N° 156

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 janvier 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes ,

Par M. Guy CABANEL,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, François Marc, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.


Voir les numéros :

Assemblée nationale (11
ème législ. ) : 985 , 1240 et T.A. 224 .

Sénat : 130 (1998-1999).

Femmes.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Après avoir entendu, le 16 décembre 1998, Mme Gisèle Halimi , présidente de la commission " vie politique " de l'Observatoire de la parité et M. le doyen Georges Vedel , puis le 19 janvier 1999, Mme Françoise Hostalier , ancien secrétaire d'Etat chargé de l'enseignement scolaire, Mme Elisabeth Guigou , garde des sceaux, ministre de la Justice, Mme Nicole Péry , secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Emploi et de la Solidarité, chargée des Droits des femmes et de la formation professionnelle, Mme Elisabeth Badinter , professeur de philosophie à l'Ecole polytechnique, M. Olivier Duhamel , professeur de droit, Mme Evelyne Pisier , professeur de Sciences politiques à l'Université de Paris I, et M. Guy Carcassone , professeur de Droit public, la commission des Lois du Sénat, réunie le mercredi 20 janvier 1999 sous la présidence de M. Jacques Larché, président, a examiné, sur le rapport de M. Guy Cabanel , le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Faisant la synthèse de ces auditions , M. Guy Cabanel, rapporteur , a constaté que tant la rédaction du projet initial, que celle de l'Assemblée nationale, permettraient d'adopter des mesures contraignantes et des mesures incitatives. Au titre des premières, les lois électorales pourraient comporter l'instauration de discriminations positives en faveur des femmes.

La commission des Lois a considéré cette perspective comme difficilement acceptable car elle aurait pour conséquence, par le biais de quotas ou de la parité, de faire apparaître les candidates comme présentées en fonction de leur sexe et de conditionner la liberté de vote des citoyens. Le texte en discussion conduirait donc à mettre en cause les principes fondamentaux de la démocratie. De plus, il y aurait un risque de communautarisation.

En conséquence, la commission des Lois a souhaité dégager les moyens propres à remédier à l'insuffisante représentation des femmes tout en constatant une évolution positive, notamment pour les mandats locaux, et l'absence de mesures contraignantes prises en la matière dans les grandes démocraties comparables à la France.

Après un large débat, la responsabilité des partis politiques lui étant apparue déterminante en la matière, la commission des Lois propose de modifier l'article 4 de la Constitution qui leur est consacré :

- les partis politiques se verraient confier dans la Constitution la responsabilité de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ;

- les règles relatives au financement public des partis politiques pourraient, si le législateur en décidait ainsi, contribuer à la mise en oeuvre du principe de l'égal accès des femmes et des hommes à ces mandats et fonctions.

Mesdames, Messieurs,

L'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes déposé par le Gouvernement à l'Assemblée nationale, partant du constat d'une présence très insuffisante des femmes au sein des institutions publiques, conclut qu'il convient " de compléter l'article 3 de la Constitution, qui affirme le caractère indivisible et universel de la souveraineté nationale, afin d'assurer la conciliation de ces principes avec l'objectif d'un égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions " .

Ce constat de départ, incontestable sur le plan de l'arithmétique et de la biologie, mérite d'être analysé pour mettre en lumière l'évolution récente, positive et sensible, de la participation des femmes aux assemblées parlementaires et locales.

Cette évolution a été enregistrée à droit constitutionnel et électoral constant, faisant apparaître que la mise en oeuvre effective de l'égalité d'accès au mandat, déjà consacrée sur le plan des principes par la norme constitutionnelle, ne dépend peut-être pas d'une modification de ces règles de droit.

A l'issue de l'audition des ministres et de plusieurs personnalités 1( * ) , votre commission des Lois a souhaité mesurer attentivement les incidences importantes sur les principes essentiels de notre démocratie, telle qu'elle a été construite au fil de son histoire, que pourrait comporter le projet de loi constitutionnelle.

Elle a notamment cherché à concilier, d'une part, le respect du principe du mandat représentatif qui fait de la personne élue, quelle qu'elle soit, le représentant de tous, indépendamment de ses caractéristiques personnelles que la Constitution interdit de discriminer, et, d'autre part, le souhait de voir à terme les femmes siéger dans les assemblées à proportion de leur importance numérique dans l'humanité.

