ARTICLE 8
(ARTICLE 35 BIS DE L'ORDONNANCE DU 2 NOVEMBRE 1945)
MODIFICATION DU DÉROULEMENT DE LA RÉTENTION ADMINISTRATIVE

Cet article conforte l'efficacité de la rétention administrative, en maintenant sa durée globale et ses modalités principales, pour tenir compte des difficultés de mise en oeuvre constatées depuis l'adoption des lois n°s 93-1027 et 93-1417 des 24 août et 30 décembre 1993 précitées.

Esquissé dans la loi n° 80-9 du 10 janvier 1980 relative à la prévention de l'immigration clandestine et portant modification de l'ordonnance de 1945 qui créait un article 5-2 dans ladite ordonnance, le statut législatif de la rétention administrative se structure avec la loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France qui le transfère dans l'actuel article 35 bis de l'ordonnance modifié à cinq reprises.

Dans sa rédaction actuelle, l'article 35 bis permet, par une décision écrite motivée du représentant de l'Etat dans le département, le maintien dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire , s'il y a nécessité, d'un étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire dans le cadre d'une procédure de réadmission (article 33 de l'ordonnance), d'une expulsion (articles 23 et 26 de l'ordonnance) ou d'une reconduite à la frontière (article 22 de l'ordonnance). Le Procureur de la République en est immédiatement averti et peut se transporter sur les lieux à tout moment. L'étranger est informé de ses droits, le cas échéant par l'intermédiaire d'un interprète. Il peut demander l'assistance d'un médecin, d'un conseil et communiquer avec son consulat et une personne de son choix.

A l'issue d'un délai de vingt-quatre heures , le président du tribunal de grande instance ou son délégué statue par ordonnance après audition du représentant de l'administration et de l'intéressé sur :

- la prolongation de la rétention pour six jours ;

- ou à titre exceptionnel l'assignation à résidence, après remise du passeport ou d'un document justificatif d'identité contre récépissé.

A l'issue de ces sept jours (1 jour + 6 jours), le magistrat peut proroger, par une nouvelle ordonnance, pour 72 heures, une dernière fois la rétention, en cas d'urgence absolue et de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public ou, en cas d'expulsion et de reconduite à la frontière, lorsque ce délai permettrait l'obtention d'un document de voyage nécessaire pour procéder à l'éloignement. L'intéressé, le ministère public et le représentant de l'Etat dans le département peuvent faire appel des deux ordonnances devant le Premier Président de la Cour d'appel ou son délégué qui doit statuer dans les quarante-huit heures à compter de sa saisine.

Ce recours n'est pas suspensif : l'appel n'interrompt pas la rétention si elle a été prolongée par le juge ; à l'inverse, il ne permet pas le maintien en rétention si le juge a refusé la prolongation.

Parallèlement , l'intéressé peut mettre en cause la décision d'expulsion, de réadmission ou de reconduite.

Les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière fondent l'essentiel des rétentions. En application de l'article 22 bis de l'ordonnance de 1945, les recours en annulation à leur encontre, doivent être formés dans les vingt-quatre heures suivant la notification auprès du président du tribunal administratif. Celui-ci ou son délégué statue dans les quarante huit heures de sa saisine.

L'arrêté de reconduite à la frontière ne peut être exécuté avant l'expiration du délai de recours de vingt-quatre heures ou si le tribunal administratif est saisi, avant qu'il n'ait statué.

Une décision du tribunal des conflits a en outre attribué compétence au juge administratif en l'absence de voie de fait, pour les litiges relatifs aux conditions matérielles de rétention (Dulangi, 25 avril 1994).

La Cour de cassation , par plusieurs arrêts du 28 juin 1995 marquant un revirement de jurisprudence , a affirmé la compétence du juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle aux termes de l'article 66 de la Constitution, pour contrôler la régularité de l'interpellation, du contrôle d'identité et de la garde à vue ayant précédé immédiatement la rétention (Arrêts Bechta et Mesu, 2e chambre civile, 28 juin 1995).

