CHAPITRE III :
VISITE À L'ORGANISATION DU
TRAITÉ DE L'ATLANTIQUE NORD - OTAN
(BRUXELLES-EVÈRE, 5 MARS 2003)

M. Jean-Guy Branger , Sénateur, ainsi que MM. Jean-Pierre Kucheida , Député, Marc Reymann , Député, et Rudy Salles , Député, Vice-Président de l'Assemblée nationale, ont participé à une visite d'étude au siège de l'OTAN, à Bruxelles-Evère organisée pour les membres de l'Assemblée de l'UEO le 5 mars.

Accueillis par l'Ambassadeur Alessandro Minuto-Rizzo , Secrétaire général délégué, les parlementaires ont entendu des exposés de :

- l'Ambassadeur Günther Altenburg , Secrétaire général adjoint pour les affaires politiques qui a traité de l'ordre du jour de l'OTAN dans le domaine politique (abordant, notamment, les questions de l'élargissement de l'OTAN et de l'Union européenne ainsi que la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive...).

- l'Ambassadeur Daniel V. Speckhard , Secrétaire général adjoint délégué pour les affaires politiques, sur les relations de l'OTAN avec la Russie ;

- M. Jamie Shea , Directeur de l'information et de la presse ;

- M. Edgar Buckley , Secrétaire général adjoint délégué de la Division planification et opérations de défense, sur l'ordre du jour de l'OTAN dans le domaine militaire.

Enfin, les membres de l'Assemblée ont participé à un échange de vues avec des Représentants permanents au Conseil de l'Atlantique Nord, sous la présidence de Lord Robertson , Secrétaire général de l'Organisation.

À l'issue des réunions, la Délégation française a eu un entretien avec S. Exc. M. Benoît d'Aboville , Ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, qui a répondu aux questions des parlementaires sur l'évolution récente de la situation internationale, notamment de la crise irakienne, telle qu'elle est perçue à l'OTAN et, en particulier, de la part des pays d'Europe centrale ayant récemment adhéré à l'Organisation.

CHAPITRE IV :
COLLOQUE SUR « L'EUROPE ET LA NOUVELLE STRATÉGIE DE SÉCURITÉ NATIONALE DES ETATS-UNIS 2 ( * ) - LUTTER ENSEMBLE CONTRE LE TERRORISME »
ET RÉUNIONS DE COMMISSIONS
(ATHÈNES - 17, 18 ET 19 MARS 2003)

L'Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale et la Présidence grecque de l'Union européenne et de l'UEO ont organisé à Athènes, les 17 et 18 mars un colloque sur le thème « L'Europe et la nouvelle stratégie de sécurité nationale des États-Unis - Lutter ensemble contre le terrorisme ».

Au début du colloque, les participants ont entendu des allocutions de MM. Apostolos Kaklamanis , Président du Parlement hellénique, Jan Dirk Blaauw , Président de l'Assemblée de l'UEO et Théodoros Pangalos , Vice-Président de l'Assemblée de l'UEO, Président de la délégation grecque.

Première séance :
« L'Europe et la nouvelle stratégie de sécurité nationale des États-Unis »

Cette séance a été ouverte par un discours liminaire de M. Ioannis Magriotis , Secrétaire d'État aux Affaires étrangères de Grèce. Puis M. Lluis Maria de Puig (Espagne - Soc.), rapporteur de l'Assemblée de l'UEO sur ce thème, a présenté ses premières observations, suivies d'interventions de MM. Karolos Papoulias , Président de la Commission permanente de la défense nationale et des affaires étrangères du Parlement hellénique, Ivan Eland, Directeur du Center for the study of War, Crises and Liberty, the Independent Institute, qui a son siège à Oakland (Californie -  USA) ; M. Vladimir Loukine , Président adjoint de la Douma d'État de la Fédération de Russie, quant à lui, a traité des conséquences pour la sécurité mondiale, étendant son propos à la situation internationale et en particulier au rôle de l'Organisation des Nations Unies.

