2. Des antagonismes marqués

Au-delà de la simple indifférence qui semble s'installer entre ces deux professions, la mission a pu constater l'existence d'antagonismes marqués.

a) Les critiques des magistrats à l'égard du comportement de certains avocats

Certains magistrats entendus par la mission ont fait état d'un changement d'état d'esprit chez les avocats les plus jeunes .

Ainsi un chef de juridiction écrit-il : « l'on avait coutume de dire qu'aucune procédure ne pourrait prospérer sans respect des usages du palais, de la courtoisie entre gens de robe, de la confraternité entre avocats, du respect mutuel des fonctions de chacun. Si tel est toujours le cas avec les représentants de l'ordre des avocats, dans les prétoires, les dernières évolutions mettent parfois à mal cette conception ».

De même, M. André Ride, président de la Conférence nationale des procureurs généraux, a confirmé à la mission cette détérioration des relations entre les magistrats et les avocats : « nous, procureurs généraux, constatons qu'il existe un réel problème. Nous sommes en effet chargés de la discipline des avocats et des auxiliaires de justice d'une manière générale. Nous recevons des juridictions des informations selon lesquelles des tensions sont nées entre magistrats et avocats. Elles ont toujours existé, mais étaient autrefois atténuées par une courtoisie naturelle [...]. On peut en effet observer deux types de comportements : des comportements agressifs -je n'hésite pas à employer le terme- à l'audience à l'égard du ministère public et des comportements moins loyaux que ce à quoi l'on pourrait s'attendre de la part des avocats vis à vis des magistrats du siège ».

Cette situation s'explique en partie par la précarité économique et financière qui frappe certains avocats et qui les conduit ainsi à radicaliser leur attitude à l'égard des magistrats et à perdre la distance que l'on pourrait attendre de la part d'un avocat à l'égard de son client.

De nombreux magistrats reprochent également aux avocats certains manquements déontologiques , qui s'illustrent à travers la multiplicité des actes de procédure parfois inutiles .

Là encore, les difficultés économiques éprouvées par certains avocats qui, pour survivre, « poussent à l'acte » constituent le principal facteur d'explication. « Faire de la procédure pour faire de la procédure » tend à devenir une pratique de plus en plus répandue . La défense est devenue un marché très concurrentiel compte tenu de l'augmentation de la demande de droit et du nombre des avocats.

Ainsi que le souligne un chef de juridiction, « les incidents de procédure provoqués à dessein, les prises à partie personnelles, dans la presse ou à l'audience, sont de plus en plus mal vécus par les magistrats visés. »

Un tel constat a amené la mission à se poser une nouvelle fois la question d'une éventuelle limitation du nombre des avocats et de l'opportunité d'instaurer un tarif afin de remédier à des dérives qui trouvent leurs sources dans des difficultés économiques.

Une autre critique adressée aux avocats par les magistrats a également porté sur leur manque de fiabilité . Ainsi que l'a regretté M. André Ride, « lorsqu'un avocat cite un arrêt, nous ne devrions pas à avoir à envisager de vérifier la réalité de cet arrêt. Si un avocat l'a inscrit, mentionné dans son dossier, c'est qu'il doit être vrai. »

Une telle description ne saurait laisser indifférent. Le raidissement des relations magistrat-avocat est une réalité. Il paraît donc indispensable que les principaux responsables de chaque profession à l'échelon local ou national veillent à restaurer un climat de confiance réciproque afin d'éviter une dislocation de la communauté judiciaire préjudiciable au bon fonctionnement de la justice.

b) Des avocats en proie à l'indifférence des magistrats

En écho aux appréciations sévères adressées aux avocats, les magistrats ont eux-même été sous les feux de critiques.

Un certain nombre d'avocats a en effet imputé aux magistrats certaines des difficultés rencontrées dans l'exercice de leur profession.

La Conférence des bâtonniers estime que « de trop nombreux magistrats considèrent les avocats avec hostilité et développent à leur encontre une attitude discourtoise ».

En outre, les avocats se plaignent d'être insuffisamment associés à la vie de la juridiction . L'organisation des audiences fait figure de principale accusée et nuit à la qualité du travail de l'avocat : tous les justiciables sont convoqués à la même heure et sont condamnés à attendre leur tour en compagnie de leur avocat qui ne peut dès lors assister à d'autre audiences ou même travailler ses dossiers.

La Conférence des bâtonniers a mis en lumière la difficulté d'évaluer le travail de l'avocat dans le cadre de son activité judiciaire compte tenu des principes séculaires d'organisation prévalant dans les juridictions.

Cette situation a abouti à la multiplication des demandes de renvoi, un tiers des renvois étant imputable aux barreaux d'après la Chancellerie.

Quelques pistes intéressantes ont été suggérées et la mission souhaiterait les voir généralisées à l'ensemble des juridictions, notamment :

- la mise en place de contrats de procédure entre les barreaux et la juridiction afin de raccourcir les délais de traitement ;

- le remplacement de la plaidoirie en matière civile au profit d'une procédure plus interactive, plus sobre et moins longue . Un magistrat de la cour d'appel de Bordeaux a jugé très positif le déroulement de certaines audiences civiles sous forme de questions-réponses.

Une simplification du déroulement des audiences civiles s'avère indispensable pour renforcer la qualité de la justice. Pourrait être envisagée l'instauration d'une procédure nouvelle prévoyant la remise d'observations écrites par l'avocat quelques jours avant l'audience, d'une part, et une limitation du temps de parole de l'avocat 169( * ) , d'autre part.

A l'audience, ne seraient évoqués que les points essentiels du dossier accompagnés d'explications techniques. Cette réforme a été instituée en Allemagne, de même qu'elle a été mise en place au tribunal de commerce de Paris. Elle semble produire des résultats satisfaisants.

Les avocats entendus par la mission se sont déclarés prêts à se livrer à cet exercice tout en soulignant qu'il impliquerait des efforts tant de la part des magistrats, placés dans l'obligation de connaître préalablement le contenu du dossier, que de la part des avocats, assujettis à des exigences nouvelles ;

- un renouvellement de la procédure de la mise en état en matière civile, qui reste actuellement cantonnée à des questions purement administratives et pourrait être l'occasion d'un échange sur le fond entre les auxiliaires de justice et les magistrats ;

- l'institution d'une mise en état sommaire en matière pénale 170( * ) , qui permettrait d'améliorer l'audiencement des affaires et d'officialiser les conférences d'audiencement pénal informelles réunissant à la fois les magistrats (du siège et du parquet), les greffiers, les avocats, et destinées à organiser les temps d'audience, les heures de citation et la durée prévisible des audiences.

L'ensemble de ces suggestions a conduit la mission à préconiser une meilleure association des avocats à l'organisation de la juridiction et au bon déroulement des procédures par le biais d'une simplification et d'une rationalisation du déroulement des audiences tant civiles que pénales.

Le constat d'une évidente dégradation des relations, accrue sans doute par le manque de moyens affectant les juridictions, n'est toutefois pas majoritaire.

Il apparaît néanmoins urgent d'éviter une aggravation de la situation et d'initier les réformes nécessaires à la restauration d'un esprit de courtoisie et plus encore, d'un climat de confiance, qui doivent prévaloir dans les relations entre les différents acteurs de la justice.

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