C. RÉTABLIR L'UNIVERSALITÉ EN MATIÈRE DE DÉPENSES

1. Réintégrer les fonds de concours

L'ordonnance organique comporte des dispositions contradictoires qui ont, en pratique, porté une atteinte très grave au principe de l'universalité du recensement et de l'autorisation des crédits par les lois de finances.

Cette atteinte porte le nom de " fonds de concours " qui, en 1999, ont conduit à exclure 41,6 milliards de francs de crédits 28 ( * ) du champ de la loi de finances de l'année. Si, depuis l'élimination d'un certain nombre de faux fonds de concours principalement destinés au ministère de l'économie et des finances, leur montant s'est réduit -il atteignait 73 milliards de francs en 1996-, le temps est venu de faire cesser une telle pratique.

Dans les faits, la quasi-totalité des fonds de concours est prévisible, une part essentielle d'entre eux venant d'ailleurs des versements en provenance du budget européen.

Il faut en tirer les conséquences et affirmer que, non seulement les fonds de concours constituent l'une des catégories de ressources de l'Etat dont la perception est autorisée par les lois de finances, mais encore que leur produit doit être évalué dans les lois de finances, ainsi que les crédits qui en sont la contrepartie. Il n'y a d'ailleurs pas d'inconvénient à prévoir les conditions pratiques de leur rattachement. En effet, la procédure mentionnée à l'alinéa 3 de l'article 23 de l'ordonnance, la mise à disposition des fonds de concours, lors de leur versement effectif par arrêté du ministre des finances, ne doit pas être considérée comme dispensant le gouvernement d'en évaluer le produit et l'affectation dans les projets de loi de finances.

2. Prendre en compte les artifices budgétaires

a) Dépenses fiscales et ressources affectées aux " satellites " de l'Etat

L'intervention de l'Etat peut emprunter la voie de la dépense publique, mais des solutions alternatives sont strictement équivalentes.

C'est d'abord le cas lorsque l'Etat consent des allégements fiscaux à une catégorie donnée de contribuables. Très heureusement, la dépense fiscale est assez correctement appréhendée. Les dispositifs législatifs en matière de fiscalité en décrivent les mécanismes ; les lois de finances en recensent la nature et le montant à travers le fascicule portant " Evaluation des voies et moyens ".

Cependant, il est indispensable que l'actuel quatrième alinéa de l'article premier de l'ordonnance exige que les conséquences des dispositions législatives ou réglementaires ayant pour effet de réduire les ressources de l'Etat soient, au même titre que pour les charges nouvelles, évaluées et autorisées dans la plus prochaine loi de finances. C'est pour affirmer ce principe qu'il serait proposé de mentionner explicitement cette hypothèse dans l'alinéa en question.

Une seconde solution, strictement équivalente à la dépense, consiste à affecter directement le produit d'une ressource publique à un tiers . En ce cas, les charges de l'Etat sont minorées d'autant. Il en va de même des prélèvements. Cette pratique est sévèrement condamnée par la Cour des comptes. C'est dans les termes suivants qu'elle l'évoque dans sa contribution à la réflexion sur la pertinence des dispositions de l'ordonnance organique 29 ( * ) .

Débudgétisations et démembrements budgétaires

1) Problèmes posés

Cette question importante exige une étude approfondie. On se bornera ici à la mentionner.

Les débudgétisations, ou le recours fréquent à des démembrements de l'Etat pour l'exécution d'opérations qui devraient être réalisées dans le cadre de la loi de finances, constituent parmi les infractions les plus graves aux principes budgétaires. La Cour en dénonce de nouveaux exemples pratiquement chaque année, dans son rapport sur l'exécution des lois de finances. Les structures extrabudgétaires, généralement des établissements publics, qui exécutent des opérations d'intérêt général avec des ressources et pour le compte de l'Etat, tendent à se multiplier, faisant ainsi varier, de manière fréquente et pour des montants très importants, le " périmètre " des lois de finances. Les établissements de défaisance (EPFR, EPRD) (1) ou la création de sociétés-écrans pour réaliser certaines opérations en dehors du budget de l'Etat (cf. dans le rapport sur l'exécution des lois de finances pour 1998, les développements consacrés aux opérations de privatisation du GAN) en fournissent des exemples. Il en est de même dans le domaine social, dans le cadre de la politique de l'emploi mais aussi en raison de la fiscalisation croissante du financement de la protection sociale.