Dans le débat qui a suivi ces exposés, plusieurs membres de la Délégation française sont intervenus.

M. Jean-Pierre Masseret , Sénateur, Président délégué de la Délégation française à l'Assemblée de l'UEO , a rappelé qu'en Europe il y a encore des pays qui sont dépendants des intérêts américains et qui ne reconnaissent guère d'identité européenne spécifique, qu'il s'agisse de valeurs ou d'intérêts.

Il s'est interrogé sur les conséquences de la division des Européens (enjeux, risques, enseignements). Il a soutenu le choix d'une « Europe puissance ». Il n'est pas question d'accepter une relation de vassalité face à un suzerain. La logique de l'administration américaine consistant à affirmer « nos intérêts vitaux sont les vôtres » n'est pas acceptable. D'où l'importance de s'employer à avoir la capacité de développer un projet politique, concrétisé par une véritable PESD et une réelle politique industrielle européenne en matière d'armement, et ce non par volonté de puissance hégémonique, mais pour exister politiquement. Pour ce faire, une très forte volonté politique est nécessaire. Les parlements nationaux ont leur rôle à jouer dans ces initiatives. Il faudra aussi renforcer les relations avec la Russie dans le cadre de la PESD.

Il faut par ailleurs se pencher sur les disparités économiques de la planète, car l'écart excessif entre pays riches et pays pauvres favorise la naissance du terrorisme. Le terrorisme prend racine dans l'affaiblissement des États et les trop grandes inégalités de développement. Ce n'est pas un seul État, même superpuissant, qui peut résoudre à lui seul tous ces problèmes et encore moins par des moyens seulement militaires !

Puis, Mme Josette Durrieu , Sénateur , a mis en avant la continuité de la politique des États-Unis. On avait déjà vu le nouveau concept stratégique de l'OTAN se mettre en place en 1999, il ne faut donc pas s'étonner si on en subit aujourd'hui les effets. Dès le sommet de l'OTAN en 1999, alors que M. Clinton était Président, le nouveau concept stratégique de l'Alliance omettait de poser clairement comme condition nécessaire à une action de l'Alliance l'existence d'un mandat des Nations unies. On exprimait également la possibilité d'une action « hors zone » de l'Alliance atlantique et on élargissait les domaines d'action de l'Alliance aux domaines non militaires.

Même si la guerre est « foudroyante », elle sera avant tout le triomphe de la force, du pouvoir et de l'unilatéralisme sur le droit et le consensus.

Le Président Bush exprime une conception du « bien » de type ultra-chrétien. En lutte contre l'intégrisme musulman, il se sent investi d'une « mission ».

Mme Josette Durrieu se déclare optimiste malgré tout, car l'opinion publique, notamment en Europe, devance souvent ses responsables politiques pour la défense de l'ordre international.

L'attitude des anciens pays du bloc soviétique ne doit pas nous surprendre car leur histoire explique qu'ils aient quelque peine à résister aux États-Unis : c'est à nous de démontrer la force et l'attrait d'une Europe autonome.

Mme Josette Durrieu s'est, enfin, interrogée sur l'avenir du rôle de l'Europe dans un système d'alliances unipolaire.

M. François Loncle , Député , a insisté sur le fait que dans l'Europe d'aujourd'hui comme de demain, aucun pays ne peut recevoir de leçon de liberté. Les États-Unis sont fiers de « conduire » leur importante « mission ». Cela implique-t-il que les autres pays doivent « suivre » ? Quelle est la nature de la mission ?

Les États-Unis n'ont pas suffisamment évalué les risques de déstabilisation dans la région du Moyen-Orient. Ont-ils vraiment pesé les risques de recrudescence du terrorisme et la valeur de « précédent » que pourrait revêtir un acte unilatéral pour d'autres pays dans le monde ?

Leurs buts de guerre ne sont pas énoncés avec suffisamment de clarté. Ils en ont invoqué plusieurs successivement. De plus, ces objectifs ont été trop peu discutés au sein du Conseil de sécurité.

