Proposition de loi de M. Jacques PELLETIER permettant au juge des tutelles d'autoriser un majeur sous tutelle à être inscrit sur une liste électorale

BONNET (Christian)

RAPPORT 63 (1999-2000) - commission des lois

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Table des matières




N° 63

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès-verbal de la séance du 10 novembre 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de M. Jacques PELLETIER permettant au juge des tutelles d' autoriser un majeur sous tutelle à être inscrit sur une liste électorale ,

Par M. Christian BONNET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret,
Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Simon Loueckhote, François Marc, Bernard Murat, Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir le numéro :

Sénat
: 185 (1998-1999).


Elections et référendums.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le 10 novembre 1999 sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Christian Bonnet, la proposition de loi permettant au juge des tutelles d'autoriser un majeur sous tutelle à être inscrit sur une liste électorale.

M. Christian Bonnet, rapporteur, a constaté le contraste entre, d'une part, le code civil prévoyant un régime juridique de tutelle modulable selon les facultés des majeurs en tutelle , le juge pouvant permettre à un majeur protégé d'accomplir certains actes et, d'autre part, le code électoral s'opposant, en toutes circonstances, à l'exercice du droit de vote par les mêmes personnes, quelle que soit la nature de leur handicap.

Tout en maintenant le principe de l'incapacité des majeurs sous tutelle, y compris pour le droit de vote, la commission des Lois a décidé d'autoriser le juge des tutelles à permettre à ces personnes de voter, dès lors qu'elles ne sont pas dépourvues de discernement.

Enfin elle a proposé d'aménager plusieurs dispositions du code électoral pour que l'autorisation de voter accordée à certains majeurs sous tutelle n'ait pas pour conséquence de les rendre éligibles aux élections locales

*

* *

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Comme l'indique notre excellent collègue, M. Jacques Pelletier auteur des présentes propositions de loi, l'impossibilité absolue pour les majeurs en tutelle de voter " paraît manquer de nuances, eu égard à certaines situations individuelles ".

Dans le prolongement d'une proposition de réforme qu'il avait formulé lorsqu'il était Médiateur de la République 1( * ) , M. Jacques Pelletier a déposé une proposition de loi et une proposition de loi organique afin de permettre au juge des tutelles d'autoriser un majeur sous tutelle à être inscrit sur une liste électorale, sans pour autant le rendre éligible 2( * ) .

Selon la présente proposition de loi, une personne dont la tutelle a été ouverte pour des motifs ne tenant pas à une altération grave de ses facultés mentales ou tenant exclusivement à une altération de ses facultés corporelles pourrait désormais participer à tous les scrutins, si elle y était autorisée par le juge compétent, alors que cette possibilité est actuellement fermée de manière absolue.

Même admis à voter, le majeur sous tutelle resterait inéligible, la présente proposition de loi ne traitant que des inéligibilités aux scrutins locaux, tandis que la proposition de loi organique concerne les inéligibilités applicables aux parlementaires et au président de la République, puisqu'elles relèvent du domaine de la loi organique.

I. LE RÉGIME DES MAJEURS SOUS TUTELLE EST MARQUÉ PAR DES PRINCIPES CONTRADICTOIRES

A. LA TUTELLE EN DROIT CIVIL : UN RÉGIME PERSONNALISÉ

Selon l'article 492 du code civil, un majeur est placé sous tutelle quand il " a besoin d'être représenté d'une manière continue dans les actes de la vie civile " pour l'une des causes prévues à l'article 490 du même code, à savoir :

- l'altération des facultés mentales par une maladie, une infirmité ou un affaiblissement dû à l'âge ;

- l'altération des facultés corporelles , si elle empêche l'expression de la volonté.

L'ouverture d'une tutelle ne résulte donc pas nécessairement d'une altération des facultés mentales.

Les modalités d'un traitement médical (notamment hospitalisation ou soins à domicile) sont indépendantes du régime de protection appliqué aux intérêts civils.

L'article 493 du code civil prévoit que la tutelle est ouverte par le juge des tutelles, soit d'office, soit à la demande de la personne concernée, de son conjoint (sauf si la communauté de vie a cessé entre les époux), des descendants, ascendants, des frères et soeurs, du curateur ou du ministère public.

