II. ANALYSE DE LA SITUATION DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL

En Europe, la télévision numérique par satellite est rapidement devenue le centre de la stratégie de développement de tous les groupes de communication.

Or, l'espace européen présente une hétérogénéité culturelle et linguistique qui morcelle ce marché en plusieurs zones d'influence. Parmi ces différents marchés, la France apparaît comme le pays qui présente a priori le marché potentiel le plus important avec plus de 18 millions de foyers TV qui ne reçoivent ni les chaînes du câble, ni les chaînes par satellite. En effet, la pénétration modeste du câble, en France et en Grande-Bretagne, peut avantager le développement du satellite, alors qu'en Allemagne le câble est devenu en dix ans un vecteur majeur de diffusion de la télévision.

A. L'ORGANISATION DU MARCHÉ DE LA TÉLÉVISION PAR SATELLITE

Une analyse de l'offre actuelle des services audiovisuels démontre que sa constante augmentation repose, même si les services de radiodiffusion "traditionnels" demeurent en grande partie majoritaires dans les bouquets en cours de constitution, sur trois types de développement :

- une thématisation et spécialisation toujours accrues de l'offre vers des publics cibles de plus en plus précis (chaînes Femmes, chaînes météorologiques, chaînes Spectacle, offre radiophonique démultipliée et thématisée) ;

- une offre commerciale au sens premier du terme avec le développement du télé-achat, du téléchargement, du paiement à la séance ou de l'offre à la demande ;

- un éclatement de la programmation traditionnelle et des notions mêmes de radio ou de télévision : offre de services auxiliaires des opérateurs DAB, développement de services de données de toutes sortes, téléchargement de logiciels, etc.

Avec la numérisation des réseaux qui a mis fin au développement d'un support spécialisé par type de service (radio, télévision, téléphone etc.), on est aujourd'hui entré dans ce qu'il est convenu d'appeler une phase historique de "convergence".

Cette situation n'a d'ailleurs rien de surprenant. L'importante imbrication capitalistique des opérateurs du secteur audiovisuel, dans la plupart des pays, faisait depuis longtemps prévoir cette convergence.


De ce point de vue, le rapprochement avec le secteur des télécommunications est encore assez proche de celle qui existait déjà avec la diffusion analogique. Mais si les opérateurs de télécommunications sont déjà fortement présents dans le secteur audiovisuel en Europe, cette tendance se renforce quotidiennement, puisque les groupes audiovisuels, en France notamment, sont de plus en plus présents sur le marché des télécommunications.

La déréglementation totale de ce secteur au 1er janvier 1998 devrait accélérer sensiblement cette convergence intersectorielle en raison de la multiplication des opérateurs de télécommunications et de la possibilité, notamment pour les câblo-opérateurs, d'offrir des services de téléphonie vocale 12( * ) .

Pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le fait nouveau réside, au-delà de l'accroissement de la concurrence européenne et extra-communautaire, dans l'émergence de nouveaux opérateurs, ainsi que dans la fusion fonctionnelle qui justifie, pour l'organe français de régulation, la nécessité de prendre en compte les autres supports de diffusion dans la poursuite de ses réflexions.

1. Les nouveaux opérateurs

Le marché de la télévision numérique à péage par satellite est en phase de démarrage mais il bénéficie d'une forte croissance. Il fait intervenir de nombreux acteurs qui exercent des métiers différents en utilisant des savoir-faire distincts.

L'arrivée des technologies numériques permet de redistribuer les cartes du marché, en instaurant de nouvelles relations entre quatre groupes d'acteurs, qui exercent chacun des fonctions spécifiques : les opérateurs de satellites, les éditeurs de programmes, les ensembliers, les propriétaires et les exploitants de systèmes de contrôle d'accès.

· Les opérateurs de satellites

L'opérateur de satellites loue ou vend des capacités satellitaires pour la diffusion des services de communication audiovisuelle. Il convient de préciser que la liaison montante vers le satellite est assez fréquemment prise en charge par un prestataire technique autre que l'opérateur du satellite.

Généralement, deux catégories d'opérateurs de satellites apparaissent : les opérateurs continentaux et les opérateurs régionaux ou nationaux qui desservent une zone linguistique homogène ou un pays.

En Europe, le paysage satellitaire est dominé par deux opérateurs continentaux : la Société européenne des satellites ( SES ) et Eutelsat. A eux seuls, ils totalisaient au début de l'année 1996 près de 60 % des canaux utilisés en réception directe.