Par ailleurs, la relation entre la grande Europe et les États-Unis doit être reconsidérée. Cette relation doit être conduite en vertu du principe de la « concertation ». L'Europe a autant besoin des États-Unis que les États-Unis ont besoin de l'Europe.

M. Rudy Salles, Député , a contesté, pour sa part, les notions d'« anti-Américains » ou de « pro-Américains ». Il y a simplement des « Américains » et des « Européens » qui sont amis. On peut avoir des interprétations différentes et des désaccords, mais cela ne signifie pas que nous sommes ennemis. Au contraire, entre de vrais amis, cela est normal.

Sur l'action en Irak, le problème de fond est celui de la légitimité de l'action militaire dans ce pays. Sur ce point, la France et bon nombre d'autres pays européens ont pris des positions contraires à ce que souhaitent les États-Unis.

Les États-Unis ne sont pas condamnables. Ils sont la seule superpuissance puisque l'Europe est incapable de s'organiser politiquement et risque de dériver vers une zone de libre-échange sans dessein politique. L'attitude des États-Unis nous renvoie donc à nos propres faiblesses. Il faut, dès lors, travailler à renforcer le poids politique de l'Europe.

M. Jean-Guy Branger, Sénateur , a rappelé, quant à lui, que les Européens sont les amis des Américains mais qu'ils ont une approche différente concernant l'Irak. Pourquoi diriger la guerre contre l'Irak plutôt que l'Iran ou la Corée du Nord par exemple, qui réactive son réacteur nucléaire en vue de fabriquer une bombe atomique ?

Une grande vigilance est nécessaire à l'égard du régime de Saddam Hussein, mais pourquoi s'attaquer à ce régime non démocratique alors que tant d'autres régimes dans le monde mériteraient aussi des réformes pour y instaurer la démocratie ?

Il faut permettre aux inspecteurs de continuer leur travail et ainsi éviter la guerre dans cette région. Si une décision unilatérale de recours à la force devait être prise, il faudrait au moins trouver une solution diplomatique multilatérale pour l'après-Saddam. On ignore encore ce qui se passera après la guerre, a-t-il conclu.

Deuxième séance :
« Conséquences pour l'OTAN et la coopération transatlantique »

S.Exc. M. Thomas J. Miller , Ambassadeur des États-Unis en Grèce, a exposé le point de vue de l'Administration américaine, en ouverture de cette séance.

M. Thomas J. Miller a tout d'abord souligné que le sommet de Prague de l'Alliance représente un changement important de l'OTAN pour le nouveau siècle. L'Alliance doit évoluer pour faire face aux nouvelles menaces. Aujourd'hui, l'Europe vit en paix et les menaces proviennent des États instables et du terrorisme international, ainsi que des armes de destruction massive. Comme l'a dit le Secrétaire général de l'OTAN, Lord Robertson, « la géographie n'est plus un bouclier ». Les populations civiles sont également visées. Il n'existe plus de combat théorique entre ceux qui sont « dedans » et ceux qui sont « dehors ». L'OTAN doit pouvoir intervenir en dehors des frontières de ses États membres à chaque fois que la sécurité des populations l'exige.

Pour affronter le terrorisme mondial, l'Alliance doit être plus souple, plus adaptable et développer des relations avec d'autres pays concernés comme la Russie et l'Ukraine, les pays du Caucase et de l'Asie centrale.

Les États-Unis, pour leur part, ont décidé d'augmenter leur budget de la défense (qui représente 3,5 % de leur PIB) et espèrent que les alliés feront aussi des efforts dans ce sens (pour atteindre au moins les 2 % du PIB). L'Europe doit participer davantage à l'effort commun, tant sur le plan budgétaire qu'en poursuivant la réforme des forces armées. Elle doit rattraper son retard en matière de capacités. En contrepartie, les États-Unis doivent ouvrir plus leurs marchés.

De son côté, l'OTAN a décidé de rénover ses structures de commandement et de mettre sur pied une force de réaction de 20 000 soldats pouvant être déployée dans un délai de 7 à 13 jours, qui sera complémentaire de la force d'intervention de l'Union européenne qui, quant à elle, aura la responsabilité des missions de Petersberg.