" Les autres parents, les alliés les amis peuvent seulement donner au juge avis de la cause qui justifierait l'ouverture de la tutelle ". Il en est de même du médecin traitant et du directeur de l'établissement où serait hospitalisé la personne concernée.

Les personnes qualifiées pour demander l'ouverture d'une tutelle ou pour " donner avis " peuvent aussi, le cas échéant, former un recours devant le tribunal de grande instance du ressort contre le jugement ayant ouvert une tutelle.

L'ouverture d'une tutelle doit être précédée d'une constatation de l'altération des facultés mentales ou corporelles par un médecin spécialiste choisi sur une liste établie par le procureur de la République (article 493-1 du code civil).

L'article 501 du code civil permet au juge, lors de l'ouverture de la tutelle ou postérieurement, sur l'avis du médecin traitant, d'énumérer " certains actes que la personne en tutelle aura la capacité de faire elle-même, soit seule, soit avec l'assistance du tuteur ou de la personne qui en tient lieu ".

Avant de prendre cette mesure de tutelle allégée, le juge doit recueillir l'avis du ministère public.

Cette possibilité de personnaliser la tutelle est fondée car les troubles ou les handicaps qui affectent les majeurs protégés n'excluent pas nécessairement qu'ils puissent agir avec discernement dans certains domaines.

Par ailleurs, beaucoup de maladies mentales ayant un caractère cyclique ou évolutif, l'article 501 du code civil permet d'adapter la protection juridique aux différentes étapes de la pathologie.

La décision du juge peut porter sur un acte particulier ou sur une catégorie d'actes. Il peut s'agir d'actes de disposition ou d'actes d'administration, d'actes patrimoniaux ou d'actes extra-patrimoniaux.

L'autorisation d'accomplir ces actes peut être accordée pour une période limitée ou pour une durée indéterminée. Elle est toujours révocable.

Le juge peut autoriser la personne protégée à accomplir certains actes elle-même, seule ou avec l'assistance de son représentant légal, ce qui revient, dans ce cas, en fait, à combiner la tutelle et la curatelle.

L'article 501 du code civil est souvent mis en oeuvre pour autoriser la personne concernée à percevoir elle-même son salaire ou à utiliser son compte en banque.

Il y est aussi souvent recouru pour permettre au majeur de se marier ou de divorcer.

Selon les indications fournies à votre rapporteur par le ministère de la Justice, il n'est pas fréquemment fait application de l'article 501 du code civil, puisque sur les 28.000 tutelles ouvertes en 1996, 300 l'ont été selon la formule allégée.

Ces chiffres devraient être pondérés par ceux relatifs aux mainlevées de tutelles, mais le ministère de la Justice ne procède à un recensement exhaustif de ces décisions que depuis un an.

Il convient donc d'interpréter ces éléments d'information avec une certaine prudence.


Néanmoins, le champ de l'incapacité de la personne en tutelle n'est pas figé. Il peut dépendre de ses aptitudes propres et donc être adapté à sa situation personnelle, au moins pour les actes de la vie civile.

La mise en oeuvre de l'article 501 du code civil peut même faciliter l'intégration du majeur en tutelle.

En revanche, au regard du droit électoral, le régime du majeur en tutelle est plus rigide et ne prend pas en considération la diversité des handicaps.

B. LA TUTELLE EN DROIT ÉLECTORAL : UN RÉGIME D'EXCLUSION

Selon l'article L. 5 du code électoral, " ne doivent pas être inscrits sur les listes électorales les majeurs en tutelle ".

N'étant pas électeurs, les majeurs en tutelle ne sont pas éligibles en application des articles L. 199, L. 230 et L.O. 127 du code électoral.


Selon un arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 1982, le régime de tutelle allégée de l'article 501 du code civil n'a pas pour objet ou pour effet de tenir en échec la règle de droit public établie par l'article L. 5 du code électoral interdisant à celui-ci d'être inscrit sur une liste électorale.

L'interdiction de voter, frappant indistinctement toute personne placée en tutelle, ne peut donc pas être levée par le juge pour quelque cause que ce soit. Cette interdiction revêt un caractère absolu.

Apparaît donc un contraste entre, d'une part, la rigidité de l'article L. 5 du code électoral et, d'autre part, le régime de droit civil de protection personnalisée établi par l'article 501 du code civil.

