MME NICOLE GNESOTTO,
PROFESSEUR À L'INSTITUT D'ÉTUDES POLITIQUES DE PARIS,
CHARGÉE DE MISSION AUPRÈS DU DIRECTEUR DE L'INSTITUT FRANÇAIS DES RELATIONS INTERNATIONALES

Evoquant tout d'abord les raisons qui ont conduit à l'élargissement de l'OTAN, Mme Nicole Gnesotto a souligné le paradoxe que constitue le fait que l'élargissement de cette institution militaire aux trois pays concernés ait été motivé par des raisons beaucoup plus politiques que militaires. En effet, les problèmes de sécurité qui se posent actuellement en Europe ne concernent pas la zone géographique à laquelle appartiennent ces pays.

Mme Nicole Gnesotto a alors mentionné les motivations politiques des Etats-Unis. Elle a successivement mentionné le souci américain de réussir la réconciliation avec les vaincus de la guerre froide en vertu de ce qu'elle a appelé un "anti-Traité de Versailles", afin de promouvoir un ordre de sécurité plus stable et plus durable en Europe, et la volonté des Etats-Unis de consolider l'OTAN après la disparition de la menace soviétique. Mme Nicole Gnesotto a ainsi souligné le "double élargissement" de l'OTAN souhaité par les Etats-Unis, à la fois sur les plans géographique et fonctionnel, l'extension de l'OTAN à l'Est allant de pair avec une modification des missions de l'OTAN en dehors des cas prévus par l'article 5.

Puis Mme Nicole Gnesotto a commenté les autres justifications de l'élargissement :

- contribuer à la stabilisation des processus de démocratisation en Europe centrale et orientale, l'élargissement devant, dans cette perspective, consacrer l'enracinement démocratique des pays de l'ancien bloc soviétique ;

- répondre favorablement à des demandes d'alliance impossibles à refuser à des pays qui semblent tenir toutes leurs promesses en matière de libéralisme économique et de démocratisation ;

- éviter que l'Allemagne ne se situe à la frontière orientale de l'Alliance et de l'Union européenne, cette motivation étant plus spécifique à l'Allemagne qu'aux autres membres de l'OTAN.

Une dernière motivation américaine, dont Mme Nicole Gnesotto a relevé le caractère secondaire, résidait enfin dans le désir des Etats-Unis d'obtenir de nouveaux marchés en matière de ventes de matériels d'armement, dans le cadre de la rivalité euro-américaine dans ce domaine.

Mme Nicole Gnesotto a ensuite abordé les questions soulevées par l'élargissement, compte tenu des inquiétudes exprimées par le Congrès américain et par certains pays européens.

En ce qui concerne la situation de la Russie, Mme Nicole Gnesotto a montré les concessions effectuées par l'administration américaine dans le cadre de l'"Acte fondateur" signé en mai 1997, qui a reconnu, de fait, à la Russie un droit de veto sur certaines activités de l'OTAN, tout en évitant une extension à l'Est de l'appareil militaire de l'OTAN et des Etats-Unis. Selon Mme Nicole Gnesotto, les modalités de l'élargissement de l'OTAN ne sauraient, de ce fait, être jugées humiliantes pour la Russie.

Quant aux difficultés soulevées par les pays exclus de l'élargissement, dont certains auraient pu craindre qu'ils soient rejetés dans la sphère de sécurité russe, Mme Nicole Gnesotto a estimé que les nombreux accords de coopération conclus par l'OTAN avec des pays de l'ancien bloc soviétique contribuaient à atténuer la différence entre les nouveaux membres et les autres pays candidats, et que l'élargissement ne créait pas une nouvelle ligne de fracture sur le continent européen.

Mme Nicole Gnesotto a alors commenté l'incidence financière, selon elle relativement modique, de l'élargissement -que les Etats-Unis voulaient imputer aux seuls pays européens de l'Alliance- les dernières estimations portant sur un coût relativement modeste de 1,5 milliard de dollars sur dix ans, alors que les premières estimations portaient sur une dépense supplémentaire de 120 milliards de dollars sur la même période.

Mme Nicole Gnesotto a donc, sur ce point, conclu que les principales inquiétudes suscitées par l'élargissement de l'OTAN avaient été apaisées. Elle a ensuite jugé positives les conséquences de ce premier élargissement sur la stabilité Est-Ouest, relevant, par ailleurs, des conséquences selon elle ambiguës pour le fonctionnement de l'OTAN, en raison de consensus par définition plus difficiles à atteindre avec 19 membres. Mme Nicole Gnesotto a, de surcroît, évoqué certaines inquiétudes récemment exprimées aux Etats-Unis à l'égard du maintien du leadership américain au sein de l'Alliance. Elle a également exposé les difficultés susceptibles de résulter, à court terme, pour l'instauration d'une défense européenne, de ce premier élargissement, même si, à plus long terme, ce processus pourrait augmenter le poids des pays européens au sein de l'OTAN.

Mme Nicole Gnesotto a ensuite mentionné les suites possibles du processus d'élargissement à la Roumanie, à la Slovénie et à l'Autriche. Elle a estimé que cette deuxième phase de l'élargissement ne pourrait intervenir qu'après une pause, s'interrogeant sur l'attitude des Etats-Unis à l'égard de la candidature roumaine, et jugeant prématurée l'intégration de l'Autriche. Elle a également souligné l'obstacle important que constitue l'opposition de la Russie à un nouvel élargissement, ainsi que les craintes américaines concernant des opérations de maintien de la paix auxquelles les Etats-Unis ne seraient pas favorables.

