N° 224

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 janvier 1998

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile ,

Par M. Paul MASSON,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 327 , 451 , 483 et T.A. 47 .

Sénat : 188 et 221 (1997-1998).

Étrangers.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mardi 20 janvier 1998 sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la commission des Lois a procédé à l'audition de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Intérieur, avant d'examiner sur le rapport de M. Paul Masson, le projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile.

M. Paul Masson, rapporteur, a rappelé que le Sénat avait approuvé en 1997, après un débat dans la tradition de sagesse et de rigueur qui lui est propre, une législation dont l'équilibre n'était pas désavoué par les faits.

Après s'être interrogé sur la motivation de l'urgence demandée sur ce projet de loi, M. Jacques Larché, président, a souligné que nombre des dispositions proposées étaient redondantes ou relevaient du pouvoir réglementaire.

La commission des Lois n'a pas souscrit à la démarche du projet de loi consistant à remettre en cause de nombreuses dispositions des lois de 1993 et 1997, dont la conformité à la Constitution avait été constatée par le Conseil constitutionnel et dont certaines d'entre elles n'avaient pu encore être éprouvées par la pratique.

Ainsi, la commission s'oppose-t-elle à la suppression des certificats d'hébergement (article 2) ainsi qu'à la redéfinition préoccupante des conditions du regroupement familial (article 17).

La commission des Lois refuse également la suppression de la condition d'entrée régulière pour l'attribution de plein droit de la carte de résident (article 6) et n'accepte pas l'extension des cas d'attribution de plein droit de la carte de séjour temporaire, source de complexité dont les effets n'ont pas été évalués. Elle refuse aussi la suppression de la condition de durée du mariage pour l'attribution de la carte de séjour temporaire (articles 3 à 5).

La commission propose au Sénat de rejeter l'obligation de motiver les refus de visa opposés à certaines catégories d'étrangers ; cette obligation mettrait en cause un principe bien établi découlant de la souveraineté de l'Etat (article premier).

Elle accepte, en revanche, sous réserve de certains aménagements, la simplification du régime de séjour des ressortissants communautaires (article 2 bis) et la création d'une carte de séjour " retraité ", permettant aux étrangers rentrés dans leur pays d'origine d'aller et venir entre la France et ce pays (article 8).

La commission des Lois est défavorable au rétablissement de la commission du séjour, dont les dysfonctionnements ne sont plus à démontrer (article 5 bis).

Elle regrette l'assouplissement des dispositions pénales de lutte contre l'immigration clandestine (articles 10§II, 10 bis et 11) mais approuve le renforcement de la répression des infractions commises en bande organisée (article 10§I).

Elle accepte la dépénalisation du défaut de souscription de la déclaration d'entrée sur le territoire (article 9) mais s'oppose à ce que le non respect de cette obligation, prévue par la Convention de Schengen, cesse d'être un motif d'éloignement du territoire (article 11).

La commission des Lois a également refusé les dispositions rendant plus difficile l'éloignement du territoire des étrangers en situation irrégulière, comme la suppression de l'interdiction administrative du territoire (articles 11 et 21), l'alourdissement des conditions de l'assignation à résidence (article 15), l'aménagement des conditions d'abrogation d'un arrêté de reconduite à la frontière (article 16).

La commission des Lois se félicite de la prolongation de la durée maximale de la rétention administrative, qui ne lui parait cependant pas suffisante eu égard au droit en vigueur dans les autres Etats membres de l'Union européenne. Elle regrette l'introduction de dispositions susceptibles de compliquer la tâche des services préfectoraux et d'aboutir en pratique à la mise en cause contentieuse de la procédure de rétention administrative (article 19).

Elle s'oppose à la suppression de la rétention judiciaire (article 38).

La commission constate que l'article 34, instituant un dossier individuel d'identification des condamnés, positif dans son principe, n'a pas d'utilité juridique, la disposition étant déjà prévue au plan réglementaire.