Si l'interdiction de voter se justifie évidemment pour les personnes dépourvues de tout discernement, elle peut, en revanche, apparaître contestable lorsque le handicap ne prive pas la personne de toute capacité de jugement.

On peut en effet se demander pourquoi la personne qui serait reconnue capable d'accomplir certains actes essentiels de la vie civile, comme le mariage, ne pourrait, en aucun cas, être autorisée à voter.

Cette situation peut apparaître d'autant plus surprenante que, selon l'article L. 326-3 du code de la santé publique, une personne atteinte de troubles mentaux et hospitalisée sans son consentement, si elle n'est pas placée en tutelle, conserve la possibilité d'exercer son droit de vote .

Plus paradoxal encore, la personne en tutelle , si elle ne peut, en principe, recevoir un visa de permis de chasse, peut cependant y être autorisée par le juge (article L. 223-19 (3°) du code rural), alors qu'elle ne peut en aucune façon être autorisée à voter.

Ainsi, l'interdiction absolue du droit de vote pour les personnes en tutelle tranche fortement avec le régime individualisé dont ces personnes peuvent bénéficier en matière civile, et même administrative.

Cette interdiction pourrait même apparaître à certains égards comme une source d'exclusion .

Dans l'exposé des motifs d'une proposition de loi similaire à la présente 3( * ) , notre excellent collègue M. Claude Huriet a estimé qu' " il est à peine besoin d'insister sur les effets possibles d'une telle mesure sur l'individu concerné et dont les facultés de raison ne sont pas atteintes : il peut parfaitement ressentir cela comme une mise à l'écart de la communauté des citoyens par un mécanisme qui s'apparente à une punition ".

Cette interdiction de voter peut être d'autant plus mal ressentie que la rédaction de l'article L. 5 du code électoral en vigueur jusqu'au 1 er mars 1994 citait pêle-mêle, parmi les personnes privées de ce droit, celles condamnées pour crime (1°), condamnées à une peine d'emprisonnement pour certains délits graves (2° et 3°), celles en état de contumace (4°) et les personnes condamnées à la faillite (5°), avant de citer les " interdits ", c'est-à-dire aujourd'hui les majeurs en tutelle.

Enfin, le régime de la tutelle doit être distingué de celui de la curatelle (adulte qui, pour les causes permettant l'ouverture d'une tutelle, sans être hors d'état d'agir lui-même, a besoin d'être conseillé ou contrôlé dans les actes de la vie civile : il peut être électeur, mais n'est pas éligible ) et de celui de la sauvegarde de justice (mesure provisoire n'affectant pas les droits électoraux ).

II. LA PROPOSITION DE LOI MARQUE L'ABOUTISSEMENT D'UNE LONGUE RÉFLEXION

A. LES PREMIÈRES PROPOSITIONS

La proposition, formulée le 21 juillet 1993 par le Médiateur de la République , de permettre au juge des tutelles d'autoriser un majeur en tutelle à voter, a reçu un avis favorable de principe du ministère de la Justice le 5 novembre 1993 confirmé les 23 février 1996 et 16 février 1998, lequel a suggéré toutefois un complément pour inscrire expressément l'inéligibilité de ces personnes dans le code électoral.

La proposition du Médiateur de la République avait été précédée, quelques jours auparavant, par le dépôt de la proposition de loi précitée de notre collègue M. Claude Huriet .

Cette proposition de loi tendait à une nouvelle rédaction de l'article L. 5 du code électoral, pour permettre le vote des personnes concernées, après autorisation du juge.

Sur proposition de la commission des Lois et de son rapporteur, notre regretté collègue M. Bernard Laurent 4( * ) , le Sénat avait adopté, le 8 décembre 1993 , cette proposition de loi , après l'avoir complétée par un nouvel article L. 44-1 du code électoral afin d'établir explicitement l'inéligibilité de ces personnes à toutes les élections.

Cependant, la commission des Lois de l'Assemblée nationale devait ensuite conclure au rejet de cette proposition de loi, en exprimant des doutes sur la possibilité, pour un majeur en tutelle, d'exercer en toute connaissance de cause ses droits de citoyen.

