3. Des projets ambitieux mais encore incertains

Le programme que s'est fixé la Fondation répond au souci des Français de se réapproprier leur patrimoine, et en cela, elle demeure fidèle aux intentions du législateur.

Néanmoins, il semble à votre rapporteur susceptible de se heurter à de nombreux obstacles. C'est pourquoi, il formulera des suggestions afin que la Fondation puisse réussir à remplir pleinement la mission que la loi lui a dévolue.

· Un programme ambitieux

D'après une enquête réalisée par la SOFRES en 1997, 86 % des Français s'intéressent à l'action susceptible d'être menée par la Fondation du patrimoine.

Forte de cette légitimité, la Fondation a ébauché les premières lignes d'un programme ambitieux. L'objectif affiché est de pouvoir collecter, une fois les réseaux régionaux mis en place, 2 millions de francs par an et par département au titre de la Fondation, ce qui permettrait de soutenir à hauteur de 20 % en moyenne des projets cofinancés par l'Etat, les collectivités locales et les propriétaires. La Fondation disposerait ainsi d'une réelle capacité d'intervention. Ceci exige une mobilisation forte des entreprises et des citoyens mais semble correspondre à l'étendue de la tâche. En effet, le seul patrimoine bâti, non protégé, représente près de 500.000 monuments ; quant au patrimoine non bâti, les possibilités d'action sont infinies.

Au-delà de cet objectif à long terme, la Fondation a défini la nature des projets susceptibles de bénéficier de son soutien. Elle ne souhaite pas, du moins dans une première étape, se lancer dans de vastes opérations. Le coût total moyen des projets devrait, en effet, être compris entre 50.000 et 100.000 francs.

L'élaboration des projets comme leur sélection seront opérées au sein des réseaux locaux. Néanmoins, afin de faciliter le choix des projets, d'une part, et, d'autre part, de conférer à l'ensemble de l'action de la Fondation du patrimoine une relative lisibilité notamment à l'égard à des entreprises fondatrices comme des entreprises donatrices, les réalisations -du moins pour une large majorité d'entre elles (60 % environ)- illustreraient des thèmes transversaux choisis à l'échelon national par le conseil d'orientation.

Outre ce critère thématique de sélection, la Fondation souhaite être particulièrement attentive à l'aspect économique des projets qui lui seront soumis. Conformément aux souhaits exprimés au cours du débat parlementaire, seront privilégiés les projets susceptibles de créer ou de maintenir des emplois. Les entreprises donatrices ne pourront qu'être sensibles à une telle approche.

La Fondation ne semble pas vouloir limiter son rôle à l'organisation de la collecte de fonds. Elle souhaite également apporter son soutien en mobilisant des bénévoles autour d'un projet. Est, en effet, envisagée la possibilité de faire appel aux retraités des entreprises fondatrices afin d'offrir à des propriétaires le concours de bénévoles désireux de se mobiliser autour d'une opération. A la différence du National Trust, il ne s'agirait pas de faire appel aux adhérents directs mais de recourir aux entreprises mécènes.

Il n'est pas actuellement dans les intentions de la Fondation de mettre en oeuvre les prérogatives de puissance publique dont la loi lui a accordé le bénéfice (expropriation, préemption). De même, le recours à la possibilité d'acquérir des biens immobiliers ou mobiliers n'est pas envisagé.

Les premiers projets de la Fondation seront lancés progressivement à partir du mois de décembre au rythme d'un projet tous les mois. Cette méthode permettra d'entretenir sur la durée l'intérêt des Français pour la Fondation. A la fin de l'année 1998, l'ensemble des régions devraient avoir été concernées par le lancement de projets. Les premières réalisations intéresseront deux régions pilotes : les Pays de Loire et Midi-Pyrénées. Il s'agira de projets d'envergure financière modeste : restauration de moulins ou de pigeonniers par exemple.

· Les suggestions formulées par votre rapporteur

Le programme ambitieux conçu par la Fondation trouve un écho dans la mobilisation des entreprises et des associations autour des premiers projets qu'elle conduit. L'engagement des citoyens qui est la condition nécessaire à la pérennité de cette institution semble véritablement pouvoir se manifester. Votre rapporteur a pu mesurer les attentes qu'avait fait naître la création de la Fondation du patrimoine auprès des collectivités publiques comme des propriétaires. Afin de réduire les incertitudes qui pèsent encore sur la viabilité de ce projet, il souhaite formuler deux suggestions afin que la Fondation puisse remplir la vocation que la loi lui a assignée.

La Fondation s'est engagée dans un mode de fonctionnement inspiré des méthodes de gestion de l'entreprise privée. La personnalité de son président conjuguée à une mise en oeuvre conduite en dehors de tout engagement de l'administration, explique cet état de fait.

Néanmoins, votre rapporteur n'envisage pas que la Fondation puisse développer son action sans que ses rapports avec l'administration soient précisés.

