D. LA FRAGMENTATION DU POUVOIR AU SEIN DU CONGRÈS

Si le Congrès apparaît comme un pouvoir particulièrement puissant, il s'agit toutefois d'un pouvoir divisé .

En effet, le fonctionnement interne du Congrès et, à l'intérieur du Congrès, le fonctionnement de chaque chambre, reproduit le principe d'équilibre des pouvoirs et des contre-pouvoirs.

• En premier lieu, la Chambre des Représentants et le Sénat disposent, à l'exception de procédures spécifiques (i mpeachment , affaires étrangères notamment), des mêmes prérogatives législatives : les propositions de loi doivent être adoptées en des termes identiques par les deux chambres , y compris en matière budgétaire , sans qu'une l'une ou l'autre des chambres puisse avoir le dernier mot.

En outre, les propositions de lois peuvent être examinées et amendées simultanément par les deux chambres : l'examen des textes n'est donc pas séquentiel comme en France.

Lorsque les deux chambres ont adopté des versions différentes d'un même texte, elles peuvent convoquer une commission mixte paritaire , qui a tous pouvoirs pour rédiger un texte de compromis, soumis ensuite au vote des deux chambres.

En pratique, près de 90 % des textes adoptés ne passent pas en commission mixte paritaire, soit qu'une chambre ait adopté conforme le texte proposé par l'autre chambre (c'est le cas pour les deux-tiers des textes finalement adoptés), soit que la navette ait permis la résolution des différences.

• Le pouvoir est également divisé à l'intérieur de chaque chambre .

Certes le Speaker de la Chambre des Représentants et le leadership de la majorité au Sénat disposent de pouvoirs étendus, et croissants, notamment en matière d'ordre du jour et d'organisation des travaux en séance plénière.

Cependant, le Congrès compte plus de deux cents commissions et sous-commissions permanentes (chaque parlementaire étant membre en moyenne d'une demi-douzaine de commissions ou sous-commissions à la Chambre et d'une douzaine au Sénat), qui disposent de prérogatives étendues.

Ainsi, les amendements des commissions permanentes (aujourd'hui au nombre de 16 au Sénat et 19 à la Chambre, auxquelles s'ajoutent 4 commissions conjointes), ont priorité en séance publique, et leurs avis y sont très fréquemment suivis.

En outre, les propositions de lois ne peuvent pas en principe être examinés en séance publique si elles ne l'ont pas été préalablement en commission. Cette règle, qui ne peut être tournée que par des procédures complexes et rarement réussies, permet notamment aux présidents de commission d'enterrer des propositions de loi en ne les inscrivant pas à l'ordre du jour de leur commission.

Les lois relatives aux droits civils furent ainsi durablement bloquées dans les années 1950 et 1960 par des présidents de commission démocrates du sud (ségrégationnistes), à une époque où le président d'une commission était coutumièrement le membre le plus ancien du parti majoritaire, de sorte qu'une fois en poste il était inamovible, sous réserve bien sûr de sa réélection au Congrès. Cette règle a été récemment supprimée.

La balkanisation du pouvoir au sein du Congrès est encore accrue par la multiplication, notamment à l'initiative du leadership de la majorité, de groupes d'études ad hoc plus ou moins informels concurrençant de facto certaines commissions, ainsi que par les conflits entre commissions .

En effet, les compétences des commissions sont fréquemment enchevêtrées .

En particulier, la procédure budgétaire distingue a priori des commissions dépensières ( Authorization committees ), chargées d'examiner le principe et les contours des politiques publiques, et des commissions responsables de l'examen respectivement des crédits, des recettes, et des équilibres budgétaires.

Cependant, les sous-commissions de la commission de chaque chambre en charge des crédits tendent souvent à légiférer au fond, donc à empiéter sur les compétences des commissions « dépensières ».

• Par ailleurs, les droits de la minorité sont remarquablement garantis au Congrès. Le chef de la minorité de chaque commission ( Ranking minority member ) dispose ainsi des mêmes prérogatives que le président de la commission en matière de saisine des agences du Congrès, de conduite des auditions ou de communication de documents. Il dispose du choix du recrutement d'au moins un tiers des collaborateurs politiques de la commission. Il peut imposer l'audition par la commission de certaines personnes de son choix. Les membres individuels des commissions bénéficient également d'un temps de parole garanti de cinq minutes lors des auditions.

En outre, à l'exception des commissions mixtes paritaires, les rapports des commissions doivent obligatoirement reproduire les observations éventuelles de tous les minoritaires qui le souhaitent. Le règlement intérieur de chacune des deux chambres précise également que ces rapports doivent contenir certaines informations d'intérêt général, comme les estimations de coût réalisées par le Congressional Budget Office (CBO) ou diverses études d'impact. Ces rapports reproduisent aussi le plus souvent les auditions préalables de la commission, les commentaires écrits transmis par les administrations fédérales concernées, ainsi que des annexes techniques (tableaux comparatifs, notes techniques).

Par ailleurs, si la majorité dispose d'un vaste arsenal pour maîtriser les débats à la Chambre (par exemple la limitation du nombre d'amendements), il n'en est pas de même au Sénat, où la minorité, voire même des Sénateurs agissant à titre individuel, peuvent freiner, sinon bloquer les débats.

A titre d'exemple de techniques d'obstruction ( filibuster ) on peut signaler que les orateurs ne peuvent être interrompus au Sénat s'ils continuent de parler (le record - plus de 24 heures d'affilée - appartenant à un Sénateur opposé à aux droits civiques) ; que les Sénateurs peuvent a priori déposer des amendements sans lien avec le texte examiné ; enfin, qu'il est toujours possible à un Sénateur d'interrompre les débats en demandant la vérification et le respect du quorum.

La menace du recours à ces diverses techniques d'obstruction constitue ainsi à la fois un moyen efficace pour contraindre la majorité à renoncer à des dispositions controversées, et une invite au compromis .

• Enfin, pour compléter cet exposé de la fragmentation du pouvoir au sein du Congrès, il convient de souligner que le système partisan est beaucoup plus souple qu'en France et que la discipline de vote partisane est relativement lâche , notamment au Sénat.

En effet, les partis ne disposent guère de moyens de pression sur les membres du Congrès, qui se déterminent souvent en fonction de considérations politiques locales ou de convictions personnelles. A titre d'exemple, on peut ainsi mentionner que dix Représentants démocrates ont voté en mars 2001 en faveur du programme fiscal annoncé par le Président Bush et soutenu par les républicains.

Il n'est d'ailleurs pas rare qu'un parlementaire change d'avis en cours de séance après un discours particulièrement convaincant, et il est fréquent que les débats en séance publique s'accompagnent de tentatives fébriles de persuasion des indécis de la part des leaderships républicains et démocrates de chaque chambre.

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