B. LA DIFFICILE APPLICATION DE L'ACCORD DE PAIX D'ALGER TRADUIT UNE TENSION PERSISTANTE AVEC L'ETHIOPIE

Les dispositions retenues à Alger prévoient une délimitation de la frontière entre l'Erythrée et l'Ethiopie par une commission arbitrale, ainsi que le déploiement sur cette frontière d'une force des Nations Unies pour garantir le cessez-le-feu.

En dépit de ces appuis, la situation entre les deux pays semble loin d'être normalisée.

1. Le tracé de la frontière commune est inégalement accepté

La commission arbitrale, composée de juristes européens, a rendu ses conclusions le 13 avril 2002. Celles-ci sont fondées sur les principes généraux du droit international, ainsi que sur l'étude de la frontière tracée au temps de la colonisation italienne.

L'accord de paix, comme la décision arbitrale, attribue la souveraineté sur Badmé, capitale « spirituelle » des tigréens au pouvoir en Ethiopie, à l'Erythrée. Il semble qu'Addis Abeba, malgré son consentement formel, n'ait jamais admis cette perte.

On constate, en effet, que les travaux de délimitation effective de la frontière, qui devaient se dérouler de mars à août 2003, n'ont pu débuter à ce jour du fait d'objections éthiopiennes.

A ce sujet, la délégation du Sénat a pu s'entretenir, lors de son passage à Asmara, avec le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la région, M. Legwaila, de nationalité botswanaise .

Le représentant spécial se trouve à la tête de la MINUEE (Mission d'observation des Nations Unies en Erythrée et Ethiopie), actuellement forte de 4.200 hommes. La France a participé, avec 200 hommes, à cette force, en 2002. L'essentiel des soldats qui la composent sont, aujourd'hui, de nationalité italienne, danoise, et sénégalaise. Le mandat de la MINUEE, qui expirait en mars 2003, a été prolongé, le 14 mars 2003, jusqu'au 6 septembre de cette année, par la résolution n° 1466 de l'ONU.

M. Legwaila a fait preuve, devant la délégation, d'un optimisme mesuré . Il a notamment relevé que les futures opérations de démarcation, qui commenceront après déminage de la « zone-tampon » placée sous son contrôle, auront des implications difficiles pour les populations frontalières, dont certaines devront être déplacées. Ces conséquences devraient, selon lui, faire l'objet d'un travail d'explication, par les deux gouvernements intéressés, auprès de ces populations pour qu'elles soient susceptibles d'en accepter le principe. Or, rien de tel n'est actuellement en cours, et cette tâche indispensable ne figure pas dans le mandat de la MINUEE. Il apparaît cependant que ces populations, toutes d'ethnie tigréenne, seraient en mesure de trouver un terrain d'entente si elles y étaient encouragées par leurs dirigeants ; ainsi, les échanges commerciaux ont repris de part et d'autre de la future frontière. Mais ces potentialités d'accord sont mises à mal par l'absence totale de discussion entre les deux gouvernements, qui manifestent seulement une vive hostilité mutuelle .

Par ailleurs, l'Ethiopie a récemment adressé à la commission arbitrale, basée à Londres, des demandes de modification du tracé, pour que celui-ci prenne mieux en compte la « géographie humaine ». La Commission a rejeté, le 9 février 2003, après étude, ces arguments, pour réaffirmer le caractère intangible de la ligne de délimitation.

L'Erythrée, quant à elle, accepte pleinement la décision de la commission arbitrale, comme l'a confirmé à la délégation le Président Afeworki. Le Centre de coordination de déminage de l'ONU en Erythrée devrait poursuivre sa difficile tâche, sous réserve de l'assouplissement de la position éthiopienne. Selon le Centre, il subsiste encore en Erythrée de 250.000 à 300.000 mines, qui auraient été enterrées lors des hostilités, entre 1998 et 2000. Les deux anciens belligérants s'accusent d'ailleurs mutuellement de poursuivre le minage de la frontière.

La MINUEE doit également effectuer le rapatriement des prisonniers de guerre dans leur pays respectif, et M. Legwaila a déploré que la souhaitable réconciliation entre l'Erythrée et l'Ethiopie soit entravée par leur manque d'empressement à rapatrier ces prisonniers, après leur libération.

En conclusion, il a souhaité que tous les membres de la communauté internationale, dont la France, effectuent les pressions diplomatiques adéquates sur les deux parties pour faire évoluer une situation bloquée , et qui sera encore aggravée par les effets d'une probable sécheresse. Les populations victimes de la faim sont, évidemment, peu soucieuses de compromis diplomatique.

2. Les opérations de démobilisation marquent le pas en Erythrée

La question sensible de la démobilisation a été évoquée par la délégation lors de son entrevue avec des parlementaires érythréens. A cette occasion, il lui a été précisé que l'Assemblée nationale de transition, constituée en 1998 pour 5 ans, devrait être renouvelée d'ici à la fin 2003. Ses 150 membres comptent 75 élus 1 ( * ) , et 75 personnalités désignées par le FTLT, parti au pouvoir. Les prochaines élections -dont la date est incertaine, en dépit des annonces faites en ce sens par le gouvernement- devraient porter sur l'ensemble des 150 sièges, et mettre donc un terme au statut de parlementaire nommé.

S'agissant de la démobilisation des importantes forces armées érythréennes (250.000 hommes et femmes pour une population de 4,2 millions d'habitants ), une commission nationale créée en 2001, dans la suite de l'accord de paix d'Alger, en a été chargée. Cette commission, dont l'activité doit s'étaler sur 5 ans, s'est fixé comme objectif, dans une première phase, de démobiliser 80.000 combattants en 2002, et de porter cet effectif à 200.000 d'ici la fin de l'année 2003.

La Commission dispose d'un siège central à Asmara, et de structures déconcentrées dans tout le pays qui apportent une aide directe aux personnes démobilisées. Celles-ci doivent restituer leurs armes aux commissions locales qui débloquent, en contrepartie, des aides financières graduées, pour éviter les effets pervers découlant de l'attribution globale des sommes promises.

La Commission nationale est appuyée financièrement par la Banque mondiale, et diverses ONG spécialisées. Il semble exister un écart important entre les chiffres avancés par les parlementaires érythréens, qui évoquent une montée en puissance de la démobilisation en 2003, avec 5.000 bénéficiaires en janvier, puis 10.000 en février, et les démobilisations effectives. Ceci n'aurait rien de surprenant, car le retour à la vie civile de combattants nombreux et jeunes est une opération délicate à mener à bien dans un pays ravagé par la guerre, et qui offre peu de possibilités d'emploi. De surcroît, certaines sources font état d'une démobilisation en trompe-l'oeil, puisque les combattants rendus à la vie civile seraient organisés en milices, et donc faciles à remobiliser rapidement.

Il faut relever que nombre d'incidents frontaliers récents entre l'Erythrée et l'Ethiopie sont l'oeuvre, d'après la MINUEE, non de forces régulières, mais d'individus mal identifiés, de part et d'autre de la ligne de démarcation. Leur fréquence soutenue, malgré la présence de la MINUEE, démontre que les tensions belliqueuses sont loin d'être apaisées.

L'éventuelle mauvaise volonté d'Asmara à réduire des forces armées pléthoriques ne peut, en l'état, être démontrée. Il faudra, de toute façon, beaucoup de temps pour résorber les séquelles de la guerre, dans les domaines politique, économique ou humain.

* 1 dont 12 députés élus par les Erythréens de l'étranger, qui constituent une importante diaspora.

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