B. RENFORCER LES FONDS PROPRES DES ENTREPRISES

Le rapport réalisé par notre ancien collègue M. Jean Cluzel en 1998 au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques sur les aides publiques au cinéma insistait déjà sur l'insuffisance de fonds propres des sociétés de production et notait que le secteur du cinéma n'était pas capable de financer ses investissements.

L'étude de « Réalisation et recherches audiovisuelles » voit dans la sous-capitalisation des sociétés de production un facteur de fragilité inquiétant. Elle montre en effet que les préfinancements offerts par le CNC et par le secteur audiovisuel diminuent la prise de risque de producteurs qui, n'ayant besoin, dès lors, que de peu de fonds propres, ne cherchent pas à maximiser la rentabilité de leurs films. La faiblesse des fonds propres nuit particulièrement à certains postes de dépenses affectées au retravail du scénario ou à la promotion du film. Elle limite donc le potentiel de succès des films français.

Le CNC exige pour les entreprises de production un capital social minimal de 45.700 euros. Le rapport Leclerc considère, selon les indications fournies par les professionnels du secteur, qu'une société de production de long métrage devrait idéalement être en mesure de lancer, au cours d'une année donnée, la production d'un à deux films au minimum, ce qui demande, compte tenu notamment des statistiques établies par le CNC sur les devis moyens de développement et les coûts de production, environ 300.000 euros de capitaux propres. Or, selon le CNC, le capital social de la majorité des entreprises de production est égal au minimum prévu par la loi, soit 45.700 euros. Certes, ces sociétés comportent d'autres actifs qui sont incorporés dans leurs capitaux propres, pour l'essentiel les parts de négatifs de films éventuellement conservées sur les films, mais ceux-ci peuvent difficilement être mobilisés rapidement pour le financement d'une nouvelle production. Ils sont de peu de secours pour faire face, dans l'urgence, à une crise de liquidité de la société.

Une piste sérieuse évoquée par le rapport Leclerc pourrait donc consister dans le relèvement du montant minimal du capital social des sociétés de production fixé par la loi. Dans cette perspective, la mobilisation de véhicules d'investissement fiscalement attractifs et l'utilisation des incitations fiscales de droit commun aujourd'hui disponibles pour encourager l'investissement dans l'entreprise doivent être encouragées. Si les dispositions concernant les fonds communs de placement dans l'innovation, le capital risque, les déductions fiscales pour la souscription au capital d'entreprises non cotées ne sont pas spécifiques au cinéma, elles méritent d'être mieux connues par les professionnels du secteur. En ce qui concerne les fonds communs de placement dans l'innovation et le capital risque, une adaptation judicieuse de ces instruments de financement peut se justifier. Qui peut nier que le cinéma soit un secteur innovant, à forts risques, où la rentabilité, quoique aléatoire, est parfois élevée ?

1. Rendre applicables les mesures favorables à l'innovation et la recherche

La France s'est dotée depuis une dizaine d'années d'un dispositif de soutien aux entreprises innovantes qui draine aujourd'hui des capitaux importants. Les entreprises financées par ce biais, souvent dans le domaine des nouvelles technologies et de la recherche, présentent des caractéristiques communes avec les entreprises du secteur du cinéma. Alors qu'elles exercent une activité très capitalistique, elles sont, à différents stades de leur développement, sous-capitalisées. Elles offrent aux investisseurs des perspectives de gains mais au prix d'une prise de risque non-négligeable. Pour ces raisons, les capitaux drainés dans ces secteurs viennent d'investisseurs, sinon professionnels, du moins particulièrement avisés, et disposant d'une surface financière suffisamment large pour répartir leurs pertes.

D'où l'idée de mettre le capital-risque et les fonds communs de placement au service du cinéma.

a) Favoriser l'entrée du capital-risque dans le cinéma

Les années récentes ont connu une forte croissance des capitaux collectés par le biais du capital-risque. Ainsi, entre 1995 et 2002, année qui n'est pourtant pas sur le plan financier une des meilleures, les capitaux levés par l'intermédiaire des fonds de capital-investissement ont été multipliés par huit et les investissements par cinq.

