LES PROBLÈMES INSTITUTIONNELS
DE LA GOUVERNANCE EUROPÉENNE

Pr. Jean PISANI-FERRY, Professeur d'économie à l'Université de Paris-Dauphine - Merci Monsieur le Président. Je vais effectivement donner mon sentiment sur ce sujet et commencer à engager le débat avec Jean-Paul FITOUSSI, encore que je voudrais d'abord marquer un point d'accord très fort avec lui.

Je crois qu'il a posé les termes de notre discussion de ce matin de manière tout à fait précise et juste, c'est-à-dire que c'est un problème de règles et d'institutions . D'une certaine manière, les règles sont un substitut des institutions : si nous avons de mauvaises institutions nous essayons de les corriger par des règles, et si nous avons de meilleures institutions nous pouvons avoir moins recours aux règles. Tout le problème est de savoir quel est le bon équilibre entre les deux et puis, effectivement, quelles sont les bonnes règles et les bonnes institutions.

Pour réfléchir à cela je voudrais repartir de la raison pour laquelle nous nous posons ce type de question aujourd'hui, identifier un peu plus précisément le problème, et puis discuter des solutions.

Sur le premier point, pourquoi réfléchir à ce sujet aujourd'hui ? Je crois que la réponse est assez évidente : nous sommes déçus par la performance macroéconomique de la zone euro . Nous sommes déçus conjoncturellement par rapport aux prévisions qui ont été faites ces dernières années : la zone euro se situe systématiquement en dessous, et cette année sera la troisième année où elle va se situer nettement en dessous des prévisions qui avaient été faites. Nous pouvons bien dire que c'est un phénomène global, mais il ne se produit pas pour les Etats-Unis, qui ont leurs difficultés mais qui n'ont pas systématiquement déçu les prévisionnistes.

Deuxième élément, nous avons identifié, tous, des erreurs manifestes de politique économique . Je parle d'erreurs manifestes car je crois qu'aujourd'hui nous pouvons dire que le fait de ne pas avoir réduit les déficits en période de haute conjoncture dans un certain nombre de pays européens fut une erreur manifeste ; le fait de se fixer des objectifs très restrictifs en Allemagne dans une phase d'affaiblissement marqué et très préoccupant de la conjoncture est, je le crois aussi, une erreur manifeste . Il y a donc quelque chose qui ne fonctionne pas, qui conduit à faire ces erreurs.

Enfin nous pourrions développer et regarder comment nous arbitrons entre croissance, stabilisation et cyclicité de l'économie et nous apercevoir que les États-Unis ont fait des progrès importants dans cet arbitrage dans les dernières décennies et que nous, nous n'avons pas fait le même type de progrès .

Alors quel est le problème sous-jacent ? La critique la plus fréquente est de dire que nous avons un système qui est par essence rigoriste et inamical à la croissance. Je ne crois pas que ce soit exact. Je crois que les fondements du système que nous avons mis en place en Europe sont raisonnables : banque centrale indépendante, objectif de stabilité des prix, règles de discipline budgétaire. Nous pouvons discuter l'optimalité de ces normes : les fameux 3 % pour le déficit et les 2 % pour l'inflation. Peut-être que Christopher ALLSOPP va revenir sur certains points des leçons que nous pouvons tirer du système de politique économique britannique. Il me semble cependant que l'essentiel n'est pas dans ces chiffres et que vu de Sirius, finalement, si nous disions que nous avons une inflation de 2 % et des déficits inférieurs à 3 %, nous ne dirions pas que c'est quelque chose de fondamentalement déraisonnable.

Le problème vient plutôt du fait que nous avons construit sur ces fondements un système complexe de règles et d'institutions qui, lui, fonctionne mal. Pourquoi fonctionne-t-il mal ?

Il me semble d'abord qu'il y a une insuffisance de culture commune . Nous avons évidemment des éléments de culture commune importants en Europe, hérités finalement du Système monétaire européen, du combat qui a été conduit contre l'inflation et qui a été gagné mais, comme dit Jean-Paul FITOUSSI, c'est une culture qui est extrêmement marquée par un contexte particulier, celui des années 80 et 90. Par rapport à des problèmes de politique économique plus actuels, on observe des réactions différentes d'un pays à l'autre parce que, simplement, les acteurs de la politique économique ont en tête des représentations du fonctionnement de l'économie qui sont différentes.

