B. L'AUTORITÉ ADMINISTRATIVE INDÉPENDANTE : UN MODÈLE JURIDIQUE DÉSORMAIS CONSACRÉ

1. Une catégorie qui rassemble des institutions diverses13( * )

a) Une apparition progressive

Alors que l'organisation administrative française est fondée sur un principe hiérarchique , conforté par l'article 20 de la Constitution qui indique que le Gouvernement " dispose de l'administration ", sont peu à peu apparues, au sein de l'administration publique, des institutions exerçant, en toute indépendance, des fonctions administratives.

Dès la création, en 1967, de la Commission des opérations de bourse (COB), puis de la Commission nationale du droit de réponse (1975) et de la Commission des sondages (1977), le modèle des autorités administratives indépendantes s'est peu à peu dégagé, même s'il faut attendre la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés pour voir figurer dans la loi - au sujet de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) le terme " d'autorité administrative indépendante ".

Le Conseil Constitutionnel n'a pas censuré le mouvement de création de ces autorités administratives indépendantes. Bien au contraire il lui est arrivé de suppléer au silence de la loi, en requalifiant d'autorité administrative indépendante la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (décision du 26 juillet 1984), et en faisant de même pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel qui a succédé à la Haute Autorité (décision du 17 janvier 1989). Plusieurs décisions du Conseil constitutionnel ont admis que soient transférés aux autorités administratives indépendantes des pouvoirs de réglementation et de sanction administratives.

Dans son rapport annuel, le Conseil d'Etat a, dès 1983, estimé " commode et légitime ", par la voix de sa Commission du rapport et des études, de regrouper sous le vocable d'" autorités administratives indépendantes " des organismes publics situés au sein de l'exécutif, dotés d'un pouvoir autonome de décision ou d'influence dans un secteur déterminé.

Au contentieux, le Conseil d'Etat, compétent pour connaître, en tant que juge administratif, des recours pour excès de pouvoir dirigés contre les actes des " autorités administratives " s'est aussi attaché à qualifier ces actes d'actes administratifs. Ainsi en a-t-il été, par exemple, des décisions du Médiateur de la République (arrêt Retail du 10 juillet 1981).

Quant à la doctrine , elle a depuis longtemps admis l'existence d'une nouvelle notion de droit administratif, l'analysant dans les manuels, dans de nombreux articles de revues et au cours de divers colloques.

b) Une réalité multiforme

La liste de ces autorités est difficile à établir, en raison de leur extrême diversité. Au-delà de certaines autorités bien connues comme la COB ou le CSA existent, en effet, d'autres commissions qui peuvent être rattachées à cette catégorie.

Le tableau suivant tente d'en dresser une liste -sans doute non exhaustive.

LES AUTORITES ADMINISTRATIVES INDEPENDANTES

La régulation des activités financières

- la Commission des Opérations de Bourse

- le Conseil de discipline des organismes de placement collectif en valeurs mobilières

- la Commission bancaire

- le Conseil des marchés financiers

- la Commission de contrôle des assurances

- le Conseil de la Concurrence

- la Commission des clauses abusives

- la Commission de la sécurité des consommateurs

- le Médiateur du cinéma

La régulation de l'information et de la communication

- le Conseil supérieur de l'audiovisuel

- le Conseil supérieur de l'agence France-Presse

- La Commission paritaire des publications et des agences de presse

- la Commission des sondages

- la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques

La protection contre les excès de la bureaucratie

- la Commission nationale de l'Informatique et des Libertés

- la Commission d'accès aux documents administratifs

- la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité

- le Médiateur de la République

- la commission des infractions fiscales

L'évaluation de l'action administrative

- le Comité national d'évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel

La régulation des services publics de réseau

- l'Autorité de régulation des télécommunications

- la future Commission de régulation de l'électricité (projet de loi).

Comme le fait remarquer un article de doctrine consacré à cette question 14( * ) , " on ne saurait nier les différences évidentes qui apparaissent entre les autorités. Aussi doit-on convenir qu'il existe parmi ces autorités un " noyau dur " composé d'autorités disposant d'un pouvoir de décision qui en fait d'incontestables autorités (CNIL, CNCL 15( * ) , COB, Conseil de la concurrence...) et une nébuleuse composée d'autorités qui ne disposent pas d'un pouvoir de décision au sens juridique classique mais qui exercent une influence déterminante en fixant des directives de comportement... "

C'est de façon empirique, en comparant les textes relatifs à ces diverses institutions, qu'a pu être mise à jour une définition de l'autorité administrative indépendante.

2. Quelques éléments de définition du régime juridique de ces autorités

a) Autorité...

