ACTES DU COLLOQUE

L'ALIMENTATION DE DEMAIN :

LES APPORTS DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE
À LA QUALITÉ ET À LA SÛRETÉ DES ALIMENTS

I. PROGRAMME DE LA MATINÉE

• Présentation du colloque par M. Claude Saunier , sénateur des Côtes d'Armor

• Intervention de M. Hervé Gaymard , ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales

L'ALIMENTATION BOULEVERSÉE

Exposés introductifs :

LE BILAN DES CINQUANTE DERNIÈRES ANNÉES :

LA CONSTRUCTION DE L'ALIMENTATION MODERNE

Les progrès technologiques et les mutations économiques, Olivier MIGNOT ,
Chef du département qualité et sécurité, NESTLÉ

Les changements sociaux et culturels, Claude FISCHLER , Directeur, CETSAH

Première table ronde :

APRÈS LES CRISES SANITAIRES DES ANNÉES 1990, UNE SÉCURITÉ RETROUVÉE ?
ACQUIS, ENSEIGNEMENTS ET DÉFIS


Modérateur : Martin HIRSCH, Directeur général, AFSSA

Intervenants :

Hans P. BLASCHEK , Professeur , University of Illinois (USA)

Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS , Président, Muséum national d'histoire naturelle

Pierre BEAUBOIS , Responsable qualité, SOCOPA
Catherine GESLAIN-LANEELLE ,
Vice-présidente du Conseil d'administration, AESA
Nicolas LARMAGNAC , Directeur développement et communication,
UFC-QUE CHOISIR
Eric POUDELET , DG Santé consommation, Commission européenne

Deuxième table ronde :

SANTÉ, SÛRETÉ ET QUALITÉ DE L'ALIMENT :
LES QUESTIONS ÉMERGENTES ET LES RÉPONSES DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE


Modérateur : Gérard PASCAL, Directeur honoraire, INRA

Intervenants :

Jean-François CHAMBA , responsable recherche-développement,
Institut technique français des fromages

Thomas DERVILLE , Vice-président, Unilever

Alexandre FEIGENBAUM , Directeur de recherche, INRA Reims

Xavier LEVERVE , Directeur scientifique, INRA

Laurent ROSSO , Directeur du laboratoire Qualité alimentaire, AFSSA

Gilles TRYSTRAM , Professeur, ENSIA

II. EXPOSÉS-DÉBATS

La séance est ouverte sous la présidence de Monsieur Claude SAUNIER, Sénateur des Côtes d'Armor.

M. Claude Saunier - Mesdames et Messieurs, je voudrais vous souhaiter la bienvenue au Sénat pour cette journée de travail organisée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Je voulais vous remercier de votre présence et vous féliciter de votre héroïsme.

Compte tenu du temps qu'il fait, on a le sentiment que quelques balades à Paris seraient très agréables, et en particulier au sein des jardins du Luxembourg. Il faudrait que nous pensions à une solution alternative qui consisterait, lorsque le temps le permet, à faire nos réunions en extérieur.

Je voudrais, Monsieur le Ministre, vous saluer tout particulièrement et vous remercier d'avoir accepté d'ouvrir les travaux de cette journée consacrée à l'alimentation de demain et vous dire que le Ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales a été invité, mais c'est surtout le Ministre de l'alimentation qui est concerné aujourd'hui.

Le thème de cette journée de travail, c'est l'alimentation de demain. Ce thème s'inscrit dans la continuité d'un rapport qui a été présenté il y a deux jours devant l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques et dont l'intitulé est un peu plus précis, un peu plus technique, c'est « l'apport de la science et de la technologie à la qualité et à la sécurité des aliments ».

Ce rapport a été inspiré par des échanges avec l'agence qui a été chargée de veiller depuis maintenant quelques années à la sécurité et à la qualité des aliments et en particulier avec Martin Hirsch. Ce rapport est parti de quelques constats qui sont à la fois simples mais entachés, dans l'opinion publique, de quelques erreurs. C'est la raison pour laquelle il nous a semblé nécessaire de consacrer un peu de temps à une clarification.

En premier lieu, il nous a semblé nécessaire de vérifier quelle était la part de l'innovation dans l'alimentation qui est en apparence un domaine traditionnel, marqué par une grande stabilité, voire une sorte d'inertie à la différence d'autres secteurs économiques.

En deuxième lieu, l'objectif de ce rapport était de répondre à des interrogations qui nous sont posées par la société, sur la qualité et la sécurité de son alimentation, notamment après les grandes crises que nous avons connues au cours de la décennie 1990.

En troisième lieu, il s'agissait de mesurer les enjeux et les impacts de la mondialisation sur un secteur économique dont nous aurons l'occasion de souligner qu'il est un secteur économique majeur pour notre pays.

Je voudrais également dire qu'il nous a semblé nécessaire, au delà de cette réflexion sur le constat, d'essayer d'anticiper et d'identifier des risques sanitaires nouveaux dans notre alimentation qui peuvent résulter de l'élargissement de l'Europe et de la croissance des échanges alimentaires au niveau mondial, mais aussi d'ouvrir quelques perspectives sur la construction d'un système de santé reposant plus sur notre alimentation.

Au départ, le rapport abordait des questions apparemment d'une grande simplicité. En réalité, il s'est révélé d'une très grande complexité. Il a fait intervenir de multiples acteurs, de multiples disciplines scientifiques, y compris des disciplines scientifiques apparemment éloignées de la biologie ou des disciplines scientifiques traditionnelles de l'alimentation, je pense en particulier aux disciplines liées à la psychologie et à la sociologie ou à l'histoire.

Car il est vrai que lorsque l'on aborde ces questions d'alimentation, on est obligé d'aborder les questions sociétales, les questions historiques et culturelles.

Je voudrais remercier très chaleureusement les 250 personnes qui pendant un an nous ont fait part de leurs connaissances : des chercheurs, des industriels, des fonctionnaires... Je voudrais également souligner la part tout à fait déterminante prise par le comité de pilotage dont certains d'entre vous faisaient partie et qui nous ont permis de voir quelles sont les pistes et quels sont les oublis éventuels qui pourraient survenir.

Et puis, Monsieur le Ministre, je voudrais souligner la qualité de l'accueil que nous ont réservé les grandes institutions. Tout d'abord, l'AFSSA et son directeur général Martin Hirsch, mais aussi l'ensemble des collaborateurs sur le terrain. La qualité aussi de l'accueil de l'INRA avec Mme Marion Guillou, mais aussi de l'INSERM, du CEA, de l'ANIA, d'un certain nombre d'autres institutions. Et puis, j'ajouterai à ces institutions l'accueil des ministères, et notamment des ministères les plus concernés, tels ceux de la santé, la recherche, l'économie et bien entendu l'agriculture et l'alimentation qui nous ont accompagnés dans cette démarche.

Le rapport qui est maintenant officiel a mis en évidence quelques points forts qui vont nous servir à organiser les travaux de notre journée. La matinée va nous permettre de répondre à une première question : notre alimentation est-elle bouleversée ? Dans quelles mesures a t-elle été bouleversée ? Pourquoi l'a t-elle été ?

Il y a là d'ailleurs un paradoxe. Nous mangeons toujours la même chose et pourtant ce n'est pas la même chose qu'il y a une vingtaine ou une trentaine d'années.

C'est la raison pour laquelle j'ai introduit l'idée, s'agissant de ce diagnostic posé sur l'évolution de notre alimentation, de « révolution tranquille ».

On aurait pu également parler de « révolution souterraine », mais je ne veux pas anticiper sur les débats que nous aurons. Ces débats tourneront autour de deux thèmes abordés au travers de deux tables rondes qui nous permettront d'aller plus loin. Tout d'abord, il faudra tirer les enseignements des crises alimentaires des années 90 puis, dans une deuxième table ronde, nous essaierons de cerner les réponses de la science à l'exigence de qualité et de sûreté des aliments.

