II. AUDITION DE M. PATRICK ARTUS, DIRECTEUR DU SERVICE DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES DE LA CAISSE DES DÉPÔTS ET CONSIGNATIONS

Au cours d'une séance tenue le mardi 24 mars, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, la commission a procédé à l'audition de M. Patrick Artus, directeur du service des études économiques et financières de la Caisse des Dépôts et Consignations, sur les perspectives de la mise en oeuvre de l'euro.

M. Patrick Artus a rappelé que les Allemands n'étaient guère persuadés du degré élevé et durable de la convergence économique dans tous les Etats membres appelés à participer à l'Union économique et monétaire (UEM). Il a rappelé que le cas de l'Italie était, aux yeux des responsables monétaires allemands, très significatif d'un effort de convergence considérable, mais qui suscitait de vives interrogations sur la pérennité de cet effort, la convergence italienne ayant été rendue possible par une hausse des recettes et non par une réduction des dépenses publiques. En outre, l'Italie n'a pas totalement tiré profit de son effort de convergence, dont elle a par ailleurs beaucoup souffert, eu égard au montant des intérêts qu'elle devra payer sur sa dette à court terme, même si elle devrait encore bénéficier de la baisse des taux, de sorte que son déficit budgétaire ne devrait pas être supérieur à 2 % de son produit intérieur brut (PIB) en 1999.

M. Patrick Artus a estimé, au regard des profondes réformes structurelles accomplies par de nombreux Etats, que les craintes allemandes de voir ces Etats brutalement changer de politique économique après leur entrée en UEM étaient peu fondées.

Il a jugé "peu intelligent" le pacte de stabilité et de croissance tel qu'il a été conçu, notamment en raison de la trop grande uniformité des dispositions qu'il prévoit.

Il a considéré que l'Union économique et monétaire devait avoir pour ambition de stabiliser le niveau de la dette publique des Etats membres, et a rappelé que cette dernière, en moyenne, atteignait aujourd'hui 80 % du PIB communautaire, contre 30 % au début des années 1980.

M. Patrick Artus a estimé qu'un objectif, qu'il a qualifié de "raisonnable mais nécessaire", devait consister à utiliser les gains générés par la forte croissance économique attendue pour les prochaines années, à réduire le déficit budgétaire à moins de 2 % du PIB, si les Etats voulaient retrouver une marge d'intervention budgétaire en cas de récession.

Il a expliqué que, si la coordination en matière monétaire était très approfondie en Europe, les autres domaines de la politique économique souffraient au contraire d'un manque considérable de coordination suscitant de vives inquiétudes de sa part. Il a en effet estimé que les Etats européens étaient encore beaucoup trop concurrents sur leur propre marché, et a notamment ajouté que la compétition sans coopération par les instruments fiscaux était plus dommageable que la compétition sans coopération par les taux de change.

M. Patrick Artus a estimé que, contrairement aux craintes initiales des marchés, l'euro risquait d'être trop fort, ajoutant qu'existaient des risques d'entrée massive de capitaux internationaux, notamment des dollars, en Europe, ce qui pourrait entraîner une sous-évaluation de la monnaie américaine, avec les risques que cela comporte.

Il a expliqué que ce danger était accru par l'importance du déficit extérieur des Etats-Unis, évalué à 220 milliards de dollars cette année, la conjonction d'une dette tendanciellement croissante et d'un taux d'épargne des ménages toujours en régression faisant des Etats-Unis un pays financé par l'endettement extérieur et, par conséquent, exposé à une chute brutale du cours de sa monnaie.

M. Patrick Artus a noté que l'unification monétaire en Europe allait lever le risque de change et améliorer la circulation des capitaux, mais aurait également des conséquences sur la localisation des activités sur notre continent.

D'une part, les pays périphériques (Espagne, Portugal, Irlande...), qui ont jusqu'à présent beaucoup bénéficié du marché unique, risquent de perdre leurs avantages comparatifs, l'euro entraînant chez eux, par exemple, une forte augmentation salariale.

D'autre part, la monnaie unique devant se traduire par un mouvement de spécialisation industrielle en Europe, chaque pays devrait promouvoir dès maintenant son attractivité afin d'aborder ce mouvement de concentration dans des conditions optimales.

M. Patrick Artus a conclu son intervention en estimant que, si la concurrence était bénéfique aux économies européennes, elle devait néanmoins s'effectuer dans un cadre harmonisé.

M. Alain Lambert, rapporteur général, s'est interrogé sur l'efficacité de la politique budgétaire, l'expérience ayant montré que les politiques expansionnistes étaient rapidement contrecarrées par la hausse des taux d'intérêt.

