B. DES PAYS TRÈS AVANCÉS

Toutefois, en dépit des réformes visant à accroître la gestion par la performance, il convient de noter l'insuffisance de leurs conséquences sur d'éventuelles modifications de la procédure budgétaire, y compris dans les pays les plus avancés. En fait, le lien entre la gestion par la performance et les conditions de la budgétisation initiale des crédits est encore trop lâche 13 ( * ) .

1. Vers l'établissement d'une comptabilité d'exercice

Certains pays, les plus avancés dans leur processus de réformes budgétaires et comptables, ont mis en place une comptabilité d'exercice, s'approchant des méthodes comptables en vigueur dans le secteur privé. Toutefois, même ceux-là n'en ont pas tiré toutes les conclusions en termes de budgétisation initiale des dotations budgétaires.

• La Nouvelle-Zélande est sans doute le pays de l'OCDE qui est allé le plus loin dans la mise en ouvre de réformes rapprochant la comptabilité de l'Etat de celle d'une grande entreprise privée.

Ces réformes, en particulier le Public Finance Act , placent au coeur de la nouvelle procédure budgétaire l'exigence de résultat, notamment appréciée au regard de deux notions :

- l' « output » : il s'agit des résultats mesurables sur le court terme, désignant les biens et services produits par les ministères ou les agences ;

- l' « outcome » : il s'agit d'apprécier, sur le long terme, l'impact et les conséquences pour la société des activités du gouvernement.

La rapidité avec laquelle les changements les plus significatifs sont intervenus, essentiellement entre 1984 et 1990, a exercé une sorte de fascination sur les observateurs extérieurs. En 1993, le rapport sur la compétitivité mondiale a ainsi classé la Nouvelle-Zélande au premier rang des pays de l'OCDE pour la qualité de son administration. Le rapport de l'OMC 14 ( * ) sur l'examen des politiques commerciales du pays souligne positivement la réforme administrative mise en oeuvre.

Des réformes conduites dans des délais très courts

Les réformes budgétaires et comptables néo-zélandaises ont été effectuées sur une période extrêmement brève, en particulier au regard de leur ampleur :

- un mois pour publier les principes de la réforme ;

- quatre ans pour effectuer des expérimentations ;

- deux ans pour généraliser le rendu des comptes de l'Etat et des collectivités territoriales selon les règles de la comptabilité d'exercice ;

- deux ans pour généraliser le budget patrimonial à l'ensemble des administrations.

• Comme le note le rapport François de 1998, « la Suède a été le troisième pays de l'OCDE derrière la Nouvelle-Zélande et l'Islande, à engager une réforme complète de son système budgétaire et comptable dès le début des années 1980 », même si « cette réforme est la poursuite d'un long processus de formalisation et de réflexion sur les procédures de management publics et les outils budgétaires et comptables » . Il est d'ailleurs fort intéressant de relever que l'introduction de la gestion par résultat résulte d'une décision prise en 1988 par le Parlement suédois.

La Suède est ainsi passée progressivement à un système d'exercice complet et cohérent pour l'ensemble de son secteur public, dit Accrual Accounting and Budgeting System : d'abord les agences, puis les municipalités, puis les ministères. Elle a d'abord pratiqué le reporting en comptabilité d'exercice, chaque ministère se dotant d'états financiers tels qu'un bilan, un compte de résultat, un tableau de financement, un état des dépenses en capital, puis a ensuite utilisé un système de budgétisation patrimoniale.

L'un des volets essentiels de la réforme concerne le calcul du coût complet des services , qui doit permettre d'allouer de façon optimale les dotations budgétaires votées. Il convient toutefois de souligner que la Couronne n'a pas encore adopté le système de la budgétisation patrimoniale, à la différence des autres administrations suédoises : pour elle, la notion de crédits budgétaires reste donc primordiale, ce qui a provoqué les critiques du National Audit Office relatives à la coexistence d'une comptabilité de caisse et d'une comptabilité d'exercice.

Le coût complet des services en Suède

Le coût complet des services comprend les éléments suivants : le coût de l'immobilier (loyer réel qui finance notamment la dotation aux amortissements), le capital charge qui rémunère l'immobilisation du capital par l'application d'un taux d'intérêt sur la valeur des actifs immobilisés, les provisions et garanties.

La création d'une agence de la dette chargée de porter la dette publique a facilité la prise en compte du coût du capital, notamment pour les agences qui empruntent auprès d'elle les crédits nécessaires à la réalisation de leurs investissements courants. Le coût de la dette est donc directement intégré dans les calculs de coûts.

