3. La budgétisation par objectifs ne doit pas négliger le recensement exhaustif des moyens

a) Le niveau d'agrégation des crédits doit permettre un débat sur les moyens

Cette préoccupation n'exclut pas qu'au sein de chaque programme doive subsister une répartition des crédits permettant d'appréhender la nature des grandes catégories de dépenses de l'Etat.

Sur ce point, la proposition de loi organique élaborée par le rapporteur général de l'Assemblée nationale opère une globalisation particulièrement poussée des crédits. Les chapitres étant supprimés, cinq titres permettraient de les décliner : les dépenses de personnel, les dépenses de fonctionnement autres que celles de personnel, les dépenses de transfert, les dépenses d'investissement et les dotations aux pouvoirs publics. Votre commission considère que si la nomenclature budgétaire doit être bâtie sur le souci de simplifier la gestion publique, elle doit aussi, en fixant un cadre précis d'imputation des crédits, fournir un minimum d'informations pertinentes et offrir l'occasion d'amendements ciblés.

Ces exigences ne sont d'ailleurs pas contradictoires. La suppression des chapitres comme unités d'exécution des lois de finances apparaît comme une simplification utile. Elle n'empêche cependant pas que le gouvernement continue de fournir, à titre d'information, la répartition des crédits entre les chapitres qui subsisteront probablement comme référentiels de gestion.

La question du choix d'une nomenclature obéissant à une forte exigence de pertinence est essentielle. Il est clair que la " présentation " des crédits par programmes ne saurait empêcher le débat sur les moyens . Il n'est pas indifférent de connaître la répartition des " inputs " de chaque fonction étatique (dépenses de personnel, d'investissements...) et de disposer du détail des modalités de l'action publique (gestion directe, subventions, prêts...). Ces données doivent pouvoir être débattues et le Parlement doit être en mesure de rendre ses arbitrages. En bref, la budgétisation par objectifs n'a pas pour vocation à écarter du débat le choix des moyens mis en oeuvre.

Votre commission recommande donc que la réforme de la nomenclature budgétaire s'inspire de ces finalités, notamment en retenant une nomenclature raisonnablement diversifiée dans ses rubriques.

Cette diversification est d'autant plus nécessaire qu'elle répondrait aux attentes de votre commission.

Elle appelle à une plus grande exhaustivité des charges recensées par les lois de finances. Elle souhaite en particulier que soient inscrites dans le budget de l'Etat des opérations financières que, jusqu'à présent, il ne retrace pas (les dépenses de remboursement de la dette de l'Etat en particulier). Ce souci d'exhaustivité pourrait conduire à des confusions si la nomenclature budgétaire devait manquer de rubriques. C'est aussi pour conjurer ce risque qu'une nomenclature adaptée doit être imaginée.

b) Le regroupement des crédits par titre doit permettre de distinguer les dépenses ordinaires des dépenses patrimoniales.

Votre commission sollicite également une nomenclature permettant de distinguer clairement les dépenses ordinaires, récurrentes par nature , et les dépenses plus exceptionnelles que l'on peut regrouper, par commodité, sous le vocable de dépenses en capital.

En effet, si la nomenclature budgétaire doit favoriser la lisibilité des actions publiques, elle doit aussi permettre de vérifier la soutenabilité de la politique budgétaire.

Sur ce point, un important débat s'est ouvert au sein de votre commission. Un assez large consensus s'est dégagé pour que, à l'instar des règles applicables aux collectivités territoriales, les lois de finances comportent une présentation du budget permettant de distinguer deux catégories d'opérations, les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement.

