E. LES INTERROGATIONS ACTUELLES SUR LE STATUT DES MAGISTRATS DU PARQUET

1. Conserver la qualité de magistrat aux membres du parquet, un sentiment unanimement partagé au sein de la magistrature

Une réflexion sur le champ d'intervention du juge ne saurait faire l'économie de la question du statut du parquet et d'une éventuelle séparation des carrières entre le siège et le parquet .

On rappellera brièvement que le système judiciaire français permet à l'ensemble des magistrats de bénéficier d'une formation commune et de prêter un serment identique lors de leur entrée en fonction.

Néanmoins, le rôle, le mode de nomination et les relations avec la Chancellerie diffèrent selon que le magistrat relève du siège ou du parquet.

Ainsi que le souligne M. Jean-Paul Collomp, inspecteur général des services judiciaires, « le métier de poursuivre n'est pas le même métier que celui de dire le droit ».

La mission du ministère public consiste en effet à exercer l'action publique, à diriger les enquêtes, à contrôler la police judiciaire en matière pénale et à agir pour la défense de l'ordre public en matière civile.

Les rôles dévolus au siège et au parquet sont donc très différents . Les magistrats du siège et ceux du parquet exercent donc deux métiers nettement distincts .

M. Pierre Vittaz, président de la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel s'est d'ailleurs fait l'écho de cette différence lors de son audition : « le juge est un arbitre entre des positions antagonistes qui opposent la société à des particuliers ou des particuliers entre eux [...]. Le procureur n'est pas un juge, mais un magistrat [...] ».

Contrairement aux magistrats du siège qui sont inamovibles, les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des Sceaux dont ils dépendent et qui peut, en outre, adresser des instructions aux procureurs généraux.

En dépit des divergences fonctionnelles et statutaires qui caractérisent ces deux métiers, la mission, au cours de ses auditions et lors de ses déplacements, a pu constater que le principe selon lequel les fonctions dévolues au parquet devaient être exercées par des magistrats, garants des libertés publiques et de l'intérêt général , n'était pas contesté au sein de la magistrature.

Tous les magistrats rencontrés par la mission ont estimé que le ministère public était détenteur d'un véritable pouvoir juridictionnel , notamment s'agissant de l'opportunité des poursuites, ce qui justifie pleinement qu'il ne soit pas assimilé à un corps de fonctionnaires .

L'Association des magistrats du parquet a, lors de son audition, indiqué que le ministère public ne pouvait être réduit à une simple partie poursuivante alors que certaines de ses missions naturelles, au demeurant renforcées par la loi du 15 juin 2000 précitée, les portaient vers la protection des libertés individuelles , notamment à travers le contrôle des gardes à vue, la visite des locaux de garde à vue et l'aide aux victimes.

Une décision du Conseil constitutionnel n° 93-326 DC du 11 août 1993 est allée dans ce sens en affirmant que « l'autorité judiciaire qui, en vertu de l'article 66 de la Constitution assure le respect de la liberté individuelle comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet . » M. Pierre Truche, président de la Commission de réflexion sur la justice mise en place en 1997, s'est clairement prononcé en faveur du maintien de la qualité de magistrat aux membres du ministère public 66( * ) .

La plupart des magistrats du parquet ont, en outre, fait valoir devant la mission que leur rôle ne pouvait se résumer à celui de simple accusateur public mais s'étendait au contraire à la défense de l'intérêt général . « Il n'est pas rare que des magistrats du parquet qui ne sont pas convaincus de la solidité d'un dossier refusent de requérir une peine. » 67( * ) Ils ont également indiqué devoir enquêter à charge et à décharge .

M. André Ride, président de la Conférence nationale des procureurs généraux, a également pointé le risque qu'une séparation des carrières ne conduise à un affaiblissement de l'autorité et de la légitimité du magistrat du parquet non seulement vis à vis de ses interlocuteurs naturels (gendarmerie et police), mais également à l'égard de ses autres interlocuteurs extérieurs (préfet, élus locaux).

En revanche, d'autres acteurs extérieurs à l'institution judiciaire même, en particulier certains officiers de police judiciaire (commissaires de police) et certains avocats, souhaiteraient faire prévaloir un système à l'anglo-saxonne dans lequel, d'une part, les avocats ont un poids déterminant dans l'enquête 68( * ) et, d'autre part, les membres du parquet sont des fonctionnaires.

Un tel schéma conduirait les membres du ministère public à perdre leur qualité de magistrat pour devenir des fonctionnaires de l'Etat dotés d'un nouveau statut particulier.

La mission d'information tient à souligner la nécessité de conserver la qualité de magistrat aux membres du parquet.

La question plus spécifique des liens du parquet avec la Chancellerie n'a pas été évoquée devant la mission d'information, mais mériterait à elle toute seule un long développement 69( * ) .

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