Il existe des divergences entre alliés sur le traitement à appliquer en vue de lutter contre la prolifération des armes de destruction massive.

Sur la question irakienne, les avis divergent mais les faits sont connus : violations répétées des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, poursuite illégale de programmes d'armes de destruction massive, notamment d'armes biologiques, violations des droits de l'homme et soutien au terrorisme international. La Résolution 1441 du Conseil de sécurité, votée à l'unanimité, établit la responsabilité des autorités irakiennes. Le désarmement doit être complet, comme ce fut le cas en Afrique du Sud et en Ukraine à la fin de la guerre froide. Il est nécessaire de contrer la menace et la direction irakienne doit prendre ses responsabilités politiques.

Un ultimatum a été lancé au régime irakien. Les États-Unis n'ont pas le choix. La force est la seule solution. L'objectif des Nations unies sera réalisé. L'Irak sera désarmé. La question n'est plus le nombre des inspecteurs et le temps qu'il convient de leur donner pour accomplir leur mission. La question se pose désormais en d'autres termes. Saddam Hussein est mis au pied du mur. Il existe encore un créneau alternatif à la guerre mais il est très étroit.

Sur le recours à la force, qui est nécessaire, il est clair que le niveau d'acceptation de la menace n'est plus le même aux États-Unis depuis les attentats du 11 septembre. On ne peut pas attendre que l'Irak soit en mesure de menacer réellement les États-Unis pour agir.

Il n'y a pas d'unité de vues, mais Américains et Européens poursuivent le même objectif : le désarmement de l'Irak. Il y a des États européens qui soutiennent les États-Unis et la manière forte (notamment l'Italie, l'Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Danemark, ainsi que d'autres États d'Europe centrale et orientale) avec d'autres membres de la communauté internationale qui souhaitent poursuivre dans la voie du désarmement pacifique. Mais il faut une coopération entre tous pour préparer la période d'après-guerre et pour continuer à combattre le terrorisme international et la menace des armes de destruction massive. L'important est de penser à ce qui suivra, avec l'espoir d'oeuvrer ensemble pour relever les défis et combattre les menaces futures.

M. Mario Palombo , Vice-Président de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, et M. William Hopkinson , Associate Fellow, Royal Institute for International Affairs and Royal United Services Institute for Defence Studies (Royaume-Uni) se sont, à leur tour, adressé aux participants.

Dans le débat qui a suivi cet exposé, plusieurs délégués français ont interrogé le Représentant de la diplomatie américaine. M. Jean-Pierre Masseret , Sénateur , a souligné, tout d'abord, que l'interprétation selon laquelle les pays qui ont voté pour la Résolution 1441 ont voté pour l'engagement militaire, est contestable et fausse. Ils ont voté pour le désarmement.

Il est vrai que Saddam Hussein ne coopère pas, mais les risques d'une intervention armée sont supérieurs aux avantages qui pourraient en résulter. Le désarmement continue à progresser malgré le manque de coopération totale du régime irakien. En outre, le lien entre l'Irak et le terrorisme n'est pas prouvé.

Le choc du 11 septembre est compréhensible mais l'analyse des causes profondes des attentats n'a pas été menée à bien par l'administration américaine. Il faut agir contre les organisations terroristes mais aussi contre l'injustice et la pauvreté. Nous connaissons tous les faiblesses des actions entreprises par des organisations telles que le G8, la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international.

M. Rudy Salles , Député , a souhaité relever la grande unanimité de la France sur la question irakienne. Le consensus transcende les clivages politiques. La France est amie des États-Unis. Il s'agit d'une amitié ancienne et forte. Mais sur la question irakienne, l'appréciation des deux pays est différente. Le différend concerne tant le fond que la procédure. Sur le fond, la France pense que le conflit aurait pu être évité. Sur la procédure, c'est le Conseil de sécurité des Nations unies qui doit décider de la guerre, comme cela fut le cas pour l'Afghanistan.