Cette démarche a conduit votre commission des Lois à s'interroger notamment sur les mesures législatives que permettraient de prendre la révision constitutionnelle et à évaluer leurs conséquences au regard des principes fondamentaux de notre démocratie.

I. LA RECHERCHE D'UNE RÉPONSE À UN CONSTAT DÉPLORÉ

A. UN CONSENSUS SUR LE CONSTAT ET SUR LA NÉCESSITÉ DE TROUVER UN REMÈDE

1. La participation des femmes à la vie publique en France et à l'étranger

Malgré les termes de l'ordonnance du 21 avril 1944, selon lesquels " les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes " et en dépit d'une évolution enregistrée lors des dernières consultations électorales, force est de constater que le taux de présence des femmes dans les assemblées parlementaires et locales, inférieur, comme dans tous les pays du monde, à leur importance numérique dans le corps électoral, l'est davantage en France que dans la plupart des pays démocratiques.

Le pourcentage d'élues à l'Assemblée nationale n'a pas connu d'évolution sensible au cours des trente années suivant la Libération (5,6 % pour la première Assemblée constituante en 1945 ; 6 % en 1993).

Ce chiffre a progressé de 80 % lors des élections législatives de juin 1997 (10,9 %, soit 63 députés sur 577), le nombre de candidatures féminines étant passé de 19,4 % à 23 % d'une élection à l'autre.

L'évolution entre 1993 et 1997 s'est effectuée sans adoption de mesures contraignantes ou incitatives et sans modification du mode de scrutin.

On notera à cet égard que, lors des élections législatives de 1986, au scrutin proportionnel, 24,7 % des candidats et 5,9 % des élus étaient des femmes.

Il apparaît donc qu'en 1997, les partis politiques ont adopté une attitude plus volontariste que dans le passé, en présentant plus souvent les femmes dans des circonscriptions susceptibles d'être remportées.

L'effectif des femmes au sein du Sénat (19 membres sur 321, soit 5,9 % du total) devrait connaître une progression comparable à celle enregistrée ces dernières années dans les collectivités territoriales qui forment l'essentiel de son corps électoral, un décalage dans le temps étant inhérent à son mode d'élection.

Au total, le Parlement compte donc 82 femmes parmi ses 893 membres (9,18 %).

Près de 30 % des Français élus au Parlement européen en 1994 sont des femmes (20 % en 1984).

Une évolution comparable a été perceptible lors des dernières élections locales en l'absence de toute modification des modes de scrutin.

Le pourcentage des femmes membres de conseils municipaux a évolué de 14 % en 1983 à 17,7 % en 1989, pour atteindre 21,7 % en 1995 (110.986 élues).

A la suite des élections municipales de 1995, 2.904 femmes ont accédé aux fonctions de maire (7,6 % au lieu de 5,4 % en 1989), dont 11 femmes dans les 226 communes de plus de 30.000 habitants.

Les femmes constituent, depuis 1998, le quart de l'effectif des conseils régionaux (24,16 % exactement), au lieu de 10,5 % en 1992, les candidatures féminines étant passées de 27 % à 36,9 % d'un scrutin à l'autre.

Pour les conseils généraux , l'évolution est moins forte, la proportion des candidates étant passée de 13 % à 15 % et, celle des élues, de 5,9 % à 7,4 %.

Une seule femme est président d'un conseil général et deux exercent les fonctions de président de conseil régional.

Le tiers des membres du Gouvernement (9 sur 28) sont des femmes.

Toute comparaison avec les autres pays doit être effectuée avec prudence et en tenant compte de traditions, de régimes institutionnels et de modes de scrutin différents.

Selon les statistiques de l'Union interparlementaire, mises à jour à la date du 5 décembre 1998, l'effectif féminin des Parlements dans le monde (assemblée unique ou deux assemblées) se situe à 13 % (9,18 % en France).

Ce pourcentage est de 13,3 % dans les chambres uniques ou dans les chambres basses (10,9 % pour l'Assemblée nationale en France) et de 10,9 % dans les chambres hautes (5,9 % pour le Sénat français).

