B. LES ALÉAS INTERNES

C'est la vigueur de la demande intérieure qui, dans le scénario du gouvernement, justifie une croissance de 2,7 %.

Compte tenu du climat international, cette prévision peut apparaître optimiste. Mais, un paradoxe doit être souligné: située dans une perspective de moyen terme et confrontée aux difficultés économiques et sociales rencontrées par notre pays, une croissance de 2,7 % apparaît très insuffisante et doit être considérée comme un assez piètre résultat.

Elle traduit le maintien d'un certain nombre de freins internes au dynamisme économique, dont chacun est susceptible, s'il se resserre même faiblement, d'exercer un effet défavorable sur le rythme de croissance effectif.

1. Une performance en réalité moyenne

L'économie française, comme d'ailleurs la quasi-totalité des économies de l'Europe continentale, a accumulé ces dernières années un retard de croissance dont les origines sont à trouver dans de multiples facteurs, certains conjoncturels, d'autres, probablement les plus influents, structurels.

Ces retards se sont traduits par des déséquilibres financiers -le "solde conjoncturel" des finances publiques a été négatif- et par des problèmes sociaux avec un maintien du chômage à un très haut niveau.

Il est nécessaire de combler les déficits de croissance observés dans le passé en installant l'économie sur une tendance dynamique durable.

Dans cette perspective, la prévision d'une croissance de 2,7 % l'an prochain, si du fait des désordres internationaux mais aussi de la vulnérabilité des fondements économiques internes peut apparaître optimiste, constitue en fait un résultat médiocre. L'espoir d'une croissance durablement élevée lié aux perspectives pour 1998 ne paraît pas résister à l'essoufflement de la croissance dans le reste du monde.

Cette situation est d'autant plus préoccupante que l'environnement formé par la combinaison des politiques monétaire et budgétaire est "a priori" plutôt favorable à une accélération de l'activité. La réduction du déficit budgétaire qui doit être poursuivie et peut l'être dans un meilleur climat qu'hier a suscité les effets attendus : l'adoption de l'euro qui lève bien des hypothèques si elle ne résout pas tous les problèmes et, surtout, la détente si longtemps attendue des conditions financières et monétaires.

Dans ce contexte, la diminution du taux de croissance en 1999 est une mauvaise nouvelle. Elle vient conforter le diagnostic selon lequel des freins existent à une forte croissance en France qui font obstacle à une amplification du cycle haussier de l'activité.

Les diagnostics portés par les économistes sur le niveau de la croissance potentielle dans notre pays apportent un éclairage théorique utile.

La croissance potentielle

Le taux de croissance potentielle est celui qui serait atteint sans poussée inflationniste si les facteurs de production -le travail et le capital pour l'essentiel- étaient normalement utilisés.

La mesure de la croissance potentielle suppose que soient résolues des questions importantes, comme celle du niveau normal d'utilisation des facteurs ou encore celle du niveau de leur productivité.

S'agissant par exemple du facteur travail, la mesure de la croissance potentielle dépend de l'idée qu'on se fait d'une utilisation normale du facteur travail disponible. La population active détermine quantitativement les disponibilités. Mais la question des facteurs déterminant qualitativement l'utilisation "normale'" de la population active doit aussi être réglée. La réponse donnée à cette question suppose en général des études économétriques approfondies qui dévoilent le moment où l'utilisation de la population active commence à engendrer des tensions inflationnistes ou des tensions salariales.

On remarquera en incidente que l'une et l'autre de ces deux conditions ne sont pas entièrement assimilables -tensions salariales et inflationnistes ne vont de pair qu'à partage inchangé des gains de productivité entre profits et salaires.

Mais, surtout, ayant observé que l'évaluation du taux de chômage nécessaire pour que lesdites tensions soient contenues est variable en fonction de multiples paramètres, le coût du travail bien sûr mais aussi la qualité de la main d'oeuvre ou encore l'organisation des relations de travail, on en conclura qu' un bas niveau de croissance potentielle est synonyme de viscosités économiques . Or, les différentes études disponibles paraissent démontrer que, dans ce domaine, notre pays bute sur une croissance potentielle de l'ordre de 2,5 % l'an pour le ministère de l'économie et des finances et d'un niveau encore très inférieur pour l'OCDE (1,9 %) et le FMI (2,2 %).

Dans ces conditions, il ne serait guère étonnant que l'économie française ne puisse s'inscrire sur une trajectoire durablement dynamique. Il s'ensuivrait que, sauf à s'en donner vraiment les moyens, nous ne pourrions à l'avenir rattraper rapidement les pertes de croissance accumulées dans un passé récent sous l'effet de chocs conjoncturels et de la nécessité de rétablir notre situation financière.

2. La dynamique de l'emploi en question

L'un des adjuvants importants de la croissance serait une nouvelle dynamique de l'emploi. De fait, les "budgets économiques" retiennent comme perspective la poursuite du phénomène d'enrichissement de la croissance en emplois. Sa tendance spontanée toutefois s'affaiblirait. Mais, le compte économique pour 1999 retrace les effets de la RTT et des emplois-jeunes qui lui permettent de se poursuivre et de s'amplifier.