Cette situation est d'autant plus anormale que l'ordonnance de 1959 prévoit des procédures d'affectation, en particulier les comptes spéciaux du Trésor, qui, tout en étant dérogatoires, présentent l'avantage de s'exécuter dans le cadre des lois de finances.

En outre, il n'existe aucune vue d'ensemble sur ces financements éclatés entre des structures diverses qui perçoivent des ressources publiques, pour l'essentiel de nature fiscale, et financent des dépenses également publiques. La coexistence des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale favorise cet émiettement et cette opacité.

(1) EPFR : Etablissement public de financement et de restructuration (Crédit Lyonnais) ;
EPRD : Etablissement public de restructuration et de défaisance (Comptoir des entrepreneurs).

On ne saurait mieux dire. Cependant, la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'a pu, en l'état, que consacrer ces " graves infractions ". Estimant, à juste titre, que l'ordonnance n'interdit pas aujourd'hui l'affectation directe d'une recette publique à une personne morale, le Conseil constitutionnel a été conduit à valider ces affectations, même dans l'hypothèse où leurs bénéficiaires sont des personnes morales de droit privé, dès lors qu'elles sont chargées de missions de service public. Tel a été en particulier le sens de sa décision (décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998) relative à l'instauration d'une taxe d'aéroport dans le cadre de la loi de finances pour 1999.

On pourrait évidemment s'interroger sur la question de savoir si le Conseil n'aurait pas pu tirer d'autres conséquences du texte de l'ordonnance et, en particulier, de son article 18, qui limite strictement les hypothèses d'affectation de recettes, ou bien encore si le Conseil n'aurait pas pu faire application du principe de sincérité budgétaire à ce problème.

Plutôt que de se livrer à des commentaires rétrospectifs, votre commission propose de légiférer clairement pour l'avenir et d'affirmer sans ambiguïté la volonté du législateur organique . Que doit-elle être ?

Garantir le respect du principe d'universalité budgétaire en instaurant les mécanismes propres à assurer le recensement dans les lois de finances et dans les comptes de l'Etat de l'ensemble des opérations financières dont il maîtrise effectivement la survenance et le régime.

Seules deux contraintes s'imposent en la matière.

b) La frontière de la libre administration des collectivités territoriales

La première contrainte est de respecter le principe de libre administration des collectivités territoriales posé à l'article 72 de la Constitution. Il interdit évidemment d'assimiler l'ensemble des opérations financières de ces collectivités dans les lois de finances et le budget de l'Etat. Dans cette perspective, il n'est pas question que les lois de finances :

- déterminent la nature, le montant et l'affectation des charges des collectivités territoriales ;

- fixent le produit des impositions directement affectées aux collectivités territoriales ;

- ou encore autorisent ou règlent le régime des emprunts de ces collectivités.

Il n'interdit pas en revanche de conférer aux lois de finances la tâche de présenter clairement les relations financières entre l'Etat et les collectivités territoriales. La pratique actuelle est globalement satisfaisante de ce point de vue. Les lois de finances autorisent la perception des impositions directement perçues par les collectivités ; elles recensent les financements accordés à elles par l'Etat, qu'il s'agisse de crédits budgétaires ou de prélèvements sur recettes. Il convient de consacrer ces dernières pratiques en instaurant notamment une catégorie spéciale de prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales (voir supra B.5. ).

Il convient aussi de prévoir que les lois de finances peuvent définir les modalités de répartition des concours versés par l'Etat aux collectivités territoriales.

Enfin, les prélèvements obligatoires revenant aux collectivités territoriales doivent faire l'objet d'une information du Parlement.

Votre commission n'a en revanche pas encore tranché la question de savoir si la libre administration des collectivités locales devait aller jusqu'à la liberté de placement de leur trésorerie. Ce problème se posera inévitablement lors de la réforme.

c) La frontière du financement de la sécurité sociale

La seconde contrainte à respecter découle de l'introduction dans notre droit des finances publiques des lois de financement de la sécurité sociale. Elles ont pour objet de déterminer " les objectifs de dépense de la sécurité sociale " et, plus précisément, de l'ensemble des régimes obligatoires de base comptant plus de 20.000 cotisants.

