat devrait la racheter à un prix minimal de 2,9 milliards de francs.

Ces précisions étant données, il apparaît important de souligner que la "préférence" indiquée par le gouvernement ne signifie nullement la fin de la procédure de privatisation.

Comme le prévoit la loi, la procédure ne sera terminée que lorsque la Commission de la privatisation aura donné son avis, et que, conformément à cet avis, le gouvernement aura décidé par arrêté ministériel de procéder à la privatisation.

On rappelle que la Commission de la privatisation sera amenée à déterminer la valeur de l'entreprise (article 3 1° de la loi du 6 août 1986 précitée) et à donner son avis sur le choix du ou des acquéreurs et les conditions de cession (article 4 de la même loi).

Par ailleurs, la Commission européenne est amenée à rendre un avis sur la compatibilité de la recapitalisation préalable avec les règles de concurrence européennes. Cet avis doit intervenir préalablement à l'avis de la Commission de la privatisation. La Commission de Bruxelles peut soit accepter, soit refuser la recapitalisation, soit encore y mettre des conditions susceptibles de rétroagir sur l'offre des candidats. Si la Commission considère qu'il n'y a pas d'aide de l'Etat au sens de l'article 93-2 du traité de Rome, sa décision définitive est susceptible d'intervenir au début du mois de décembre. Dans le cas contraire, il y aura une procédure d'instruction qui durera au moins deux mois, ce qui reporterait le processus de privatisation d'autant.

En supposant que la Commission de Bruxelles accepte la recapitalisation de Thomson SA, le Gouvernement disposera d'un délai de trente jours, à compter de l'avis de la Commission de la privatisation, pour prendre l'arrêté de privatisation.

Le Premier ministre s'est engagé, le 29 octobre dernier à l'Assemblée nationale, à organiser un débat parlementaire "sur tous les aspects financiers, industriels et sociaux du dossier" dans le délai compris entre la publication de l'avis de la Commission de la privatisation et la décision définitive. De la sorte, la représentation nationale sera associée au choix du gouvernement, en amont de la décision définitive.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Votre rapporteur observe :

Sur la décision de privatiser le groupe Thomson SA, il ressort de ce qui précède que cette décision a été, en la forme, respectueuse de la procédure définie par la loi du 19 juillet 1993 et, sur le fond, conforme aux décisions prises par le Parlement lors du vote de cette même loi.

De surcroît, votre rapporteur tient à faire remarquer que cette décision va dans le sens de la position constante de votre commission sur ce sujet, exprimée, notamment, dans le rapport d'information relatif aux "ambiguïtés de l'Etat actionnaire" 11 ( * ) et réaffirmée, récemment, dans le rapport d'information relatif à la situation et aux perspectives du système bancaire français 12 ( * ) . Cette position consiste à penser que :

"l'Etat n'a pas vocation à détenir des entreprises du secteur concurrentiel pour lesquelles le sort le plus normal doit être la privatisation."

Sur les modalités retenues pour effectuer la privatisation, il ressort de ce qui précède que :

- le gouvernement a été respectueux des formes imposées par les lois et règlements en vigueur ;

- la procédure retenue pour le groupe Thomson SA ne constitue pas le premier cas d'application d'une privatisation de gré à gré sans cahier des charges, déjà utilisée pour la privatisation de la B.F.C.E. et de la C.F.N.R. ;

- le gouvernement a procédé en l'espèce avec la plus grande transparence, allant au-delà du strict respect des exigences posées par les textes en vigueur ;

- la procédure de privatisation n'est pas achevée et la Commission de la privatisation aura bientôt à se prononcer sur le "choix des acquéreurs, en fonction des offres et des garanties apportées, et les conditions de la cession". Qu'à cette occasion, la Commission se prononcera non seulement sur la question de savoir si les intérêts patrimoniaux de l'Etat ont bien été préservés, mais également sur le bien-fondé du choix effectué ;

- un débat parlementaire aura lieu sur la privatisation du groupe.

Considérant par ailleurs, que la création d'une commission d'enquête parlementaire, alors que la procédure de privatisation n'est pas terminée serait de nature à perturber l'indispensable sérénité qui doit accompagner les travaux de la Commission de la privatisation ;

Considérant, que les auteurs de la résolution n'apportent aucun élément permettant de penser que le choix du repreneur aurait été effectué en vertu de considérations étrangères à l'intérêt national ;

Considérant enfin que, dés lors qu'il ne s'agit que de contester l'opportunité du choix effectué par le gouvernement, il existe des moyens plus appropriés que la création d'une commission d'enquête pour mettre en cause la responsabilité politique du gouvernement ;

En conséquence, votre rapporteur vous demande de rejeter la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur la situation du groupe Thomson et les conditions de sa privatisation présentée par Mme Hélène Luc et plusieurs de ses collègues.

*

Suivant les recommandations de son rapporteur, la commission des finances a décidé de ne pas donner suite à la proposition de résolution de Mme Hélène Luc et plusieurs de ses collègues.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 19 novembre, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, la commission a procédé à l'examen de la proposition de résolution n° 47 (1996-1997) de Mme Hélène Luc, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation du groupe Thomson et les conditions de sa privatisation, sur le rapport de M. Alain Lambert, rapporteur.

Après la présentation des conclusions du rapporteur, un débat s'est alors engagé au cours duquel sont intervenus Mme Marie-Claude Beaudeau, et MM. Emmanuel Hamel, Philippe Marini et Bernard Barbier.

Mme Marie-Claude Beaudeau a contesté les conclusions du rapporteur et dénoncé le processus "antidémocratique" ayant conduit à la cession "par appartement" du groupe Thomson SA à Lagardère Groupe et au sud coréen Daewoo. A cet égard, elle a fait état de déclarations de représentants du personnel de l'entreprise, selon lesquels opération se serait déroulée dans le "plus grand secret".