Ce texte n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Il est permis cependant de s'interroger sur la pertinence d'une telle position, puisque précisément l'article 501 du code civil permet déjà au juge d'individualiser le régime applicable aux majeurs en tutelle, au profit des personnes dont le handicap n'a pas altéré toute faculté de discernement.

Une personne reconnue capable de se marier ou de conclure un contrat de travail peut-elle être considérée sans appel comme dépourvue de la faculté de jugement nécessaire pour voter ?

On pourra cependant noter que le texte adopté par le Sénat en 1993 n'inscrivait pas formellement la procédure de relèvement de l'incapacité électorale dans le cadre de l'article 501 du code civil. L'inéligibilité, établie par la loi ordinaire (nouvel article L. 44-1 du code électoral), n'aurait, de ce fait, pas été étendue aux scrutins pour lesquels le régime d'éligibilité doit être fixé par une loi organique, selon les articles 6 et 25 de la Constitution (élections présidentielle, législatives et sénatoriales).

Pour tenir compte de cette difficulté, nos collègues MM. Jacques Pelletier, Paul Girod, Bernard Joly et André Boyer avaient présenté un dispositif plus complet -et similaires aux propositions de loi organique et ordinaire de M. Jacques Pelletier- au moyen d' amendements aux projets de loi organique et simple relatifs à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice , lors de leur examen en première lecture les 28 et 29 octobre 1998.

Au cours de la discussion, M. le président Jacques Larché, rapporteur de la commission des Lois, avait fait valoir que si les amendements tendaient " à apporter une réponse à un véritable problème ", il convenait, dans le cadre de l'examen de ces projets, de " se consacrer uniquement aux dispositions ayant trait à (leur) question principale ".

Ces amendements ont été retirés après qu'il eut indiqué que la commission rapporterait dans les meilleurs délais d'éventuelles propositions de loi reprenant ces amendements.

Tel est précisément l'objet des propositions de loi, déposées le 2 février 1999 par notre collègue M. Jacques Pelletier.

B. LA PROPOSITION DE LOI : UN TRAITEMENT COMPLET DE LA QUESTION

La proposition de loi tend à compléter l'article L. 5 du code électoral pour assortir le principe de non inscription des majeurs en tutelle sur une liste électorale d'une possibilité reconnue au juge des tutelles d'autoriser, dans le cadre fixé par l'article 501 du code civil, certaines de ces personnes à voter .

Le régime civil personnalisé de protection des majeurs en tutelle serait donc étendu au droit électoral.

Cette proposition de loi aménagerait aussi les articles du code électoral fixant les inéligibilités applicables aux élections locales (municipales, cantonales et régionales), pour maintenir expressément l'inéligibilité des personnes en tutelle qui résulte actuellement du fait qu'elles ne peuvent s'inscrire sur une liste électorale .

Par ailleurs, la proposition de loi organique traiterait de la même manière les dispositions concernant les inéligibilités des parlementaires nationaux et européens, ainsi que celles du président de la République, puisqu'elles relèvent du domaine de la loi organique 5( * ) .

Cette proposition de loi organique constitue donc un complément indispensable de la proposition de loi pour maintenir dans tous les cas les inéligibilités applicables aux majeurs en tutelle.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : ÉTENDRE AU DOMAINE ÉLECTORAL LE RÉGIME JURIDIQUE PERSONNALISÉ DES MAJEURS EN TUTELLE

Votre commission des Lois n'a pu que constater le contraste entre, d'une part, l'article 501 du code civil prévoyant un régime juridique personnalisé des majeurs en tutelle, permettant au juge de les autoriser à accomplir, soit seuls, soit avec l'assistance du tuteur, certains actes parfois importants et, d'autre part, l'article L. 5 du code électoral s'opposant, en toutes circonstances, à l'exercice du droit de vote par les mêmes personnes.

Il apparaît préférable, tout en confirmant le principe de l'incapacité, y compris pour le droit de vote, d'étendre à ce droit la possibilité de personnalisation au profit des personnes qui ne sont pas dépourvues de discernement (tout en maintenant les inéligibilités qui leur sont applicables).

Cette extension permettrait de supprimer ce qui peut être ressenti comme une source d'exclusion par des personnes dont le handicap pour accomplir certains actes de la vie quotidienne n'affecte pas pour autant la capacité de jugement.