Par régions du monde, c'est en Europe du Nord que les femmes figurent en plus grande proportion au Parlement (37,6 %). Sur l'ensemble du continent européen, les femmes parlementaires constituent 14,4 % de l'effectif total (12,6 % sans les pays nordiques).

Le taux de présence des femmes au Parlement s'établit à 15,7 % dans le continent américain, soit 23,2 % au Canada et 12,1 % aux Etats-Unis (9 % au Sénat).

La Suède est l'Etat dans lequel on dénombre le plus fort pourcentage de femmes dans une chambre basse (42,7 %). L'Allemagne en compte 30,9 %, l'Espagne 24,7 % et le Royaume-Uni 18,2 %.

La mission commune d'information du Sénat chargée d'étudier la place et le rôle des femmes dans la vie publique, présidée par Mme Nelly Ollin et dont le rapporteur était M. Philippe Richert 2( * ) , relevait que le taux significatif de femmes dans les assemblées politiques en Suède n'empêchait pas les femmes de ce pays de n'occuper que 10% des postes d'encadrement dans les entreprises privées et 30% dans l'Administration. Ces taux s'établissent, en France, respectivement à 22% et 40%.

L'Italie se situe à un niveau proche de celui de la France (11,1 %) qui, parmi les Etats membres de l'Union européenne, ne précède que la Grèce (6,3 %).

Le constat ne suffit pas pour déterminer la manière d'assurer une meilleure présence des femmes dans la vie publique.

Encore faut-il connaître les méthodes utilisées dans les autres pays pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions.

2. Seuls cinq pays dans le monde, dont un seul en Europe, ont fixé des quotas de femmes pour les candidatures aux élections

Contrairement à une idée reçue, rares sont les pays qui ont adopté des quotas -voire la parité- pour la participation des femmes aux assemblées élues.

Aux Etats-Unis , la législation établissant des " discriminations positives " n'a jamais concerné la représentation politique des femmes ou de minorités.

En Europe du Nord, le pourcentage des femmes au sein des assemblées politiques (37,6 %) provient essentiellement du fait que les partis politiques ont fixé des règles internes de quota. Aucune mesure contraignante n'a jamais été prise dans ces pays.

En Norvège , si une loi du 9 juin 1978 a institué des quotas de représentation des femmes au sein des commissions administratives locales, son article 21 exclut expressément de cette obligation les assemblées élues des départements et des communes.

L` Italie a bien adopté, le 25 mars 1993, une loi selon laquelle, dans certaines communes, " sur les listes de candidats, aucun des deux sexes ne peut être, en principe, représenté dans une proportion supérieure à deux tiers " mais cette disposition a été invalidée par la Cour constitutionnelle (sentence n° 422 du 12 septembre 1995).

En Europe, seule la Belgique dispose d'une législation contraignante , à savoir la loi du 24 mai 1994 visant à promouvoir une répartition équilibrée des hommes et des femmes sur les listes de candidature aux élections.

Ce texte interdit, pour toutes les élections, que le nombre de candidats d'un même sexe figurant sur une liste excède " une quotité de deux tiers du total constitué par la somme des sièges à pourvoir pour l'élection et du nombre maximum autorisé de candidats suppléants ".

Les résultats décevants de la première application de ce texte, lors des élections locales du 9 octobre 1994 (20 % d'élues, soit un taux inférieur à celui de 21,7 % enregistré en France en 1995, sans législation contraignante, pour l'élection des conseillers municipaux) tiennent à l'absence de prescription sur la place des candidats sur une liste et au calcul du quota par rapport au nombre des candidats titulaires et suppléants .

En dehors de la Belgique, aucun pays européen n'a donc établi de quotas obligatoires pour les candidatures aux élections.

En Suisse, pays dans lequel le suffrage féminin a été introduit en 1971, une " initiative populaire " ayant recueilli 109.713 signatures, déposée le 21 mars 1995, préconise l'inscription dans la Constitution fédérale de la parité entre les femmes et les hommes. Elle est en instance d'examen .

Selon cette proposition, la différence entre le nombre de femmes et le nombre d'hommes élus au Conseil national dans un canton ne pourrait être supérieure à un. Chaque " canton entier " élirait une femme et un homme au Conseil des Etats.

