C. AUDITION DU PROFESSEUR THIERRY PHILIP, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES CENTRES DE LUTTE CONTRE LE CANCER, DE M. DOMINIQUE MAIGNE, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL ET DE M. LAURENT BORELLA, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL ADJOINT DE LA FÉDÉRATION

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Nous allons maintenant entendre le Professeur Thierry Philip.

Je ne vous présenterai pas, car je crois que vous-même et votre fédération êtes connus de tous nos conticoyens.

Pr. Thierry PHILIP - En introduction, je souhaiterais vous expliquer les axes d'action de la Fédération des centres de lutte contre le cancer.

La Fédération regroupe 20 centres implantés dans 16 régions françaises, parmi lesquels figurent trois centres à Paris, deux dans les Pays de la Loire et deux dans la région Alpes-Côtes d'Azur. Créés en 1945, les centres ont fait l'objet en 1993 d'un rapport de l'IGAS qui a très clairement posé la question de leur survie. C'est pour cette raison qu'une génération de jeunes directeurs a utilisé l'outil de la Fédération pour faire ce que les Anglais appellent du House Keeping. Cette opération a déjà été étudiée par le rapport du sénateur Oudin qui soulignait la progression dans la qualité et la structuration régionale des centres de lutte contre le cancer.

Plusieurs axes d'action ont été identifiés.

La refondation sociale - En trois ans, nous avons dénoncé puis négocié notre convention collective qui était ancienne et chère. Cette action nous a permis de réaliser un gain de productivité important. Nous avons négocié des accords de réduction du temps de travail dans le cadre des lois Aubry I et II. 600 emplois ont ainsi été créés. Nous avons également négocié la réduction du temps de travail pour les médecins et mis sur pied une convention nationale pour les médecins qui a été agréée et mise en oeuvre le 1 er janvier 2001. Notre refondation sociale a totalement transformé la gestion des ressources humaines dans les centres. Nous sommes, à ce jour, la seule fédération professionnelle de tout le secteur sanitaire et social à bénéficier d'une convention collective moderne.

Les Standards, Options et Recommandations (SOR) représentent aujourd'hui plus de 8.000 pages de texte, qui définissent pour chaque cancer, depuis le diagnostic jusqu'à la surveillance du traitement, le Standard s'il existe. A cet égard, il convient de noter qu'une fois sur deux en cancérologie, il n'est pas possible de définir de standards thérapeutiques. En l'absence de standards, nous listons les Options, qui peuvent être au nombre de dix pour une seule maladie. Lorsque les Options sont listées, nous formulons des Recommandations quant au choix d'une ou deux d'entre elles. Ces SOR sont disponibles en monographie sur l'Internet. Ils ont largement été publiés dans la littérature cancérologique française. Le monde entier nous les envie. L'Europe souhaite les traduire dans toutes les langues de l'Union. Depuis deux ans, nous avons également mis en place des SOR Patients, c'est-à-dire que nous avons traduit ces documents dans des termes accessibles aux patients.

Le bureau d'études cliniques et thérapeutiques a été créé en 1994 par le Professeur Maraninchi. 10.000 patients ont été impliqués dans des essais thérapeutiques qui ont fait l'objet de publications dans les plus grandes revues internationales. Ces essais contribuent aux avancées de la recherche clinique, et ce en toute indépendance et avec le soutien essentiel de la Ligue nationale contre le cancer, qui a également apporté son aide pour l'opération SOR.

En ce qui concerne l'accréditation, nous avons choisi la méthode canadienne. Plusieurs centres ont d'ores et déjà été accrédités, parmi lesquels figure un centre ayant reçu les félicitations du jury.

Le réseau d'échange de Données médicales, économiques et sociales (DOMES) établi entre les 20 centres permet de réaliser des comparaisons, selon la méthode du benchmarking.

Le registre hospitalier - Ce réseau national appelé « enquête permanente cancer » permet de disposer d'un registre hospitalier des malades traités dans les centres depuis 20 ans.