Les difficultés matérielles de mise en oeuvre de l'éloignement , compte tenu de la multiplication des procédures devant deux ordres de juridiction, enfermées dans des délais très brefs en raison de la limitation à dix jours de la durée totale de la rétention, ne sont plus à démontrer : identification des étrangers, le plus souvent délibérément dépourvus de pièces d'identité ; démarches auprès des consulats ; conduite parallèle des procédures contentieuses et de l'éloignement ; modalités pratiques d'acheminement.

L'article 8, converge avec les dispositions des articles 3 (retenue des passeports, empreintes digitales) et 9 (extension de la rétention judiciaire) en renforçant le dispositif de la rétention administrative, à défaut d'en étendre le champ ou la durée, compte tenu du cadre fixé jusqu'à présent par le Conseil constitutionnel (cf. exposé général).

Le paragraphe 1 de l'article 8 prévoit qu'un étranger ayant fait l'objet d'un maintien en rétention sur la base de l'article 35 bis et n'ayant déféré à la mesure d'éloignement ni pendant cette rétention, ni dans un délai de sept jours suivant son terme puisse être à nouveau placé en rétention à l'issue de ce délai sur la base de la même décision d'éloignement.

Dans ce délai, les décisions du juge judiciaire, en première instance et en appel, et celle du juge administratif, en première instance, sont intervenues. Elles ont validées, par hypothèse, la procédure puisque la rétention a été prolongée et la décision d'éloignement n'a pas été annulée.

Or, la Cour de cassation, par une stricte interprétation de l'article 35 bis a contesté la possibilité de placer à nouveau en rétention l'étranger libéré à l'issue d'une période de rétention n'ayant pas permis l'éloignement , étranger toujours passible de la reconduite, de l'expulsion ou de la remise à laquelle il se serait soustrait et dont la présence irrégulière serait constatée encore une fois (2e chambre civile, RASMI, 28 février 1996).

Cette décision est comprise comme impliquant que l'administration reprenne l'ensemble de la procédure (nouvel arrêté, contestable devant le juge administratif...) à l'égard d'un individu dont la situation n'a pas changé.

La modification proposée par le présent paragraphe résout cette question tout en conservant l'ensemble des garanties de l'article 35 bis : premier délai de 24 heures ; prolongation éventuelle décidée par le juge...

L'Assemblée nationale l'a adopté sans modification.

Votre commission vous proposera un amendement rédactionnel tendant à rectifier une erreur de décompte des alinéas.

Le paragraphe 2 de l'article 8 porte de vingt-quatre heures à quarante-huit heures la durée de rétention administrative au-delà de laquelle l'intervention du juge judiciaire est nécessaire pour la prolonger et réduit en conséquence de six à cinq jours la durée maximale de cette prolongation éventuelle.

Le délai maximal reste donc de sept jours (2 + 5 au lieu de 1+6). La possibilité de prolongation supplémentaire pour 72 heures, dans les strictes conditions posées par l'article 35 bis, reste inchangée, soit une durée totale plafonnée à 10 jours sous réserve de deux prolongations ordonnées par le juge.

Cet aménagement doit améliorer le déroulement de cette procédure :

- en permettant aux parties (l'intéressé et l'administration) de présenter au juge des dossiers plus complets et mieux argumentés qui lui permettent de prendre sa décision en meilleure connaissance de cause ;

- en cas de recours de l'intéressé contre l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) dans le délai de vingt-quatre heures qui reste inchangé, en donnant la possibilité au juge administratif de se prononcer sur la validité de la mesure avant que le juge judiciaire n'ait à trancher sur la prolongation de la rétention (le président du tribunal administratif doit en effet statuer dans les 48 heures de sa saisine) ; pourraient ainsi être évitées certaines incohérences : annulation de l'APRF par le juge administratif alors que le juge civil a prolongé la rétention ; refus de prolonger la rétention du juge judiciaire alors que le juge administratif rejette le recours contre l'APRF ;

- en facilitant l'exécution de la mesure d'éloignement à laquelle, en l'absence de recours contre l'APRF, il pourrait être procédé dans ce délai de 24 heures supplémentaires sans demander une prolongation de la rétention de six jours.

