LES RAPPORTS EN FIN DE MISSION : LA DIFFICULTÉ DE RETRACER DE MANIÈRE FIABLE ET EXHAUSTIVE LES ACTIVITÉS DU TERRAIN

Les éléments observés sur le terrain

Ce point a constitué un élément très important de l'observation et des entretiens réalisés. En effet, la gestion du temps de travail passe par le contrôle de la bonne exécution des missions et la maîtrise des écarts éventuels avec les tâches assignées.

Des outils de suivi différents

Pour faire ce suivi, il existe aujourd'hui trois types de rapport pour les équipes qui rentrent de mission sur le terrain ou qui rendent compte d'une activité passée « au bureau ».

§ dans la police, sauf à la Préfecture de Police, les gardiens de la paix utilisent la Main Courante Informatique (MCI), version classique ou nouvelle version dite « graphique », plus ergonomique,

§ dans les unités de la Préfecture de Police, les rapports sont consignés à la main dans de grands registres, dont la nature peut varier en fonction des tâches effectuées,

§ dans la gendarmerie, différents rapports d'activité peuvent être saisis dans l'application BB 2000 (les comptes rendus de service, les procédures, les timbres-amendes...) mais aussi depuis le système ARAMIS de suivi des appels d'urgence dans les groupements.

Une utilisation peu optimisée

Avant de se pencher sur le contenu des comptes rendus d'activité, il est important de regarder dans quelle mesure le temps passé à leur réalisation est lui-même efficace. A l'évidence, on observe une diversité certaine.

Exemple : dans un commissariat central, les saisies de chaque patrouille revenant de mission se font à deux ou à trois sur un même ordinateur, à la fois pour assurer la fidélité des informations rentrées dans le système et parce que « pendant ce temps-là, les deux autres membres de la patrouille attendent de toute façon ». Cela signifie que trois personnes sont souvent immobilisées pendant 30 minutes environ.

Exemple : dans un groupement de gendarmerie, chaque opérateur du COG consigne chaque appel reçu sur un bloc note avant de le saisir dans ARAMIS. Par la suite, les comptes rendus sont imprimés et remis au chef de poste qui rédige un rapport d'activité de la nuit sous forme d'un tableau Excel 82 ( * ) .

La notion de compte rendu de service peut parfois cacher plusieurs rapports.

Exemple : dans une brigade, le retour de service des gendarmes les amène souvent à saisir plusieurs comptes rendus pour une même mission. Ainsi, le constat d'un crime ou délit est-il d'abord saisi dans le module de gestion du service de BB 2000 avant de faire l'objet d'un Message d'Information Judiciaire (MIJ) accompagné d'un Message d'Information Statistique (MIS). Après avoir ainsi effectué ces renseignements, il faudra encore transmettre ces données à la compagnie par disquette depuis le poste RUBIS.

Mais certains événements de voie publique peuvent encore compliquer l'exercice. C'est en effet le cas lors d'un accident de la circulation. Ce cas, assez courant, se décompose en 6 étapes :

§ le compte rendu de l'accident proprement dit sur messagerie RUBIS,

§ le compte rendu d'intervention si l'accident a lieu de nuit afin d'informer le COG et l'unité territorialement compétente RUBIS,

§ le rapport Accidents Tués Blessés (ATB) sur RUBIS,

§ le Bulletin d'Analyse des Accidents Corporels de la Circulation (BAAC) sur BB 2000,

§ la rédaction d'un croquis (mesures, photos, points fixes...),

§ sans omettre un compte rendu verbal au Parquet en cas d'accident mortel.

L'absence d'interconnexion entre les différents messages alourdit d'autant la procédure de compte rendu, tout en augmentant le risque d'erreur dans la saisie. Certaines brigades n'étant pas équipées du réseau, il n'est pas ra re que plusieurs comptes rendus soient en souffrance par manque de disponibilité du poste au moment du retour de patrouille. Dans ce cas, il faut encore intégrer les rapports dans chacun des postes BB 2000 de l'unité. Enfin, dans chaque brigade, le poste de saisie des comptes rendus est distinct de celui d'envoi des messages, augmentant les saisies avant envoi.