Par ailleurs, Mme Marie-Claude Beaudeau a déclaré que seule la création d'une commission d'enquête permettrait d'établir les raisons qui ont conduit Thomson SA à s'endetter de façon aussi massive. Selon elle, cette commission aurait également permis de se prononcer en toute connaissance de cause quant à l'opportunité de séparer la branche civile de la branche militaire.

Elle a encore regretté que toute l'opération se soit déroulée dans la plus grande "opacité" et que le Gouvernement ait mis la représentation nationale et l'ensemble des Français devant le "fait accompli".

M. Emmanuel Hamel s'est déclaré très partagé face à cette décision dont l'impact, selon lui, risque fort d'être "désastreux" sur l'opinion publique. Il s'est également déclaré attaché à ce que la Haute Assemblée contribue à éclairer nos concitoyens en répondant à toutes leurs interrogations.

M. Philippe Marini a fait observer que le rejet de la proposition de résolution de Mme Hélène Luc et plusieurs de ses collègues se fondait, à juste titre, sur le respect de la compétence de la Commission de la privatisation, commission dont il s'est plu à rappeler qu'elle était indépendante et composée de personnalités au-dessus de tout soupçon. Il a toutefois interrogé le rapporteur sur le point de savoir si le "débat" envisagé par le Premier ministre se tiendrait uniquement devant l'Assemblée nationale ou, également, devant le Sénat.

En réponse à M. Philippe Marini, le rapporteur a indiqué que le Premier ministre s'était constamment référé au "débat parlementaire" et que, jusqu'à preuve du contraire, le Parlement comprenait également le Sénat.

En réponse à Mme Marie-Claude Beaudeau, le rapporteur a fait valoir que le Gouvernement avait été bien au-delà du simple respect des textes en publiant sa préférence quant au choix du repreneur et en organisant un débat au Parlement avant la décision définitive, ce qui lui semblait de nature à apaiser ses craintes sur le caractère "anti-démocratique" du processus. Par ailleurs, il a rappelé que les causes de l'endettement du groupe Thomson SA étaient clairement identifiées et qu'elles trouvaient leurs origines dans les opérations de croissance externe réalisées, en 1988, à la demande du Gouvernement de l'époque.

En réponse à M. Emmanuel Hamel, il a déclaré que la responsabilité des parlementaires n'était pas de se déterminer en fonction des "croyances" de l'opinion publique, mais au contraire de dire ce qui leur semblait être l'intérêt du pays, quelles qu'en soient les "effets" sur les sondages. Il a rappelé que la demande de création d'une commission d'enquête risquait de perturber totalement le processus dans le cours duquel elle s'insérait. Il a insisté sur la nécessité de faire oeuvre de pédagogie pour expliquer à nos concitoyens que la privatisation de Thomson SA se réalise selon un processus complexe et que ce n'est qu'au terme de ce processus, qu'il appartiendra aux parlementaires de dire si le choix effectué était opportun ou non.

M. Bernard Barbier a déclaré qu'il s'abstiendrait car il était sensible à l'inquiétude des salariés des sites d'exploitation situés dans son département et des déclarations du président de Daewoo quant aux garanties apportées par le groupe coréen en matière de maintien d'emplois.

La commission, suivant les recommandations de son rapporteur, a ensuite décidé de ne pas donner suite à la proposition de résolution de Mme Hélène Luc, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation du groupe Thomson SA et des conditions de sa privatisation.

* 1 Rapport Assemblée nationale n° 3030, annexe n° 44. p. 48 à 65.

* 2 Journal officiel du 22 février 1996 p. 2874.

* 3 Journal officiel du 22 février 1996 p. 2884.

* 4 Journal officiel du 3 août 1996 p. 11777.

* 5 Cet article dispose que :

"Les cessions ou échanges de titres, les ventes de droits préférentiels ou les renonciations à de tels droits sont réalisés suivant les procédures du marché financier.

"Toutefois, le ministre chargé de l'économie peut décider de faire appel à des acquéreurs hors marché (opérations de gré à gré). Le choix du ou des acquéreurs et les conditions de cession sont arrêtés par le ministre chargé de l'économie, sur avis conforme de la commission de la privatisation. Un décret en Conseil d'Etat fixe notamment les règles de publicité auxquelles sont subordonnées ces décisions et les cas dans lesquels il est recouru à un appel d'offres."

* 6 Sur les privatisations de gré à gré, voir l'article de Philippe Rousseau dans "L'AGEFI" du 13 novembre 1996.

* 7 Relèvent de cette catégorie la privatisation d'Usinor-Sacilor (arrêté du 26 juin 1996) ou celle de la Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (arrêté du 6 février 1995).

* 8 L'avis conforme de la Commission de la privatisation est alors exigé sur le choix du ou des acquéreurs et sur les conditions de la cession. Les objectifs de l'accord et l'identité du ou des nouveaux actionnaires font l'objet d'une publication au Journal officiel et l'approbation ne peut intervenir qu'après l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de cette publication. C'est la procédure qui a été utilisée pour l'entrée de Volvo dans le capital de Renault.

* 9 Communiqué de presse du ministère de l'économie et des finances, en date du 2 août 1996 et avis publié au Journal officiel du 3 août 1996 p. 11816.

* 10 Rapport précité p. 50.

* 11 Rapport d'information n° 591 1993-1994, enregistré à la présidence du Sénat le 6 juillet 1994 : "Les ambiguïtés de l'Etat actionnaire" p. 31.

* 12 Rapport d'information n° 52 1996-1997 "Banques : votre santé nous intéresse", annexé au procès-verbal de la séance du 30 octobre 1996, p. 150.

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