C'est -je crois qu'il faut le dire- une grande difficulté. Lorsque nous parlons entre Français de politique économique, nous avons un certain nombre d'éléments, au-delà des différences qui peuvent exister, qui font que fondamentalement nous n'avons pas aujourd'hui de désaccord extrêmement marqué sur la représentation du fonctionnement de l'économie aujourd'hui. Lorsque nous parlons avec un Britannique, nous avons le sentiment de nous entendre assez facilement. Lorsque nous parlons avec un Néerlandais c'est souvent beaucoup plus difficile et nous avons l'impression qu'il peut avoir du fonctionnement de l'économie une représentation qui peut être assez différente de la nôtre. Ceci est la première difficulté.

La deuxième difficulté est que c'est un système dans lequel, trop souvent, tout le monde se méfie de tout le monde . Monsieur le Président vous disiez en nous accueillant que nous sommes ici chez nous et Jean-Paul FITOUSSI le reprenait. En Europe, on ne se sent pas assez souvent chez soi. Du coup, il y a encore de la méfiance entre la Banque Centrale et les gouvernements, entre le Conseil et la Commission, entre la Commission et les Etats membres et nous posons des garde-fous partout pour régler ces problèmes de méfiance.

En plus nous posons ces garde-fous avec une certaine confusion dans les rôles respectifs du Conseil et de la Commission, ce qui n'arrange pas les choses. Par exemple, le Conseil s'occupe de la surveillance des politiques budgétaires alors que lui-même est composé d'acteurs de la politique budgétaire qui chacun, à tour de rôle, peut faire l'objet de la surveillance, ce qui, évidemment, prête à quelques compromis entre eux.

La Commission ne sait pas très bien où elle est, elle est à la recherche d'un rôle, un peu frustrée qu'elle est d'avoir été privée de fonction exécutive dans le cadre de l'Union monétaire.

Tout cela est assez compliqué et participe du fait qu'il y a, je crois, un défaut d'appropriation des principes du système par les acteurs et en particulier par les Etats membres et les Parlements des Etats membres . Lorsque vous allez à Bruxelles on vous explique que les grandes orientations de politique économique sont au coeur de la coordination des politiques économiques en Europe. Je ne sais pas, Monsieur le Président, quel temps vous passez dans cette maison à vous approprier les grandes orientations de politique économique, je doute qu'il soit très grand. Lorsque vous êtes à Paris et que vous parlez des grandes orientations de politique économique, la plupart des gens ignorent ce que c'est et en tout cas ce qui se trouve dans ces orientations.

Les principes, les règles, ce que nous disons devoir être au centre du système, ne font pas l'objet d'une appropriation suffisante. Tout cela conduit à donner des signaux aux différents Etats qui ne sont pas nécessairement les bons signaux, qui sont même, éventuellement, de mauvais signaux, des signaux pervers et effectivement la règle des 3 % a fonctionné comme un signal pervers , en 2000-2001, en France. Nous avons eu l'impression que parce que le solde s'éloignait du seuil des 3 % les choses allaient bien alors que, fondamentalement, en termes structurels elles n'allaient pas si bien que cela.

Le débat sur la « cagnotte » me semble avoir parfaitement illustré le fait que nous avons confondu le fait de s'éloigner de 3 % et le fait d'être proches de l'équilibre budgétaire . Avec l'inertie doctrinale à laquelle faisait référence Jean-Paul FITOUSSI, tout cela me semble déboucher sur une espèce de défaut d'intelligence collective qui est la racine, me semble-t-il, des difficultés que nous rencontrons.

Quelles sont les solutions par rapport à cela ? Nous retrouvons le débat règles et institutions : trop de règles ou pas assez de règles ou de mauvaises règles ? Je voudrais dire que je suis intellectuellement facilement d'accord avec Jean-Paul FITOUSSI sur le fait que les règles sont souvent une manière de ne pas résoudre les problèmes . En même temps je crois qu'en Europe, du fait de la complexité du système que nous avons, de la multiplicité des acteurs, des accords qu'il y a entre nous sur le principe de la coordination donc du coût élevé de toute discussion de politique économique, les règles sont un moyen de se mettre à un moment d'accord sur des principes et ensuite de ne pas devoir, à chaque occasion, revenir sur la discussion de ces principes.