Le Conseil fédéral suisse, défavorable au projet , relève en particulier qu'" un candidat pourrait ne pas être élu alors qu'il a obtenu davantage de voix qu'un candidat élu, pour le seul motif qu'il n'est pas du même sexe ".

Le Conseil fédéral indique aussi que " les cantons ne pourraient plus désigner deux hommes ou, comme dans les cantons de Zurich et de Genève, deux femmes au Conseil des Etats ".

Il estime que " si les femmes restent nettement sous-représentées dans les autorités, leur nombre est en constante augmentation " et considère que " les mesures prévues par l'initiative ne représentent pas le bon moyen d'atteindre une représentation équitable des femmes en politique ", estimant que celle-ci " incombe avant tout aux partis politiques ".

La commission des institutions politiques du Conseil national propose , dans le rapport qu'elle a établi sur cette initiative, une instauration temporaire de quotas (pour les trois prochains renouvellements généraux), portant sur les candidatures et non sur les élus.

Les femmes constitueraient au moins un tiers des candidatures sur chaque liste présentant des candidats des deux sexes. Les listes présentant exclusivement des candidatures féminines seraient admises. Celles présentant des candidatures exclusivement masculines seraient admises jusqu'à la fin de 2007, si elles étaient apparentées à des listes de même dénomination présentant uniquement des femmes et si le quota d'un tiers des femmes était atteint entre les différentes listes apparentées.

La possibilité pour l'électeur de modifier la composition des listes, par panachage , serait maintenue sans restriction .

Quoi qu'il en soit, l'initiative est en instance au Parlement suisse, avant un éventuel référendum.

La situation n'est pas sensiblement différente en dehors du continent européen.

Selon une étude de l'Union interparlementaire publiée en janvier 1997 3( * ) , seuls quatre pays non européens ont institué un quota obligatoire de candidatures de femmes au Parlement, à savoir l' Argentine (30 %), le Brésil (20 %), la Corée (20 %) et le Népal (5 %).

Par ailleurs, la Constitution des Philippines promulguée en 1987 stipule que " pour trois législatures consécutivement à l'entrée en vigueur de la Constitution, les sièges alloués aux candidats des listes de partis sont pourvus à moitié, comme prévu par la loi, par sélection ou élection de représentant(e)s des ouvriers, des paysans, des populations pauvres des agglomérations urbaines, des communautés culturelles indigènes, des femmes , de la jeunesse et d'autres secteurs spécifiés par la loi, hormis les milieux confessionnels ".

En Chine , une décision du 3 avril 1992 a prévu que " le pourcentage des femmes députées à la 8ème législature ne devrait pas être inférieur à celui de la 7ème législature ".

Au Costa Rica , un projet tendant à contraindre les partis politiques à adopter le principe de la " représentation proportionnelle des femmes dans leurs structures et aux mandats électifs ", a été écarté par le Tribunal électoral suprême.

En conclusion, les pays démocratiques où les meilleurs résultats sont atteints en matière de parité dans les faits apparaissent être ceux qui ont combiné des scrutins de liste à la proportionnelle et l'action volontariste des partis, sans aucune mesure législative contraignante.

3. Le débat sur l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions

Nul ne conteste aujourd'hui la nécessité d'encourager la participation des femmes à la vie publique.

La discussion porte sur les solutions à trouver et sur les conséquences que celles-ci pourraient avoir sur la conception française traditionnelle de la démocratie.

A cet égard, le débat sur l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ne peut se réduire à la question de l'égalité des sexes, d'une manière plus générale, sauf à vouloir se limiter à une vision manichéenne.

L'égalité en droit est en effet déjà établie par le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ( " la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme " ), auquel le premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1958 donne une valeur constitutionnelle.

Sa traduction dans la législation a été progressive, la pleine capacité civile de la femme ayant fait l'objet de modifications importantes du code civil depuis les années 1960. Le droit social est régulièrement complété afin de réaliser l'égalité des chances, sans distinction de sexe.

Le droit de vote et l'éligibilité des femmes, dans des conditions identiques à celles fixées pour les hommes, auraient pu être déduits de l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (égale admissibilité aux emplois publics sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents). Ce droit, établi à l'initiative du Général de Gaulle par l'ordonnance du 21 avril 1944, a été ensuite inscrit à l'article 4 de la Constitution de 1946, puis à l'article 3 de la Constitution de 1958 (sont électeurs les nationaux français majeurs des deux sexes).