Cette opération d'house keeping a conduit la Fédération à mener un deuxième projet sur la période 2000-2003. Ce projet concerne les mêmes axes d'actions, mais il a toutefois été complété par un nouvel axe : la labellisation. Cette opération concerne un hôpital ou un réseau déjà accrédité. A cet égard, nous cherchons à définir les procédures nécessaires à l'accréditation et, dans un second temps, à évaluer les résultats de ces procédures en nous plaçant du point de vue du malade. Le manuel de labellisation des centres est en cours de réalisation en collaboration avec des partenaires européens du domaine de la cancérologie. Ce document sera rendu public à la fin 2001. Cette étude permettra d'évaluer les résultats des traitements cancérologiques. Pendant 2001, nous allons, d'une part créer une école francophone européenne de cancérologie et, d'autre part accroître, via les réseaux de soins, les coopérations avec les CHU et les structures privées.

La Fédération cherche à promouvoir un modèle pluridisciplinaire de prise en charge du cancer. Les centres anticancéreux du XXIe siècle seront des centres de soins accrédités et labellisés par l'ANAES, des centres de recherche labellisés par l'INSERM ou le CNRS, des centres d'enseignement liés à l'université et des centres de santé publique qui s'intéresseront à la prévention, au dépistage, à la formation du patient et à la décision partagée avec les patients. Ce dernier point sera certainement l'un des points clés de la relation médecins-patients au cours des années à venir.

Ce modèle de prise en charge est maintenant largement reconnu. Le très bon rapport de la Cour des comptes souligne le chemin parcouru par les centres depuis 1993 et montre la reconnaissance par les acteurs extérieurs d'un modèle qui est en train de s'imposer partout.

La deuxième question que je souhaitais aborder était de situer le « plan cancer » par rapport à la stratégie de la Fédération. L'influence de ce plan a été nulle sur cette dernière. Bien au contraire, puisque la Fédération a contribué à l'élaboration du plan. Le « plan cancer » présente toutefois de nombreux aspects positifs. Il a d'une part aidé au rapprochement entre les structures et à la clarification des objectifs nationaux pour la lutte contre le cancer. Il a d'autre part permis de rappeler que le cancer était le problème de santé publique n° 1 puisqu'en dix ans trois personnes sont mortes du variant de l'ESB, 36.000 personnes sont mortes du SIDA, 80.000 d'un accident de la route et 1,5 million de personnes sont mortes du cancer.

Le « plan cancer » est issu d'une réflexion conduite par des professionnels dans le cadre du CERCLE et initiée il y a trois ans à Deauville. A cette occasion, les participants ont pu conclure qu'aucun objectif n'avait été défini en matière de lutte contre le cancer. Dans ce contexte, le discours de Mme Dominique Gillot prononcé le 1 er février 2000 a permis de répondre à cette attente en fixant des objectifs cohérents. Tous les mots clés ont été évoqués : prévention, dépistage, soins, innovations, recherche, psycho-oncologie, soins palliatifs, douleurs, réinsertion sociale, soins terminaux et respect de la personne. Comme tous les professionnels, nous nous sommes réjouis que les politiques nous indiquent des objectifs définissant ainsi une ligne de conduite pour tous les acteurs concernés.

Le problème du « plan cancer » ne porte pas sur les objectifs mais davantage sur les moyens. Nous sommes parfaitement capables de comprendre qu'un plan sur cinq ans annoncé en février 2000 ne puisse prendre aucune mesure significative avant début 2001. Toutefois, la volonté d'agir a été incontestable puisqu'une enveloppe de 500 millions de francs a été allouée aux activités liées à la chimiothérapie. Des enveloppes plus modestes ont également été accordées pour la psycho-oncologie, la douleur, les soins palliatifs, l'étude de la littérature et les SOR -qui ont reçu deux millions de francs.