L'après-midi nous permettra d'aborder de nouveaux horizons autour du thème : quelle politique de l'alimentation à l'heure de la mondialisation ?

Je crois, Monsieur le Ministre, que c'est un sujet sur lequel nous avons très rapidement échangé il y a quelques jours, lorsque vous êtes venu devant la Commission des affaires économiques du Sénat, et même si cela n'était pas le point de départ de notre réflexion, très rapidement nous sommes arrivés devant ce constat : nous ne pouvons pas réfléchir sérieusement à une politique de l'alimentation en ignorant cette nouvelle donne de la mondialisation. Deux tables rondes nous permettront d'aller plus loin : une première consacrée aux enjeux économiques qui sont des enjeux véritablement majeurs. Je rappelle que l'agroalimentaire représente, selon les sources, entre 420.000 et 550.000 emplois dans notre pays. La deuxième table ronde sera consacrée aux enjeux de société car on se rend compte que notre société est dans l'attente d'un certain nombre d'avancées, et je pense en particulier au domaine sanitaire.

Enfin, nous terminerons cette journée par un échange qui portera sur notre capacité à mobiliser l'ensemble des partenaires, l'ensemble des acteurs, autour d'une nouvelle et forte politique de l'alimentation dont je sais, Monsieur le Ministre, que vous avez été mandaté pour la mettre en oeuvre dans des délais dont je pense, d'ailleurs, qu'ils doivent être un peu accélérés.

Encore une fois, je voudrais vous remercier pour votre présence, votre collaboration, et je pense en particulier au comité de pilotage et à toutes les personnes qui nous ont consacré de l'attention et du temps. Je vous souhaite bon courage pour cette journée et je vous laisse, Monsieur le Ministre, la parole pour vous permettre d'ouvrir nos travaux.

M. Hervé Gaymard - Merci, Monsieur le Sénateur, Messieurs les Directeurs généraux, Messieurs les Directeurs, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs. Merci, cher Claude Saunier de m'avoir invité à ouvrir avec vous ce colloque très important consacré à l'alimentation et, comme vous l'avez dit vous-même, je suis ici à la fois en tant que Ministre de l'agriculture, bien sûr, mais surtout en tant que Ministre de l'alimentation.

Vous me permettrez de m'excuser de ne pas pouvoir rester avec vous toute la journée puisque je dois aller à Narbonne au congrès de la Fédération nationale ovine tout de suite après vous avoir quittés, mais mes collaboratrices et collaborateurs resteront cette journée pour écouter vos échanges et vos propositions puisque nous sommes, dans ce domaine de l'alimentation, un peu à la croisée des chemins.

J'ai vraiment la conviction que nous devons redéfinir et réaffirmer un modèle alimentaire français à la lumière de tout ce que nous avons vécu ces dernières années.

Je voudrais tout d'abord exprimer devant vous une conviction forte, c'est que notre premier devoir demeure la protection de la santé publique dont la sécurité sanitaire des aliments est une des composantes essentielles. En effet, l'agriculture et l'alimentation sont au coeur du contrat de confiance qui réunit tous les citoyens. Notre approche doit donc être globale, depuis le stade de la production jusqu'à la remise au consommateur en passant par toutes les étapes de l'élaboration des denrées.

Ce concept, que nous qualifions classiquement du « champ à l'assiette », permet d'embrasser tous les aspects de la sûreté et de la qualité des aliments. S'il nous faut avant tout garantir la fourniture au consommateur de produits sûrs et sains, nous devons également développer les modes de production répondant au mieux aux attentes de nos concitoyens.

Le ministère dont j'ai la responsabilité doit également orienter les efforts collectifs des producteurs, des transformateurs, des distributeurs afin d'enrichir la palette des produits offerts aux consommateurs et de répondre le mieux possible à leurs nouvelles attentes en innovant, en créant au besoin de nouveaux produits et en préservant ce qui fait la réputation et la richesse de notre patrimoine alimentaire. Les démarches des producteurs en faveur des signes d'identification de la qualité et de l'origine s'efforcent de faire converger aspiration des consommateurs, préservation de la diversité de notre patrimoine alimentaire et développement des pratiques agricoles durables.

Elles doivent être mieux encouragées et leur dispositif simplifié pour être mieux compris des consommateurs.

Vous me permettrez d'ouvrir une parenthèse pour évoquer quelques-unes des mutations de notre société qui ont le plus profondément marqué notre alimentation. Il y a près d'un siècle et demi, l'appertisation et le développement de la conserve marquèrent une révolution.

Depuis un demi siècle, d'autres innovations ont bouleversé la production de nos aliments comme nos habitudes alimentaires. Je pense notamment, et là c'est le savoyard qui parle, et pas le breton, Monsieur le Sénateur, à la diffusion du poisson dans les régions les plus éloignées de nos littoraux ou à la consommation d'oeufs et de pommes de terre l'hiver, ce qui n'allait pas de soi il n'y a encore pas si longtemps.

En quelques décennies, nous sommes ainsi passés d'une autoconsommation et d'un marché de proximité à une économie de filière et à des filières agroalimentaires intégrées. De ce fait, chacun le sait bien, les apports de la science et de la technologie ont largement contribué à ces évolutions et cela est particulièrement vrai pour la mise en place de la chaîne du froid. De ce point de vue, je suis d'ailleurs très frappé lorsque je m'entretiens avec mes collègues ministres de l'agriculture et de l'alimentation de pays en voie de développement : leur principal problème le plus souvent n'est pas celui de la production mais celui de la conservation et de la chaîne de commercialisation.

Lorsque je parle à mon collègue indien, il me dit que son problème, contrairement à ce qu'on lit dans la presse, ce n'est pas tant la production de denrées alimentaires parce qu'il s'en faut de peu pour arriver à un équilibre à peu près correct, le vrai problème est que la moitié des denrées produites sont gâchées faute d'une chaîne de conservation, de congélation, de commercialisation adaptée.

Ce qui nous paraît évident aujourd'hui dans nos sociétés développées est, en réalité, le témoignage de progrès assez récents en matière scientifique et technique, et je crois qu'il ne faut jamais l'oublier.

Ma deuxième conviction est que les attentes et les exigences des consommateurs se diversifient, notamment depuis une quinzaine d'années, et que la sensibilité de nos concitoyens aux risques s'accroît. L'alimentation est en effet un domaine où les risques sont considérés comme bien maîtrisés et où la qualité des aliments n'a cessé de s'améliorer au cours des dernières décennies alors que l'obsession du risque zéro a éclipsé de nos mémoires les accidents sanitaires encore fréquents hier ; nombre de consommateurs demeurent pourtant inquiets face à une certaine standardisation de l'offre de produits alimentaires et à leur banalisation, notamment en restauration collective.

Vos travaux et le fruit de vos tables rondes doivent nous aider à rétablir, au service de l'alimentation, une relation plus confiante entre d'une part les consommateurs et d'autre part la science et la technologie.

Insensiblement, les préoccupations des consommateurs sont passées du registre quantitatif au registre qualitatif. Ils n'ont pas pour autant perdu leur bon sens et sont plus que jamais attachés à leur libre choix.

Chacun, ici, peut mesurer la sensibilité croissante de nos concitoyens à leur nutrition au bénéfice d'une alimentation saine et diversifiée et à la présentation des modèles alimentaires traditionnels qui font la réputation de notre gastronomie. Dans leur esprit, la qualité alimentaire englobe le respect de l'environnement, la biodiversité, la prise en compte des modifications du climat, le commerce équitable ou encore le bien-être animal. Ces attentes ont acquis aujourd'hui un poids significatif dans l'acte d'achat et de consommation.