Il s'agit là d'une nécessité, commandée, notamment, par les conséquences entraînées par l'octroi du label " Fondation du patrimoine "
au patrimoine non protégé et aux sites. L'article 2 de la loi prévoit, en effet, que ce label est susceptible d'être pris en compte pour l'octroi de l'agrément prévu au 1°ter du II de l'article 156 du code général des impôts qui dispose d'ores et déjà que les propriétaires d'immeubles non protégés au titre des monuments historiques mais " qui font partie du patrimoine national en raison de leur caractère historique ou artistique particulier " peuvent bénéficier des avantages fiscaux qu'il prévoit dès lors qu'ils ont été agréés à cet effet par le ministre de l'économie et des finances. L'octroi de cet avantage s'avère très précieux pour les propriétaires de monuments non protégés qui ne bénéficient pas des différents avantages fiscaux attachés aux monuments historiques comme pour les propriétaires de sites s'ils étaient susceptibles d'être concernés, ce qui ne semble pas pouvoir être le cas selon les travaux préparatoires de la loi au profit desquels n'existe aucun dispositif fiscal.

Néanmoins, il était difficile d'imaginer que la seule décision de la Fondation octroyant le label suffirait pour que les propriétaires soient agréés par l'administration fiscale.

L'article 16 de la loi de finances pour 1997 a modifié le 1° ter du II de l'article 156 du code général des impôts afin de préciser que, pour être pris en compte par l'administration fiscale, le label devra été accordé " sur avis favorable du service départemental de l'architecture et du patrimoine ".

Cette condition qui ne figurait pas dans la loi du 2 juillet 1996 implique donc dans les faits que l'architecte des bâtiments de France donne son accord aux projets lancés par la Fondation, seuls ceux qui recueillent son avis favorable pouvant donner lieu à déduction fiscale.

Une telle procédure suscite de nombreuses interrogations. En premier lieu, il semble difficile d'envisager que se noue une collaboration entre la Fondation et les architectes des bâtiments de France (ABF) sans que le ministère de la culture en précise les modalités exactes et que les critères que retiendront les architectes soient formalisés. En effet, si les ABF fondent leur décisions sur les mêmes exigences que celles appliquées en matière de patrimoine protégé, il est à craindre que les difficultés rencontrées dans ce domaine se reproduiront dans le champ d'action de la Fondation du patrimoine. Par ailleurs, les ABF ont à faire face à une charge de travail déjà très lourde et il semble difficile de leur attribuer de nouvelles compétences sans augmenter les effectifs de la profession. Par ailleurs, cette solution si elle est légitime pour le patrimoine bâti ne semble pas justifiée en ce qui concerne le patrimoine non bâti.

Votre rapporteur souhaite que la précision introduite dans le code général des impôts ne prive pas d'effet la possibilité intéressante ouverte par la loi créant la Fondation, en liant le lancement des opérations à l'accord de l'administration .

Le label ne pourra ouvrir droit à déduction qu'à deux conditions : d'une part, l'accord de l'architecte des bâtiments de France et, d'autre part, l'agrément des services fiscaux. S'il est conscient de l'impossibilité de donner à la Fondation le droit d'accorder proprio motu un avantage fiscal, votre rapporteur souhaite que son autonomie de décision soit garantie. Ainsi, il pourrait être envisagé qu'un accord entre la Fondation et les services fiscaux fixe au niveau départemental ou au niveau national les conditions que les opérations doivent remplir afin d'ouvrir droit à déduction. En effet, un agrément " au coup par coup ", conjugué à la condition de l'avis favorable de l'architecte des bâtiments de France, risque d'aboutir à une mise sous tutelle de la Fondation.

En dehors de ce point particulier, l'absence de relations entre la Fondation et les structures administratives ne correspond pas aux intentions du législateur et constitue selon votre rapporteur un handicap susceptible de nuire à l'efficacité de l'action de la Fondation. La collaboration entre la Fondation du patrimoine et les structures administratives notamment celles qui dépendent du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement et du ministère de la culture s'impose à deux titres.

La Fondation du patrimoine s'est organisée et a entamé son action selon des méthodes inspirées de la gestion des entreprises privées. Ceci constitue non seulement un gage d'efficacité mais apparaît également comme le moyen le plus sûr pour mobiliser l'initiative privée et notamment les entreprises elles-mêmes.

Néanmoins, il apparaît souhaitable que la Fondation n'ignore pas l'action engagée par les collectivités publiques en matière de protection du patrimoine qu'il soit monumental ou naturel. Comme nous l'avons souligné plus haut, les projets soutenus par la Fondation sont des projets cofinancés. Or, il serait profitable que des relations de partenariat puissent se nouer entre la Fondation, les collectivités locales et l'Etat afin d'augmenter les chances de succès des opérations sélectionnées . Les nombreux services et organismes qui dépendent du ministère de la culture ou du ministère de l'environnement seraient en effet susceptibles d'apporter leur concours aux projets soutenus par la Fondation. Certains sont d'ores et déjà habitués à travailler en partenariat avec des partenaires de droit privé. C'est le cas par exemple du conservatoire du littoral et des espaces lacustres ou encore de la fédération des parcs nationaux. Ceci exige que les ministères concernés (environnement et culture en particulier) soient informés de l'action de la Fondation et puissent la faire connaître à leurs services notamment déconcentrés et aux divers organismes dont ils ont la tutelle. D'ores et déjà, les réseaux régionaux ont pu nouer des relations avec ces structures administratives au plan local pour les réalisations de tel ou tel projet. On peut citer ainsi l'exemple d'un projet destiné à réhabiliter des chalets anciens situés dans un parc national.