Le délai de quarante-huit heures, avant l'intervention du juge n'a pas été déclaré non constitutionnel par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980 sur la loi n° 80-9 du 10 janvier 1980 précitée, qui instaurait pour la première fois la rétention administrative, en la forme d'un article 5-2 de l'ordonnance de 1945 relatif au refus de l'autorisation d'entrée sur le territoire, et ne prévoyait pas de durée maximale à la prolongation prononcée par le juge :

" Considérant, toutefois, que la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans les plus courts délais possibles ; que, s'il en est ainsi dans le cas prévu à l'article 3 de la loi qui subordonne à la décision du juge le maintien au-delà de quarante-huit heures, de l'intéressé dans les locaux où il est retenu, il n'en va pas de même dans le cas prévu à l'article 6 de la loi dès lors que, dans cette dernière éventualité, l'intervention du juge n'est déclarée nécessaire que pour prolonger, au-delà de sept jours, le régime de détention auquel l'étranger est soumis... "

Pour mémoire, dans les zones d'attente des aéroports, les délais de rétention sont portés à 20 jours.

Le maintien du délai de recours contre l'APRF à 24 heures implique que les garanties et formalités prévues par l'article 35 bis (accès d'un conseil et d'un interprète, information sur les voies de recours) continuent d'être appliquées avec vigilance.

L'Assemblée nationale n'a pas modifié ce paragraphe.

Votre commission vous proposera un amendement de rectification d'une erreur de décompte des alinéas.

La proposition de loi de M. Serge Mathieu tendant à porter la durée totale de la rétention à 45 jours (15 jours + 15 jours + 15 jours) n'a pas paru pouvoir être intégrée dans le cadre législatif et constitutionnel actuel.

Le paragraphe 3 de l'article 8 permet de préciser qu'entre la saisine du juge à l'issue du délai de vingt quatre heures et le moment où il se prononce sur la prolongation éventuelle de la rétention, l'intéressé est maintenu à la disposition de la justice. Un délai de quelques heures peut en effet être nécessaire pour organiser l'audience.

L'Assemblée nationale n'a pas modifié ce paragraphe.

Votre commission vous proposera un amendement de rectification d'une erreur de décompte des alinéas.

Le paragraphe 4 de l'article 8 permet au Premier président de la Cour d'appel, ou à son délégué, de donner un effet suspensif à l'appel interjeté par le procureur de la République sur l'ordonnance du président du tribunal de grande instance, ou de son délégué, statuant sur la demande de prolongation de la rétention administrative.

Cet appel, comme celui des parties (l'intéressé ou le représentant de l'Etat dans le département), n'est pas aujourd'hui suspensif. En conséquence, lorsque le président du tribunal de grande instance refuse la prolongation de la rétention, même en cas d'appel, et quelle que soit la décision du juge administratif sur le bien-fondé éventuel de la mesure d'éloignement, l'intéressé est remis en liberté sans attendre que le Premier président de la Cour d'appel se prononce. A l'inverse, l'intéressé est maintenu en rétention dans l'attente de la décision, s'il fait appel de l'ordonnance de prolongation prononcée en première instance

Le dispositif proposé par le projet de loi initial prévoyait qu'en cas d'appel formé par le ministère public, le dossier soit immédiatement transmis au Premier président de la Cour d'appel lequel déciderait sans délai et sur pièces s'il y a lieu de donner à cet appel en effet suspensif.

L'intéressé serait maintenu à la disposition de la justice dans l'attente de cette décision et, si celle-ci donnait un caractère suspensif à l'appel, dans l'attente de la décision sur le fond qui devrait intervenir dans le délai de 48 heures déjà prévu par le texte actuel.

Ce maintien à la disposition de la justice s'imputerait sur le délai total de rétention et éviterait que la mesure d'éloignement puisse être mise en oeuvre en attendant que le juge se prononce.