Imaginons qu'à chaque question nous voulions répondre en mettant les ministres des finances autour de la table et en les faisant discuter. Il me semble que nécessairement nous passerions un temps considérable et que nous serions toujours encore plus en retard par rapport à l'événement. Donc il me semble que les règles répondent en partie à cela et répondent aussi au fait que la capacité de ces ministres à s'engager dans une discussion collective est évidemment faible : chaque ministre va répondre en matière budgétaire aux priorités nationales, aux termes du débat national, et sa capacité de prendre un engagement face à ses collègues pour prendre des orientations de politique économique commune est nécessairement réduite par cela.

Il me semble qu' il faut trouver un usage intelligent des règles . Il faut faire place aux règles dans un système de ce type même si je pense qu'il ne faut pas éliminer la nécessité face à certains évènements, à certaines situations, de prendre des orientations, de faire fonctionner l'intelligence collective par rapport à des situations concrètes. Il me semble pourtant que nous avons intérêt tout de même à essayer de nous appuyer sur des règles pour réserver ces besoins de coordination à des situations un peu spécifiques.

Que peut-on faire sur cette base ? Nous pouvons faire deux choses. Tout d'abord renforcer les institutions et puis ensuite affiner les règles .

Sur le plan des institutions , j'en ai un peu parlé, il y a des choses à faire du côté de chacun des grands acteurs.

La Commission a besoin de sortir de la frustration dans laquelle nous l'avons mise , elle qui se pensait comme un embryon de gouvernement européen et à qui nous avons, en matière macroéconomique, retiré toute fonction de type exécutif. Il me semble que la Commission doit se penser et nous devons l'aider à se penser, comme l'acteur central de l'intelligence du système , c'est-à-dire qu'elle doit produire, apporter des analyses, elle doit faire en sorte de donner autant que possible à la discussion de politique économique en Europe un contenu analytique précis et elle doit, sur cette base, exercer une fonction de surveillance des politiques économiques d'un des différents Etats membres de manière aussi libre que possible.

Actuellement , ce n'est pas le cas puisque c'est, encore une fois, le Conseil qui exerce la surveillance . Je crois que les propositions qui ont été faites de ce point de vue là, de permettre à la Commission d'adresser aux Etats membres, sans passer par le Conseil, des avis, des avertissements sur l'orientation de la politique économique et les problèmes qu'elle peut poser, sont de bonnes propositions. Il me semble qu'il faut essayer d'aller vers un acteur qui est écouté parce qu'il dit des choses pertinentes et qu'il a la capacité de dire ces choses pertinentes parce qu'il a l'information, il a l'analyse qui lui permet de le dire.

Aujourd'hui le paradoxe en Europe est que parfois nous écoutons davantage le Fonds Monétaire International lorsqu'il vient nous parler de politique économique que nous n'écoutons la Commission. En tout cas, quand une mission du Fonds Monétaire International arrive dans les Etats membres elle est reçue avec plus d'attention que lorsque vient la mission de la Commission. Est-ce que c'est normal dans la mesure où nous avons construit un système beaucoup plus intime entre nous que nous l'avons avec le Fonds Monétaire International ? Je ne crois pas.

En ce qui concerne le Conseil , il me semble que la difficulté principale que nous avons est cette complexité avec des formations du Conseil ; d'un côté l' Ecofin , l' Eurogroupe qui se distinguent par, à la fois, leur nombre, leurs participants et leurs fonctions. Les problèmes de politique économique que nous avons au sein de la zone euro sont des problèmes spécifiques. Nous avons des interdépendances entre nous qui sont d'une nature différente de celles que nous avons avec les autres Etats membres de l'Union Européenne qui ne participent pas à l'euro. Il faut que de cela il y ait une traduction institutionnelle précise, c'est-à-dire que la gestion de toutes ces questions doit relever d'un Conseil spécifique aux pays de la zone Euro .

C'est d'autant plus important que nous avons l'élargissement , aujourd'hui, même pas demain, et que, au moment de l'élargissement, nous allons avoir, en tout cas pendant une certaine période, une majorité de pays qui vont se trouver en dehors de la zone euro. Il me paraît donc extrêmement important que les pays de la zone euro puissent gérer ces interdépendances dans le cadre d'un Conseil spécifique qui soit en mesure d'appliquer les règles et éventuellement aussi de les adapter, de les modifier quitte à ce que nous prévoyions une procédure par laquelle une question serait renvoyée devant les 25 si une décision éventuelle de ceux qui sont aujourd'hui 12 les conduit à mettre en cause les intérêts de ceux qui ne participent pas encore à la monnaie unique.