Le problème est que ces moyens n'ont pas bénéficié d'enveloppes spécifiques. Deux difficultés sont alors apparues. La première concerne la péréquation régionale qui a été appliquée de façon mécanique, alors que, de toute évidence, elle ne devait pas l'être dans ce domaine. La région Ile-de-France s'est alors vu attribuer une enveloppe fléchée sur les médicaments dans une péréquation très défavorable alors qu'un nombre important de patients sont soignés dans les établissements de cette région. La seconde a été remarquablement résumée par une ARH : « l'argent du plan cancer est devenu fongible dans la fongibilité ». Les centres de lutte contre le cancer pouvaient espérer recevoir au minimum 150 millions de francs. Or à cause d'une simple règle de proportionnalité, ils ne recevront que 25 à 35 millions de francs pour la chimiothérapie, selon que l'on inclut ou non les contrats d'objectifs. L'argent destiné à la lutte contre le cancer ne bénéficiera donc pas aux patients cancéreux. Le ministre est incontestablement conscient du problème, mais il n'en demeure pas moins que le circuit n'a pas fonctionné.

Le second exemple porte sur la psycho-oncologie, dont l'enveloppe de dix millions de francs a été « saupoudrée », au point que la Corse, par exemple, n'a reçu que 50.000 francs. Que peut faire cette région avec une telle somme ?

Face à de telles situations, les parlementaires doivent nous aider à ce que l'argent soit isolé dans le budget 2002, qu'il soit inscrit dans les circulaires, de manière notamment à ce qu'une vraie enveloppe de 500 millions de francs soit distribuée sur le terrain de ceux qui font de la chimiothérapie. Enfin, il est indispensable que des mesures soient prises en direction de la radiothérapie.

En tant que professionnels, nous avons le désir d'éclairer les hommes politiques afin que les malades du cancer soient mieux traités et bénéficient de moyens plus importants.

M. Claude HURIET, président de la mission - Le compte rendu de cette journée, mais également celui des auditions non publiques, seront l'objet d'un rapport publié par cette commission vers la fin juin.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je vous remercie de cet exposé précis.

M. Charles DESCOURS - Je ne comprends pas votre point de vue sur la labellisation, dans la mesure où l'ANAES a pour rôle d'évaluer et d'accréditer. Quelle est donc la différence entre la labellisation et l'évaluation qui devrait être réalisée par l'ANAES ?

Par ailleurs, et au risque de vous décevoir, l'individualisation des enveloppes nécessite une réforme législative qui ne pourra être appliquée pour le budget 2002. Nous voyons bien que les professionnels, comme les législateurs, souhaitent les mêmes mesures visant à renforcer l'efficacité des budgets.

Pr. Thierry PHILIP - L'accréditation est certes une très bonne chose, mais dans ce domaine la France se distingue très nettement puisque l'accréditation est assurée par l'intermédiaire d'un organisme d'Etat. Or la qualité dans le monde entier reste du domaine des professionnels. L'accréditation réalisée par l'ANAES ne permettra pas de tenir les délais, puisque, dans le meilleur des cas, la première vague d'accréditation sera achevée en 2007.

L'ANAES est consciente du fait que la seconde étape de ce processus, prévue jusqu'en 2012, porte sur l'accréditation des réseaux. D'ici cette date, personne n'abordera les problèmes liés au cancer. Or nous n'avons pas le temps d'attendre. Nous voulons donc dès aujourd'hui aborder la qualité dans notre métier. De plus, étant quelque peu libéral, il serait temps que des organismes privés assurent efficacement la prise en charge de ces questions. Nous poursuivrons ce projet, avec l'espoir qu'il soit celui des professionnels et surtout celui des malades. Enfin, ce sujet de la labellisation nous permettra d'aborder un sujet fondamental : la survie. Nous serons ainsi en mesure de dire si tel ou tel établissement respecte au moins le standard en vigueur. Dans le cas où la réponse est négative, des éléments d'explication devront alors être identifiés.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Quelles sont les principales actions engagées par les centres de lutte contre le cancer en ce qui concerne la prévention et le dépistage ?

M. Dominique MAIGNE - De par la loi, les CRLCC ont une mission de prévention qui s'organise principalement autour de l'enquête permanente cancer qui représente la seule étude d'épidémiologie hospitalière en cancérologie existant en Europe. En effet, cette étude inclut les cas de tous les patients qui ont été vus depuis plus de 40 ans dans l'ensemble des centres de lutte contre cancer. La Fédération est aujourd'hui le pilote et le gestionnaire de cette enquête, qui, grâce aux moyens électroniques modernes, connaît une phase de réactivation tout à fait sensible.