Sans doute pourrait-on s'interroger sur l'opportunité de confier à un magistrat le pouvoir de prendre une décision sur le droit de vote d'une personne, les règles d'admission paraissant plutôt devoir être établies de manière objective par le code électoral.

En réalité, les dispositions proposées se limiteraient à étendre au droit électoral le large pouvoir d'appréciation sur la capacité des personnes, déjà reconnu au juge des tutelles par le code civil.

On remarquera d'ailleurs que les tribunaux sont d'ores et déjà compétents pour statuer sur la capacité électorale d'une personne, dans le cadre fixé par la loi, par exemple en prononçant des peines complémentaires d'interdiction du droit de vote et d'inéligibilité.

En tout état de cause, ces dispositions seraient indispensables à une personnalisation du régime de la tutelle, le code électoral ne pouvant pas distinguer les personnes dotées de discernement de celles qui ne le sont pas.

Il convient cependant d'apporter au code électoral les aménagements nécessaires pour que l'autorisation de voter n'ait pas pour conséquence de rendre éligible un majeur sous tutelle.

Comme le relevait en effet M. Bernard Laurent dans son rapport précité sur la proposition de loi de M. Claude Huriet, " on ne peut concevoir qu'un majeur protégé devienne titulaire d'un mandat électif et puisse valablement engager la collectivité, alors qu'à titre personnel, il ne serait pas jugé capable de pourvoir lui-même à l'ensemble de ses propres intérêts ".

L'acte consistant à participer au choix des représentants d'une collectivité ou de la Nation n'est évidemment pas de même nature que celui d'assurer soi-même les charges de la représentation.

Enfin, reste posée la question de savoir s'il ne serait pas préférable, plutôt que d'examiner ponctuellement cette question, de l'étudier dans le cadre d'un projet de loi, révisant les régimes de protection des majeurs, comme a semblé l'envisager Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, lorsqu'elle a donné au Médiateur de la République, le 16 février 1998, son accord de principe sur sa proposition.

Mais, outre une incertitude concernant le calendrier de dépôt et d'examen par le Parlement de ce projet de réforme d'ensemble, il apparaît que celui-ci relèverait d'une loi simple, alors que les propositions de notre collègue M. Jacques Pelletier comprennent aussi, pour être complètes, des dispositions de nature organique.

Votre commission des Lois a donc approuvé, dans ses principes, la présente proposition de loi, en apportant à sa rédaction les quelques aménagements exposés ci-après.

EXAMEN DES ARTICLES

DE LA PROPOSITION DE LOI

Article 1 er
(art. L. 5 du code électoral)
Possibilité pour le juge des tutelles
d'accorder le droit de vote à des majeurs en tutelle

L'article 1 er de la proposition de loi initiale maintiendrait le principe, inscrit à l'article L. 5 du code électoral, selon lequel les majeurs sous tutelle ne doivent pas être inscrits sur une liste électorale, en le complétant afin de permettre au juge des tutelles d'autoriser cette inscription " en application de l'article 501 du code civil ", selon lequel il peut déjà autoriser la personne protégée à accomplir " certains actes ".

Votre rapporteur a exposé que l'inscription sur une liste électorale ne figure pas parmi les actes susceptibles d'être autorisés par le juge, en raison précisément de la rédaction actuelle de l'article L. 5 du code électoral, prohibant cette inscription sans possibilité de dérogation.

La présente proposition de loi, en complétant l'article 5 du code électoral, permettrait donc le relèvement de cette incapacité électorale selon la procédure prévue par l'article 501 du code civil.

Le juge des tutelles peut, suivant cette procédure, assouplir le régime d'incapacité d'une personne, lors de l'ouverture de la tutelle ou dans un jugement ultérieur.

Il prend sa décision d'office ou à la demande de l'intéressé, du conjoint (si la communauté de vie n'a pas cessé entre les époux), des ascendants et descendants, frères et soeurs ou du ministère public, et après avoir recueilli l'avis du médecin traitant.

Le ministère public est présent à tous les stades de la procédure, qu'il peut déclencher à son initiative. Il est informé des étapes de son déroulement, peut demander toute mesure d'information complémentaire, notamment une enquête sociale, donne son avis par écrit avant l'audience à laquelle il peut assister et a le droit d'exercer un recours contre les décisions prises dans le cadre de l'article 501 du code civil.