Situation du capital-investissement en France

(en milliards d'euros)

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002 *

Capitaux levés

0,53

0,72

0,66

2,60

3,26

6,11

5,1

4,2

Investissements réalisés

0,75

0,87

1,26

1,79

2,82

5,30

3,29

3,52

* Données provisoires pour 2002

Source : AFIC-PWC, communication du 11 mars 2003 et rapport 2001 sur l'activité du capital investissement

Les investissements réalisés en faveur de la création et du développement des entreprises par les fonds de capital-risque ont ainsi représenté en 2002 plus d'un milliard d'euros.

Investissements des sociétés de Capital-Investissement par stade

(en millions d'euros)

2002*

Amorçage

65

Création / post création

390

Développement

691

Transmission

2201

Rachats minoritaires

177

Total des montants investis

3524

* Données provisoires pour 2002

Source : AFIC-PWC, communication du 11 mars 2003

Les placements dans les fonds de capital-risque connaissent une diffusion croissante parmi les épargnants. Si les fonds communs de placement à risque (FCPR) paraissent réservés à un public averti, voire à des investisseurs institutionnels, la diffusion publique des fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI) ne cesse de progresser, comme en témoigne la part prépondérante des réseaux bancaires dans leur distribution.

Il semble intéressant de constater qu'il existe un écart non négligeable entre les capitaux levés chaque année et les investissements réalisés . Ceci signifie qu'un certain nombre de capitaux ne trouve pas à s'investir dans les secteurs traditionnels du capital-risque. Ceci peut constituer une opportunité intéressante pour le cinéma , du moins pour certains de ses domaines d'activité que l'on songe aux industries techniques, au secteur de l'animation et des effets spéciaux.

Si le rapport Leclerc se montre réservé face à l'introduction du capital risque dans le secteur du cinéma, montrant les échecs des expériences passés, relevant le peu d'intérêt manifesté par certains capitaux risqueurs pour le secteur, il faut souligner le volume des capitaux aujourd'hui drainés par le capital-risque et le professionnalisme que pourraient introduire des investisseurs professionnels non-bancaires dans la gestion financière des entreprises cinématographiques.

b) L'assimilation du cinéma indépendant à un secteur innovant au sens des FCPI

Les fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI) sont des organismes de placement collectifs en valeurs mobilières (OPCVM) devant respecter des règles précises quant à la composition de leur actif, notamment un quota d'investissement de 60 % de leur actif dans des valeurs mobilières de PME non cotées « innovantes » reconnues comme telles par l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR). Les encours levés par les FCPI sont en forte croissance, manifestant ainsi l'attrait de ces produits dont l'argumentaire de placement repose largement sur la fiscalité applicable. Les épargnants souscrivant des parts de FCPI bénéficient d'une réduction d'impôt égale à 25 % de leur investissement dans la limite de 12.000 euros pour les contribuables célibataires, divorcés ou veufs et 24.000 euros pour les contribuables mariés.

Situation des FPCI au 31 décembre 2002

Année

1997

1998

1999

2000

2001

2002

Nombre de FCPI crées

5

5

11

17

30

31

Souscriptions en millions d'euros

67

151

248

421

567

370

Source : commission des opérations de bourse

Compte tenu des difficultés rencontrées par le secteur des nouvelles technologies, les fonds collectés par les FCPI peinent aujourd'hui à s'investir dans l'économie. Il y a là une opportunité pour le cinéma, et surtout pour le cinéma indépendant dont le caractère « innovant » sur le plan artistique ne peut être contesté. Si une labellisation par l'ANVAR des entreprises du cinéma paraît difficile en l'absence de compétences dans le domaine de cet organisme, une création d'une nouvelle catégorie de FCPI-cinéma , dont la labellisation reviendrait au CNC, paraît une piste à creuser. Contrairement aux soficas, qui financent les films, ces FCPI présenteraient l' avantage d'investir en direct dans les entreprises cinématographiques innovantes , en fonction de considérations artistiques mais aussi de critères financiers.

2. Favoriser le réinvestissement des revenus issus du cinéma

Le milieu de la création d'entreprise s'est familiarisé ave ces « investisseurs providentiels » ou « business angels » qui cherchent à réinvestir dans des sociétés nouvelles l'expérience et les capitaux engrangés au terme de leur réussite professionnelle. Ces personnes physiques, entrepreneurs confirmés, épaulent les créateurs d'entreprise et participent ainsi au renouvellement du tissu économique.

