2. Le nouveau cycle de négociations : l'accord de Doha

L'accord de Marrakech avait prévu qu'un nouveau cycle de négociation devrait être engagé le 1 er janvier 2000. En réalité, c'est au cours de la conférence ministérielle de Doha (Qatar) qu'a été relancé le processus des négociations agricoles, organisé par le programme de travail adopté le 14 novembre 2001 .

a) Les objectifs fondamentaux du programme de Doha pour le développement

Fruit d'un compromis pesé au trébuchet, ce programme se propose de poursuivre le processus de réforme du commerce des produits agricoles engagé à Marrakech tout en y apportant un certain nombre de précisions.

L'accord de Doha indique, tout d'abord, que les objectifs qu'il fixe ne préjugent pas du résultat final de la négociation. Il ajoute que la négociation doit être globale , c'est-à-dire porter sur l'ensemble des mécanismes de soutien qu'il convient de réduire. A cet égard, il est explicitement précisé que doivent être abordées toutes les formes de subventions à l'exportation (et non plus seulement les restitutions européennes), ce qui inclut, du point de vue des négociateurs européens, les dispositifs mis en place par les Etats-Unis ou d'autres grands pays exportateurs qui échappaient jusqu'alors aux engagements des parties.

En outre, seules les aides de soutien interne ayant des effets de distorsion des échanges doivent être substantiellement réduites, ce qui revient à préserver la « boîte verte » et la « boîte bleue ».

Par ailleurs, entrent dans le champ de la négociation les considérations autres que d'ordre commercial : cette mention permet de reconnaître, comme le souhaite l'Union européenne, la multifonctionalité de l'agriculture, c'est-à-dire son rôle en matière de préservation de l'environnement, de sécurité et de qualité alimentaire, et d'aménagement du territoire. A ces différents aspects qualitatifs s'ajoute également la prise en compte de la protection des indications géographiques , qui garantit la valeur des produits et des terroirs.

Enfin, la Déclaration de Doha reconnaît la nécessité d'assurer aux pays en développement un traitement spécial et différencié de nature à favoriser leurs besoins de développement et d'encadrer plus correctement les politiques d'aide alimentaire menées par les pays développés.

Sur ce programme de travail se sont tenues, en 2002 et début 2003, plusieurs sessions de discussions multilatérales à l'issue desquelles chaque négociateur a présenté ses objectifs ( « propositions de modalités » ) à ses partenaires. Cette phase devait se conclure, avant le 31 mars 2003, par la présentation, par le président du Comité de l'agriculture, M. Stuart Harbinson, d'une contribution récapitulative sur les modalités à arrêter par les membres de l'OMC pour les négociations consacrées à l'agriculture.

Dans un second temps, les membres de l'OMC devront présenter leurs « projets d'engagement globaux » , c'est-à-dire leurs offres de négociations, lors de la conférence ministérielle qui se tiendra à Cancun (Mexique) du 10 au 14 septembre 2003. En tout état de cause, il est prévu que le cycle de Doha s'achève avant le 1 er janvier 2005.

b) Les partenaires de l'Union européenne dans la négociation

L'Union européenne se trouve opposée aux critiques combinées de trois acteurs majeurs de la négociation : les Etats-Unis, les pays du Groupe de Cairns et les pays en développement. Tous trois se retrouvent, alors même que leurs intérêts peuvent diverger par ailleurs, sur une contestation de la PAC s'appuyant sur des analyses sinon partiales, du moins partielles, qu'expriment clairement leurs « propositions de modalités ».

Les Etats-Unis ont présenté le 26 juillet 2002 des propositions de modalités qui, sur cinq ans (2006-2010), visent à l'élimination des subventions directes à l'exportation, des monopoles d'Etat à l'exportation et des taxes à l'exportation (sauf pour les pays en développement). En outre, ils proposent d'établir des disciplines spécifiques en matière de garanties de crédit à l'exportation et de renforcer les obligations de notification à l'OMC pour l'aide alimentaire. S'agissant de l'accès au marché, les Etats-Unis réclament la réduction des droits de manière à ce qu'aucun tarif douanier n'excède 25 %. Quant au soutien interne, ils proposent la limitation des soutiens domestiques ayant des effets de distorsion à 5 % de la valeur agricole des pays concernés, en y incluant les aides de la « boîte bleue » mais en laissant en l'état les exceptions de minimis et les soutiens classés en « boîte verte ».