La complexité du suivi des communautés de brigades

Dans le cadre du déploiement des communautés de brigades, la saisie des rapports de fin de mission depuis les brigades de communauté est réalisée à distance et bloque le poste maître situé dans la brigade principale pendant le temps de l'opération. Les rapports sont alors enregistrés sur le poste de la brigade de communauté, mais ils demandent de respecter une file d'attente.

Exemple : dans un commissariat central, la saisie se fait sur le seul ordinateur mis à disposition des équipages : il arrive très fréquemment que deux ou trois équipes fassent la queue pour pouvoir à leur tour faire leur compte rendu informatique.

Par ailleurs et du fait de l'absence totale d'interface entre les logiciel de compte rendu (MCI et BB 2000) et les applications de saisie de plainte (LRP et STIC), de nombreuses informations sont saisies plusieurs fois. On peut estimer à 10-15 minutes par plainte le temps perdu à ces doubles saisies.

Une fiabilité incertaine du fait de l'écart entre outil et réalité du terrain

La plupart des personnes rencontrées considèrent comme difficile, voire impossible, la traduction de l'activité en rapports de fin de mission dans les outils proposés. Les rapports se font dans certains cas en fin de journée, et il est difficile de se souvenir des tâches effectuées et a fortiori du temps consacré à chaque tâche.

Exemple : dans un commissariat central, la Main Courante Informatique (MCI) correspond, en fait, à la feuille de mission saisie par le chef de poste en début de mission : ce planning devient compte rendu du travail réalisé, quelles que soient les variations éventuelles dans la journée.

Une nomenclature très détaillée existe pour décrire les missions réalisées : elle comporte 166 items pour la Main Courante Informatique (MCI) dans la police et 102 items pour BB 2000 dans la gendarmerie. Il devient dès lors quasiment impossible pour quiconque de trouver rapidement la ou les tâches qui décriront le plus parfaitement son activité.

Exemple : dans un commissariat, il a pu être noté que plusieurs gardiens de la paix reconnaissent choisir leur activité dans une liste tacite de 10 activités maximum, « par habitude plus que par choix ».

Exemple : dans un autre commissariat, le commissaire en charge du Service de Police de Proximité s'étonne de voir « plus de 10 catégories pour rendre compte d'un suicide ». Pour simplifier les choses, il dresse une liste de 50 critères à utiliser dans la Main Courante Informatique (MCI) 83 ( * ) : ainsi espère-t-il réduire la marge d'erreur et le recours trop systématique à la tâche « autres » (ZZZ) que propose l'application.

Exemple : dans un PSIG, les gendarmes reconnaissent la complexité de la nomenclature disponible pour classer leur activité ; cherchant à renseigner le départ des gendarmes adjoints volontaires pour un examen d'entrée en école de sous-officiers, ils qualifieront finalement l'opération de « concours commandement ».

A la difficulté d'indiquer la référence exacte de l'activité réalisée s'ajoute le nécessaire contrôle des informations saisies. L'intervention dans BB 2000 pour détailler chaque mission pose certaines difficultés de saisie.

Exemple : dans une brigade, le commandant d'unité s'astreint à un contrôle systématique des comptes rendus de service saisis au cours de la journée. En effet, le bulletin de service qui prévoit l'activité des gendarmes n'est pas systématiquement « tronçonné » en autant de parties qu'il y a de taches effectuées au cours de la mission. Lors d'une mission de surveillance générale, les gendarmes enchaînent différentes activités qu'il n'est pas aisé de retranscrire par le détail à l'issue de 4 heures de patrouille.

Au total, la fiabilité est loin d'être démontrée et la plupart des acteurs rencontrés le regrettent (« à force de compliquer le système, on ne mesure plus rien »).