La SES est une société privée implantée au Luxembourg. Elle est l'opérateur du système de satellites Astra qui dispose aujourd'hui d'une flotte de six satellites co-positionnés à 19,2° Est. Avant l'an 2000, la SES va mettre en orbite quatre nouveaux satellites dont deux sur une nouvelle position orbitale à 28,2° Est. Cette nouvelle position orbitale sera destinée aux marchés de l'Europe de l'Est.

Eutelsat , organisation européenne de télécommunications par satellite, regroupe 44 Etats désireux de bénéficier aussi bien de services de télécommunications que de services audiovisuels. Eutelsat, qui exploite six satellites répartis sur quatre positions orbitales, a développé, depuis 1995, une stratégie de co-positionnement orbital sur 13°Est. Cette stratégie sera complétée par le lancement de trois nouveaux satellites avant fin 1998.

Ces opérateurs ont à eux deux réalisé en 1995 un chiffre d'affaires de 3 471 millions de francs pour un résultat net de 913 millions de francs.

(En millions de francs)

 

1994

1995

SES

 
 

Chiffre d'affaires

1 480

1 723

Résultat net

665

480

Eutelsat

 
 

Chiffre d'affaires

1 615

1 748

Résultat net

330

433

Source : Astra, Eutelsat

Le poids financier de ces opérateurs est aujourd'hui comparable. Il convient de signaler qu'Eutelsat a une activité d'opérateur de satellites sur le marché des télécommunications et de la télévision. Ainsi, Eutelsat a réalisé, en 1995, un chiffre d'affaires de 1 358 millions de francs par la location de répéteurs de télévision.

Eutelsat est l'opérateur de satellites qui bénéficie en Europe de la flotte de satellites la plus nombreuse. Jusqu'en 1993, Eutelsat était le principal opérateur de satellites de télévision en Europe comme l'indique l'évolution de son chiffre d'affaires sur l'activité de transport de programmes de télévision.

Avec ses cinq satellites, France Télécom est le premier opérateur sur le marché français. Il fut le premier opérateur à proposer des programmes français. Il bénéficie donc de la plus forte initialisation.

Toutefois, le système satellitaire de France Télécom, de capacité limitée, est national et assure avant tout des missions de télécommunications civiles et militaires. En conséquence, les opérateurs de bouquets numériques ont préféré se tourner vers la SES et Eutelsat pour la diffusion de leurs programmes.

Le dernier satellite lancé par l'opérateur national, Télécom 2D, est destiné, faute de clients, à sécuriser les trois autres satellites du système Télécom 2. Compte tenu de la participation de France Télécom dans le capital d'Eutelsat (15%), la filière satellitaire française n'apparaît plus comme l'axe stratégique prioritaire de l'opérateur national de télécommunications.

· Les éditeurs de programmes

Un éditeur de programmes compose la grille de programmation d'une chaîne. Il en assure par conséquent la responsabilité éditoriale.

Au début de l'année 1996, on comptait 192 chaînes diffusées par satellite, privées pour 80 % d'entre elles, dont la moitié diffusée en clair. Cependant, depuis deux ans, le nombre de chaînes soumises à condition d'accès est en nette augmentation, tendance qui semble se poursuivre. Le système de cryptage le plus fréquent est Vidéocrypt (utilisé notamment par le bouquet BSkyB), suivi par Nagravision utilisé par les chaînes de CanalSatellite analogique.

En France, toutes les chaînes à vocation nationale, tant les chaînes hertziennes que les chaînes thématiques du câble, sont également diffusées par satellite. La diffusion satellitaire permet aux chaînes nationales hertziennes d'alimenter l'ensemble de leurs réseaux d'émetteurs et d'atteindre les téléspectateurs situés dans des zones d'ombre.

Pour les chaînes thématiques du câble, la diffusion satellitaire présente le double avantage d'acheminer instantanément le signal de la chaîne à l'ensemble des réseaux câblés français, et d'accéder au financement complémentaire issu de la commercialisation des bouquets de programmes en réception individuelle par satellite.

Au 31 janvier 1997, le Conseil supérieur de l'audiovisuel avait conventionné 97 chaînes thématiques au titre de leur distribution sur le câble, dont 74 françaises. La plupart de ces chaînes sont directement liées à des chaînes nationales comme Canal +, TF1, M6 ou France Télévision, tant au niveau de leur capital que de leur régie publicitaire. Elles sont, par ailleurs, indirectement liées aux chaînes nationales par le biais d'actionnaires communs, notamment la Compagnie Générale des Eaux et la Lyonnaise des Eaux.