De nombreux spécialistes du budget de l'Etat récusent la pertinence de la distinction entre ces deux types de dépenses. Il est vrai que, sur un plan strictement économique, certaines dépenses finançant des biens durables semblent peu productives et ne constituent pas ce " détour de production " qui, définissant les opérations d'investissement des agents économiques, permettrait à l'Etat de hausser le niveau de ses capacités de production. L'exemple des dépenses d'équipement militaire est souvent cité en ce sens. Il est exact qu'en revanche certaines dépenses récurrentes peuvent apparaître, quant à elles, satisfaire ce dernier critère. Pour certains, il en irait tout particulièrement ainsi des dépenses de fonctionnement du ministère de l'éducation nationale.

Cette approche paraît, à l'examen, assez vaine et pourrait être dangereuse. Elle conduirait en effet à justifier le financement de dépenses répétitives par l'emprunt au prétexte que la rentabilité de ces dépenses serait élevée. Ce raisonnement reviendrait, d'une part, à invoquer une donnée difficilement quantifiable, la rentabilité desdites dépenses, et, d'autre part, à éluder la question des contraintes financières dans lesquelles s'inscrit la gestion publique.

La distinction entre les dépenses de fonctionnement et d'investissement doit donc reposer sur des critères comptables simples plutôt que s'attacher à restituer une réalité économique plus intuitive qu'établie fermement. En toute hypothèse, elle appelle une redéfinition de la typologie des charges de l'Etat prenant mieux en compte la distinction entre les dépenses répétitives qu'il assume et les dépenses qui lui procurent un bien durable.

Faut-il aller plus loin et souhaiter que la loi organique pose une règle limitant le montant des emprunts aux dépenses d'investissement ?

Affecter des emprunts au financement de dépenses répétitives constitue en effet un appel à la répétition de ces emprunts au risque, finalement, d'enclencher un mécanisme d'inflation de la dette et d'éviction des dépenses de biens durables.

La " règle d'or "

La règle susmentionnée existe dans plusieurs pays où elle est appliquée à l'Etat. L'article 115 de la loi fondamentale en Allemagne, la " règle d'or " mise en oeuvre au Royaume-Uni, règle selon laquelle sur la durée d'un cycle économique, le gouvernement est tenu de limiter l'emprunt au montant des investissements, en sont deux exemples. En outre, sans être une règle formelle, le rapport entre l'emprunt et l'investissement est l'un des critères d'appréciation de la politique budgétaire dans le cadre de la surveillance multilatérale mise en place au sein de l'Union économique et monétaire.

L'article 104 C alinéa 3 du traité de Maastricht prévoit ainsi que la Commission européenne, en cas de non respect des critères de convergence, examine si le déficit public excède les dépenses publiques d'investissement. Le règlement n° 1466/97 du 7 juillet 1997 du Conseil européen relatif à la surveillance des politiques économiques et budgétaires exige également que les programmes de stabilité ou de convergence fournissent le montant des dépenses publiques d'investissement, parmi les informations demandées sur " les variables économiques importantes qui sont susceptibles d'influer sur la réalisation " de ces programmes 8 ( * ) .

Ainsi, l'introduction de la " règle d'or " dans la loi organique ne manquerait pas de justifications.

Il convient toutefois d'approfondir ce débat qui doit prendre en compte les critères de soutenabilité de la politique budgétaire et certains problèmes techniques.

Il faut, à ce propos, observer qu'en Allemagne, certains observateurs considèrent cette règle comme excessivement laxiste puisque susceptible de déboucher sur une progression du ratio dette/PIB.

Sans doute convient-il également de peser l'intérêt d'autres critères de soutenabilité tels le niveau du solde primaire ou l'évolution des soldes structurel et conjoncturel.

Enfin il faut tenir compte des contraintes techniques, comme la prise en compte des amortissements et des provisions sur biens durables, pour vérifier le respect de cette éventuelle règle nouvelle. En effet, autant l'extériorisation de ces données financières se conçoit aisément, autant le lien entre l'autorisation parlementaire et ces données pose de sérieuses difficultés.

* 8 Voir à ce sujet : Rapport général n° 66 (1998/1999) sur le projet de loi de Finances pour 1999. Tome I pages 50 à 53 - Philippe Marini.

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