Il faut renforcer ce Conseil , lui donner cette capacité et il me semble -mais je sais que c'est un point qui est controversé- qu'il faut aller jusqu'à lui donner une capacité à décider face à certaines situations économiques particulièrement difficiles , à prendre des orientations qui auraient une valeur contraignante pour les Etats membres. Le thème de la déflation est dans l'air, je crois que s'il se concrétisait nous serions face à un problème de politique économique de première grandeur et que la capacité de décision collective serait quelque chose d'extrêmement important.

Le troisième et dernier point concerne les États membres. Ils sont eux-mêmes coresponsables de ces difficultés et ils ont aussi leur travail à faire. Le premier travail est un travail de transparence en matière budgétaire ; il n'est pas normal que certaines situations se révèlent avec un décalage. Je rappelle l'exemple du Portugal dont nous avons découvert avec un an de retard qu'il était en situation de déficit excessif. Je crois qu' il n'est même pas normal que pour les prévisions budgétaires, l'évaluation des effets des mesures de politique économique, l'information soit essentiellement concentrée dans les services de l'administration et que le public ne dispose pas d'une information qui permette de juger effectivement de l'orientation et de l'impact des décisions budgétaires.

Je crois aussi qu'il serait souhaitable de réfléchir à des mécanismes, des modalités par lesquels l'insertion , disons l'imbrication, entre les éléments de politique économique commune et les politiques nationales serait renforcée . Il me semble qu' un débat sur le programme de stabilité dans les Parlements nationaux , le fait d'insérer une espèce de Chapitre 1 de la loi de finances qui expliciterait la manière dont les orientations qui sont proposées au Parlement s'intègrent ou ne s'intègrent pas dans une orientation commune aux pays de la zone euro, tout cela aiderait à ce qu'il y ait une meilleure appropriation de cette dimension dans les décisions nationales.

Très rapidement -puisque je suis en retard à partir de maintenant- sur la question du Pacte de Stabilité, il y a plusieurs dimensions au débat. Je crois que tout le monde est à peu près d'accord sur un certain nombre de critiques que nous pouvons faire au Pacte de Stabilité, notamment le fait qu' il fonctionne de manière très asymétrique , notamment le fait qu'il ne prenne pas suffisamment en compte une diversité de situations et qu'il impose à court terme des éléments assez stricts tout en étant relativement plus lâche à long terme puisque la question de la dette n'y figure pas du tout contrairement au Traité où dette et déficit sont abordés de manière symétrique.

Le débat qu'annonçait Jean-Paul FITOUSSI est un débat sur le fait de savoir s'il faut prendre en compte la nature de la dépense dans le Pacte de Stabilité . J'ai un point de désaccord avec lui, c'est-à-dire qu'il me semble que le Pacte de Stabilité est un dispositif qui vise à assurer la discipline budgétaire et qu'il n'est pas un dispositif qui vise à améliorer la qualité de la dépense publique et que nous avons intérêt à spécialiser les instruments.

La question de la qualité de la dépense publique est extrêmement importante. C'est absolument vital que nous ayons effectivement une réorientation de la dépense publique vers des éléments qui soient favorables à la croissance, à la productivité. En Europe, nous savons bien ce que c'est, nous savons bien que nous ne dépensons pas assez sur l'enseignement supérieur, pas assez sur la recherche, pas assez sur un certain nombre d'infrastructures. Est-ce que la manière de traiter cela c'est d'exclure ces dépenses des règles du Pacte de Stabilité ? Je ne crois pas.

Je pense qu' il faut mettre plus l'accent sur la dette , par là permettre des politiques d'endettement à des Etats qui partent d'une situation de dette faible en prenant en compte les différents éléments de cette dette, c'est-à-dire en y incluant les engagements implicites de différentes natures dont les retraites. Mais il ne faut pas commencer à mélanger deux objectifs avec le même instrument parce que je crois que nous prendrions des risques importants.

J'ai un point d'accord avec Jean-Paul FITOUSSI : c'est que, dans la phase actuelle, c'est une question extrêmement importante ; nous voyons bien qu'en France, en Allemagne, en Italie, dans les pays qui ont des déficits importants, la question de savoir comment nous pouvons à la fois accroître les dépenses utiles et respecter les normes du Pacte de Stabilité se pose. Mais ce n'est pas du tout une question de régime permanent.