Les attentats de 2001 ont touché tous les pays. Le terrorisme est condamné par la France (qui elle-même a déjà été victime d'attentats terroristes sur son sol). Mais elle est opposée aux opérations punitives. Le déséquilibre entre les pays riches et les pays pauvres est le terreau du terrorisme. Il faut traiter les conséquences mais surtout les causes.

L' Ambassadeur Miller a pris la parole à la suite de ces observations pour rappeler que les États-Unis n'ignorent pas les causes du terrorisme et le contexte dans lequel il se développe : la misère, les dictatures, tout cela est bien pris en compte avec l'aide internationale qui s'élève, par exemple, pour la seule lutte contre le sida en Afrique, à 15 milliards de dollars. Mais les aides au développement ne devraient être fournies qu'aux pays disposés à prendre des mesures pour que les fonds servent vraiment au développement du pays et ne soient pas gaspillés.

L'Ambassadeur reconnaît que la liste des « États instables » est très longue. En ce qui concerne la recherche d'une solution négociée au problème du désarmement irakien, il rappelle que, pendant des années, les États-Unis ont beaucoup travaillé dans le cadre de l'ONU : il y a eu plusieurs Résolutions supplémentaires mais toute recherche de compromis s'est révélée inutile. On ne peut pas discuter à l'infini. La Résolution 1441, comme nombre de Résolutions précédentes, évoquait la possibilité pour l'Irak de « conséquences graves » résultant des violations continues de ses obligations. Dès lors, le point de non-retour a été atteint. Le veto annoncé d'un pays a contraint d'autres pays du Conseil de sécurité à agir comme ils l'ont fait.

Colin Powell a pourtant présenté des preuves au Conseil de sécurité. Certains les ont malheureusement estimées discutables. Si un petit nombre de personnes, dotées d'armes peu sophistiquées, ont pu faire tant de dégâts le 11 septembre, quel sera le sort de la planète avec tant d'armes de destruction massive entre les mains d'États irresponsables et d'organisations terroristes ?

Avec cette guerre, le processus de paix au Proche-Orient pourrait être relancé et la situation de l'ensemble de la région pourrait radicalement changer.

Selon l'Ambassadeur Miller , il faut certes s'attaquer aux racines du terrorisme, mais il rappelle néanmoins que les auteurs des attentats du 11 septembre étaient éduqués et ne provenaient pas des classes défavorisées.

L'Ambassadeur Miller regrette qu'il ne soit pas possible de faire de la politique étrangère « après coup » en tenant compte des événements postérieurs. Il reconnaît que, par le passé, les Américains ont soutenu Saddam Hussein, car il s'avérait être le moindre mal face aux dictatures voisines. L'Iran était à l'époque la grande menace. De même, les États-Unis ont soutenu Ben Laden pour contrer l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS. Mais aujourd'hui, la donne a changé, par conséquent la politique américaine aussi.

Troisième séance : « Perspectives pour la PESC/PESD »

Au cours de cette séance, se sont exprimés MM. Yannos Papantoniou , Ministre de la Défense de Grèce et Anatol Lieven , Senior Associate, Carnegie Endowment for International Peace (États-Unis).

Dans le débat qui s'est ouvert sur ce troisième thème, Mme Josette Durrieu , Sénateur , a exprimé sa préoccupation quant aux conséquences de la crise irakienne pour l'avenir. L'OTAN est en déclin. Bien que l'accord de sécurité UE/OTAN ait été signé le 14 mars, la présence militaire de l'UE dans l'Ancienne république yougoslave de Macédoine sera extrêmement modeste. On parle de 300 à 350 hommes sous les ordres du Général français Pierre Maral, Commandant des forces de l'UE, et sous le commandement opérationnel du D-SACEUR allemand, l'Amiral Rainer Feist, opérant du siège de l'OTAN à Mons. Il est par conséquent légitime de se demander si l'Union Européenne n'aurait pas pu agir dans l'ARYM sans recours à l'OTAN. Et surtout, il faut s'interroger pour l'avenir : Sommes-nous capables d'aller plus loin, « vieille » et « jeune » Europe ? L'espace économique est une réalité. L'espace sécuritaire est assuré par l'OTAN. Estime-t-on que le « compte est bon » ainsi ? Où veut-on développer un espace politique ? Il faudrait que les Européens oeuvrent tous dans le même sens en faveur de la PESC, des missions de Petersberg, de l'autonomie évoquée à Cologne mais pas à Nice. L'Europe de la sécurité et de la défense est encore à construire, avec des projets concrets tels Helios et Galileo. Mais les blocages politiques sont nombreux. Les citoyens semblent nous avoir envoyé un message. Il nous faut l'entendre.