Les retraites sont régies par le régime de la répartition. Seule la dotation pour le paiement de la tranche annuelle des pensions à verser figure au budget et dans les calculs des coûts complets des services. Les engagements futurs au titre des retraites ne se trouvaient pas au bilan consolidé de la Couronne mais figuraient en information hors-bilan. Toutefois, ces engagements figurent au bilan depuis 1999 et figuraient déjà dans le bilan des principales agences. Mais, d'une manière générale, le traitement du financement des retraites futures reste le principal handicap des finances publiques suédoises, qui n'est pas encore résolu. Plusieurs hypothèses sont examinées, notamment l'introduction de mécanismes de capitalisation, même limités au niveau des agences.

La valorisation est le prix du marché pour les immobilisations corporelles. La méthode du coût historique introduit un amortissement linéaire selon le type d'immobilisations : 30 à 40 ans pour les actifs immobiliers, 3 à 7 ans pour l'informatique et 5 à 10 ans pour les biens meubles.

Source : rapport Le système financier de l'Etat en question de M. Jean-Jacques François.

Toutefois, l'IGF, dans son rapport précité, considère que, « en l'état actuel de son développement, la gestion du secteur public suédois par la performance, en dépit des nombreuses démarches initiées depuis 1988, n'est pas un processus abouti ». Elle en pointe les trois limites : les capacités d'expertise limitées des ministères, les insuffisances des instruments de reporting , et les déficiences de la fonction d'audit.

En outre, une nouvelle procédure budgétaire a été introduite. Elle repose sur deux éléments :

- la détermination triennale en glissement d'un plafond global de dépenses, ventilées entre 27 chapitres correspondant à des politiques publiques définies ;

- une approche se traduisant par une succession de dotations budgétaires votées par le Parlement sur proposition du gouvernement, puis reprises par les ministères et agences ; le point essentiel porte sur l'obligation, en cas de dépassement des enveloppes prédéfinies, de prendre des mesures se traduisant soit par le gel de certaines dépenses, soit par l'instauration de nouvelles recettes afin de préserver l'équilibre initialement déterminé.

Ces modifications budgétaires importantes n'ont cependant pas permis un rapprochement suffisant de la procédure budgétaire et de la gestion par la performance. Comme l'indique le rapport précité de l'IGF, « l'articulation de la gestion par la performance avec la ventilation des dotations budgétaires aux ministères gestionnaires demeure marginale », ajoutant que « dans la phase initiale d'établissement du cadrage budgétaire pluriannuel, les demandes adressées par les ministères dépensiers au ministère des finances ne contiennent que des informations financières, sans référence aux résultats ».

• Comme le note le rapport de l'IGF précité, au Royaume-Uni , « l'effort considérable réalisé en matière de constitution d'indicateurs de résultats et de gestion sert de socle à une constante rénovation de la gestion publique, du travail gouvernemental et du contrôle démocratique ».

En effet, l'introduction de la « comptabilité de ressource » est l'aboutissement d'une série de réformes visant à alléger le poids des services de l'Etat et de l'administration centrale par une politique de privatisations et de création d'agences gérées selon les règles de la comptabilité d'exercice. L'objectif affiché était plus ample que l'adoption des techniques de la comptabilité d'exercice, puisqu'il s'agissait d'apporter des informations supplémentaires en termes de flux financiers, d'actifs et de dettes.

Les réformes entreprises ont une ancienneté déjà certaine. En 1982, l'Initiative pour la gestion financière a marqué le début d'une réforme générale d'amélioration de la gestion financière des ministères, l'objet étant de déléguer de la façon la plus large possible la responsabilité des budgets et du contrôle financier aux unités et à leurs responsables hiérarchiques. En 1986, l'Étude pluri-départementale de budgétisation a conduit les responsables administratifs à fixer les priorités, à gérer les ressources, à contrôler les performances et à évaluer régulièrement les résultats de leurs services. La généralisation de la comptabilité de ressources a ainsi été avantagée par des expériences passées, mais aussi par l'usage des normes comptables du secteur privé et des droits constatés au sein des agences et des collectivités locales.

La réforme patrimoniale a ainsi été relancée en 1994 dans un souci d'amélioration de la gestion de l'administration, allant bien au-delà d'une démarche de transparence. Elle comporte trois axes :

- optimiser la gestion des ressources dans l'administration : par le calcul du coût complet des produits et services rendus, la mesure de la performance, ou encore la mise au point d'un inventaire exhaustif des propriétés de l'Etat destiné à optimiser la gestion des actifs ;

- accroître la budgétisation des ressources des administrations, l'objectif étant de coupler la réforme comptable et la réforme budgétaire ;

- renforcer la responsabilité de l'administration à l'égard du Parlement et des contribuables, grâce, notamment, à une normalisation comptable.