Je crois que je vais m'arrêter là car j'ai déjà dépassé mon temps. J'avais d'autres choses à dire mais nous avons un débat tout à l'heure.

M. Joël BOURDIN, Président. - Merci Monsieur le Professeur.

Nous sommes déjà en plein dans le débat puisqu'il y a une petite polémique qui s'instaure entre nos deux professeurs et nous retrouverons cela tout à l'heure au moment du débat, je n'en doute pas. Avant de donner la parole au Professeur ALLSOPP je voudrais saluer la présence et l'arrivée du Président de la Commission des Finances qui a réussi à s'extraire pendant quelque temps du débat sur la sécurité financière qui doit commencer d'ailleurs actuellement dans l'hémicycle. Je le remercie donc car c'est en parfaite harmonie que nous fonctionnons, je suis un modeste membre de la Commission des Finances. Monsieur le Président je vous laisse la parole.

M. Jean ARTHUIS - Monsieur le Président. Je vous rejoins avec retard et je vous prie de m'en excuser mais Joël BOURDIN a dû vous dire qu'en ce début de matinée nous devions examiner une série d'amendements avant que ne commence la discussion du texte de sécurité financière. Je regrette beaucoup de ne pas avoir pu entendre Monsieur FITOUSSI, j'ai entendu la fin des propos de Monsieur PISANI-FERRY et nous sommes sur un thème qui est crucial dans le débat politique et aussi dans les politiques menées par chacun des états membres pour retrouver la croissance et un horizon d'emplois.

Cet après-midi je serai à Rome avec mes collègues de l'OCDE précisément sur les questions de coordination de politiques économiques et budgétaires parce qu'il faut aussi que les Parlements nationaux se rencontrent et se concertent.

Il n'y a pas si longtemps j'étais à Bruxelles à l'invitation de la Présidente de la Commission des Affaires Economiques et Monétaires et je dois vous dire que, s'agissant du Pacte de Stabilité et de Croissance, ce que j'ai entendu a résonné dans mes oreilles de la part des petits pays qui respectent le Pacte de Croissance : l'Allemagne et la France étaient vraiment au banc des accusés. Alors ce Pacte de Stabilité et de Croissance a-t-il besoin d'être modifié ? Faut-il de nouvelles règles budgétaires ?

D'abord je voudrais me faire le défenseur du Pacte de Stabilité et de Croissance en revenant en arrière et en nous mettant dans la perspective du passage à la monnaie unique. J'étais de ceux qui pensaient qu'il fallait absolument une monnaie unique car dans un marché commun, dans un marché unique, laisser les monnaies des Etats membres passer par des mouvements très erratiques c'est retrouver ces situations très destructrices d'emplois que nous avons connues en 1992-1993, donc nous ne pouvions pas continuer ainsi dans un marché unique sans monnaie unique.

Mais comment pouvons-nous passer à la monnaie unique quand nous n'avons pas de gouvernement unique, quand chaque Etat membre veut garder ses prérogatives gouvernementales ? Nous créons une Banque Centrale Européenne qui a une essence fédérale, mais il n'y a pas de gouvernement, donc nous savons déjà qu'il n'y aura pas de policy mix puisque nous ne pourrons pas combiner la politique monétaire et la politique budgétaire.

Alors il a fallu être pragmatique et dans mon esprit le Pacte de Stabilité et de Croissance est un instrument provisoire dans l'attente d'un gouvernement européen, fédéral. Je pense que c'est vers cela qu'il faut tendre sinon nous assisterons à une série de gesticulations mais nous ne sommes pas à l'abri d'un choc majeur systémique et je ne sais pas ce que deviendrait l'Euro dans de telles circonstances.

Pour vivre cette transition il fallait en quelque sorte un règlement de copropriété de l'euro et que chaque Etat membre s'engage à respecter une discipline. C'est à cela que répondait le Pacte de Stabilité et de Croissance. Mettez-vous à la place du Ministre des Finances de l'Allemagne qui à l'époque était persuadé que la France serait incapable de tenir ses objectifs budgétaires puisque l'Allemagne c'était vraiment la rigueur, la capacité à maîtriser un budget public et que sans Pacte de Stabilité et de Croissance il n'y avait pas d'adhésion populaire, c'était le doute.