Pour les raisons précédemment développées, l'article 1 er de la proposition de loi initiale a été approuvé dans son principe par votre commission des Lois. Elle en a cependant adopté une rédaction plus précise.

En effet, l'article 501 du code civil, en application duquel l'autorisation de s'inscrire sur une liste électorale serait donnée , permet au juge d'autoriser le majeur en tutelle à accomplir lui-même certains actes, soit seul, soit avec l'assistance du tuteur ou de la personne qui en tient lieu .

Il convient donc de préciser dans le texte de l'article L. 5 du code électoral que l'intéressé pourrait être autorisé à exercer seul, donc sans l'assistance d'une tierce personne, ce droit de vote .

Cette précision ne ferait naturellement pas obstacle à ce qu'un majeur en tutelle puisse , comme tout électeur, selon l'article L. 64 du code électoral, se faire assister par un électeur de son choix pour l'accomplissement des opérations matérielles de vote , s'il est " atteint d'une infirmité certaine " le mettant dans l'impossibilité d'effectuer seul ces opérations.

De même, le majeur en tutelle , s'il répondait aux conditions fixées par l'article L. 71 du code électoral, pourrait exercer son droit de vote par procuration.

Article 2
(art. L. 199 et L. 200 du code électoral)
Inéligibilité du majeur en tutelle aux élections
cantonales, régionales et à celle des conseillers à
l'Assemblée de Corse

Votre rapporteur a déjà indiqué les raisons pour lesquelles l'auteur de la proposition de loi avait entendu éviter que le droit de vote de certains majeurs sous tutelle n'entraîne leur éligibilité aux différentes élections.

Cette préoccupation est à l'origine des articles 2 à 4 de la proposition de loi.

L'article 2 de la proposition de loi modifierait les articles L. 199 et L. 200 du code électoral, concernant l'élection des conseillers généraux, dont les dispositions sont également applicables aux conseillers régionaux (article L. 340, dernier alinéa du même code) et aux conseillers à l'Assemblée de Corse (article 367, 1 er alinéa de ce code).

Dans sa rédaction en vigueur, l'article L. 199 du code électoral prévoit que les personnes désignées notamment à l'article L. 5 de ce code, donc tous les majeurs en tutelle, sont inéligibles.

L'article L. 200 du code électoral concerne l'inéligibilité des personnes pourvues d'un conseil judiciaire, c'est-à-dire, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs, les majeurs en curatelle.

La modification de l'article L. 5 du code électoral, proposée à l'article 1 er de la présente proposition de loi, en permettant le relèvement de l'interdiction de vote de certains majeurs en tutelle, aurait pour conséquence mécanique, si l'article L. 199 n'était pas modifié, d'exclure du champ de l'inéligibilité les personnes qui auraient bénéficié de cette autorisation, et donc de rendre certains majeurs en tutelle éligibles pour les scrutins concernés.

En conséquence, l'article 2 de la proposition de loi prévoit :

- de supprimer, dans l'article L. 199 du code électoral, la référence à l'article L. 5 du code électoral, puisqu'il ne concernerait plus la totalité des majeurs sous tutelle ;

- de compléter l'article L. 200 du code électoral, pour y mentionner expressément l'inéligibilité de tous les majeurs sous tutelle.

Votre commission des Lois a ajusté la rédaction initiale de l'article 2 de la proposition de loi, par une actualisation de termes (remplacement des " personnes pourvues d'un conseil judiciaire " par les " majeurs en curatelle ").

Article 3
(art. L. 230 du code électoral)
Inéligibilité du majeur en tutelle aux élections municipales

L'article 3 de la proposition de loi modifierait l'article L. 230 (2°) du code électoral, concernant l'élection des conseillers municipaux, dont les dispositions sont applicables à celle des conseillers d'arrondissement de Paris, Lyon et Marseille (article L. 272-1 du code électoral).

Selon l'article L. 230 du code électoral, ne peuvent être élus conseiller municipal, notamment, les personnes privées du droit électoral (1°), ce qui inclut tous les majeurs en tutelle, en l'état actuel de la rédaction de l'article L. 5 de ce code.

Les personnes pourvues d'un conseil judiciaire (2°), donc les majeurs en curatelle, sont également inéligibles.