Votre rapporteur souligne d'emblée combien, en matière de dépenses, la portée des lois de finances excède celle des lois de financement de la sécurité sociale . Celles-ci énoncent un simple " objectif " de dépense tandis que les lois de finances comportent une autorisation, voire une obligation, le plus souvent limitative.

Cette différence révèle l'inégal pouvoir du Parlement sur deux domaines importants des finances publiques. Le pouvoir absolu du Parlement en matière de lois de finances se transforme, pour les lois de financement de la sécurité sociale, en un certain effacement. Les justifications apportées à cette situation sont diverses. Elles mériteraient pourtant d'être débattues.

Parmi ces justifications figure traditionnellement le caractère assurantiel de nombre de dépenses de sécurité sociale. Mais celui-ci n'a rien d'universel. En pratique, nombre de ces dépenses sont des dépenses de solidarité, financées à partir d'impôts. Or, le budget de l'Etat comporte des transferts sociaux qui ont la même nature. Il en va ainsi, par exemple, des crédits liés au revenu minimum d'insertion ou à l'allocation pour adulte handicapé (AAH). La France se trouve donc dans une situation invraisemblable où des interventions de même nature sont réparties entre deux textes financiers de portée différente. La vue d'ensemble se brouille et, comme ces textes n'obéissent pas au même régime, les rigueurs plus grandes des lois de finances sont susceptibles d'être contournées par le rattachement de certaines charges aux lois de financement de la sécurité sociale.

Ces commodités excessives atteignent un paroxysme lorsque des organismes sont spécialement créés pour concourir aux financement des régimes de sécurité sociale en marge de presque toutes contraintes . Au terme de la loi organique sur les lois de financement de la sécurité sociale, il appartient sans doute à ces lois de prévoir les recettes de tels organismes. Les difficultés provoquées par cette solution sont signalées par ailleurs. Mais votre rapporteur observe que les dépenses de ces organismes, échappant à la loi de finances, ne sont pas davantage retracées dans les lois de financement de la sécurité sociale. En effet, si celles-ci sont censées fixer les objectifs de dépense des régimes, elles n'ont pas vocation à décider des dépenses des " organismes créés pour concourir à leur financement ".

Or, ces dépenses, assumées par des établissements publics, ou même par des entités innommées, sont en pratique des dépenses qui devraient figurer dans le budget de l'Etat car elles sont rigoureusement celles que, précisément, celui-ci a vocation à retracer.

Certains observateurs ont pu considérer que le fonds de solidarité vieillesse (FSV), qui rembourse depuis 1994 les dépenses vieillesse non contributives, et le nouveau fonds de réforme des exonérations de cotisations sociales (FOREC), qui rembourse, à partir de 2000, les allégements généraux de cotisations sociales et les aides à la réduction du temps de travail, avaient contribué à clarifier le financement de la sécurité sociale. S'il est vrai que ces fonds ont entraîné le regroupement et l'identification de dépenses réparties auparavant entre plusieurs chapitres du budget de l'Etat, les modalités pratiques de mise en oeuvre de ces structures ne sont pas satisfaisantes. Leur instauration induit des discontinuités entre budgets successifs qui altèrent la perception des variations des grandes masses budgétaires. Plus grave, ces fonds entraînent la débudgétisation de recettes et de dépenses de l'Etat avec les conséquences néfastes qui s'ensuivent du point de vue de la transparence financière et des pouvoirs d'intervention du Parlement.

Il est triste de devoir constater que les sources les plus élevées de notre droit des finances publiques n'ont pas su éviter le montage de " tuyauteries financières " indignes de notre démocratie.

Le temps est venu de mettre fin à de tels montages. Les dépenses des organes purement financiers en charge d'interventions de l'Etat-puissance publique, comme dispensateur de ressources issues majoritairement d'impositions de toutes natures, ne doivent plus échapper désormais aux saines contraintes des lois de finances.

* 28 Si l'on en croit le " jaune " annexé au projet de loi de finances pour 2000.

* 29 Cette contribution est jointe en annexe au présent rapport.

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