Nous y sommes parvenus. C'est un règlement de copropriété, il est forcément un peu fruste mais, à la vérité, s'il n'y avait pas le Pacte de Stabilité et de Croissance est-ce que pour autant chaque Etat membre pourrait continuer à caracoler dans la dépense publique comme signe de volontarisme politique ? Je ne le crois pas. Chacun irait droit dans le mur parce que si nous faisons du déficit public c'est quand même largement parce que les gouvernements successifs n'ont pas été capables d'aller jusqu'au bout des réformes structurelles et qu'à un moment il faut bien sonner l'alarme.

Il faut essayer de voir d'où nous venons : chacun était dans une belle culture du secret, d'abord il ne fallait pas en dire trop parce que cela pouvait nuire à la monnaie donc moins on en disait mieux c'était. L'administration conservait les informations comptables et budgétaires, le Parlement n'était pas trop exigeant, nous avons connu d'ailleurs des périodes de relatif équilibre budgétaire, et puis cela a commencé à déraper, souvenez-vous de ce qu'était la dette publique au début des années 80, et depuis c'est inexorable. Est-ce que nous pouvons continuer comme cela durablement ? Je ne le crois pas.

Il y avait une culture du secret parce qu'il ne fallait pas porter atteinte à la monnaie. Si jamais on donnait une information négative, immédiatement le franc plongeait et nous étions en phase de vraie difficulté. Nous ne pouvons pas dire que nous ayons eu le culte de la sincérité des états financiers publics. Nous avons vu arriver quand même une imagination assez extraordinaire pour la présentation des comptes publics.

Comment se fait-il que nous n'ayons pas eu le plus tôt souci d'essayer de distinguer précisément ce qui était de l'investissement et ce qui était du fonctionnement ? Mais cela c'est extrêmement difficile dans un Pacte de Stabilité et de Croissance. J'ai vu des propositions tendant à dire qu'il fallait isoler par exemple les dépenses de défense. Alors c'est intéressant comme concept, cela peut permettre de passer un moment agréable pour en débattre mais cela n'a pas grand sens sur le plan politique, d'abord parce que vos voisins qui ne dépensent pas la même somme vous demanderont si ce que vous dépensez vous le dépensez bien : est-ce que vous dépensez en dépenses militaires pour de la recherche pour les armes du futur ? Ou bien est-ce que vous soutenez le corporatisme de certains arsenaux au nom de la cohésion sociale ? Ce n'est pas si simple. Je crois qu'il n'y a pas d'espoir à court terme d'avancer dans cette voie, me semble-t-il. J'en parlais récemment avec Monsieur SOLBES que la Commission avait invité, je crois que là-dessus il n'y a pas grand chose à attendre.

Je n'ai pas entendu Monsieur FITOUSSI mais je pense qu'il a dû dire, avec sa sagesse coutumière, qu'il fallait distinguer le bon grain et l'ivraie. C'est sûr que si nous pouvions privilégier l'investissement, les recherches qui conditionnent l'avenir, ce serait l'idéal, mais bien souvent ce n'est pas comme cela que les choses se passent. Bien souvent nous avons des difficultés pour boucler le budget des retraites, des subventions à la SNCF, des subventions à la RATP, parce que vous savez que c'est absolument prioritaire mais nous ne sommes pas dans le bon exercice politique. Nous nous racontons de jolies histoires mais nous n'allons pas au fond des problèmes.

Je crois que chaque Etat membre doit perfectionner son instrument comptable pour être un peu plus lucide, faire de la pédagogie et rendre possibles les réformes structurelles. C'est ce qui est engagé en France. Je pense que la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances doit pouvoir, si la volonté politique est au rendez-vous de ce défi, nous donner vraiment le levier du changement. Sinon chaque Etat membre a tendance à arranger ses comptes comme il le peut, sous le contrôle d'Eurostat, qui remet de l'ordre de manière sentencieuse. Voilà le contexte. Alors qu'est-ce que nous pouvons faire ?

Au plan institutionnel j'ai encore l'espoir de voir aboutir les travaux de la Convention, qu'elle aille dans le sens d'un gouvernement et qu'alors nous n'ayons pas de difficultés à coordonner les politiques économiques mais peut-être faudra-t-il encore attendre quelques années pour qu'il y ait un gouvernement européen.