Dans le milieu du cinéma, si les producteurs recyclent effectivement leurs revenus dans des nouvelles aventures cinématographiques, les autres acteurs de la chaîne, en particulier les « talents », se trouvent insuffisamment incités à jouer le rôle d'investisseurs providentiels alors que leur expérience artistique et les gains accumulés pourraient donner un coup de pouce décisif à certaines entreprises du secteur. Certaines incitations fiscales, renforcées dans le projet de loi pour l'initiative économique actuellement en cours d'examen par le Parmement, existent et ne demandent qu'à être davantage utilisées.

a) La déductibilité des souscriptions aux sociétés de production non cotées

Une réduction d'impôt, dite « Madelin » 30 ( * ) , vise à inciter les épargnants à investir en fonds propres dans les petites et moyennes entreprises. Ainsi, l'article 199 terdecies -0 A du code général des impôts prévoit que « les contribuables domiciliés fiscalement en France peuvent bénéficier d'une réduction de leur impôt sur le revenu égale à 25 % des souscriptions en numéraire au capital initial ou aux augmentations de capital de sociétés non cotées ».

Les sociétés concernées doivent satisfaire à quatre conditions :

- ne pas être cotées sur un marché réglementé ;

- relever de l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun (de plein droit ou sur option) ;

- en cas d'augmentation du capital, réaliser un chiffre d'affaires hors taxes inférieur à 40 millions d'euros ou présenter un total de bilan inférieur à 27 millions d'euros 31 ( * ) ;

- disposer d'un capital majoritairement détenu par des personnes physiques ou des « holdings » de famille ».

La réduction d'impôt est alors égale à 25 % du montant des versements effectués au cours d'une année, dans la limite d'un plafond de 6.000 euros pour les célibataires, veufs ou divorcés, et de 12.000 euros pour les contribuables mariés.

Ce dispositif vient d'être rendu encore plus incitatif par le projet de loi précité pour l'initiative économique, « projet de loi Dutreil », qui prévoit de porter le plafond des souscriptions ouvrant droit à la réduction d'impôt de 6.000 euros à 20.000 euros pour les personnes seules et de 12.000 euros à 40.000 euros pour les couples mariés soumis à imposition commune, le relèvement de ce plafond s'appliquant aux versements réalisés à compter du 1 er janvier 2003.

Il y a là une réelle incitation fiscale à développer les fonds propres des entreprises du cinéma dont doivent s'emparer l'ensemble des acteurs du secteur, d'autant que le projet de loi précité pour l'initiative économique prévoit un dispositif encore plus attractif au bénéfice des redevables à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) . Seraient en effet exonérés les titres reçus par le redevable en contrepartie de sa souscription en numéraire au capital d'une PME sans aucun plafond .

b) L'amortissement fiscal des pertes en capital

La loi « Madelin » de février 1999prévoit un dispositif qui donne quelques garanties aux investisseurs faisant face à des pertes liées à la mise en cessation de paiement de l'entreprise dans laquelle ils ont investi. L'article 25 de la loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l'initiative économique, codifié à l'article 163 octodecies A du code général des impôts, permet plus précisément aux contribuables concernés de déduire de leur revenu net global les pertes en capital32 ( * ) subies à la suite de la cessation de paiement d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés au capital de laquelle ils ont directement souscrit. Ces pertes peuvent être déduites dans la limite de la limite annuelle de 15.250 euros pour une personne seule et de 30.500 euros pour un couple marié.

Le projet de loi pour l'initiative économique prévoit de doubler le montant des pertes déductibles du revenu, le portant à 60.000 euros pour les couples mariés et à 30.000 euros pour les personnes seules.

L'amortissement fiscal des pertes en capital, de nature à rassurer l'investisseur, doit permettre aux professionnels du cinéma de financer plus sereinement les entreprises du secteur.

* 30 Elle résulte de la loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle.

* 31 Il s'agit très exactement de deux des critères de la PME en droit communautaire (recommandation 96/280/CE du 3 avril 1996) .

* 32 C'est à dire le montant de leur souscription moins les sommes éventuellement récupérées.

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