Le débat d'aujourd'hui est bien différent et nul, qu'il soit favorable ou défavorable à la présente réforme constitutionnelle, ne songe à les comparer.

L'égal accès à l'éligibilité étant établi en droit, il reste à déterminer comment sa mise en oeuvre peut se traduire par un nombre d'élues en rapport avec le nombre des citoyennes sans remettre en cause les principes constitutionnels de la souveraineté nationale, de l'égalité et de la liberté de l'électeur.

Tel est l'enjeu du projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis.

Selon les uns, dès lors que l'éligibilité est établie en droit de la même façon pour tous, le citoyen, donc le candidat, donc l'élu, ne peut être distingué selon des caractéristiques particulières, qu'elles tiennent à la race, la religion, la culture ou le sexe.

Toute différenciation briserait l'unité du corps électoral, pourrait susciter des revendications de la part de telle ou telle catégorie de la société et conduire au communautarisme.

L'institution de quotas, ou de la parité, jetterait en outre un doute sur la compétence de ses bénéficiaires.

Selon les autres, le sexe constituerait le seul élément indissociable de la notion même de personne, que l'on ne pourrait pas assimiler à un groupe social déterminé. L'instauration de la parité entre les femmes et les hommes ne serait donc pas de nature à justifier des revendications paritaires de la part de certaines catégories.

La parité n'apporterait pas une protection privilégiée mais serait la mise en oeuvre de principes constitutionnels qui, à défaut, resteraient abstraits, la Déclaration de 1789 n'ayant pas été suivie immédiatement de l'abolition de l'esclavage ou de la reconnaissance du droit de vote des femmes, par exemple.

Seul un examen attentif de ces arguments, auquel votre commission a procédé, permet d'apporter une réponse à la question posée par le projet de loi constitutionnelle.

On remarquera que la revendication de quotas et celle tendant à la parité sont relativement récentes.

Jusqu'à la fin des années 1980, les mouvements féministes se sont assez peu intéressés à la question de la représentation politique, leurs revendications étant centrées sur l'égalité des droits civils et sur l'égalité des chances en matière sociale.

Après que Mme Françoise Giroud, secrétaire d'Etat à la condition féminine, eut proposé, en 1977, de fixer un quota de 15 % de candidatures féminines aux élections municipales, le Gouvernement de l'époque a déposé un projet de loi établissant ce quota à 20 %. Adopté par l'Assemblée nationale, le texte n'a pas été soumis au Sénat.

L'idée est reprise en 1982, l'Assemblée nationale et le Sénat votant à la quasi-unanimité un amendement au projet de loi sur le mode d'élection des conseillers municipaux, limitant à 75 % la proportion des candidats d'un même sexe pouvant figurer sur une liste.

Cette disposition ayant été déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, l'introduction éventuelle de quotas est apparue subordonnée à une révision constitutionnelle préalable.

A partir de 1992, des associations se crééent et publient des manifestes en faveur de la parité entre les femmes et les hommes.

On remarquera que cette revendication n'a pas été soutenue par d'autres qui avaient participé auparavant à des combats communs avec les premières. 4( * )

La question de la participation des femmes à la vie politique est évoquée au cours de la campagne électorale présidentielle de 1995, M. Jacques Chirac proposant des mesures incitatives à l'égard des partis, déterminées en fonction de la proportion de femmes qu'ils présenteraient aux élections et M. Lionel Jospin souhaitant un " débat national pour faire la parité au cours des cinq prochaines années " .

Le 6 juin  1996, " L'Express " publie un " manifeste des dix pour la parité " , signé par des femmes responsables politiques de droite et de gauche, demandant une politique volontariste des partis et du Gouvernement, l'adoption de mesures incitatives et s'il le faut une modification de la Constitution.

Un rapport de l'Observatoire de la parité, créé par décret du 18 octobre 1995, se prononce en janvier 1997 pour l'inscription de la parité dans la Constitution 5( * ) .

Un débat est organisé à l'Assemblée nationale sur le sujet, le 11 mars 1997, à l'occasion duquel M. Alain Juppé, à l'époque Premier ministre, s'est déclaré partisan de réviser la Constitution pour permettre à la loi d'instaurer, à titre temporaire, des incitations aux candidatures féminines dans les élections au scrutin de liste.