Je crois qu'il faut renforcer le rôle de l'Ecofin de la zone Euro, ce qui n'est pas très simple parce qu'il faut à la fois, dans nos institutions, qu'il y ait un Ecofin à 15 -demain à 25- et qu'il y ait un Ecofin particulier pour la zone Euro. Néanmoins je crois beaucoup à cette nécessité, il faut qu'au moins les ministres de l'Economie et des Finances des Etats membres qui se sont dotés de la monnaie unique puissent renforcer la coordination.

Au plan monétaire, par exemple, je m'étonne qu'il n'y ait pas une expression politique de l'euro. Il y a le Président de la Banque Centrale Européenne qui s'exprime mais au plan politique chaque Etat membre s'exprime, ce qui donne souvent lieu à une vraie cacophonie et cela n'est pas bon. Aux États-Unis il y a le Président de la Réserve Fédérale, il y a le Secrétaire d'État au Trésor et en dehors de ces deux personnes il n'y a pas d'autre prise de parole sur la politique monétaire. Par exemple, la politique de change, qui s'en charge aujourd'hui ? Je sais bien que cela ne relève pas du politique mais il y a quand même la recherche d'un point d'équilibre et c'est forcément un dialogue assez feutré, souvent discret entre le Ministre des Finances et puis la Banque Centrale et dans le cas particulier je n'ai pas l'impression que le politique pèse beaucoup sur le change. Or, je vois quand même quelques pays qui deviennent des lieux d'accueil pour des activités industrielles disposant de monnaies qui sont complètement en dehors des clous sur le plan du change : prenez le cas de la Chine et du Yuan, qui se préoccupe de remettre le Yuan à sa place en termes de change ? Il n'est pas normal que l'Europe aujourd'hui n'ait pas une possibilité de faire pression. Si la Chine doit entrer dans l'OMC il faut que, en contrepartie, nous tirions au clair les problèmes de parité monétaire. C'est une responsabilité politique.

Je crois que les coordinations, les grandes orientations de politique économique doivent être concertées mais cela restera toujours un exercice délicat parce que nous voyons bien que chaque pays reste quand même très préoccupé par ce qui se passe chez lui. Nous nous racontons de belles histoires, nous avons du mal à entrer dans une dynamique véritablement européenne.

Les politiques économiques ce sont aussi des régulations en matière de concurrence. Nous ne pouvons pas dire que nous soyons très imaginatifs et que nous cherchions à mettre de l'ordre pour qu'il y ait des règles communes en Europe. C'est vrai aussi par rapport aux politiques de transport : si demain nous devons établir une redevance sur les camions qui utilisent les autoroutes, les voies express, j'aimerais bien que l'Europe s'en préoccupe d'une manière plus directe parce que cela aussi c'est un régulateur de l'Économie. Sur les concentrations d'entreprises nous ne pouvons pas dire que nous soyons allés bien loin au plan européen ; c'est la Commission qui s'en préoccupe mais je ne sens pas le politique suffisamment présent.

Donc, je plaide pour un renforcement du rôle politique de l'Ecofin avec l'espoir que les membres sauront surpasser leurs préoccupations locales. Il m'arrive de penser que bien souvent le Conseil fonctionne un peu -toutes proportions gardées- comme un syndicat intercommunal où chaque maire défend les intérêts de sa commune mais se demande quel est le bout de subvention qu'il va pouvoir tirer à son profit. Je voudrais que l'Ecofin puisse intégrer plus directement des préoccupations communes et s'attache à définir des régulations économiques plus conformes aux intérêts de l'ensemble des pays de la zone euro pour faire de la croissance et pour faire de l'emploi.

Voilà, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, les quelques observations que je souhaitais faire. Ce qui me navre c'est de ne pas pouvoir rester jusqu'au bout de votre réflexion mais croyez bien que je serai très attentif aux actes de ce colloque, qui me paraît de première importance.

M. Joël BOURDIN, Président. - Il y aura les actes. Je vous remercie pour cette contribution.

(Monsieur Jean ARTHUIS quitte la séance) .

Nous étions là franco-français. Nous allons passer maintenant à l'intervention de notre voisin britannique et je vais demander au Professeur Christopher ALLSOPP de nous donner son point de vue notamment en ayant en tête ce qui se passe en Grande-Bretagne.

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