VI. LES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES : LES OUBLIÉS DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE

En février 2000, le Sénat avait constitué une commission d'enquête (aux travaux de laquelle votre rapporteur spécial avait pris part) sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France. Les conclusions avaient été accablantes, comme en témoigne le titre donné alors au rapport : « Prisons, une humiliation pour la République ». Ce rapport insistait notamment sur la nécessité de réhabiliter le parc pénitentiaire et de mettre fin aux sous-effectifs chroniques en matière de surveillants et de personnel administratif et technique liés aux vacances de postes.

Un an après la publication de ces travaux, que s'est-il passé ? Cette question a servi de fil conducteur à votre rapporteur spécial lorsqu'il a visité les établissements pénitentiaires du Haut-Rhin, à savoir les maisons d'arrêt de Colmar et de Mulhouse et la maison centrale d'Ensisheim.

Il a dû constater que très peu de mesures ont été prises en faveur de ces trois établissements qui restent très délabrés et sont confrontés à de grosses difficultés dans la gestion du personnel.

A. LES « POUBELLES » DE LA RÉPUBLIQUE

1. Des établissements souffrant d'un sous-effectif chronique

* La maison d'arrêt de Colmar

Pour surveiller plus d'une centaine de détenus, les effectifs du personnel de surveillance sont les suivants :

- 40 postes budgétaires de surveillants. En réalité, un poste est vacant et un surveillant est en congé longue durée. En outre, 5 surveillants au moins occupent des postes qui n'ont rien à voir avec la surveillance pour combler le manque de personnel administratif et technique. Ainsi, deux surveillants sont chargés de la maintenance de l'établissement. Lorsque votre rapporteur spécial s'est rendu dans cet établissement, 5 surveillants étaient admissibles au concours de 1 er surveillant. S'ils réussissent ce dernier, ils devront quitter la maison d'arrêt, qui verra ainsi ses effectifs encore réduits ;

- 4 postes de premiers surveillants. Toutefois, deux sont partis en retraite l'été dernier et un troisième a été muté à la maison d'arrêt de Strasbourg. Quant au quatrième, l'exercice d'un mandat électoral le conduit à être souvent absent 20 ( * ) ;

- un poste de chef de service 1 ère classe (qui est le chef d'établissement) ;

- un chef de service 2 ème classe (adjoint au chef d'établissement).

Ce sont donc le chef d'établissement et son adjoint qui suppléent en partie les vacances de poste de premier surveillant.

La situation du personnel administratif est également très tendue.

Une seule personne assure le secrétariat d'administration et d'intendance. Elle est tellement surchargée qu'elle a dû reporter ses congés d'été 2001 au mois de janvier 2002 : de mars 2001 à janvier 2002, elle n'aura donc pas pris une seule semaine de vacances.

La maison d'arrêt dispose d'un agent technique de service 1 ère classe  dont les tâches sont très polyvalentes. Ainsi, il s'occupe du greffe alors qu'il n'en a pas le droit statutairement. Un 2 ème poste a été créé, mais il faudrait maintenant qu'il soit pourvu.

Deux vacataires administratifs sont censés compléter les effectifs de la maison d'arrêt. Toutefois, l'une est en congé de maternité depuis juin dernier et ne reviendra que le 19 novembre prochain. L'autre a réussi un concours administratif et a été nommée à la direction régionale de Strasbourg. Or, cette vacation ne pourra pas être remplacée.

D'autres exemples témoignent des besoins criants en matière de personnel. Ainsi, 1,3 conseiller d'insertion et de probation a en charge 118 détenus. De même, un seul adjoint technique est préposé aux cuisines, ce qui signifie que lorsqu'il est absent, il doit être remplacé par un surveillant.

* La maison d'arrêt de Mulhouse

Un directeur et un directeur adjoint assurent la direction de la maison d'arrêt. L'effectif théorique des surveillants s'élève à 136. En réalité, ils ne sont que 131, dont 8 sont affectés dans un service administratif ou technique et n'occupent donc pas des fonctions de surveillance. En conséquence, plus de 400 heures supplémentaires sont effectuées chaque mois par les surveillants.

Les sous-effectifs de surveillants à la maison d'arrêt de Mulhouse :
des conséquences directes sur les conditions de détention

Les exemples suivants montrent que les détenus sont les premiers à souffrir des sous-effectifs en matière de personnels surveillants.

Dans le quartier « hommes », les détenus sont deux par cellule alors que trois étages de détention sont inoccupés. En effet, l'établissement ne dispose pas d'effectifs suffisants en surveillants pour assurer la sécurité dans ces trois étages.

Faute d'effectifs suffisants, aucune ronde de nuit n'est organisée dans le quartier des détenus primaires (détenus qui n'ont encore jamais fait l'objet d'une incarcération). Pourtant, il s'agit d'une population très fragile psychologiquement et particulièrement exposée aux tentatives de suicide.

Les horaires des parloirs sont limités (du lundi au vendredi et seulement les après-midi) en l'absence de surveillants en nombre suffisant pouvant être affectés à la surveillance des parloirs.

Dans ces conditions, on peut légitimement se demander comment l'administration pénitentiaire compte appliquer la loi sur la réduction du temps de travail, qui exigerait la création de 5 à 6 postes de surveillants supplémentaires.