Si les centres sont des acteurs de prévention, ils sont avant tout des acteurs de soins.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Les actions de prévention sont-elles coordonnées avec d'autres intervenants (médecine de ville, milieu hospitalier, régimes de sécurité sociale, collectivités publiques) ? Comment est assuré, ensuite, le suivi des malades ?

Plus généralement, pourriez-vous nous faire part de votre opinion sur les réseaux de soins coordonnés en matière de lutte contre le cancer ?

Pr. Thierry PHILIP - Nous sommes évidemment des hôpitaux sans tabac. Nous avons donc participé à toutes les campagnes de prévention sans tabac, et ce, en lien direct avec les universités et les CHU. Nous avons également un lien marqué avec la Ligue nationale contre le cancer. A cet égard, je citerai le centre EPIDAURE situé à Montpellier, qui représente LE centre dans le domaine de la recherche sur la prévention. EPIDAURE travaille bien sûr sur les principaux thèmes de la prévention primaires, comme le tabac, l'alimentation, l'amiante et les cancers professionnels. Il faut reconnaître que les 19 autres centres ont encore insuffisamment mis en oeuvre les outils développés à EPIDAURE, qui est devenu depuis cette année le centre des références de la Fédération.

Les actions de prévention sont difficiles à mettre en oeuvre dans un hôpital. Depuis cinq ans, nous avons donc décidé de nous concentrer sur le groupe des malades à hauts risques, et plus particulièrement sur celui des malades à risques génétiques. Les centres ont été les premiers à mettre en oeuvre des consultations génétiques. Ils ont également développé des plates-formes de diagnostic. Dans ce cadre, nous travaillons en lien avec les conseils généraux de manière à évaluer les études de dépistage.

Enfin et pour nuancer les propos de M. Marty, il y a effectivement une mise en oeuvre du dépistage du cancer du sein. A cet égard, j'ai participé à trois réunions organisées en Rhône-Alpes depuis le début de cette année. Le « plan cancer » prévoit de généraliser le dépistage. Or cette mesure est effective dans seulement un ou deux départements par région. Il serait donc intéressant d'étendre les expériences positives aux départements qui ne connaissent pas la même réussite. Il n'est donc pas tout à fait juste de dire qu'il ne se passe rien. En Rhône-Alpes, le dépistage sera effectif dans les huit départements d'ici la fin de l'année.

Par ailleurs, il serait pertinent de s'interroger sur le contenu réel de la politique de dépistage. Tout le monde sait que le dépistage du sein est à encourager. Chacun sait également qu'une mammographie doit être réalisée tous les deux ou trois ans. Or des mammographies réalisées tous les six mois continuent d'être remboursées. On continue de ne pas investir pour des femmes qui n'ont subi aucune mammographie depuis dix ans. Face à un tel contexte, il conviendrait de se poser des questions. Doit-on rembourser en dehors de l'évaluation ? Si oui, la généralisation du dépistage paraît inutile. Si non, il est impératif de lier l'évaluation au remboursement.

Dans le cas des cancers du col, la situation est encore plus nette, puisque certaines personnes bénéficient en une année de trois dépistages remboursés par la sécurité sociale. Or il est également possible de constater que certaines femmes issues de milieu socio-économique défavorisé présentent non seulement des risques supérieurs à celles bénéficiant de trois dépistages par an, mais de plus n'ont bénéficié d'aucun dépistage depuis 20 ans.

La stratégie politique de dépistage doit donc être clairement définie. Je suis convaincu qu'une telle politique restera un voeu pieux tant que la sécurité sociale n'appliquera pas une politique de remboursement plus cohérente.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - La Cour des comptes met en évidence les effets négatifs d'une nomenclature inadaptée des actes en matière de lutte contre le cancer. Partagez-vous cette analyse ? Si oui, quelles seraient les modifications qu'il conviendrait alors d'apporter à cette nomenclature ?