Il a rappelé le doute, souvent exprimé, sur la capacité des Etats européens à vivre dans le contexte actuel de concurrence fiscale et sociale, et a voulu savoir ce qu'il en serait en situation d'Union économique et monétaire.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a également voulu connaître l'évaluation des pertes de recettes, notamment pour les commissions de change, occasionnées par le passage à la monnaie unique.

Il s'est, enfin, demandé si la politique monétaire que conduirait la Banque centrale européenne (BCE) serait très différente de celle actuellement appliquée par la Bundesbank.

M. Patrick Artus a rappelé qu'en UEM les chocs asymétriques seraient plus fréquents et que, face à de tels chocs, la politique monétaire ne pouvait plus les corriger, la seule solution consistant à recourir à la politique budgétaire.

Il a néanmoins affirmé la nécessité de stabiliser le déficit budgétaire, non pas pays par pays, mais au niveau de l'ensemble de l'UEM.

Il a également fait part de ses craintes, d'une part, devant l'utilisation peu coopérative des réformes fiscales actuellement mises en oeuvre, en Grande-Bretagne par exemple, et, d'autre part, eu égard aux effets sous optimaux des mesures de rétorsion éventuellement adoptées.

M. Patrick Artus a estimé que la présentation souvent faite de la Banque centrale allemande était largement caricaturale, la Bundesbank accordant bien plus souvent qu'on ne le dit une importance considérable aux objectifs réels en général, et à l'emploi en particulier. Il a ainsi qualifié cette politique de "souple et pragmatique".

M. Patrick Artus a, en revanche, exprimé ses craintes de voir la BCE davantage polarisée sur des objectifs d'inflation, ses textes fondateurs réduisant trop son rôle à la surveillance de la masse monétaire.

Il a expliqué que, au moment de la réunification de l'Allemagne, la politique monétaire de la Bundesbank ne poursuivait, comme il était normal, que des objectifs nationaux, la forte augmentation du chômage, en France, au cours de la première moitié des années 1990 résultant essentiellement de l'erreur des autorités monétaires françaises qui ont choisi d'importer les taux d'intérêt allemands.

M. Patrick Artus a reconnu qu'il fallait distinguer le discours et la pratique de la Bundesbank, le premier étant, afin de préserver sa réputation, marqué du sceau de l'orthodoxie, la seconde s'étant révélée très souple.

M. Denis Badré s'est interrogé sur l'opportunité de mettre rapidement en oeuvre une harmonisation fiscale au niveau européen, et sur les capacités de reporter la concurrence entre les entreprises européennes de leur marché intérieur vers les marchés extérieurs.

M. Paul Loridant a souhaité savoir où en était le projet, évoqué par le ministre allemand Théo Waigel, d'un "pacte de stabilité bis".

M. François Trucy s'est interrogé sur la confiance prétendument moindre qu'inspirerait le dollar, eu égard à l'excellente santé de l'économie américaine, et a voulu connaître l'avenir de "l'euro-CFA".

M. Philippe Marini a souhaité connaître les possibles améliorations du pacte de stabilité, et s'est demandé si un tel pacte renové ne devait pas s'accompagner d'un prolongement institutionnel.

M. Christian Poncelet, président, a souhaité savoir si la Grande-Bretagne pouvait se tenir à l'écart longtemps encore de la monnaie unique et si le Parlement allemand, qui doit normalement se prononcer sur l'entrée de la République fédérale dans l'UEM avant le 1 er juillet, pouvait être appelé à ne se prononcer qu'après les élections législatives d'octobre.

En réponse aux différents intervenants, M. Patrick Artus a apporté les éléments d'information suivants :

- l'entrée en UEM ne nécessite pas une structure fiscale similaire, mais exige une synchronisation des évolutions fiscales, l'harmonisation en tant que telle ne devant pas nécessairement être recherchée ;

- le "pacte de stabilité bis" repose sur l'idée de ramener durablement les déficits budgétaires des pays participant à l'UEM en-dessous de 3 % du PIB, et, plus fondamentalement, soulève la question du fédéralisme budgétaire en Europe qui gagnerait à être développé, au moins au profit des petits pays ;

- le financement par le crédit de l'investissement américain et la baisse continue du taux d'épargne des ménages constituent d'importants motifs d'inquiétude, la dette extérieure des Etats-Unis suivant actuellement une trajectoire explosive, ce qui devrait entraîner soit une forte récession dans ce pays, soit une chute du cours du dollar ;

- la Grande-Bretagne ne devrait pas entrer en UEM avant 2001 ou 2002, du fait du fort ralentissement de l'économie britannique et de ses spécificités telles que forte cyclicité, inflation plus élevée que sur le continent et niveau assez haut des taux d'intérêt ;

- les économistes allemands sont généralement hostiles à l'euro, mais résignés, ce qui n'empêche pas les banques et les entreprises allemandes d'être plus en avance que les banques et les entreprises françaises dans leur préparation au passage à l'euro.

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