L'article 3 de la proposition de loi compléterait donc l'article L. 230 (2°) du code électoral pour inscrire expressément l'inéligibilité de tous les majeurs en tutelle, qu'ils soient ou non autorisés à voter.

Comme à l'article précédent, votre commission des Lois a adopté une rédaction actualisée du texte proposé (personnes en curatelle, au lieu de personnes pourvues d'un conseil judiciaire).

Article 4
Application de la loi à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie,
en Polynésie française et dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna

Cet article prévoit l'application des dispositions de la présente proposition de loi dans ces collectivités d'outre-mer.

L'article 2, concernant les inéligibilités des conseillers généraux, ne pourrait recevoir d'application qu'à Mayotte. Il n'est donc pas nécessaire de prévoir son applicabilité aux autres collectivités.

Quant à l'article 3, relatif aux inéligibilités des conseillers municipaux, son application à Wallis-et-Futuna, dépourvu de communes, n'est pas utile.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous propose d'adopter les conclusions qu'elle vous soumet pour cette proposition de loi et qui sont reproduites ci-après.

TEXTE PROPOSÉ PAR LA COMMISSION

Proposition de loi permettant au juge des tutelles
d'autoriser un majeur en tutelle à être inscrit sur une liste électorale

Article 1 er

L'article L. 5 du code électoral est complété, in fine , par les mots : " , à moins qu'ils ne soient autorisés par le juge des tutelles à exercer seuls le droit de vote selon la procédure définie à l'article 501 du code civil ".

Article 2

I. - Dans le texte de l'article L. 199 du code précité, la référence : " L. 5, " est supprimée.

II. - L'article L. 200 du code précité est ainsi rédigé :

" Art L. 200.- Les majeurs en tutelle ou en curatelle sont inéligibles ".

Article 3

Le troisième alinéa (2°) de l'article L. 230 du code précité est ainsi rédigé :

" 2° - les majeurs en tutelle ou en curatelle ".

Article 4

La présente loi est applicable à Mayotte.

Les articles 1 er et 3 sont applicables en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.

L'article 1 er est applicable dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna.

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF

Loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection
du Président de la République au suffrage universel

Art. 3 - L'ordonnance n° 58-1064 du 7 novembre 1958 portant loi organique relative à l'élection du Président de la République est remplacée par les dispositions suivantes ayant valeur organique.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

II Les opérations électorales sont organisées selon les règles fixées par les articles L 1er, L 2, L 5 à L 7, L 9 à L 21, L 23, L 25, L 27 à L 45, L 47 à L 52-2, L 52-4 à L 52-11, L 52-12, L 52-16, L 53 à L 55, L 57 à L 78, L 85-1 à L 111, L 113 à L 114, L 116, L 117, L 199, L 200, L 202 et L 203 du code électoral dans leur rédaction en vigueur à la date de publication de la loi organique n° 95-72 du 20 janvier 1995 relative au financement de la campagne en vue de l'élection du Président de la République, sous réserve des dispositions suivantes.

Le plafond des dépenses électorales prévu par l'article L 52-11 est fixé à 90 millions de francs pour un candidat à l'élection du Président de la République. Il est porté à 120 millions de francs pour chacun des candidats présents au second tour.

Le compte de campagne et ses annexes sont adressés au Conseil constitutionnel dans les deux mois qui suivent le tour de scrutin où l'élection a été acquise. Le Conseil constitutionnel dispose des pouvoirs prévus au premier, au quatrième et au dernier alinéas de l'article L 52-15 et à l'article L 52-17 du code électoral.

Le solde positif éventuel des comptes des associations électorales et mandataires financiers des candidats est dévolu à la Fondation de France.

Le montant de l'avance prévue au deuxième alinéa du paragraphe V du présent article doit figurer dans les recettes retracées dans le compte de campagne.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



1 Proposition de réforme INT 93-04 du 21 juillet 1993 relative à la participation des majeurs sous tutelle.

2 Les conclusions de la commission des Lois sur la proposition de loi organique, concernant uniquement les inéligibilités de nature organique, font l'objet du rapport n° 67 (1999-2000).

3 n°423 (1992-1993)

4 Rapport n° 147 (1993-1994)

5 Voir rapport n° 67 (1999-2000).



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