Le développement rapide du progrès scientifique contribue d'ailleurs au développement de craintes souvent irrationnelles mais que nous ne devons ni insulter ni mésestimer. Aujourd'hui, le consommateur n'accepte les progrès de la science et de la technologie que lorsqu'il peut en mesurer les bénéfices. Nous nous trouvons ainsi confrontés à un paradoxe qui illustre parfaitement la situation des biotechnologies pour lesquelles l'opinion publique tolère ou encourage les innovations à fins thérapeutiques alors même qu'un risque zéro est exigé dans le domaine alimentaire.

La connaissance des risques et leur analyse sont essentielles à l'exercice des missions de protection de la santé publique. La préparation des actions de gestion des risques qui nous incombent s'appuie notamment sur la veille scientifique et la mobilisation des instances d'évaluation des risques, dont le rôle institutionnel est primordial.

Si la connaissance des facteurs constitutifs du risque, leur hiérarchisation et la mobilisation de toutes les compétences disponibles sont essentielles pour éclairer le plus précisément possible la gestion du risque par les décideurs publics, s'y ajoutent ce qu'il est convenu d'appeler d'autres facteurs légitimes, notamment d'ordre socio-économique, ainsi que l'application, de manière cohérente et proportionnée, du principe de précaution. Il est en effet capital que les citoyens ne se sentent pas exclus des décisions que nous prenons et que nos choix soient compris et acceptés par eux. Nous devons pour cela chercher à réconcilier le scientifique et le citoyen et à renouer entre les fils d'une confiance trop souvent distendus.

Je voudrais enfin dire que notre Ministère de l'alimentation entend jouer un rôle majeur dans ces évolutions. Vous le savez, l'Union Européenne a fait de la protection du consommateur l'une de ses priorités et a mis l'accent sur la qualité et la sécurité alimentaire à travers son instrument privilégié, le sixième Programme cadre de recherche et de développement, lancé en novembre 2002.

Les soutiens financiers européens apportés à la recherche se concentrent sur sept domaines prioritaires, parmi lesquels la qualité et la sûreté alimentaire. Afin de garantir et de mieux appréhender l'influence de l'alimentation et des facteurs environnementaux sur la santé humaine et d'offrir à la population des aliments de qualité, sains et toujours plus sûrs.

Nos priorités de recherche portent sur l'épidémiologie des affections liées à l'alimentation et aux allergies, l'impact de l'alimentation sur la santé, les procédés de traçabilité tout au long de la chaîne de production, les méthodes d'analyse de détection et de contrôle, les méthodes de production plus sûres et respectueuses de l'environnement, l'incidence sur la santé humaine des produits destinés à l'alimentation animale et bien évidemment les risques environnementaux pour la santé.

En tant que Ministre chargé à la fois de l'agriculture et de l'alimentation, je soutiens fortement la recherche dans le domaine de la nutrition. J'estime à cet égard que nous devons tous ensemble nous interroger sur les effets des régimes alimentaires, des modes d'alimentation sur la santé à long terme. Il s'agit de savoir quels sont les régimes alimentaires favorables à la santé et d'adapter en conséquence notre production agricole à l'état des connaissances scientifiques dans les domaines de la santé et de l'alimentation.

Le haut niveau de protection sanitaire, de qualité, de sécurité et de traçabilité atteint en France constitue aujourd'hui une référence au niveau international et permet de donner à l'expertise française un rôle majeur dans l'élaboration des réglementations visant à protéger la santé des consommateurs, à garantir des pratiques commerciales loyales et équitables des produits alimentaires et à servir de base aux négociations internationales.

La France est ainsi pleinement associée aux travaux du codex alimentarius de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. Elle accueillera ainsi au mois de mai prochain la vingtième session du comité dont les travaux porteront sur l'analyse des risques, le code de déontologie du commerce international des denrées alimentaires et la traçabilité des produits.

Le maintien d'un haut niveau de protection sanitaire ne saurait par ailleurs masquer l'action en faveur du développement. C'est dans cet esprit que j'ai créé l'an dernier le groupement d'intérêt public « France Vétérinaire International », à qui j'ai confié la mission de fédérer l'offre française de formation et d'assistance technique, dans ce domaine, aux pays en voie de développement. Ces actions doivent contribuer à l'élévation de la sécurité sanitaire des produits et à la poursuite de l'insertion de ces pays dans les échanges.

Enfin, pour accompagner efficacement le renouvellement des générations, je veux aider les agriculteurs à acquérir des techniques plus modernes. Anticiper les évolutions et maîtriser les innovations, c'est l'ambition que je veux donner à nos établissements d'enseignement, de recherche, et c'est l'une des orientations que poursuit le quatrième schéma national des formations.

Voilà, Monsieur le Sénateur, Mesdames et Messieurs, les quelques éléments que je voulais vous livrer en ce début de colloque. Si vous me le permettez, je voudrais pour terminer faire quelques brèves observations.

La première est la suivante. Comme chacun le sait, nous avons un domaine de sécurité alimentaire par définition toujours imparfait, mais en tout cas meilleur qu'il ne l'a jamais été. Ceci étant, on se rend compte, lorsque l'on voyage et que l'on va à l'étranger, que les sensibilités à la sécurité alimentaire ne sont pas les mêmes ici ou là.

Je crois qu'il y a une très grande différence de ce point de vue par exemple entre la France et les États-Unis où, jusqu'à une date récente, on tolérait en France un nombre élevé de morts liées aux accidents de la route mais où on ne tolère pas des morts par intoxication alimentaire, alors qu'aux États-Unis c'est exactement l'inverse. Selon les statistiques officielles du NIH, il y a aux États-Unis un nombre de décès liés aux intoxications alimentaires - toute proportion gardée en mettant les populations en cohérence - peut être 100 fois plus important que dans l'Union Européenne.

J'ai été très frappé d'ailleurs lors d'un déplacement aux États-Unis en janvier 2003, en évoquant ces questions, de voir la différence de sensibilité sur ces questions. Ce qui est très frappant c'est que malgré ce haut ou ce meilleur niveau de sécurité sanitaire de l'alimentation, nous ayons le retour des peurs alimentaires.

Il y a un excellent livre d'une historienne, Madeleine Ferrières, qui a été publié au Seuil l'année dernière sur l'histoire des peurs alimentaires, qui remet bien en perspective cette notion de peurs alimentaires et l'on voit bien, ces dernières décennies, avec les problèmes de la vache folle, de la dioxine, des pesticides, avec tous ces sujets très importants auxquels nous avons dû faire face, que la notion de peur alimentaire revient dans notre imaginaire. Cette notion revient d'autant plus que nous sommes désormais, compte tenu des méthodes de production de l'industrie agroalimentaire, dans du risque potentiel sériel et pas dans du risque localisé, lié à l'autoconsommation que l'on connaissait il n'y a encore pas si longtemps. Je crois que c'est le premier paradoxe sur lequel il nous faut réfléchir.

Le deuxième, et celui-ci est plus franco-français, sans faire de cocorico bien évidemment, parce que ce n'est pas mon état d'esprit, mais je crois que l'on peut dire qu'à tous points de vue nous avons encore en France un modèle alimentaire qui tient la route, tant du point de vue de la qualité intrinsèque des produits que du point de vue de leur élaboration dans notre cuisine, y compris dans la restauration collective.

Il n'empêche que, vous l'avez vu depuis une dizaine d'années, médiatiquement, le thème de la mal bouffe a fait mouche, et à lire les journaux et à entendre les débats, on a l'impression qu'on serait dans le pays de la mal bouffe alors que je pense exactement le contraire.

Là aussi, il y a par rapport à un sens commun qui est véhiculé par une sorte de pensée unique, un certain nombre d'affirmations ou d'assertions à revisiter.

Enfin, le troisième paradoxe ou la troisième observation, c'est l'ambivalence du mot ou de l'expression « sécurité alimentaire » parce que, pour un occidental repu, la sécurité alimentaire c'est, en gros, le risque zéro.