M. Dominique MAIGNE - Sur ce point, notre réflexion est sensiblement similaire à celle des professionnels, notamment du secteur hospitalier. Dans le cadre du projet portant sur le catalogue commun des actes médicaux (CCAM), un programme important de refonte des nomenclatures libérales et hospitalières a été mis en place. En termes de mesures des actes, ce travail est aujourd'hui terminé. Pour les pouvoirs publics, il s'agit désormais de valoriser les échelles et d'en faire de la tarification. En ce qui concerne le caractère discriminant des échelles en matière de radiothérapie par exemple, nous sommes tout à fait en phase avec la production réalisée dans le CCAM. Compte tenu de la production du catalogue classique de la NGAP, le problème actuel porte sur la valorisation. Ce problème relève directement de la puissance publique et n'entre par conséquent pas dans le champ d'action de la Fédération.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Vous avez toutefois des opinions sur ce sujet.

M. Dominique MAIGNE - Nous pensons que la valorisation doit respecter les échelles, telles qu'elles ont été produites. Celles-ci valorisent davantage aujourd'hui la qualité des procédures que l'importance par exemple du faisceau de radiation dans le domaine de la radiothérapie.

Pr. Thierry PHILIP - Une question portait sur la part que représentaient les centres dans l'activité cancer. A cet égard, deux chiffres peuvent vous être fournis.

M. Laurent BORELLA - La Fédération a signé un certain nombre de conventions, dont l'une d'elles avec le réseau des registres français de cancérologie. En 1995, les cas de nouveaux cancers étaient estimés en France à 240.000 par an. Ce chiffre sera sans doute en augmentation en 2000. Les centres voient passer -la prise en charge n'étant pas totale- 64.000 nouveaux cas chaque année, soit 25 % du total. Je rappelle que l'activité cancer représente 15 à 20 % de l'activité d'hospitalisation publique et privée toutes pathologies confondues.

Les centres se concentrent sur quelques localisations. Ainsi, le cancer du sein, avec 19.000 nouveaux cas chaque année, est pris en charge pour moitié par les centres. Le cancer des voies aérodigestives supérieures concerne 5.400 personnes dans les centres, soit 28 % du total national. Le cancer de l'appareil génital féminin représente 4.300 nouveaux cas chaque année, soit 33 % du total national. Enfin, plus de 40 % des tumeurs rares sont pris en charge par les centres.

Je n'ai pas les chiffres exacts en matière de cancers dits en situation évoluée. Mais la position des centres dans ce domaine est loin d'être négligeable.

M. Claude HURIET, président de la mission - Le rôle pionnier de la Fédération dans le domaine des standards, options et recommandations (SOR) peut-il être expliqué par le statut particulier des centres, qui permettrait de prendre davantage d'initiatives et d'assurer une plus grande capacité de mobilisation ? Ou cela peut-il être expliqué par la qualité des hommes engagés dans cette croisade ?

Par ailleurs, quelle est la diffusion des SOR ? Ces standards sont-ils reconnus comme référence par l'ensemble des structures ayant en charge le traitement du cancer ? Il serait en effet important de savoir si l'adhésion est présente ou non, et de connaître les raisons d'une telle situation.

Pr. Thierry PHILIP - Pour vous répondre très honnêtement, je ne crois pas que le statut soit un élément d'explication. Il convient davantage de se tourner vers le rapport de l'IGAS qui nous a mis en cause et nous a donc forcés à prouver notre utilité. Cette nécessité a représenté un moteur considérable pour nos actions.

Par ailleurs, nous nous sommes aperçus que s'il n'était pas facile de mobiliser les médecins sur des questions économiques, la mobilisation était plus simple lorsque les questions portent sur la qualité dans leur métier. Le travail portant sur les SOR a été considérable pourtant nous n'avons jamais payé personne pour le réaliser. La simple capacité de se réunir pour travailler sur la démarche de qualité dans son métier représente en effet un réel facteur de mobilisation vis-à-vis des médecins.

Les SOR sont-ils diffusés ? Oui et non. Nous travaillons beaucoup sur la diffusion. A cet égard, nous avons conclu un accord avec la Fédération hospitalières de France, et ce à la fois avec les CHU et les CHG. Nous avons également contracté un accord avec le privé qui participe à la relecture des SOR. Nous avons par ailleurs réalisé un effort important dans la diffusion des SOR auprès des centres de lutte contre le cancer.