Le Groupe de Cairns préconise une libéralisation totale des échanges agricoles. La plupart des dix-sept pays qui le composent sont d'importants exportateurs, qui s'opposent par conséquent à toute protection aux frontières, subvention aux exportations et mesure de soutien interne. Leurs propositions de modalités, déposées en septembre et novembre 2002, sont dès lors très fortement axées sur l'objectif d'un pur fonctionnement de marché.

En matière d'accès au marché, le Groupe de Cairns préconise ainsi une réduction des droits de douane de 25 % et la disparition de la clause de sauvegarde pour les pays développés, une augmentation de la pénétration des produits des pays en développement (PED) exportés sans quotas sur les marchés des pays développés (jusqu'à 20 % de la consommation) et une augmentation concomitante des quotas d'importations de ces PED (jusqu'à 14 % de leur consommation) associée à une réduction drastique de leurs droits de douane (- 50 %).

S'agissant du soutien interne, la proposition consiste en une suppression totale de la mesure globale de soutien en cinq ans pour les pays développés, et en neuf ans pour les PED, y compris les dispositifs classés en « boîte bleue », et la préservation de la clause de minimis pour les seuls PED.

Quant aux subventions aux exportations, elles seraient totalement supprimées en trois ans pour les pays développés et en six ans pour les PED.

Les pays en développement , enfin, ont pour objectif essentiel de faire reconnaître leur droit à assurer de manière permanente des aides et des protections propres à garantir leur autosuffisance alimentaire et à soutenir leur population agricole. Dans cette perspective, ils souhaitent l'édiction de règles distinctes pour les pays développés et pour les PED, l'Inde ayant même proposé de créer une « boîte de sécurité alimentaire » regroupant toutes les mesures de soutien à l'économie rurale et au développement local des PED.

c) La position de l'Union européenne

Toutes ces délégations se retrouvant pour dénoncer la PAC, la situation de l'Union européenne s'en trouve compliquée. En effet, elle doit démontrer à la fois que, grâce à la réforme de 1992, elle a parfaitement respecté ses engagements de l'accord de Marrakech , qu'elle est un partenaire loyal des pays en développement , que tant les Etats-Unis que les pays du Groupe de Cairns sont loin d'avoir des pratiques commerciales conformes aux préceptes qu'ils prétendent imposer et qu'enfin, nombre de ces principes seraient en tout état de cause contraires aux intérêts des PED .

Les propositions de modalités présentées par la Commission européenne le 16 décembre 2002 ont été adoptées à l'unanimité par les Etats membres lors de la réunion du Conseil affaires générales du 27 janvier 2003 . Sur le plan des principe, elles expriment l'engagement de l'Union de réformer en profondeur le système des échanges agricoles tout en reconnaissant la nécessité d'accorder un traitement spécial aux PED , en particulier pour les économies les plus fragiles, et de garantir que les considérations d'environnement , de développement rural et de bien-être des animaux sont correctement prises en compte.

Concrètement, les éléments-clés de la proposition déposée par l'Union européenne sont les suivants : réduction de 36 % des droits de douane à l'importation, abaissement de 45 % des subventions à l'exportation et diminution de 55 % de la mesure globale de soutien interne à l'agriculture générateur de distorsions des échanges, à condition que la charge de ces mesures soit équitablement partagée, entre les pays développés en particulier (notamment par la suppression de la clause « de minimis » pour ceux-ci). En outre, la proposition comporte des mesures spécifiques visant à améliorer la situation des PED (création d'une « boite de sécurité alimentaire », droits « zéro » pour 50 % de leurs exportations de produits agricoles vers les pays développés, accès en franchise de droits et libre de tout contingentement pour toutes les exportations agricoles des PMA, période d'exécution plus longue des engagements, etc.) et souligne l'importance des considérations autres que d'ordre commercial, telles que la protection de l'environnement, le développement rural, le bien-être animal et la reconnaissance des indications géographiques.

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