Pour l'habitant d'un pays en voie de développement, la sécurité alimentaire, c'est de pouvoir se nourrir à sa faim. Nous voyons bien, dans nos contacts avec nos collègues ministres de pays en voie de développement, dans les débats que nous avons par exemple à l'OMC sur les sujets non tarifaires, les « non trade concerns » dont nous n'avons d'ailleurs pas discuté officiellement mais dans les couloirs, toute l'ambiguïté de la mondialisation et ses effets et ceux du commerce sur ce sujet. Vous le rappeliez, Monsieur le Sénateur, dans votre propos initial.

C'est un sujet qui va au delà de la nécessaire aide et assistance que nous devons aux pays en voie de développement pour améliorer leur production agricole par des règles commerciales moins distorsives. Et c'est tout l'enjeu des négociations devant l'Organisation mondiale du commerce, car on voit bien qu'il y a une ambiguïté majeure, que personne n'ose mettre sur la table de manière franche et directe, dans les pays de l'Union Européenne, qui ont le corpus de règles, de normes et de standards les plus élevés et les plus sévères au niveau international en la matière.

Donc nos agriculteurs, nos industries agroalimentaires sont soumis à un corpus de règles qui est parmi les plus élaborés et les plus sévères au monde. Dans le même temps, nous avons des négociations commerciales multilatérales qui visent à l'ouverture de marchés, donc à importer des produits qui n'ont pas été élaborés avec le même standard de normes. On interdit un certain nombre d'aliments du bétail, de traitements médicaux pour les animaux, d'antibiotiques et autres dans l'Union européenne mais on importe des produits qui ont été élaborés avec des substances interdites dans l'Union européenne.

Si on lève le doigt et que l'on dit cela dans les négociations commerciales multilatérales, on vous taxe immédiatement de « protectionniste », et on dit que ces « non trade concerns » sont une manière déguisée pour les pays riches de faire du protectionnisme déguisé. C'est très facile comme argument mais je crois que c'est malgré tout un vrai sujet parce que soit il y a des substances nocives et des pratiques inacceptables, et alors elles doivent l'être partout dans le monde, soit elles ne le sont pas, alors comment se justifient des règles aussi sévères ?

Je suis désolé de mettre les « pieds dans le plat », mais je le fais tout de même parce que j'aimerais que cette question soit posée plus souvent dans sa crudité et dans sa nudité parce que je trouve qu'il y a beaucoup d'hypocrisie sur ces questions-là, notamment dans les négociations commerciales multilatérales.

Voilà, Monsieur le Sénateur, les quelques réflexions que je voulais faire, qui n'épuisent évidemment pas le sujet parce que vous avez choisi un spectre très large pour votre colloque et je vous en remercie. En tout cas, sachez que je prendrai connaissance de vos débats et de vos conclusions, au delà du rapport dont je voudrais vous féliciter, avec beaucoup d'intérêt, pour contribuer à l'élaboration de ce plan pour l'alimentation que je prépare effectivement à la demande du Premier Ministre.

M. Claude Saunier - Merci Monsieur le Ministre. Je sais que l'emploi du temps d'un ministre est particulièrement rigoureux, merci de nous avoir accordé tant de temps pour ouvrir cette journée de travail. Je voudrais simplement vous dire, au-delà des propos que vous venez de tenir, qu'il y a une grande convergence de vues dans le diagnostic, dans l'analyse, dans un certain nombre d'observations que vous venez de faire, y compris les dernières.

Lorsque nous avons commencé à aborder cette question de la sécurité alimentaire, nous n'avions pas a priori l'idée d'aborder cette question de l'Organisation mondiale du commerce et des effets induits sur la sécurité alimentaire et nous avons été confrontés à un certain nombre de faits de caractère économique, mais également de caractère scientifique. Des faits relativement inquiétants, je pense en particulier aux risques de développement des biorésistances générées par des modes d'alimentation des animaux d'élevages à l'autre bout de la planète, qui ne peuvent que nous interpeller. C'est un constat d'analyse, une convergence constatée entre un rapport parlementaire et l'analyse faite par un membre du gouvernement. Monsieur le Ministre, je suis tout à fait prêt, au-delà de cette journée, à m'entretenir avec vous sur le contenu du rapport, vous faire part d'un certain nombre de propositions dont certaines, je suis sûr, rejoignent vos préoccupations en souhaitant qu'au-delà d'un rapport parlementaire supplémentaire, il y ait passage à l'acte. Et en l'occurrence, nous le savons les uns et les autres, notre démocratie a intérêt à ce que des travaux du type de ceux qui sont portés par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques débouchent sur des propositions concrètes et des actions du gouvernement, mais je ne doute pas de votre intention en la matière. Merci encore pour votre passage, Monsieur le Ministre.

Nous allons donc commencer notre marathon. Je demanderai à M. Mignot de bien vouloir nous rejoindre.

Je rappelle que notre matinée est consacrée à un thème de réflexion dont l'intitulé est : « notre alimentation est-elle bouleversée ? » C'est ce que j'ai évoqué sous le concept de « révolution tranquille ». Je dirai simplement deux ou trois mots avant de laisser la parole à la fois aux tables rondes et aux intervenants.

En apparence, nous mangeons toujours la même chose. En apparence, nous avons dans notre assiette des produits qui résultent du traitement des céréales, de la viande, du poisson, des légumes, etc. En réalité, 80 % de cette alimentation sont passés par l'industrie et ont donc fait l'objet de processus de transformations qui n'ont rien à voir avec la cuisine traditionnelle.

Ce sont donc ces questions que nous allons aborder ce matin : Dans quelles mesures notre alimentation a t-elle été bouleversée ? Quelles sont les attentes de la société ? Ensuite, nous aurons deux tables rondes sur la sécurité et sur les crises sanitaires. Monsieur Mignot est chef du département qualité et sécurité dans l'entreprise Nestlé, qui est le numéro un en Europe et même dans le monde.

Monsieur Mignot, en attendant que Monsieur Fischler nous rejoigne, vous avez la parole.

M. Olivier Mignot - Mesdames et Messieurs, tout d'abord je voudrais remercier le sénateur Saunier de nous avoir donné l'opportunité de vous adresser quelques mots aujourd'hui. Je m'adresserai à vous en tant que scientifique. Comme vous pouvez le constater sur cette diapositive, je suis donc en charge du département qualité et sécurité non pas pour l'ensemble du groupe Nestlé mais à notre centre de recherches qui est situé dans les environs de Lausanne, en Suisse, ce centre de recherches étant l'unité principale qui assure la recherche dans différents domaines clés pour notre entreprise, l'un de ces domaines clés étant évidemment la qualité et la sécurité, d'autres domaines clés étant par exemple la nutrition, les procédés ou la science des aliments.

A ce titre, je vais donc m'adresser à vous en tant que scientifique pour essayer peut être un petit peu de réconcilier ou d'amener le point de vue du scientifique dans ce débat qui a été largement, je crois, pris en compte lors de l'élaboration du rapport dont nous venons de parler et qui a également été relevé par Monsieur le Ministre tout à l'heure.

Je pense n'étonner personne en disant que la qualité et la sécurité ont constitué la pierre angulaire des mutations qui sont intervenues depuis les cinquante dernières années, ou plus, dans différents secteurs industriels. Un simple exemple me vient immédiatement en tête : dans l'industrie automobile, où l'on vantait, il y a une décennie ou plus, les performances en matière de vitesse et de puissance. On s'attache avant tout aujourd'hui aux normes de sécurité et à la fiabilité des véhicules.

Dans ce contexte et en matière de qualité alimentaire, il convient donc de considérer les trois dimensions clés attachées à ce concept. La dimension santé, et nous entendons ici la sécurité, c'est-à-dire l'innocuité des aliments mais aussi et surtout leur aspect nutritionnel, c'est-à-dire l'essence même de la vie. Ces deux notions ayant des incidences majeures sur la vie elle-même, elles ont donc toujours été au centre de toutes les attentions.