Ainsi, chaque point de croissance représenterait 111.000 emplois en 1999 contre 91.000 en 1998. Hors créations d'emplois non marchands et effets supposés de la RTT, l'enrichissement de la croissance en emplois se retournerait un peu, le nombre d'emplois créés par point de croissance revenant de 64.516 en 1998 à 56.666 en 1999. Ces estimations ne doivent pas être considérées comme exactes à l'unité près mais elles délivrent un message clair : malgré le ralentissement des gains de productivité du travail, la dynamique de l'emploi dans le secteur marchand demeure faible. Cette situation appelle des réformes centrées sur la question de l'emploi marchand alors que jusqu'à présent le gouvernement s'est contenté de promouvoir l'emploi non-marchand et un partage du travail à risques.

On ne sait encore quelle sera l'efficacité de la démarche du gouvernement. Jusqu'à présent, elle a rencontré un certain succès avec les emplois-jeunes. Mais ce succès est trompeur car les coûts de ces emplois ont été dissimulés. Ils seront pleinement ressentis lorsque, sous la pression, ces emplois devront être soit pérennisés avec les coûts financiers et économiques que cela suppose, soit simplement abandonnés avec les coûts sociaux que cela entraînera.

Quant aux effets de la réduction du temps de travail, les travaux de la commission d'enquête du Sénat en ont clairement démontré l'ambiguïté, ce que confirme l'expérimentation en cours, voire sous certaines hypothèses, la nocivité.

Il est donc tout à la fois simplificateur et hasardeux de présenter comme un succès et un fait acquis l'augmentation des créations d'emplois qui jusqu'à présent résulte essentiellement de la progression des emplois non-marchands.

En revanche, l'essoufflement de la progression des créations d'emplois marchands doit être souligné. L'enrichissement de la croissance en emplois est venu pour beaucoup du développement du travail à temps partiel et des emplois plus ou moins précaires prenant la forme de l'intérim ou des contrats à durée déterminée.

Population active occupée : le nombre d'intérimaires augmente de moitié en deux ans

 

Mars 1994

Mars 1995

Mars 1996

Mars 1997

Mars 1998

Population active occupée (milliers)

Ensemble

22.022

22.344

22.482

22.430

22.705

Hommes

12.396

12.561

12.611

12.552

12.661

Femmes

9.626

9.793

9.881

9.878

10.064

Population d'actifs occupés à temps partiel (en %)

Ensemble

14,7

16,5

15,6

16,6

17,1

Hommes

4,5

5,0

6,2

5,4

5,6

Femmes

27,8

28,8

29,6

30,9

31,0

Statut des emplois (milliers)

Non salariés

3.057

3.005

2.902

2.864

2.802

Salariés

18.965

19.339

19.561

19.586

19.904

dont :

-Intérimaires

-CDD

-Apprentis

-Contrats aidés

210

614

185

395

267

752

194

442

273

290

219

451

330

849

234

417

413

906

257

405

Durée habituelle de travail des salariés (heures par semaine)

Temps complet

39,9

39,9

39,8

39,9

39,7

Temps partiel

22,4

22,6

22,7

22,6

22,9

On peut sans doute se féliciter de l'amélioration du nombre des emplois mais on doit souligner la fragilité du phénomène et ne pas dissimuler qu'il engendre l'insatisfaction d'un grand nombre des salariés comme en témoigne le tableau ci-dessous.

Taux de sous-emploi parmi les emplois à temps partiel

(en %)

 

Mars 1994

Mars 1995

Mars 1996

Mars 1997

Mars 1998

Ensemble

37,4

37,5

38,2

39,5

38,5

Hommes

47,5

51,0

50,9

51,6

51,5

Femmes

35,3

34,9

35,3

36,8

35,6

Près de 40 % des salariés à temps partiel s'estiment en situation de sous-emploi : 1.475.000 salariés employés à temps partiel ont le sentiment d'être sous-employés. C'est sans doute parce que le temps partiel est pour beaucoup subi mais aussi parce que le gouvernement y est défavorable que les budgets économiques n'en retracent pas la poursuite de l'essor.

En tout cas, ce tableau de l'emploi n'oppose pas seulement les chômeurs aux personnes employées. Il offre une gradation beaucoup plus subtile avec au moins trois strates : le chômage, le sous-emploi et le plein emploi.

Ce panorama qui pourrait être enrichi de la population des emplois aidés ou subventionnés et administrés donne une image plus fidèle du marché du travail à la française que les statistiques sur le taux de chômage.

Il est donc urgent d'apporter à ce marché du travail les réformes nécessaires. Ce qu'avait proposé avec pertinence le président Christian Poncelet en proposant une diminution du coût du travail non qualifié doit être à la fois salué et suivi d'effet .

On sent bien par ailleurs que le retour à la confiance des ménages qui conditionne beaucoup leur consommation à travers leur comportement d'épargne pourrait se ressentir d'un retournement, même marginal, de l'emploi et être affecté par l'absence de traitement en profondeur de la précarité de l'emploi. Or, un tel traitement suppose au préalable des réformes structurelles destinées à assurer une meilleure "employabilité" de la population active.

C'est de cette façon que serait soutenue une dynamique de création d'emplois marchands qui est seule à même de résoudre durablement le problème du chômage en France.

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