La maison d'arrêt de Mulhouse comporte un quartier « mineurs ». 2 surveillants et un gradé y sont affectés, mais selon la direction, 5 agents seraient nécessaires pour couvrir toute la semaine et le week-end.

Comme dans tous les établissements pénitentiaires, le personnel administratif et technique est notoirement insuffisant pour faire face à ses missions, ce qui oblige la direction à renforcer son effectif avec des surveillants. Alors que la maison d'arrêt aurait besoin de 7 agents techniques (un responsable technique, un agent affectés aux cuisines, un métallier, un électricien, un plombier, un maçon et un agent polyvalent), ils ne sont que 3.

De même, pour une population pénale de plus de 300 personnes, les effectifs administratifs s'élèvent à 10 seulement, dont un vacataire travaillant à 70 % et un fonctionnaire travaillant à 60 %. Selon la direction, pour accomplir correctement les tâches administratives de la maison d'arrêt, il faudrait disposer d'un attaché d'administration, de 5 chefs de service et de 10 agents administratifs qui seraient chargés du secrétariat, de la gestion du personnel, des traitements, de l'économat, de la comptabilité, du greffe, etc.

* La maison centrale d'Ensisheim

Près de 220 personnes sont incarcérées à  la maison centrale d'Ensisheim. Pour gérer cette population pénale, elle dispose des effectifs budgétaires suivants : un directeur, deux directeurs adjoints, 15 personnels administratifs, 5 personnels techniques, 4 personnels d'insertion, un psychologue et 125 personnels de surveillance.

Toutefois, ses effectifs réels sont plus restreints. Ainsi, le deuxième poste de directeur adjoint est vacant depuis sa création au mois d'avril dernier. Sont également vacants un poste de secrétaire administratif et deux postes d'agent administratif. Sur les cinq postes de personnel technique, seul le poste de chef de travaux est occupé. Ainsi, il n'y a plus d'agent affecté au cuisine ni au mess (ils ont été remplacés par des surveillants).

Depuis octobre 2000, il n'y a plus de psychologue. Faut-il pourtant rappeler que sur les 220 détenus, 64 font l'objet d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, 13 ont des peines de plus de 20 ans à purger et 119 des peines de plus de 10 ans 21 ( * ) ? La présence d'un psychologue apparaît donc indispensable, aussi bien pour le soutien psychologique des détenus que pour le maintien de l'ordre dans l'établissement.

De même, seuls deux postes d'assistante sociale sur trois sont pourvus.

En ce qui concerne les personnels de surveillance , il existe un poste en surnombre de chef de service pénitentiaire (ils sont donc 5 au lieu de 4). Au contraire, sur les 10 premiers surveillants, trois postes sont vacants tandis qu'un premier surveillant est en réalité instructeur. Il n'exerce donc pas ses fonctions en détention. Pour pallier ces carences, un surveillant a été désigné en raison de son ancienneté pour faire fonction de premier surveillant, même s'il n'en a pas le grade.

Quant aux surveillants, on pourrait à première vue penser qu'ils bénéficient de 4 postes en surnombre puisqu'ils sont 112 au lieu de 108 (effectifs budgétaires). En réalité, 7 surveillants sont mis à disposition par d'autres établissements. En outre, sur les 112, trois sont en congé maladie, un est arrêté pour accident de travail, un est en congé de longue maladie et un sert de premier surveillant. L'effectif réel est donc de 106.

* Les vacances de poste : la recherche d'explications

Votre rapporteur spécial ne peut que regretter ces écarts entre l'effectif budgétaire, qui tend déjà à sous-évaluer les besoins en personnels administratifs et techniques et l'effectif réel.

Les représentants de l'administration pénitentiaire interrogés à ce sujet ont souligné que la région Alsace avait des difficultés à attirer des fonctionnaires. Parce qu'il s'agit d'une région relativement prospère, les agents de l'administration pénitentiaire qui en sont originaires sont sous-représentés. En conséquence, une grande partie des fonctionnaires des établissements pénitentiaires d'Alsace sont directement issus des concours et n'ont donc pas pu choisir leur affectation. Comme ils viennent souvent d'une autre région, ils demandent rapidement leur mutation. Les mouvements de personnels sont donc fréquents.

Ce constat ne constitue cependant qu'une explication partielle de l'écart structurel entre les effectifs budgétaires et les effectifs réels. Comme a rappelé la direction de la maison d'arrêt de Mulhouse, l'administration reconnaît un « taux de compensation calculé pour les besoins du service » qui correspond à un pourcentage d'effectifs supplémentaires nécessaire pour compenser les différentes absences : attribution de congés annuels, congés maladie, accidents du travail, autorisation d'absence pour événements familiaux, exercice de droits syndicaux, formation etc. Pour les personnels de surveillance, ce taux est proche de 20 %. L'administration le connaît, pourtant, elle n'en tient pas compte dans le calcul des effectifs.

* 20 Pour cette raison, il avait demandé à travailler à 70 %, mais cette demande a été refusée.

* 21 Il s'agit de chiffres tirés du rapport d'activité de 1999, dont les proportions restent pertinentes.

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