La commission des Lois craint, au travers du regroupement dans la loi du 1952 des dispositions sur l'asile, une confusion entre le droit d'asile et l'admission au séjour de demandeurs d'asile (articles 18, 22, 23, 25, 27 à 29).

Elle approuve l'extension de la procédure prioritaire d'examen des demandes de statut de réfugié émanant de ressortissants de pays dans lesquels les circonstances locales justifiant l'application de la Convention de Genève auraient cessé (article 30).

La commission des Lois a considéré que les dispositions permettant la reconnaissance du statut de réfugié aux combattants de la liberté étaient déjà satisfaites par l'article 53-1 de la Constitution (article 24).

Enfin, la commission des Lois s'oppose à l'inscription dans la loi de la pratique de l'asile dit " territorial ", dont elle a estimé qu'elle était de nature à créer une confusion avec le statut de réfugié organisé par la Convention de Genève (articles 26 et 31).

Mesdames, Messieurs,

Moins de six mois après l'adoption de la loi du 24 avril 1997, le Parlement est de nouveau appelé à remettre en chantier l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, déjà révisée à vingt-quatre reprises.

Au cours de la dernière législature, le législateur a entendu définir de nouvelles règles destinées à assurer une maîtrise effective des flux migratoires. C'est à la mise en oeuvre de cet objectif essentiel qu'ont tendu les lois des 24 août et 30 décembre 1993.

Parallèlement, la loi constitutionnelle du 25 novembre 1993 a, dans le domaine du droit d'asile, inscrit dans notre Constitution le rôle majeur qu'a déjà et qu'aura de plus en plus la coopération européenne pour toutes les questions relatives au franchissement des frontières.

Cet ensemble de mesures a été mis en oeuvre avec détermination et a permis d'aboutir à des résultats concrets dans la nécessaire maîtrise des flux migratoires.

La loi du 24 avril 1997 a ultérieurement permis de prendre en compte certaines situations individuelles éminemment complexes. Elle a en outre cherché à améliorer les conditions d'exécution des mesures d'éloignement, conditions définies de manière très restrictives par différentes décisions du Conseil constitutionnel.

Dès lors, était-il utile de légiférer à nouveau, au risque de renforcer la sophistication et la complexité d'un dispositif juridique dont l'opinion publique attend légitimement beaucoup ? N'eut-il pas été au contraire préférable de chercher à stabiliser une législation dont l'efficacité dépend largement de la parution des mesures réglementaires d'application et plus encore de l'organisation administrative destinée à la mettre en oeuvre ?

Force est de constater que telle n'a pas été la voie choisie par le nouveau Gouvernement qui a, au contraire, souhaité redéfinir la politique de l'immigration.

Avant même de présenter son projet de loi, le Gouvernement a organisé, par circulaire du 24 juin 1997 (publiée au Journal Officiel du 26 juin), une opération de régularisation sur la base de critères plus larges que ceux prévus par la loi venant d'être promulguée.

Le Sénat, soucieux de recueillir des information sur le déroulement de cette procédure, a constitué, le 11 décembre dernier, une commission d'enquête.

Dans la perspective d'une modification de la législation, le Premier ministre a confié, le 1er juillet dernier, une mission d'analyse et de proposition, qui concernait également les conditions d'application du droit du sol pour l'attribution de la nationalité française, à M. Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS. En conclusion du rapport qu'il a remis au Premier ministre le 31 juillet, M. Patrick Weil a élaboré cent-trente propositions dont la traduction implique des mesures soit législatives soit réglementaires, voire de simples décisions d'organisation des services.

Tout en ne représentant qu'une petite partie de ces propositions, le présent projet de loi s'inscrit dans la philosophie et la démarche préconisée par le rapport. Il n'a été que peu modifié par les travaux de l'Assemblée nationale.

En dépit de l'objectif de " fermeté " affiché par le Gouvernement, il est malheureusement à craindre que le texte soumis à votre examen ne se traduise par un profond affaiblissement du dispositif en vigueur susceptible de remettre en cause les résultats obtenus.