Peu à peu, les formations politiques portent une plus grande attention à la place des femmes parmi leurs candidats et adoptent parfois des règles internes contraignantes, ce qui s'est traduit par une progression, ces dernières années, du nombre des candidates et des élues, comme votre rapporteur l'a exposé précédemment.

Après le dépôt du présent projet de loi constitutionnelle, l'Assemblée nationale a adopté, lors de la discussion du projet de loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux, un amendement imposant à chaque liste d'assurer la parité entre candidats féminins et masculins

Ce texte, maintenu par l'Assemblée nationale en lecture définitive malgré l'exception d'inconstitutionnalité soulevée par le Sénat, a été déclaré non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décision n° 99-407 DC du 14 janvier 1999), qui a ainsi confirmé la jurisprudence qu'il avait établie en 1982.

4. Les engagements internationaux de la France

La recherche des moyens pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives doit aussi intégrer la portée exacte des engagements internationaux de la France.

a) Les traités internationaux

Les conventions multilatérales prohibant toute discrimination fondée sur le sexe concernent principalement les droits sociaux, économiques et culturels.

Outre l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, on citera en particulier le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels conclu dans le cadre de l'ONU le 19 décembre 1966 (article 2-2), la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (article 14) et la Charte sociale européenne du 3 mai 1996 (partie I, point 20), conventions conclues dans le cadre du Conseil de l'Europe, ou encore de diverses conventions négociées au sein de l'Organisation internationale du travail (OIT).

En ce qui concerne strictement l'égalité des droits politiques , il convient de se référer à la Convention du 18 novembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, dont l'ONU est dépositaire, entrée en vigueur pour la France le 25 avril 1984 après l'autorisation de ratification donnée par la loi n° 83-561 du 1er juillet 1983.

Selon l'article 7 de cette Convention, " les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans la vie politique et publique du pays et, en particulier, leur assurent, dans des conditions d'égalité avec les hommes, le droit :

" a) de voter à toutes les élections et dans tous les référendums publics et être éligibles à tous les organismes publiquement élus ".


Les parties doivent donc, le cas échéant, éliminer la discrimination des femmes dans le domaine de l'électorat et de l'éligibilité.

L'article 1er de ce texte définit, aux fins de la Convention, l'expression " discrimination à l'égard des femmes " comme visant " toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l'égalité de l'homme et de la femme, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique , économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine ".

Le droit français ne comporte à cet égard aucune " distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe " ayant pour effet de compromettre le droit égal des femmes en matière politique.

Par les dispositions plus générales de l'article 2 de la Convention, les Etats parties s'engagent à :

" a) inscrire dans leur constitution nationale ou toute autre disposition législative appropriée le principe de l'égalité des hommes et des femmes ".

La France a posé ce principe avec l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ( " Tous les citoyens (...) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ") et avec le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (" La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ").

Ce principe a été précisé, s'agissant de la souveraineté nationale, par l'article 3 de la Constitution actuelle ( " sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques " ).

L'article 2 de la Convention fait également obligation aux Etats d'" assurer par voie de législation ou par d'autres moyens appropriés l'application effective dudit principe " , ce qui ne comporte donc pas l'obligation formelle de choisir à cet effet une solution déterminée, mais laisse les Etats libres des moyens pour parvenir au but fixé et laisse entière, au demeurant, la notion d'application effective du principe dès lors que l'éligibilité est acquise et que la liberté des partis et de l'électeur sont respectés.

Notre ancien collègue, M. Gérard Gaud, relevait dans son rapport sur le projet de loi de ratification que cette Convention ne posait " aucun problème d'application interne dans notre pays " , signifiant par là même que la ratification de la Convention du 18 novembre 1979 n'impliquait pas, pour la France, l' obligation de prendre des dispositions nouvelles pour se conformer à celle-ci.

Au demeurant, cinq pays à travers le monde, dont un seul en Europe ont choisi la voie des quotas.

La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes n'impose donc aucunement à la France d'adopter un régime de quotas, mais lui laisse le droit de choisir ce moyen, si toutefois sa Constitution l'y autorise.

b) Le droit communautaire

Les textes communautaires sur l'égalité entre les femmes et les hommes s'appliquent essentiellement au droit social .