Quatrième et dernière séance :
« Les réponses communes au terrorisme international
et les défis futurs pour la sécurité »,

Ce thème a été traité successivement par MM. Michael Chrisohoidis , Ministre de l'Ordre public de Grèce, Gustavo Selva , Président de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des députés italiens, Ismael Cem , ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et Pascal Boniface , Directeur de l'Institut français des relations internationales et stratégiques.

M. Ismael Cem (ancien Ministre des affaires étrangères de la Turquie), dans son intervention, a analysé les réponses communes au terrorisme international et défis futurs pour la sécurité.

Etant donné l'environnement politique d'aujourd'hui, à propos duquel on pourrait parler de « coïncidence », certains pourraient s'en référer à « l'ironie de l'histoire » : dans la situation actuelle, comment peut-on percevoir l'Europe et les Etats-Unis comme éléments d'une approche intégrée et parler de « réponses communes au terrorisme international et aux défis futurs en matière de sécurité » ? Tous ces thèmes, sujets, concepts et perceptions semblent appartenir à une époque lointaine tant ils sont dépassés et rendus caducs par les récents événements en Irak, aux Nations unies, à l'OTAN et à l'Union Européenne.

D'après M. Cem , le même constat s'applique à la « nouvelle » stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis : sa « nouveauté » semble perdre de son lustre à grande vitesse, tant son principal pilier, sa principale hypothèse semblent désormais dépourvus de toute substance. Le pilier de la nouvelle stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis, actualisée en septembre 2002, est la coopération pleine et entière avec les autres grandes puissances. M. Cem cite : « Nous préserverons la paix en construisant de bonnes relations entre grandes puissances ». Autre principe ancré dans la stratégie : « Aujourd'hui, les grandes puissances du monde se trouvent dans le même camp, unies par l'exposition partagée aux dangers de la violence terroriste ». Troisième principe à la base de cette stratégie : « Les Etats-Unis sont attachés à des institutions durables telles que les Nations unies (...) et l'OTAN ». Tout ceci résonne comme l'écho d'une ère révolue.

On peut avancer une évaluation préventive et conclure que les développements récents concernant l'Irak et les Nations unies ont déjà fait voler en éclats les concepts de « lutte commune » et d'« appartenance à un même camp ». Ces mêmes développements donnent une image caricaturale des Etats-Unis et ont provoqué des fissures au sein de l'OTAN et de l'Union Européenne. Les fondements mêmes de la stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis sont ainsi mis entre parenthèses et l'Europe, ou certains pays européens comme la France, l'Allemagne et la Russie, censés figurer parmi les piliers étrangers de cette stratégie, sont tenus pour responsables.

Ce sont les Nations unies qui subissent le sort le plus tragique : cette organisation, envers laquelle les Etats-Unis prétendent être engagés, semble prendre le même chemin que la Société des Nations en son temps. Si ses décisions conviennent à la volonté d'un de ses membres éminents, elles sont valables ; dans le cas contraire, elles sont nulles et non avenues. Evidemment, il y a déjà eu des précédents, mais aucune crise n'a été aussi manifeste et aussi cruciale que celle-ci. On peut même affirmer que les Nations unies sont au bord de l'obsolescence.