Rien ne justifie, en outre, que le Parlement soit contraint d'examiner le présent projet de loi après une déclaration d'urgence qui ne permettra pas à la " navette " parlementaire de jouer pleinement son rôle, comme ce fut le cas lors de l'adoption de la loi du 24 avril 1997.

Avant de présenter l'économie du projet de loi et les propositions de votre commission des Lois, le présent rapport s'attachera à rappeler l'objectif prioritaire de maîtrise des flux migratoires qui a caractérisé la précédente législature.

On indiquera, enfin, que la commission des Affaires sociales est saisie pour avis, sur le rapport de notre excellent collègue Alain Vasselle, des articles 34 bis, 34 ter, 35 et 36 du projet de loi. Votre commission des Lois s'en remettra aux analyses de la commission des Affaires sociales sur ces dispositions relatives aux conditions d'attribution des prestations sociales.

I. LA MAÎTRISE DES FLUX MIGRATOIRES : UN OBJECTIF PRIORITAIRE DES LÉGISLATIONS RÉCENTES DONT LES RÉSULTATS POSITIFS DEVRAIENT ÊTRE DÉVELOPPES

A. LES LOIS DE 1993 ET 1997 : VERS UNE MEILLEURE MAÎTRISE DES FLUX MIGRATOIRES

1. Rappel des principes essentiels de ces lois

La maîtrise des flux migratoires a constitué une priorité majeure de la précédente législature, priorité qui s'est concrétisée dans les lois des 24 août et 30 décembre 1993, lesquelles ont été complétées tout récemment par la loi du 24 avril 1997.

Un tel objectif est parfaitement légitime au regard de notre cadre constitutionnel comme l'a clairement spécifié le Conseil constitutionnel dans un considérant de principe :

" Considérant qu'aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national ; que les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l'autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques ; que le législateur peut ainsi mettre en oeuvre les objectifs d'intérêt général qu'il s'assigne ; que dans ce cadre juridique, les étrangers se trouvent placés dans une situation différente de celle des nationaux : que l'appréciation de la constitutionnalité des dispositions que le législateur estime devoir prendre ne saurait être tirée de la comparaison entre les dispositions de lois successives ou de la conformité de la loi avec les stipulations de conventions internationales mais résulte de la confrontation de celle-ci avec les seules exigences de caractère constitutionnel (...)" (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993).

Cherchant à traduire dans notre législation cet objectif, les lois des 24 août et 30 décembre 1993 ont défini les nouveaux principes d'une politique d'immigration fondée à la fois sur la maîtrise des principales sources de l'immigration et sur la lutte contre l'immigration irrégulière, laquelle compromet l'intégration des immigrés en situation régulière.

a) La maîtrise des principales sources de l'immigration

Constituant deux sources essentielles de l'immigration, l'immigration familiale (60 % des entrées en 1991) et le droit d'asile (dont le poids est plus modeste mais dont la procédure avait été détournée de son objet) génèrent des flux qui doivent pouvoir être maîtrisés.

Les lois de 1993 ont, en conséquence, complété l'ordonnance de 1945 par des dispositions destinées à remédier aux détournements de procédure malheureusement trop souvent constatés.

Ce faisant, elles ont permis d'inscrire dans la loi des matières qui étaient jusque là régies par des textes réglementaires, des circulaires, voire de simples pratiques administratives, précisés par la jurisprudence. Cette situation était d'autant plus surprenante que le droit d'asile comme le droit de mener une vie familiale normale sont consacrés par des conventions internationales : la convention de Genève du 28 juillet 1951 pour le premier ; la convention européenne des Droits de l'Homme (article 8) pour le second.

Prenant en compte l'intégration de la France dans l'ensemble européen, la loi constitutionnelle du 25 novembre 1993 a, par ailleurs, dans le domaine du droit d'asile, consacré la faculté pour les autorités de la République de conclure des accords avec les Etats européens ayant des engagements identiques à la France en matière d'asile et de protection des Droits de l'Homme, afin de déterminer les compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile. Elle a néanmoins préservé la possibilité pour la France de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou pour tout autre motif ( article 53-1 de la Constitution).

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