L'article 2 §1 de la directive 76/207 du 9 février 1976 prévoit que le principe de l'égalité de traitement implique " l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe ".

Son article 2 §4 prévoit cependant une exception à ce principe d'égalité pour les mesures " visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes ".

Dans un arrêt Kalanke (17 octobre 1995), la Cour de justice des communautés européennes avait conclu à l'incompatibilité des quotas avec le principe de l'égalité de traitement.

Modulant ensuite sa jurisprudence, la Cour de justice devait admettre qu'une priorité pouvait être accordée aux femmes, dès lors qu'elle ne revêtait pas un caractère inconditionnel (arrêt Marschall du 11 novembre 1997).

Le traité d'Amsterdam (article 2, point 7, insérant un article 6A au traité instituant la Communauté européenne) prévoit que " dans les limites des compétences que (celui-ci) confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe (...) " .

Les mesures de discrimination positive que prendrait l'Union européenne, s'il était retenu une interprétation autorisant celles-ci, ne pourraient pas cependant concerner l' éligibilité aux mandats électoraux et fonctions électives, domaine qui relève de la compétence des Etats .

Le Traité d'Amsterdam prévoit aussi que " pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle , le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle "

On remarquera que, dans sa décision n° 97-394 du 31 décembre 1997 sur la conformité à la Constitution du Traité d'Amsterdam, le Conseil constitutionnel n'a formulé aucune objection à cette disposition qui permet (sans les y contraindre) aux Etats de prendre des mesures de discrimination positive dans le domaine professionnel dans lequel les Etats-Unis ont tenté des expériences dont les résultats sont contestés et qu'ils n'ont jamais étendues au domaine électoral.

La jurisprudence établie par le Conseil constitutionnel le 18 novembre 1982 et confirmée le 14 janvier 1999 se limite en effet aux quotas dans le domaine politique .

5. Un projet de loi constitutionnelle, préalable nécessaire à toute mesure législative comportant une distinction entre candidats en raison de leur sexe

On sait que, dans sa décision n° 82-146 du 18 novembre 1982, le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution une disposition législative comportant une distinction entre candidats en raison de leur sexe.

En effet, lors de l'examen de la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982 concernant le mode d'élection des conseillers municipaux, le Parlement, à la quasi-unanimité des deux chambres, avait adopté une disposition selon laquelle, dans les communes de plus de 3.500 habitants, les listes de candidats ne peuvent compter plus de 75 % de personnes de même sexe.

Le Conseil constitutionnel a considéré que " la règle qui, pour l'établissement des listes soumises aux électeurs, comporte une distinction entre candidats en raison de leur sexe (était) contraire aux principes constitutionnels " .

Le Conseil constitutionnel a dégagé ces principes à partir du rapprochement de l'article 3 de la Constitution et de la dernière phrase de l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Selon l'article 3 de la Constitution :

" La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum.

" Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.

" Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.

" Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. "


La dernière phrase de l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est ainsi rédigée :

" Tous les citoyens étant égaux (aux yeux de la loi) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. "

Le Conseil Constitutionnel en a conclu que " la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus pour une raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l'électeur ou l'indépendance de l'élu ; que ces principes de valeur constitutionnelle s'opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles ; qu'il en est ainsi pour tout suffrage politique, notamment pour l'élection des conseillers municipaux " .

Le Conseil constitutionnel vient de confirmer cette jurisprudence à propos de la loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux, qui contenait une disposition selon laquelle " chaque liste assure la parité entre candidats féminins et masculins " .

Dans sa décision n° 99-407 DC du 14 janvier 1999, il a, en effet, considéré que, " en l'état, et pour les motifs énoncés dans la décision susvisée du 18 novembre 1982, la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont exclus ni pour une raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité, ni pour une raison tendant à préserver la liberté de l'électeur ou l'indépendance de l'élu, sans que puisse être opérée aucune distinction entre électeurs ou éligibles en raison de leur sexe " .

Il apparaît donc, sans ambiguïté, qu'une loi imposant des quotas ou des candidatures paritaires contredirait le principe d'universalité du suffrage et ne pourrait être adoptée avant une révision préalable de la Constitution.

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