Ainsi, Thématiques Régie, filiale de Canal +, assure la régie de Planète, Canal J, La Chaîne Météo, Canal Jimmy, Eurosport France, MCM, TMC, Ciné-Cinémas et Ciné-Cinéfil, TF1 celle de LCI, Odyssée, Télétoon et d'Eurosport International, M6 celle de Paris Première, Série Club et Téva, France Télévision, celle d'Euronews, TV5 et Festival.

Il convient également de souligner l'émergence de services autres que les services de télévision au travers du développement de l'offre de bouquets radiophoniques numériques comme Multiradio, Multimusic ou Music Choice et de services nouveaux comme le téléchargement de données, via le terminal numérique " Médiasat " avec le service C.

· Les ensembliers

Au sens strict, l'ensemblier réserve des capacités satellitaires auprès de l'opérateur de satellites, choisit les chaînes qui seront commercialisées au sein d'un bouquet et assure la commercialisation du bouquet. Il peut également gérer les abonnés.

En France, trois acteurs se positionnent sur l'activité d'ensemblier satellitaire. CanalSatellite, filiale de Canal +, AB Sat filiale du groupe AB Production et TPS société regroupant TF1, France Télévision, France Télécom, M6 et la CLT.

Actionnariat des ensembliers

CanalSatellite (1992)

AB Sat
(1995)

TPS
(1996)

70 % Canal +

50 % MMP 13( * )

25 % TF1

20 % Chargeurs

40 % Claude Berda

20 % M6

10 % CGE

10 % JL Azoulay

20 % CLT

 
 

16,7 % France Télécom

 
 

10 % Lyonnaise des Eaux

 
 

8,3 % France Télévision

Source : Conseil supérieur de l'audiovisuel

Plus précisément, les participations de France 2, France 3 et France Télécom au sein de TPS sont détenues au sein d'une société holding commune, France Télévision Entreprise, dont le capital est détenu à 66 % par France Télécom, à 16,67 % par France 2 et à 16,67 % par France 3.

En matière de contrôle d'accès , cinq fonctions doivent être distinguées :

- L'éditeur de programmes : tout service ayant recours à un système d'accès doit rémunérer le titulaire des droits de propriété industrielle sur le système de contrôle d'accès qu'il utilise. La question clé qui se pose à lui est celle de la gestion des abonnements.

- Le gestionnaire du bouquet de programmes est l'intermédiaire entre tout éditeur souhaitant intégrer ce bouquet et utiliser le même système de contrôle d'accès et les abonnés du bouquet. Il peut ainsi être regardé comme un distributeur.

- Le titulaire des droits de propriété industrielle du contrôle d'accès : deux systèmes de contrôle d'accès numérique existent actuellement sur le marché français : Médiaguard de la société SECA (Société Européenne de Contrôle d'Accès), filiale de Canal + et de Bertelsmann, et Viaccess de France Télécom.

- Le gestionnaire des abonnements : la gestion des abonnements peut être effectuée par l'éditeur de service ou par le gestionnaire du bouquet de programmes (câblo-opérateur ou opérateur satellitaire). La gestion des abonnements est fondamentale car elle confère la gestion du fichier d'abonnés correspondant au fonds de commerce de l'activité.

- L'industriel : Le terminal Médiasat, utilisé par CanalSatellite, est fabriqué par Philips, Thomson, Pioneer, Sagem et Sony. La fabrication à grande échelle de ces terminaux est en préparation. Canal + a commandé d'ici mars 1997 un peu plus de 480 000 terminaux.

Les relations entre ces différents acteurs sont relativement complexes et déterminent en grande partie une problématique spécifique pour le contrôle d'accès.

Architecture de la diffusion par satellite d'un signal numérique crypté



Les trois bouquets sur le marché français utilisent des terminaux numériques dont les caractéristiques sont différentes.

Caractéristiques des terminaux numériques en France

Utilisateurs

Nom du système de contrôle d'accès

Propriétaire

Système d'interactivité

Nom du terminal

CanalSatellite

Médiaguard

SECA

Mediahighway

Médiasat

TPS

Eurocrypt/Viaccess

France Télécom

Open TV

Viaccess

AB Sat

Eurocrypt/Viaccess

France Télécom

n.c.

Viaccess

Source : Conseil supérieur de l'audiovisuel

2. Les relations entre les opérateurs

Les relations entre les acteurs de la filière satellitaire sont complexes. Deux principaux schémas d'organisation de diffusion des chaînes cryptées par satellite se dessinent en fonction de l'appartenance ou non du diffuseur à un bouquet de programmes.