A la suite de cet exposé, M. André Dulait a posé la question de l'aptitude de l'OTAN et de l'Union européenne à répondre aux demandes sécuritaires des Etats baltes. Il s'est également interrogé sur l'avenir de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) au sein d'une Alliance atlantique élargie, rénovée et susceptible de s'approprier tous les aspects de la sécurité européenne. M. André Dulait a, par ailleurs, souhaité savoir si, selon Mme Nicole Gnesotto, l'élargissement de l'OTAN serait de nature à répondre aux inquiétudes suscitées par les risques d'instabilité en Méditerranée et au Proche-Orient.

M. Maurice Lombard a insisté sur le très vif sentiment d'humiliation suscité, selon lui, en Russie, par l'extension géographique de l'OTAN, celle-ci ne pouvant paraître aux yeux du peuple russe que comme "le geste du vainqueur", et non comme un "anti-traité de Versailles". M. Maurice Lombard a alors, avec M. Xavier de Villepin, président, estimé qu'une éventuelle extension de l'OTAN aux Etats baltes constituerait pour la Russie une manifestation encore plus évidente de sa défaite, et induirait des conséquences très préoccupantes en matière de sécurité européenne.

M. Xavier de Villepin, président, a ensuite posé la question du risque d'une éventuelle marginalisation de la France au sein d'une Alliance atlantique élargie.

En réponse aux intervenants, Mme Nicole Gnesotto, partageant le point de vue exprimé par MM. Maurice Lombard et Xavier de Villepin, président, sur les risques que poserait un éventuel élargissement de l'OTAN à d'anciens territoires soviétiques, a rappelé que les accords conclus par les Etats-Unis avec l'Ukraine et les trois Etats baltes étaient destinés à rassurer la Russie et à exclure toute demande d'adhésion de ces pays à l'OTAN. A cet égard, Mme Nicole Gnesotto a relevé que la charte de partenariat entre les Etats-Unis et les Etats baltes devait conduire l'Estonie à ne plus postuler à l'OTAN, alors même que l'intégration à venir de ce pays dans l'Union européenne justifierait une demande d'adhésion à l'UEO, considérée pourtant comme l'antichambre de l'OTAN.

Abordant ensuite, en réponse à une question de M. André Dulait, l'avenir de l'UEO après l'élargissement de l'OTAN, Mme Nicole Gnesotto s'est prononcée en faveur d'une admission simultanée de la Pologne, de la République tchèque et de la Hongrie à l'OTAN et à l'UEO, sans que cette formule trahisse, selon elle, la logique maastrichtienne qui reviendrait à maintenir la priorité de l'appartenance à l'Union européenne sur une adhésion à l'UEO. Or l'extension de l'Union européenne aux pays baltes sans adhésion simultanée à l'UEO reviendrait, selon Mme Nicole Gnesotto, à affaiblir celle-ci. En effet, si, dans la logique de l'émergence d'une défense européenne, l'UEO doit devenir un outil de gestion des crises, il est logique, a estimé Mme Nicole Gnesotto, que les nouveaux membres de l'OTAN appartiennent également à l'UEO.

En ce qui concerne l'extension éventuelle, évoquée par M. André Dulait, des possibilités d'intervention de l'OTAN à la Méditerranée et au Proche-Orient, Mme Nicole Gnesotto a mentionné les réflexions en cours en vue de l'élaboration du nouveau concept stratégique. Elle a rappelé le souhait des Américains de parvenir à une globalisation des compétences de l'OTAN, leur permettant de recourir aux infrastructures militaires de l'OTAN en vue de la gestion de crises non européennes. Elle a également souligné la volonté américaine -contraire à la position française- de faire intervenir l'OTAN sans mandat préalable des Nations unies.

En réponse aux réserves exprimées par M. Maurice Lombard sur la perception russe de l'élargissement de l'OTAN, Mme Nicole Gnesotto a insisté sur les concessions obtenues par la Russie parallèlement à une extension qui s'abstenait, a-t-elle souligné, de prendre des formes militaires. Elle a estimé que l'humiliation ressentie par le peuple russe tenait aux échecs militaires subis en Afghanistan et en Tchétchénie, ainsi qu'à l'appauvrissement économique de la Russie, plutôt qu'à l'élargissement de l'OTAN.

Commentant, à la demande de M. Xavier de Villepin, président, la place de la France au sein de l'OTAN, Mme Nicole Gnesotto a relevé le risque de marginalisation lié à l'échec qu'a constitué, à ses yeux, pour la diplomatie française, l'absence d'accord sur le commandement sud. Elle a néanmoins relevé le caractère désormais marginal de la question de l'appartenance aux structures militaires intégrées, se référant sur ce point à l'importance du rôle de la France au sein des forces de l'OTAN en Bosnie. Elle a, par ailleurs, estimé que, si la question de l'autonomie de la défense française par rapport aux structures intégrées de l'OTAN demeurait une question essentielle sur le plan politique, ce débat ne paraissait plus pertinent dans la pratique militaire.

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