Toutefois, la mise en place de cette réforme a souffert de contraintes techniques (défaillances dans la mesure des résultats et des performances, concertation tardive et insuffisante, décalage de la réforme comptable et de la réforme budgétaire...) mais aussi de contraintes politiques (réticences des ministères, traditionnellement très autonomes, à suivre le ministère des finances, et hésitations du Parlement).

En outre, l'articulation de la gestion par la performance et le calibrage des moyens budgétaires s'est révélé relativement délicate. Certes, en 1998, chaque ministère a dû passer sous revue ses dépenses et engager une réflexion sur leur véritable utilité (procédure de Comprehensive Spending Review ). La même année, il a également présenté et expliqué ses objectifs, ceux-ci faisant l'objet d'un engagement de résultats du ministre (procédure des Public Service Agreements ).

Mais ces réformes sont relativement récentes, et, comme le relève l'IGF dans son rapport précité, « malgré les intentions affichées, le chaînage entre les indicateurs utilisés à des fins de pilotage interne (par les agences notamment) d'une part, et les indicateurs globaux utilisés pour mesurer les résultats des ministères d'autre part, reste très imparfaitement réalisé », d'autant plus que « l'état d'avancement inégal du processus d'établissement des coûts par objectifs rend encore incertaine la réalisation effective d'une nomenclature opérationnelle du budget par objectifs ».

Au total, les réformes introduites recouvrent une dimension encore trop politique, et manquent de conséquences pratiques pour la gestion des crédits ministériels. Toutefois, et ce n'est pas le moindre des enseignements de l'expérience britannique, comparée notamment à la France, le contrôle exercé par le ministère des finances a changé de nature : il est passé d'un contrôle de régularité de la dépense à un examen régulier et précis des résultats et de la gestion de leurs dotations par les ministères.

2. L'élaboration d'indicateurs de résultats pertinents destinés à améliorer l'information financière

• Un vaste mouvement de modernisation de l'administration a été enclenché aux Etats-Unis au début des années 1990, ce pays étant de toute façon l'objet d'importantes réformes administratives depuis les années 1950.

Il convient d'insister sur le fait que c'est une loi, le Government and Performance Results Act de 1993, qui a fixé le cadre d'un système de gestion par la performance dans l'administration fédérale américaine : en prévoyant une planification par objectifs et la création d'indicateurs de résultats, cette loi visait à rendre possible la présentation de comptes-rendus annuels de performance par les ministères et institutions publiques à compter de 2000.

Le Government Performance and Results Act

En 1993, le Congrès a voté le Government Performance and Results Act , dont l'application est étalée dans le temps, et qui comporte d'importantes innovations :

- depuis 1997, cette loi oblige les agences fédérales à préparer et à présenter au Congrès des plans stratégiques pour 5 ans ;

- depuis l'exercice budgétaire 1999, un plan de performance couvrant l'ensemble des activités gouvernementales ainsi que des plans sectoriels rédigés par chaque agence doivent également être présentés au Congrès : ils doivent établir des objectifs mesurables, décrire les moyens de les atteindre, définir des indicateurs de suivi, des outils d'évaluation et de révision in itinere ;

- depuis mars 2000, chaque agence doit être en mesure de remettre au Congrès un bilan annuel de mise en oeuvre du plan de performance établi douze mois plus tôt ; en cas d'échec dans la réalisation de certains objectifs, les agences doivent en rechercher les causes, et formuler de nouvelles idées ;

- le directeur de l' Office of Management and Budget est chargé de désigner des agences pilotes devant anticiper la mise en place des plans stratégiques, des plans de performance et des bilans annuels pour la période 1994-1996 ;

- il est également chargé de choisir les agences pilotes pour la mise en oeuvre en 1998-1999 de projets de budgets de performance, consistant en des propositions budgétaires présentant les résultats qu'il serait possible d'escompter pour des montants différents de dotations budgétaires ; cette expérience devait être généralisée en 2001 en cas de conclusions positives.