En résumé, la dimension internationale de la stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis semble ne pas tenir la route en raison de la faille qui s'est creusée entre les Etats-Unis, les Nations unies et de grandes puissances européennes : or, la stratégie de sécurité nationale était supposée s'appuyer sur la coopération avec ces dernières.

Selon M. Cem , de toute évidence, notre perception du « combat commun », de la « lutte commune contre le terrorisme » et notre concept de « légitimité » sont entachés d'erreur. Et si nous ne nous appliquons pas à corriger ces appréhensions fausses, nous risquons d'être les grands perdants et les terroristes disposeront des créneaux qu'ils veulent exploiter.

Premier point : pour lutter « ensemble » contre le terrorisme, il faut un large consensus autour du niveau de menace que représente une forme particulière de terrorisme, de l'imminence de la menace et de la légitimité des mesures coercitives à adopter. L'Afghanistan est un exemple où toutes ces conditions ont été réunies. C'est tout le contraire avec l'Irak. C'est pourquoi les Etats-Unis, les Nations unies et quelques grandes puissances européennes ne sont pas sur la même longueur d'onde et une action à caractère unilatéral est en cours de préparation. C'est une « violation » grave de la « nouvelle stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis ».

Second point : pour fournir « une réponse commune », il faut que les Etats-Unis, les Nations unies et les Européens convergent dans leurs analyses de la situation. Ce n'est pas le cas pour l'Irak : les Etats-Unis sont convaincus que la guerre imminente contre l'Irak va mettre un terme aux menaces terroristes. Les Nations unies ainsi que la Russie et la Chine, membres permanents du Conseil de sécurité, mettent en question l'imminence de cette guerre. Pour sa part, la France estime que déclencher la guerre contre l'Irak maintenant ne préviendra pas le terrorisme. Au contraire, celle-ci va provoquer une nouvelle vague de terrorisme mondial qui n'épargnera pas l'Europe.

Troisième point : la légitimité. Si, en cas de guerre, autrement dit, de vie et de mort, les Nations unies détiennent la légitimité, alors toutes les parties doivent en respecter les décisions et le processus décisionnel. Si l'on veut produire une réponse commune au terrorisme, il faut un mécanisme fiable et respecté, ce qui, une fois encore, n'est pas le cas avec les événements récents. C'est pourquoi les Nations unies, autre pilier de la stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis, sont gravement menacées d'obsolescence.

En conclusion, face à une ONU discréditée, une OTAN et une Union Européenne divisées, le monde est davantage exposé aux dangers terroristes que dans la période qui a précédé la crise irakienne. Alors que faire ?

1. Pour lutter ensemble contre le terrorisme, d'une manière efficace et totale, pour traiter les conflits régionaux, pour enclencher une réponse commune, il faut que les acteurs de part et d'autre de l'Atlantique coopèrent et qu'il y ait une instance centrale respectée qui coordonne et décide les actions. Si ces facteurs sont relégués au second plan ou absents, comme c'est apparemment le cas actuellement, l'efficacité de la lutte contre le terrorisme est compromise.

2. Pour combattre le terrorisme d'une manière efficace, il faut déployer tous les efforts possibles pour faire renaître un état d'esprit favorable à la consultation, à la coopération et à la coordination. Les ravages causés par l'unilatéralisme récent doivent être réparés. Des initiatives unilatérales semblant produire des résultats à court terme risquent à la longue de déboucher sur des développements négatifs.

3. Et enfin, la nouvelle stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis, privée d'une participation substantielle de l'Europe et d'une dimension onusienne, sera un instrument strictement américain. Il ne servira pas la cause du monde et ne répondra pas à ses besoins. M. Cem doute même qu'il réponde à ceux des Etats-Unis.

M. Cem exprime sa position personnelle, qui est aussi celle du gouvernement turc actuel, sur l'absolue nécessité de maintenir l'intégrité territoriale de l'Irak. Le scénario le plus dangereux serait celui d'une scission entre les Arabes irakiens et les Kurdes irakiens.