Les SOR sont un outil qui permet d'implémenter une démarche de qualité. Dans le cas du réseau ONCORA situé en Rhône-Alpes, le thésaurus qui implémente les SOR représente 500 pages. Nous avons réalisé une étude portant sur la situation avant et après la mise en place des SOR. Nous avons ainsi pu constater une modification significative des pratiques dans le centre anticancéreux de cette région. Nous avons également pu observer des déviations, portant notamment sur le fait que nous réalisions un nombre excessif d'examens. Nous avons réalisé un plan d'assurance qualité au centre Léon Bérard. Si un effort identique était réalisé à l'échelle du territoire français en matière de surveillance de cancer du sein, la sécurité sociale réaliserait une économie de 200 millions de francs.

Le plan d'assurance qualité a également été mis en place dans quatre hôpitaux de Rhône-Alpes tirés au sort avant et après la procédure. Ont ainsi été concernés par l'opération les hôpitaux de Chambéry et de Roanne, une clinique privée à but lucratif de Lyon et la clinique mutualiste de Saint-Etienne. Nous avons ainsi pu montrer des résultats positifs similaires et des déviations que chacun des centres connaît et à partir desquelles chacun a pu construire son plan d'assurance qualité. Il est intéressant de noter que la nature de ces déviations varie selon les centres.

Lorsque nous avons voulu publier un article sur cette opération, l'équipe américaine n'a l'a pas retenu, en raison notamment de l'absence de témoins. Nous avons alors choisi une région française qui n'avait pas mis en place les SOR. Nous avons procédé à une enquête identique qui a montré que les pratiques n'avaient absolument pas évolué entre les deux périodes. Pour que les SOR soient véritablement appliqués, un travail considérable reste donc à accomplir.

M. Charles DESCOURS - Le nombre d'échographie remboursée est limité à deux. Existe-t-il des pratiques identiques en matière du col ou du sein ?

Pr. Thierry PHILIP - Il existe en effet des bonnes pratiques, mais elles ne sont pas opposables.

M. Charles DESCOURS - Il faudra que nous soulevions ce point lors des prochaines réunions portant sur les lois de financement.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Quelle est votre opinion sur la proposition de la Ligue nationale contre le cancer d'associer les malades à l'élaboration des protocoles thérapeutiques ou des standards de traitement afin de créer, à terme, une charte des bonnes pratiques entre médecins et malades ?

M. Dominique MAIGNE - La Fédération travaille depuis le début du projet en partenariat avec la Ligue nationale contre le cancer. Un comité de patients a ainsi été mis en place afin de réfléchir à la gestion des essais cliniques. Cette instance représente une interface entre les cliniciens, la Fédération et les patients destinée à gérer en amont et aval de l'essai tous les aspects impliquant les patients dans la recherche clinique.

Un autre thème de coopération avec les patients a porté sur les SOR-Savoirs-Patients qui sont des SOR destinés aux patients. Ces outils existent dans deux pathologies : le cancer du sein non-métastatique et le neuroblastome. Des SOR d'autres domaines sont en cours de rédaction.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je vous remercie.

Pr. Thierry PHILIP - Je souhaiterais prononcer quelques mots en matière de radiothérapie, car la Fédération représente un acteur important dans ce domaine. La situation actuelle est particulièrement difficile, car dès le départ, seuls 100 appareils nouveaux nous ont été proposés. Or deux tiers des appareils ont plus de 10 ans. Le remplacement de ces appareils nécessite la mise en place d'un système de financement. Par ailleurs, la pyramide d'âge et les effectifs de thérapeutes en formation sont tels que dans 10 ans, la moitié des services de radiothérapie sera fermée. Personne ne nous écoute sur ce sujet. Il en va de même pour les physiciens, qui ne sont absolument pas reconnus comme indispensables à la pratique de la radiothérapie.

Je précise que l'application de la loi sur les 35 heures ne facilite pas ce contexte difficile. Le « plan cancer » n'a donc pour le moment pas répondu aux difficultés auxquelles font face les professionnels de la radiothérapie.

M. Lucien NEUWIRTH, rapporteur - Je vous remercie. Je voudrais apporter un témoignage personnel sur la qualité de vos établissements, et plus particulièrement sur celui de Léon Bérard à Lyon.

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