Le calendrier de cette réforme a été respecté grâce à une forte implication de l'administration et à une réelle volonté politique, concrétisée notamment par la constitution d'une équipe placée sous l'autorité directe du vice-président Al Gore. Il convient d'ajouter que la priorité a été donnée aux indicateurs d'impact socio-économiques, plutôt qu'aux indicateurs d'activité ou de productivité, afin de donner de réelles orientations aux politiques publiques. Par ailleurs, la forte implication des corps d'audit, qu'il s'agisse des inspections générales des administrations ou du General Accounting Office , assure la qualité des systèmes d'informations sur les performances et la fiabilité des données. La diffusion d'une culture de résultats au sein de l'administration fédérale américaine, en soutenant un véritable effort d'explication des objectifs poursuivis par les administrations et les services publics, constitue un moyen d'exercice du contrôle démocratique.

Toutefois, ces profondes réformes ont été réalisées sans modifications importantes des procédures juridiques et budgétaires. Il convient en particulier de noter l'absence de budgétisation en fonction des résultats. Les concepteurs des réformes n'étaient pas tant intéressés par une refonte de la nomenclature que par une réflexion sur l'utilité de la dépense publique. Cela présente d'ailleurs une limite qui tient à la faible prise en compte, au moment de la budgétisation, des résultats de la gestion par la performance.

• L'expérience du Canada en matière de gestion de la performances est « riche », selon l'expression de l'IGF.

Un système de gestion de la performance a été introduit à partir de 1997, et avait pour but de rendre l'administration plus efficace mais aussi d' améliorer l'information du Parlement , ce second volet constituant une spécificité de la réforme canadienne.

Le système de la gestion des dépenses au Canada

Le système de la gestion des dépenses, introduit au début des années 1980, concerne la procédure budgétaire. Il comportait trois innovations :

- la mise en place d'un processus de planification budgétaire, reposant sur des objectifs de financement pluriannuels et sur la pratique de la réaffectation des ressources provenant des programmes les moins prioritaires ;

- des informations sur le rendement des programmes, visant à accroître la responsabilité des ministres gestionnaires, et très largement diffusées ;

- la suppression des « réserves centrales d'intervention » : il est désormais impossible à un ministère d'obtenir des crédits supplémentaires en cours d'année.

Ce système, fortement influencé par les expériences australienne et néo-zélandaise, tendait à améliorer le contenu des rapports remis au Parlement sur les résultats de l'administration.

La réforme des systèmes de gestion et de contrôle des finances a en effet reposé sur un axe directeur dénommé « stratégie d'informations financières », qui poursuit un objectif de clarté dans l'établissement et la reddition des comptes, afin d'aider les ministères à obtenir des informations à même d'améliorer la qualité de la prise de décisions : il s'agit d'une sorte d'audit des comptes publics. Sont notamment élaborés deux types de rapports : des rapports sur les plans et les priorités, qui présentent les objectifs visés par chaque département ministériel, puis des rapports sur le rendement, qui exposent les résultats obtenus par rapport aux engagements initiaux, et qui font partie des documents annexés au fascicule budgétaire du ministère concerné.

Toutefois, le rapport de l'IGF précité note que « les rapports sur le rendement n'ont pour le moment pas d'influence dans l'attribution des ressources ». Ils ne sont toutefois pas sans effet, car ils contribuent à améliorer le contrôle de gestion au sein des ministères.

• L' Australie présente la même spécificité que l'Allemagne : l'Etat fédéral y est nettement en retard sur les Etats fédérés, même si le premier s'inspire des seconds pour mettre en oeuvre sa propre réforme tendant à établir un système budgétaire d'exercice. Toutefois, sur ce dernier point, ce pays est beaucoup plus avancé que l'Allemagne.

Le renforcement de la mesure des coûts et des performances se traduit par l'importance accordée aux « outcomes », effets produits et finalités des actions administratives. Cet aspect montre bien l'influence de l'expérience néo-zélandaise, quoique l'originalité du cas australien tient dans l'importance du pragmatisme : concertation entre le ministère des finances et les ministères gestionnaires, conseils auprès de cabinets du secteur privé, introduction progressive des réformes, actions de formation... Il convient également de souligner la forte implication du Parlement, dont le rôle a consisté à arrêter la stratégie générale et à se préoccuper de l'appréciation des performances des services : les responsabilités de l'administration s'en sont trouvé accrues, mais en contrepartie de l'obligation de rendre des comptes. Le débat politique s'est indéniablement élevé, notamment au moment du vote du budget, le Parlement s'intéressant bien plus aux finalités des politiques publiques qu'à leurs coûts.

* 13 Cf. le compte-rendu, annexé au présent rapport, de l'audition en commission de M. Henri Guillaume, inspecteur général des finances.

* 14 Organisation mondiale du commerce.

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