M. Cem , enfin, conclut son propos en déclarant ne pas croire à la situation tellement grave qu'une intervention militaire de la Turquie soit nécessaire. Elle n'interviendra qu'en cas de risque pour sa propre sécurité ou d'action hostile. Nous vivons une situation absurde et contraire au droit international dans laquelle un pays tiers a pris contact avec des organisations dans le nord du territoire irakien afin de renverser le gouvernement de ce pays.

M. Pascal Boniface, prenant ensuite la parole dans cette dernière séance, a donné son point de vue sur la politique menée par la France : a-t-elle agi plutôt « pour l'ONU » ou « contre les États-Unis » ?

Il a rappelé que l'Irak n'est que le cinquante-troisième partenaire commercial de la France. On ne peut donc pas invoquer les intérêts économiques pour expliquer la position française. De plus, lors de la première guerre du Golfe en 1991, la France avait participé à la guerre. On ne peut pas non plus parler d'antiaméricanisme de la part des autorités françaises, mais plutôt d'opposition à la politique de l'Administration Bush concernant précisément la gestion du cas irakien.

En ce qui concerne le veto de la France à la guerre dans le contexte actuel, il faut se rappeler que la France ne s'est pas opposée au principe même de la guerre. Si MM. El Baradei et Blix avaient déclaré qu'il leur était impossible de continuer leurs travaux, la France aurait voté pour le recours à la force.

Certes, les motivations françaises sont multiples et l'intérêt national français était aussi en jeu. La priorité française est la prééminence du Conseil de sécurité. Cela correspond aussi au souci exprimé par le Secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan .

Il est dommage que le couple franco-allemand ait été perçu comme travaillant « à part », à l'écart de ses partenaires européens.

L'Amérique latine, l'Afrique ou l'Asie voient dans l'Europe une alternative à la toute puissance unilatérale des États-Unis. Il ne faut pas sous-estimer l'attente des pays des autres Continents vis-à-vis de l'Europe. Si, un jour, l'Europe « puissance » vient à naître, elle ne sera ni le fruit, ni la source d'une politique unilatérale. Selon M. Boniface , la politique de l'Europe sera forcément multilatérale car élaborée en commun entre les États membres de l'Union. Il n'existe plus un seul pays en Europe pouvant désormais imposer sa seule position.

M. Pascal Boniface a fait le point sur le dilemme auquel la France est confrontée. En cas d'inaction, elle sera accusée d'indifférence. En cas d'intervention, on lui reprochera son appât du gain. Si la reconstruction est décidée et organisée sur le plan international sous l'égide de l'ONU, tous les pays seront appelés à y participer quel que soit leur position sur le bien-fondé de la guerre actuelle. Si l'Administration américaine se réserve le droit de reconstruire le pays de manière unilatérale, il ne faut pas s'attendre à ce que la France, mais non plus l'Europe dans son ensemble soient appelées à participer à cet effort. Les propos récents de M. Chris Patten , Commissaire européen pour les relations extérieures, l'attestent.

Les conclusions du colloque récapitulant interventions et débats ont été prononcées par M. Lluis Maria de Puig .

Plusieurs commissions de l'Assemblée de l'UEO se sont également réunies à Athènes.

Ont participé à ces travaux : M. Jean-Pierre Masseret , Président délégué de la délégation parlementaire française, Vice-Président de l'Assemblée de l'UEO, Mme Josette Durrieu , MM. Marcel Debarge , Président de la Commission des Relations parlementaires et publiques, Michel Dreyfus-Schmidt et Jean-Guy Branger , Président de la Commission du Règlement et des Immunités de l'Assemblée de l'UEO, Sénateurs , ainsi que M. Rudy Salles , Député , Vice-Président de l'Assemblée nationale, et MM. François Loncle, Guy Lengagne, Jean-Pierre Kucheida, Jean-Claude Lefort, Jean-Marie Le Guen et Marc Reymann , Députés.

* (2) Le compte rendu intégral du colloque a été publié par l'Assemblée de l'UEO. Le document peut être consulté sur le site : http://www.assembly_weu.org/fr/accueil.php

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