La difficulté de consolidation

Pour servir d'outil de gestion des heures de travail passées et ainsi contrôler autant que possible l'efficacité, voire l'efficience des gardiens de la paix et gendarmes, il faut pouvoir consolider les données.

Dans la gendarmerie, cette consolidation se fait au plan national et les tableaux synthétiques redescendent ensuite dans chaque unité.

Dans la police, chaque commissaire peut, à sa guise, utiliser les restitutions prévues par l'application de la Main Courante Informatique (MCI). Bien entendu, les données en entrée sont souvent un peu confuses, comme évoqué précédemment, ce qui a un impact direct sur la fiabilité des consolidations. Certains semblent assez défaitistes devant ce dysfonctionnement (« c'est une usine à gaz dans laquelle les temps consolidés ne veulent rien dire : pourtant, on continue à en faire des jolis tableaux tous les mois »).

Certains prétendent que seule l'évolution des chiffres est intéressante et fiable. Sur ce point, il convient d'être très prudent. En effet, du fait du manque d'harmonisation des pratiques, en particulier dans la police, et de la rotation régulière des encadrants, les indicateurs de mesure changent souvent. Il devient dès lors impossible de suivre des évolutions cohérentes.

Exemple : un commissaire en charge du Service de Police de Proximité est arrivé il y a un an et demi et a institué depuis un suivi totalement différent de son prédécesseur. Ce commissaire quitte son service dans deux mois. Les passages de relais n'étant pas organisés (travail en commun, explication au successeur du contexte et des méthodes de travail convenues,...), rien ne garantit que le prochain commissaire en charge du service mesurera les mêmes indicateurs.

Certains commissaires, soucieux à juste titre d'impliquer leurs agents dans la bonne maîtrise de l'activité, leur font remplir d'autres tableaux de suivi en dehors du système de la Main Courante Informatique (MCI). Dans tous les cas, la cohérence est faible entre les restitutions de la MCI et les outils de suivi « maison ».

Exemple : un commissaire fait remplir chaque mois à ses hommes le compte rendu chiffré des activités sur certains critères jugés clés (opérations à l'initiative du fonctionnaire de police, nombres de vols à main armés, nombre de procès verbaux, nombre de vols à la roulotte, etc...). De plus, chaque activité est rattachée à un objectif. Le commissaire, satisfait de voir ses hommes prendre ainsi conscience de leur « valeur ajoutée », n'utilise en aucun cas la Main Courante Informatique (MCI) dont l'une des fonctions principales est pourtant de donner ce type de statistiques.

Le cas de la Préfecture de Paris : une informatisation en retrait

Avec une bonne volonté certaine, le suivi des tâches effectuées est difficile dans les unités de la Préfecture de Police. En effet, une majorité de tâches se font à la main dans un nombre de registres considérable.

Exemple : les registres de suivi des activités relevés dans un commissariat de la Préfecture de Police sont les suivants :

§ main courante,

§ registre des plaintes enregistrées,

§ registre des personnes conduites au poste,

§ registre des gardés à vue,

§ registre des armes collectives,

§ registre des armes des ADS,

§ registre des pauses et affaires,

§ registre des épaves,

§ registre de la clé de la cafétéria,

§ registre des badges,

§ registre des ivresses,

§ registre des sabots de Denver,

§ registre des objets trouvés,

§ registre des véhicules deux-roues en consigne,

§ registre de présentation des timbres-amendes.

Il devient dès lors impossible de consolider l'ensemble, a fortiori avec autant de sources sur format papier.

Cela signifie que si les responsables peuvent suivre au jour le jour l'atteinte de certains objectifs fixés aux équipes, il n'est en revanche pas possible de savoir dans quelle mesure les moyens humains sont optimisés. Cette absence de concentration sur l'efficience des hommes et femmes est souvent jalousée par les unités de province dans lesquelles il est primordial de « gérer au mieux cette ressource rare qu'est le temps ».

* 82 Document présenté en annexes

* 83 Plutôt que les 166 existant.

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