Depuis des millénaires, l'être humain a ainsi essayé d'améliorer la sécurité des aliments par divers procédés de conservation, et Hippocrate déjà prônait l'alimentation comme première médecine.

La dimension sensorielle, quant à elle, est sans doute plus récemment intervenue dans nos préoccupations alimentaires. Il ne s'agit plus dès lors que de se nourrir mais aussi que nos aliments prennent une forme et un contenu satisfaisant pour nos cinq sens.

La dimension sociale, quant à elle, est sans aucun doute l'aspect le plus neuf de la qualité des aliments mais il a rapidement pris une part importante dans nos choix alimentaires.

Si la dimension santé a de tout temps été au centre de nos préoccupations et le reste aujourd'hui, l'ensemble de nos efforts en matière de qualité alimentaire ont intégré les deux autres dimensions sociales et gustatives qui prennent chaque jour un poids plus important dans les aspirations des consommateurs et donc dans la compétition pour les satisfaire.

Poussée par une réglementation qui s'étoffe chaque jour, l'offre qui en résulte permet de proposer une variété d'aliments sans commune mesure, tout en garantissant un niveau de sécurité jamais atteint jusqu'alors. Le grand défi de l'industrie alimentaire aujourd'hui, celui qui nous préoccupe chaque jour, consiste donc à marier l'ensemble de ces éléments, mais ceci sans compromissions.

L'alimentation, ou plutôt les aliments que nous connaissons aujourd'hui, sont donc le résultat d'une évolution qui touche aux aspects économiques, réglementaires, technologiques, scientifiques, sanitaires et même sociologiques, comme nous l'avons évoqué tout à l'heure.

C'est l'ensemble de ces évolutions, parfois même de révolutions, qui a profondément modifié l'aspect de nos aliments, leur composition, leur présentation, leur emballage, leur commercialisation et bien évidemment également leur qualité et leur sécurité ainsi que la perception, justifiée ou non, qu'en ont les consommateurs.

Le changement le plus marquant et peut être le plus significatif touche à la configuration industrielle de l'industrie agro-alimentaire, son passage d'un statut artisanal à un stade industriel. L'effet le plus marqué de cette transformation radicale sur la qualité et la sécurité des aliments concerne sans aucun doute la globalisation qui en a résulté. Paradoxalement, cette globalisation dans les faits s'accompagne d'un intérêt croissant des consommateurs pour la production organique, les origines certifiées et le souhait d'une production locale perçue comme synonyme d'une qualité, voire d'une sécurité supérieure, alors même qu'objectivement les moyens de production et de contrôle à disposition des industriels sont sans commune mesure.

Il en va de même des aspects réglementaires, ceux-ci ayant suivi une évolution proportionnelle au développement de l'industrie agroalimentaire, en quantité mais surtout en complexité. La difficulté, aujourd'hui, ne consiste pas forcément à légiférer mais bien plus à concilier dans cette réglementation les aspects purement scientifiques avec les aspects émotionnels et le fameux principe de précaution en vigueur aujourd'hui, d'où une confusion de plus en plus grande entre réglementation et sécurité, l'une se servant de l'autre, à juste titre parfois mais aussi afin de servir de tous autres intérêts et bien d'autres fois aux fins de protectionnisme par exemple.

En ce qui concerne les aspects technologiques, des progrès considérables en matière de génie des procédés ont permis le développement de produits de plus en plus sophistiqués, de plus en plus élaborés, ceci dans la plupart des cas, en faveur de la qualité et de la sécurité, même si leur perception peut être toute autre (voir l'exemple des OGM).

Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui d'immenses progrès ont été réalisés par le fait d'intégrer les éléments de qualité et de sécurité nécessaires au cours de la conceptualisation et du développement des produits et non plus de les mettre en évidence et surtout de les subir a posteriori .

De même, les progrès scientifiques liés à la connaissance des aliments, de leurs composants, de leur évolution au cours du stockage, des mécanismes de formation et de dégradation de composés biochimiques désirables ou indésirables, et finalement de la compréhension même des processus empiriques attachés à l'art culinaire ont significativement contribué au renforcement de la qualité et de la sécurité de nos aliments.

Cependant, cette amélioration, combinée à l'extraordinaire développement des techniques analytiques, nous place aujourd'hui fréquemment dans de difficiles positions, mettant en lumière des phénomènes séculaires dont nous n'avions tout simplement pas conscience auparavant. La pertinence de ces phénomènes lorsqu'il s'agit d'en évaluer le réel impact sur notre santé, en dehors de toute considération émotionnelle, constitue donc un défi majeur pour toute l'industrie agroalimentaire, mais aussi pour nous tous, et auquel tous les acteurs concernés devraient s'atteler avec la même détermination, mais aussi la même ouverture.

Trouver un composé indésirable dans un aliment, voire même cancérigène, rend-il cet aliment impropre ou dangereux à la consommation dès lors que les niveaux détectés sont de l'ordre d'une goutte dans une piscine ?

Cette réflexion nécessaire est rendue difficile par le caractère fortement émotionnel de tout ce qui touche à notre alimentation, la base même de toute vie, et par notre approche tendant à cibler le risque zéro en la matière.

Dans cette perspective, n'oublions pas que le point de vue du consommateur reste un élément majeur et prépondérant qui finalement dicte les mesures prises par les industriels en matière de développement, de qualité et de sécurité des aliments.

De ce point de vue et de son évolution résulte donc un changement particulièrement significatif de toute notre alimentation. A l'origine purement fonctionnelle dans son sens primaire, c'est-à-dire visant avant tout à nous nourrir, l'alimentation d'aujourd'hui évolue vers des domaines parfois proches de la médecine et de la pharmacie, visant à procurer au consommateur le bien-être et l'équilibre auxquels il aspire.

Ce changement voulu par le consommateur procure de nouvelles contraintes mais aussi de nouvelles opportunités qu'il convient d'explorer certes avec précaution mais aussi avec le sentiment des perspectives non négligeables qu'il offre non pas en substitut à la médecine mais en prévention à son utilisation.

Finalement, devant l'ensemble des évolutions et des changements parfois radicaux qui ont touché l'industrie alimentaire lors des dernières décennies, il reste à évoquer les impacts de l'information et surtout de sa globalisation.

En effet, ce qui paraissait anecdotique et lointain il y a peu nous touche aujourd'hui de plein fouet, à juste titre parfois, mais aussi de manière totalement irrationnelle d'autres fois. C'est là le grand paradoxe de notre société où l'information occupe une place jamais atteinte jusqu'alors mais où l'éducation nécessaire à la bonne compréhension et surtout à la bonne utilisation de cette information font souvent cruellement défaut. Il en résulte ainsi des craintes infondées, des décisions hâtives et erronées et surtout des comportements alimentaires inadéquats.

Il serait faux et malvenu que l'industrie alimentaire se dégage de toute responsabilité en la matière. Cependant, elle seule ne saurait endosser la responsabilité de tels phénomènes que la société entière est amenée à traiter, un élément majeur en la matière concernant l'éducation. Éducation en matière de nutrition et de comportement mais aussi, et pourquoi pas, en matière de science, de santé et de sécurité des aliments.

Ici aussi il est important que cet aspect soit pris en considération par l'ensemble des acteurs et non pas seulement tel qu'il l'est aujourd'hui, laissé principalement à l'initiative des industriels.