Les autorités administratives indépendantes sont investies d'une autorité réellement coercitive ou simplement morale, qui se manifeste par un pouvoir soit de décision, soit de recommandation, de proposition ou même simplement d'avis . C'est davantage leur influence, leur capacité de persuasion, la légitimité qui leur est reconnue pour assurer la régulation d'un secteur ou l'application d'une loi qui importe, plus que l'étendue de leur pouvoir normatif. Ces autorités ont souvent été créées, comme le fait remarquer l'ouvrage précité de M. Michel Gentot, pour " renouveler les modes classiques d'expression du pouvoir d'Etat ". Cet ouvrage estime que :

" C'est donc une définition large de " l'autorité " qu'il convient de retenir, intégrant des organismes qui ont des responsabilités dans un processus administratif de décision ou de contrôle, en exerçant un " pouvoir d'influence " ou une " magistrature morale ", autant que ceux auxquels le législateur a confié le pouvoir de prendre des décisions réglementaires ou individuelles. "

Deux caractéristiques renforcent généralement ce critère d'autorité :

- la respectabilité, la compétence voire l'éminence des membres, parfois dénommés les " sages " ;

- la collégialité des délibérations et des décisions 16( * ) .

b) ...administrative...

Les autorités administratives indépendantes sont constituées au sein de l'administration .

Ce caractère administratif est révélé par le fait qu'elles n'ont pas de personnalité morale distincte de l'Etat. Elles disposent en outre de prérogatives de puissance publique : il s'agit parfois de pouvoirs réglementaires, voire d'un pouvoir de sanction administrative. Des recours peuvent être formés devant le juge administratif contre les actes administratifs pris par elle (voire devant le juge judiciaire).

La gamme des pouvoirs qui peuvent être confiés à ces autorités administratives est large :

- pouvoir d'avis : ce pouvoir, qualifié de " minimum vital " par certains auteurs, concrétise le pouvoir d'influence de ces autorités. Il s'agit souvent d'une consultation, parfois d'un avis conforme (commission des infractions fiscales ; CNIL), plus contraignant.

- pouvoir de recommandation : proche de l'avis, la recommandation émane spontanément de l'autorité. Elle est dépourvue de force exécutive ;

- pouvoirs d'investigation : il peut s'agir d'une obligation d'information, d'un droit à recueillir des renseignements (CNIL, CADA, COB) ; d'un droit à convoquer des agents publics (Médiateur, CNIL, Conseil de la concurrence) ; ou d'un pouvoir de saisie de documents (Conseil de la concurrence).

- pouvoir réglementaire : le pouvoir de prendre des règlements, c'est-à-dire des normes générales et impersonnelles créant des obligations et ouvrant des droits, a été conféré par la loi à certaines autorités. Le Conseil Constitutionnel a admis cette possibilité 17( * ) ;

- pouvoir de prendre des mesures individuelles : certaines autorités (CSA, ART...) ont un pouvoir d'autorisation individuelle, voire de nomination (CSA), ainsi que de mise en cause (avertissement de la CNIL, mise en demeure de l'ART, injonction du CSA, de la COB, de la Commission bancaire...).

- pouvoir de saisir un juge : la COB ou le Conseil de la concurrence par exemple sont titulaires de ce type de pouvoir ;

- pouvoir de sanction : c'est le cas du CSA, de la COB, du Conseil de la concurrence ou de l'ART. L'octroi de pouvoirs de sanction à une autorité administrative indépendante a été reconnu par le Conseil Constitutionnel (pour le CSA et la COB en 1989, pour l'ART en 1996).

- pouvoir de médiation, voire d'arbitrage : l'ART dispose, en matière d'interconnexion 18( * ) , de pouvoirs importants d'arbitrage entre les opérateurs, dans le cadre de la conclusion des conventions d'interconnexion. Ces pouvoirs ont été utilisés à plusieurs reprises, dans le cadre du litige sur la fourniture du téléphone et d'Internet sur les réseaux du " Plan Câble ".

c) ...indépendante.

Bien que ce point ait pu être, par le passé, sujet à controverse 19( * ) , en raison de la nomination de certains membres par des politiques, l'indépendance est une des caractéristiques essentielles de ces autorités.

Elle est assurée par le statut des membres :

- irrévocabilité ;

- impossibilité d'effectuer un second mandat ;

- régime d'incompatibilités strictes qui permettent de garantir leur impartialité.

Cette indépendance s'entend tant vis-à-vis du Gouvernement que de différents groupements d'intérêts, et même de l'opinion. Elle est renforcée par le fait que ces autorités disposent de services propres et d'une autonomie de gestion.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page