En outre, il est souhaitable que la Fondation puisse bénéficier de l'appui technique des services de l'Etat . Les contacts qu'elle a noués avec des architectes des bâtiments de France ou certains préfets de régions ou de départements démontrent que la Fondation ressent elle-même ce besoin. Les conditions d'attribution du label l'exigent ; ce serait par ailleurs un atout pour la conduite des actions décidées par la Fondation. C'est le cas plus particulièrement des projets relatifs au patrimoine naturel ou paysager où les connaissances acquises par les services de l'Etat permettraient de faciliter et d'optimiser la sélection des projets par la Fondation afin de choisir les actions les plus importantes ou les plus urgentes, de définir des actions correctrices et de déterminer et conduire des plans de gestion à long terme des sites restaurés.

L'établissement de rapports fructueux entre la Fondation et les structures administratives est cependant conditionné par le respect de l'indépendance de la Fondation . Celle-ci ne doit pas devenir un simple vecteur permettant de collecter des fonds destinés à financer des projets élaborés par les ministères de la culture et de l'environnement ou leurs services extérieurs.

Par ailleurs, votre rapporteur souhaite émettre une recommandation concernant le champ d'action de la Fondation du patrimoine .

La loi créant la Fondation lui a donné pour mission la protection et la mise en valeur du patrimoine qu'il soit bâti ou non bâti. C'était là une des originalités du statut de l'institution qui lui permettait d'appréhender le patrimoine dans son ensemble, au-delà du partage traditionnel qui distingue les attributions relevant du ministère de la culture de celles du ministère de l'environnement. Dans cette perspective, la Fondation devait se révéler comme un acteur de la politique du paysage, permettant une participation plus active du citoyen.

Or, votre rapporteur constate, pour le regretter que, pour l'heure la Fondation n'a pas engagé d'action concernant le patrimoine naturel ou paysager. Deux raisons peuvent être avancées : la première tient dans les réticences dont ont fait preuve les associations de défense du patrimoine naturel à oeuvrer en partenariat avec la Fondation, la seconde dans les difficultés méthodologiques qu'elle éprouve pour définir des possibilités d'intervention en ce domaine.

En effet, s'agissant d'espaces ou de paysages, la protection ne se limite pas en général à une simple opération ponctuelle de réhabilitation mais exige souvent des projets d'entretien s'inscrivant dans la durée et dans lesquels la Fondation ne souhaite pas s'engager. Certaines pistes ont été envisagées : elles concernaient par exemple des opérations liées à la sauvegarde du marais breton, mais la complexité comme le coût de telles opérations ont conduit à leur abandon par la Fondation. La proposition formulée plus haut par votre rapporteur de voir s'établir une collaboration fructueuse entre l'administration et la Fondation permettrait de remédier, en partie du moins, aux difficultés rencontrées par la Fondation pour apprécier la faisabilité des projets de sauvegarde du patrimoine naturel.

Si le patrimoine naturel n'est pas encore couvert par la Fondation, celle-ci envisage néanmoins de lancer des opérations englobant à la fois le patrimoine bâti et le patrimoine non bâti. Il s'agirait par exemple de projets permettant la sauvegarde de monuments (églises, châteaux) dans leur cadre naturel. L'adhésion d'associations s'intéressant à la protection de l'environnement s'avérerait décisive pour la mise en oeuvre de telles opérations.

*

* *

La Fondation du patrimoine répond à une attente des Français et les premiers projets qu'elle met en oeuvre suscitent un intérêt manifeste.

L'organisation qui s'est mise en place est susceptible de garantir l'efficacité de son action bien qu'elle soit assez profondément différente de celle prévue par le législateur.

En effet, elle apparaît de nature à mobiliser les mécènes et à assurer la transparence du financement de la Fondation.

Pour ces raisons, il est nécessaire que ces atouts qui tiennent pour beaucoup à la détermination de ses fondateurs permettent à la Fondation d'investir la totalité du champ d'action que lui a assigné la loi. En effet, elle a pour mission -et cela constitue un des aspects les plus novateurs de cette institution - de protéger le patrimoine bâti et le patrimoine non bâti. A ce titre, elle constitue un instrument susceptible de renouveler les moyens traditionnels de la politique des paysages en associant les citoyens à la protection de leur cadre de vie. Pour ce faire, un partenariat doit s'établir entre la Fondation et les ministères ; celui-ci devra contribuer à accroître l'efficacité de la Fondation tout en respectant son indépendance.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page