Néanmoins, en matière de sécurité proprement dite, nous ne saurions laisser à d'autres la responsabilité des aliments que nous proposons à nos consommateurs. Cette responsabilité s'applique à l'ensemble du processus alimentaire : de la ferme à la table, de la conception à la fabrication puis à la distribution de nos produits. Seule cette approche intégrée permet d'éviter la mise en oeuvre de matières premières contaminées, la mise en route de procédés compromettant la sécurité, l'utilisation d'outils industriels non adaptés ou non performants et finalement la mise sur le marché de produits ne répondant pas aux critères indispensables à la sécurité des consommateurs.

Cette approche intégrée constitue le fondement de notre politique en matière de qualité et de sécurité renforcée par les compétences scientifiques et techniques nécessaires et mise en oeuvre par des spécialistes confirmés. Tout ceci ne nous met bien évidemment pas à l'abri d'imprévus et de la découverte d'éléments inconnus jusqu'alors mais nous permet d'attester et de garantir que la sécurité et la qualité sont au coeur de toute notre activité, sont la base indispensable à la confiance de nos consommateurs et ne sont donc de ce fait l'objet d'aucun compromis, quel qu'il soit.

Je pense pouvoir dire qu'il en va de même d'une immense majorité de la profession puisque c'est la seule et unique façon de répondre, jour après jour, aux nouveaux défis qui nous sont posés. Je vous remercie.

M. Claude Saunier - Merci Monsieur Mignot. Nous allons maintenant entendre un point de vue différent, sinon complémentaire, exprimé par Monsieur Claude Fischler, du CETSAH, qui va nous parler des changements sociaux et culturels liés à notre alimentation. C'est donc un éclairage un peu différent de celui des industriels que nous allons avoir.

M. Claude Fischler - Je vous remercie de m'accorder dix petites minutes pour raconter ce qui s'est passé durant ces 50 dernières années puisque c'est le sujet. Sachant que le temps était limité, je me suis abstenu de commencer aux origines de l'humanité.

J'ai appelé cela « du mangeur au consommateur » car pendant ces derniers cinquante ans la technique a fait des progrès considérables.

J'avais prévu d'énumérer un certain nombre de facteurs de changements qui sont survenus depuis les années 50, depuis la Deuxième Guerre mondiale qui permettaient ou favorisaient l'évolution des habitudes alimentaires. J'avais catégorisé deux familles : des changements d'ordre général (sociaux, démographiques, etc) et des changements disons spécifiquement liés au domaine de l'alimentation.

En ce qui concerne les aspects démographiques, je crois que nous avons tous en tête le fait que l'espérance de vie a augmenté d'environ 20 ans depuis la fin des années 30 et qu'elle continue à augmenter constamment. Ce qui me paraît le plus important, c'est que la composition sociale de la France et des pays de l'Europe occidentale a complètement changé pendant ces cinquante ans.

Disons en gros que dans les années 50, nous avions à peu près un quart de notre population qui vivait de la terre ou habitait la campagne. Je vais vous montrer le tableau de la composition sociale du pays tel qu'il a évolué entre 90 et 99 et on voit que de ces 25 % des années 50, on est passé en 90 à 4,8 % d'agriculteurs exploitants et, au recensement de 1999, à 2,7 %.

On peut voir également que les effectifs de certaines catégories sociales ont diminué de façon spectaculaire. Par exemple, les ouvriers étaient encore à environ 30 % de la population en 1990 alors qu'en 1999 on les compte à 25 %. On voit qu'à l'inverse les catégories sociales de cadres et professions intellectuelles supérieures (ce sont les catégories de l'INSEE), augmentent considérablement et continuent d'augmenter : entre janvier 1990 et 1999, on est passé de 10 % à 13 %.

Et les employés sont une couche qui représente aujourd'hui environ 29 % de la population active.

Tout ceci pour vous dire que la France, qui était un pays de cols bleus, un pays rural d'abord, est devenu un pays urbain, industriel au cours des trente glorieuses, puis un pays plus urbain, et en tout cas postindustriel, disons à partir de la fin des années 1970-1980.

A ce changement de la composition sociale s'ajoute le fait qu'on a vu apparaître le travail féminin. Celui-ci est devenu une dimension tout à fait importante dans les années 1980, je crois de mémoire que dans l'Europe des quinze, 80 % des emplois créés dans cette décennie-là étaient des emplois féminins.

Tout ceci nous conduit à considérer que le changement social touche l'alimentation à travers ces changements globaux.

Les changements spécifiques, c'est que l'aliment devient un produit de consommation et un produit de consommation de masse.

Pour caricaturer, disons que là où on avait une partie de la production et de la consommation qui était locale et même quelquefois individuelle, on voit l'élaboration et la transformation des produits alimentaires augmenter, on invente le terme de « filières » qui vient d'un vocabulaire relativement récent. Ces filières s'allongent, les lieux de production s'éloignent des lieux de consommation, l'aliment devient un produit. Le produit est marketé, packagé, distribué parce qu'entre temps il y a une innovation absolument massive qui survient dans les années 1970 : c'est la grande distribution.

Autre phénomène concomitant, c'est l'augmentation du nombre de repas pris à l'extérieur, qui augmente en particulier dans les couches nouvellement laborieuses, au sens travail à l'extérieur du foyer, c'est-à-dire les couches féminines urbaines à partir de cette période-là.

Traduction de ces phénomènes globaux dans l'évolution des consommations : nous sommes passés d'une France de cols bleus à une France de cols blancs. D'une France de travailleurs de force à une France de travailleurs de bureaux, pour simplifier et caricaturer.

On se représente toujours l'évolution des consommations alimentaires comme on ne sait quelle fantaisie dans la tête du consommateur en se disant qu'il change de goût mais ce n'est pas comme cela que cela se passe. Ce ne sont pas les mêmes consommateurs, la société n'est pas la même, le mode de production n'est pas le même, les catégories sociales changent et lorsque vous avez moins de cols bleus, vous avez moins de consommation typique des cols bleus et correspondant au mode de vie des cols bleus.

Par contre, vous allez avoir beaucoup plus de consommation de cols blancs et des consommations qui sont plus poussées par l'autonomie croissante des femmes.

Depuis des siècles, les historiens pensent que l'augmentation de la consommation de viande est un marqueur de la prospérité des peuples. La consommation de viande augmente constamment, nous sommes les premiers consommateurs de viande dans les années 80 en Europe, et on a un petit indicateur intéressant, c'est que la consommation de viande rouge - qui symbolise la viande suprême, la viande superlative - pour la première fois, dans la période 1980-1987 stagne, voire décline, bien longtemps avant la crise de la vache folle.

Ceci correspond très probablement à la diminution du nombre de travailleurs de force et au fait que, vous connaissez le dicton, les travailleurs de force ont besoin de viande rouge. La valorisation de cette consommation-là diminue ou change peut être progressivement.

Le vin, voilà une consommation qui s'effondre littéralement dans la période que je vous présente ici, à savoir entre 1971 et 1989. On passe pour l'ensemble du pays à quelque chose comme 75 litres par tête par an à 25 litres. C'est un détail mais c'est la consommation du vin ordinaire, du vin de table, du vin si j'ose dire populaire et quotidien, qui s'effondre. Là encore les couches sociales consommatrices se sont modifiées, transformées.

A défaut de boire du vin, nous sommes devenus des buveurs d'eau minérale pendant cette période-là. Cela a à voir avec la grande distribution, les bouteilles en plastique, la féminisation de la force de travail, probablement parce que les femmes sont des vecteurs très puissants de cette consommation-là et avec une tradition historique millénaire.

Nous sommes devenus aussi, en France, consommateurs de yaourts de façon considérable avec l'appareil industriel que nous nous sommes faits et là encore les femmes ont considérablement porté ce phénomène.