L'Assemblée nationale a adopté sur ce paragraphe un amendement de sa commission des Lois, sous-amendé par le Gouvernement, tendant à confier au procureur l'initiative de demander l'effet suspensif, à enfermer dans ce cas dans un délai de quatre heures la formulation de cette demande et de l'appel, à préciser que l'ordonnance statuant sur l'effet suspensif n'aura pas à être motivée et ne sera pas susceptible d'appel.

Ce paragraphe, ainsi modifié appelle plusieurs observations :

- il lui a été reproché d'instaurer une inégalité dans la situation des parties à l'égard des effets de l'appel ; tel n'est pas exactement le cas car seul le procureur peut exercer cette faculté ; les véritables parties que sont le préfet et l'intéressé demeurent donc dans une situation identique ;

- confier l'initiative au procureur, comme l'a prévu l'Assemblée nationale, est préférable car il n'est pas nécessaire que son appel entraîne systématiquement demande d'effet suspensif ; toutefois le caractère exceptionnel de cette démarche, voire les motifs qui pourraient la justifier méritent d'être inscrits dans le texte ;

- en revanche la fixation d'un délai de quatre heures est-elle souhaitable ? Son objet est d'éviter que cette situation ne se prolonge, tout en permettant au Parquet de préparer le dossier sachant qu'il n'est pas toujours présent à l'audience. Le texte initial du projet de loi, sur ce point, apparaît préférable , qui prévoit la transmission immédiate du dossier.

- Le Premier président statue sur l'effet suspensif sans délai, par une décision non motivée et non susceptible d'appel, de recours serait plus juste; il aurait été bon néanmoins qu'il entende l'intéressé par ailleurs maintenu à la disposition de la justice. Mais cette exigence se heurte, en province, à l'écueil géographique des distances. Le transfert de l'intéressé du tribunal de grande instance à la cour d'appel retarderait d'autant la décision et prolongerait le maintien à la disposition de la justice, ce qui n'est pas souhaitable.

Votre commission vous proposera un amendement tendant à marquer le caractère exceptionnel de cette procédure, à exiger qu'elle soit motivée par l'absence de garanties de représentation effectives de l'intéressé et à revenir à la rédaction du projet de loi pour prévoir la transmission immédiate du dossier.

Enfin, l'Assemblée nationale a ajouté, in fine de l'article 8, un paragraphe 5 destiné à rappeler l'articulation possible entre la rétention administrative (article 35 bis de l'ordonnance et 8 du projet de loi) et la rétention judiciaire (article 132-70-1 du code pénal et article 9 du projet de loi).

Cette disposition complète l'article 35 bis en prévoyant que le préfet informe sans délai le procureur de la République et lui transmet les éléments du dossier, lorsque la mesure d'éloignement ne peut pas être exécutée en raison d'infractions relevant des premier et deuxième alinéas de l'article 27 de l'ordonnance (refus de l'intéressé de se soumettre ou de communiquer les documents nécessaires).

Il appartient alors au procureur de la République de juger de l'opportunité de poursuivre ces infractions, lesquelles si elles conduisent à une condamnation permettent la mise en jeu de la rétention judiciaire (cf. article 9 du projet de loi) d'une durée maximale de trois mois.

Cette disposition, outre qu'elle aurait pu être complétée pour faire référence au nouveau champ de la rétention judiciaire prévu par l'article 9, rappelle ce qui est d'ores et déjà une obligation du préfet en application de l'article 40 du code de procédure pénale. Celui-ci fait en effet obligation à tout fonctionnaire qui dans l'exercice de ses fonctions a connaissance d'un délit d'en donner avis sans délai au procureur de la République.

Votre commission vous proposera en conséquence un amendement de suppression de ce paragraphe tout en partageant le souci de ses auteurs de voir mieux enchaînées rétention administrative et rétention judiciaire.

Votre commission vous propose d' adopter l'article 8 ainsi modifié.

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