L'ensemblier a donc la faculté de décider de la plupart des choix stratégiques. De surcroît, il est l'utilisateur du système de contrôle d'accès qui lui permet de gérer ses abonnements. En effet, sans système de contrôle d'accès tout l'édifice des relations financières entre les différents acteurs disparaît. Il apparaît clairement que la maîtrise du système de contrôle d'accès est la clé de voûte du système de la télévision à péage.

Ce modèle d'organisation est en réalité très proche de ce qui existe dans le secteur de la câblodistribution. En effet, le câblo-opérateur est un véritable ensemblier qui assure la commercialisation de son plan de services, qui gère ses abonnements, qui choisit ses programmes ainsi que son opérateur technique et son système de contrôle d'accès. Les métiers de câblo-opérateurs et d'ensembliers satellitaires sont très similaires même s'ils ne sont pas soumis aux mêmes contraintes économiques et réglementaires . Toutefois, câblo-opérateurs et ensembliers satellitaires sont confrontés aux mêmes choix économiques en matière, notamment, de systèmes de contrôle d'accès.

3. Un marché en forte croissance

Toutes les études indiquent que la télévision par satellite va connaître un fort développement dans les années à venir. En effet, le satellite est un support qui offre une couverture nationale et internationale immédiate et à moindre coût. De surcroît, la numérisation des réseaux de diffusion satellitaire est immédiate. Par conséquent, les capacités de transport du satellite vont augmenter grâce à l'arrivée de la compression numérique facilitant ainsi l'émergence de nouveaux concepts télévisuels ou de nouvelles thématiques. Parallèlement, l'équipement des foyers en matériel de réception ne cesse de croître en raison notamment d'une diminution spectaculaire du prix d'achat des équipements.

· L'offre satellitaire

En trois ans, les capacités de diffusion par satellite en Europe se sont accrues de plus de 34 %. Parallèlement, le nombre de chaînes diffusées a augmenté de 39 %, pour atteindre le nombre de 192.

Cette évolution va s'accentuer car les capacités d'accueil des satellites vont connaître un accroissement sous le double effet de la compression numérique et de la mise en service de nouveaux satellites. En effet, la compression numérique permet de multiplier, par un coefficient aujourd'hui compris entre quatre et huit, le nombre de programmes par canal, là où en analogique il n'est possible de diffuser qu'une seule chaîne.

De plus, la SES et Eutelsat prévoient de lancer de nouveaux satellites dans les années à venir qui vont encore étendre le nombre de transpondeurs disponibles.

Néanmoins, il serait illusoire de croire que l'extension des capacités satellitaires est infinie dans la mesure où les " bonnes " positions orbitales sur l'Europe et les bandes passantes associées à ces positions orbitales sont limitées.

· La réception satellitaire

Le marché français de la réception satellitaire individuelle est estimé selon les sources de 1 030 000 14( * ) à 1 418 000 15( * ) foyers. Selon l'enquête INSEE/Conseil supérieur de l'audiovisuel réalisée au premier semestre 1996 16( * ) , le nombre de foyers équipés d'antennes paraboliques est évalué à 1 227 000 soit environ 5,8 % des foyers TV français. Depuis 1992, année de lancement de Canalsatellite, le nombre de foyers équipés en matériels de réception satellitaire a décollé avec une progression annuelle supérieure à 20 %.

Actuellement, l'opérateur de satellites dominant en France est France Télécom qui a développé un système satellitaire national de chaînes en clair et cryptées. En effet, Télécom 2A et Télécom 2B assurent la diffusion du bouquet analogique Canalsatellite qui compte aujourd'hui plus de 226 000 abonnés et également la diffusion de TF1, France 2, France 3, M6, La Cinquième, Arte à destination des foyers situés dans des zones d'ombre.

Les phénomènes de multi-équipement et l'existence de paraboles pouvant recevoir plusieurs satellites rendent très difficile la détermination des parts de marché respectives de ces opérateurs.

Toutefois, au regard des différentes évaluations, il est possible de classer les satellites par ordre d'importance :

1. Télécom 2 B

2. Télécom 2 A

3. Eutelsat II F3

4. Astra

5. Eutelsat Hot Bird

Il convient de souligner qu'aujourd'hui des antennes paraboliques à double tête permettent la réception de satellites co-positionnés jusqu'à 6° d'écart. Ainsi, il est donc possible de recevoir avec une seule antenne parabolique à double tête les satellites Astra à 19,2° Est et les satellites d'Eutelsat à 13 ° Est. Une telle évolution technologique va contribuer à unifier le marché de la réception satellitaire.

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