Comment ces changements sont-ils perçus et vécus par la population, parce qu'après tout c'est ce qui nous occupe un petit peu aujourd'hui. En devenant consommateur, et donc en voyant l'aliment s'éloigner de son quotidien et de son voisinage immédiat, le mangeur devenu consommateur commence à s'inquiéter. J'ai ici une citation qui date de 1965, que j'utilise de temps en temps, que m'a donnée un collègue, donc des notes de terrain, d'un sociologue à Ploseven (Sud-Finistère) en parlant de pâté en boîte : « on ne sait pas ce qu'ont mangé les porcs, c'est parce qu'on donne du tourteau ou des choses comme ça aux bêtes qu'il y a plus de cancers. Maintenant, rien ne vaut le naturel, là au moins on sait ce qu'on mange ». Nous sommes en 1965.

Une autre citation de 1996, à l'occasion de la première crise de la vache folle, mais je pourrais vous en présenter des dizaines, si ce n'est des centaines : « La vache folle... Le risque nous est imposé... On ne sait pas ce que l'on mange ».

Il faut prendre au pied de la lettre cette formule « on ne sait pas ce qu'on mange » au lieu de la rejeter d'un revers de main méprisant en disant que c'est de l'irrationalité de concierge. On ne sait pas ce qu'on mange. C'est lié à un phénomène que la psychologie sociale a étudié expérimentalement et dans lequel nous voyons que de façon universelle, dans toutes les sociétés humaines, règne la croyance ou la représentation que « on est ce qu'on mange » c'est-à-dire que la chose consommée transforme le mangeur de l'intérieur. Cela est vrai biologiquement mais ça l'est aussi sur le plan symbolique.

Il y a donc un lien avec cela, c'est le développement de manifestations d'anxiété, d'inquiétudes, peurs et rumeurs, l'idée que les produits alimentaires modernes sont périlleux, que leur absorption présente des dangers.

Le meilleur exemple qui illustre ceci, c'est le tract de Villejuif qu'on localise pour la première fois en 1971, qui continue à circuler, et continue à prévenir les Français.

On voit que les « E » sont nocifs, sont probablement cancérigènes, le plus dangereux étant, de mémoire, le E 330, qui est l'acide citrique.

Ce péché originel de l'agro-industrie et de la transformation des aliments qui se développe, autrement dit la chimie, c'est-à-dire le contraire du naturel dans la perception collective - est quelque chose que nous étudions actuellement et qui ne semble pas être spécifiquement français, loin de là.

Ce péché originel, la perception de celui-ci remonte à assez loin parce que j'ai par exemple ici un ouvrage de 1937 qui nous explique déjà comment on nous empoisonne par les aliments chimiques.

Le problème, dans l'espace du symbolique collectif, c'est que les produits alimentaires transformés par l'industrie, distribués par la grande distribution, étiquetés, marqués, labellisés, ces produits-là apparaissent aux consommateurs comme des objets comestibles non identifiés, de véritables « OCNI » d'origine mystérieuse et absorber ces objets mystérieux provoque un malaise.

Ce malaise conduit les consommateurs à ressentir une sensation de perte de contrôle que nous voyons apparaître dans les enquêtes par la formule « on ne sait plus ce qu'on mange », des réponses compensatoires poussées ou tirées par les pouvoirs publics ou par différentes organisations interprofessions et autres, qui règlent en partie le problème.

Ce qui est intéressant, c'est que l'on voit aussi apparaître des réponses individuelles ou individualistes des consommateurs. Des régimes et des obédiences diététiques diverses sont des réponses à cette incertitude fondamentale sur l'alimentation : je veux reprendre le contrôle de mon alimentation, donc je choisis une alternative. Cela peut être la macrobiotique, l'instinctothérapie, le crudivorisme, le végétarisme de différentes obédiences, etc.

La signification profonde de cela, c'est « je reprends le contrôle de mon alimentation parce que j'en ai assez de ne plus savoir ce que je mange ». Bien entendu, cela fait le lit des crises alimentaires et cela participe à un mouvement général de remise en cause de l'idée de progrès dont nous voyons d'autres manifestations, notamment dans les filières académiques.

Je voudrais finir en disant que nous mangeons de moins en moins : aux alentours de 3.000 calories par jour au début du 20 e siècle, contre 2.000 aujourd'hui, d'après l'enquête UNCA. Le solde d'entrée et de sortie reste positif, même faiblement, et par conséquent un petit surplus quotidien suffit - nous disent les nutritionnistes - à augmenter considérablement le poids moyen de nos concitoyens et de nos contemporains avec le temps.

Par conséquent, pour prendre une formule que m'avaient dictée les textes que j'analysais : « nous avons tous trois kilos à perdre ». Il y en a qui ont plus que trois kilos à perdre puisqu'en somme notre génotype est mieux adapté à la pénurie qu'à la pléthore et suivant les individus nous avons des manifestations plus ou moins pathogènes de cette capacité à stocker de l'énergie sous forme de gras. Ce qui veut dire que la capacité à stocker du tissu adipeux, qui était un avantage dans un environnement de chasseurs-cueilleurs, devient un handicap dans notre environnement urbain-citadin.

On nous met en garde contre l'évolution rapide de l'obésité ces derniers temps après une résistance spécifique, semblait-il, de la France, et donc de la façon de manger et de vivre française, à l'obésité. Vous voyez, cette courbe est relativement plate entre 1980 et 1991, c'est la plus plate de tous les pays développés, et elle semble s'accélérer, et on nous fait des projections apocalyptiques pour 2020.

Ce problème, dont nous semblions être protégés, semble nous menacer maintenant et cela m'incite à terminer par cette constatation, c'est que depuis au moins cinq décennies, qui est la période retenue, on nous incite de plus en plus à intégrer des avis médicaux dans notre façon de nous nourrir, ce que M. Mignot a rappelé tout à l'heure à sa manière ; cela se rapproche de plus en plus de la pharmacologie et de la médecine.

Je différerais avec lui quand il dit que c'était le choix du consommateur. Le consommateur l'a certainement accepté, mais qu'il l'ait choisi, c'est une autre affaire ; d'ailleurs il n'a pas encore fini de choisir mais nous pourrons en reparler.

Ce qui est intéressant, c'est que toute cette prévention, toutes ces mises en garde, ces prescriptions, ces prohibitions, cette incitation - et c'est cela qui est très important - à l'individualisation de la consommation alimentaire, cette médicalisation assortie donc à cette individualisation semblent donner des résultats finalement plus problématiques que satisfaisants pour l'instant. Etant donné que nous sommes devenus des consommateurs et que nous sommes de plus en plus dans des sociétés individualistes, nous sommes de plus en plus individuellement responsables de nos choix alimentaires, à la différence de la société française des années 50, où on se mettait à table parce que c'était tout simplement l'heure de se mettre à table et où on suivait un programme implicite et immuable pour se nourrir.

C'est probablement parce que je suis un peu pessimiste que je conclus comme cela. Pour résumer le malaise du mangeur contemporain, je vous ai dit tout à l'heure, on est ce qu'on mange, c'est en tout cas la perception générale, on ne sait plus ce qu'on mange et voici comment je le résume : « si je suis ce que je mange et si je ne sais plus ce que je mange, eh bien est-ce que je sais encore qui je suis ? »

Merci beaucoup.

M. Claude Saunier - On voit mieux d'où on vient, où on est, la question c'est de savoir où on va. Merci en tout cas pour vos propos, Monsieur Mignot et Monsieur Fischler. Comme nous avons quelques minutes de retard, j'appelle l'installation de la première table ronde qui sera animée par Martin Hirsch, directeur général de l'AFSSA.

Cette table ronde sera donc constituée du professeur Hans Blaschek, de l'Université de l'Illinois, de M. Bernard Chevassus-Au-Louis, président du MNHN, de M. Pierre Beaubois, responsable de la qualité chez SOCOPA, de Mme Catherine Geslain-Laneelle, vice-présidente du conseil d'administration de l'AESA, de M. Nicolas Larmagnac, directeur du développement et de la communication à l'UFC-Que choisir, et de M. Eric Poudelet, de la DG santé et consommation à la Comission Européenne.

Je laisse désormais M. Hirsch prendre la direction des affaires, si je peux m'exprimer ainsi.

Première table ronde :

APRÈS LES CRISES SANITAIRES DES ANNÉES 1990,
UNE SÉCURITÉ RETROUVÉE ?
ACQUIS, ENSEIGNEMENTS ET DÉFIS

M. Martin Hirsch - Merci, Monsieur le Sénateur, d'avoir organisé cette table ronde dont le thème est : « Après les crises sanitaires des années 1990, une sécurité retrouvée ?  Quels en sont les acquis, les enseignements et les défis ? »

Je pense que cela va dans le droit fil des interventions précédentes, telles qu'elles ont pu être annoncées tant par le Ministre que par les deux exposés qui précèdent.

On va essayer de faire un petit tour de table assez rapide, avec des questions qui ont été proposées aux différents intervenants pour que l'on puisse avoir un échange avec la salle. Les intervenants connaissent donc les règles du jeu et j'essaierai de les faire respecter.

Ce que je proposerai, c'est que l'on commence par M. Blaschek puisqu'il a dû entendre le Ministre de l'agriculture et de l'alimentation français expliquer qu'il y avait un écart de 1 à 100 entre la mortalité en France et la mortalité aux États-Unis.

Une inversion existe donc, en France nous n'avons pas peur de mourir sur la route mais nous avons peur de mourir en mangeant, alors qu'aux États-Unis c'est l'inverse, et la mortalité d'origine alimentaire est beaucoup plus élevée aux États-Unis qu'en France.

Peut être pouvez-vous, Monsieur Blaschek, nous dire ce que vous pensez des points forts et des points faibles de la sécurité sanitaire aux États-Unis, et si vous avez un moyen d'évaluer le nombre de morts et de malades d'origine alimentaire dans votre pays.

M. Hans Blaschek - Merci.

Je voudrais remercier le sénateur Saunier pour son invitation ici. J'ai pensé que c'était un point très important qui était soulevé, cette comparaison entre la sécurité alimentaire entre la France et les États-Unis.

Ce que nous voyons, et ce que le Centre pour le contrôle des maladies à Atlanta a décliné en termes de maladies alimentaires, c'est que l'empoisonnement alimentaire est de l'ordre de 70 millions de cas par an, et le nombre de décès annuels de 5.000.

Il y a là un impact sanitaire évident. Il y a un impact économique en termes de pertes de productivité sur des jours de travail perdus, des gens qui ne vont pas au travail ou tout simplement qui ne vont pas à l'école en raison de maladies d'origine alimentaire. Je crois que c'était une comparaison intéressante.

Aux États-Unis, nous pensons que ces chiffres sont importants ; d'un autre côté il est difficile d'avoir un risque zéro et il y a un taux de risque en termes de transformation alimentaire. Ce sont quelques idées qui m'ont traversé l'esprit lorsque je suis venu ici.

L'autre sujet, en pensant à la présentation d'aujourd'hui, était de voir la différence existant entre la sécurité alimentaire en France et aux États-Unis.

Ce que l'on voit en termes de sécurité alimentaire - et moi je parle en tant que microbiologiste, car nous décrivons cela comme des maladies involontaires d'origine alimentaire - ce sont des maladies typiques dues aux bactéries et d'autres micro-organismes.

De plus, la sécurité alimentaire aux États-Unis est devenue un problème croissant depuis le 11 septembre.

J'ai entendu plus tôt un commentaire sur le terme que nous aimons utiliser, c'est celui du « champ jusqu'à l'assiette » et je crois que c'est un point très intéressant. Il y a des technologies, il y a des approches qui ont été développées en vue d'une continuité de la transformation alimentaire.

Eh bien, cela n'a pas été étendu à l'examen de la chaîne complète allant de la ferme à l'assiette. Il faut donc continuer de sorte que notre alimentation soit acceptable et sûre, du point de vue de la sécurité alimentaire, lorsqu'elle arrive dans nos assiettes.

Donc, voici quelques-unes des idées qui m'ont traversé l'esprit en tant que microbiologiste de l'alimentation.

Un des domaines de recherche sur lesquels je me concentre est ce qui se produit au niveau de l'impact de la mondialisation de notre nourriture car il y a de plus en plus d'importations aux États-Unis.

Comment cette mondialisation peut-elle compromettre notre sécurité alimentaire ? L'un des problèmes que nous avons, c'est que lorsque nous considérons un exemple précis, lorsque l'on prend des aliments qui ont été peu traités (et un exemple de cela ce sont les fruits ou les légumes qui, par leur nature même, ne peuvent pas être transformés) on se situe dans un domaine qui semble être porteur d'une inquiétude importante parce que nous avons observé aux États-Unis des maladies d'origine alimentaire liées aux salmonelles, liées aux chigulas qui sont des variantes des salmonelles.

L'inquiétude résultait du fait de savoir si, pour les produits alimentaires importés d'autres pays aux États-Unis, leurs procédés sont aussi rigoureux que nos procédés à nous, pour par exemple la transformation de l'aliment, la préparation ou la culture de ces aliments. Cette inquiétude vient de ce que ces micro-organismes peuvent être importés, faire de « l'auto-stop » et, si je puis dire, migrer avec ces fruits et ces légumes. Par exemple, l'importation de céleri, de persil ou d'autres produits pose-t-elle un problème de sécurité microbiologique aux États-Unis ?

Nous sommes tous intéressés par la même chose, c'est-à-dire avoir un risque proche de zéro dans notre fourniture de produits alimentaires, mais ce que nous savons des microbes et de leurs capacités à être transmis par la nourriture nous incite à penser qu'il n'y a pas de risque zéro.

M. Martin Hirsch - Merci beaucoup. Merci d'avoir en quelques minutes donné des idées.

On pourrait peut-être y revenir. Il y a plusieurs choses que j'ai retenues :

- d'abord le chiffre de 5.000 morts.

J'avais pu voir, au CDC d'Atlanta, des moyens concernant le contrôle des maladies, qui étaient tout à fait intéressants, tout à fait performants.

- deuxième observation : vous avez évoqué la notion de risque-bénéfice.

C'est important. Je me souviens qu'il y a quelques années, c'était un sujet tabou dans le domaine de la sécurité alimentaire que de parler d'un rapport risque-bénéfice. On disait « c'est bon pour le médicament mais ce n'est pas bon pour l'aliment ».

On voit maintenant resurgir cette notion de rapport entre le risque et le bénéfice, qui est une façon de sortir de cette problématique stérile : est-ce qu'on cherche le risque zéro, qui n'existe pas ? Donc, ce n'est pas la peine d'en parler.

En revanche, est-ce qu'on peut optimiser le rapport risque-bénéfice ?

Troisième observation : sur la globalisation, mon homologue irlandais a l'habitude de montrer une diapositive où l'on voit un produit manufacturé assez classique dont les ingrédients utilisés et l'origine viennent de 37 pays.

C'est tout à fait intéressant parce que c'est une bonne illustration de la globalisation. Je pense que M. Fischler pourrait ajouter une diapositive supplémentaire en disant : on cherche à savoir ce que l'on mange mais d'où vient ce que l'on mange ?

Et c'est assez facile parce que c'est le bouc émissaire classique, mais cela vous devez le dire, on a l'habitude de dire dans une crise alimentaire que le problème réside dans le fait que c'est un produit venant de l'étranger.

C'est assez facile à dire puisque qu'effectivement, étant donné que tout est mélangé, il y a toujours un ingrédient qui vient de l'étranger. Ceci dit, il y a une problématique de globalisation qui resurgit assez souvent, c'est par exemple la question des transports d'animaux. On voit que pour des raisons économiques on organise des transports d'animaux à travers les continents ; or, plusieurs grandes crises de ces dernières années ont pu être liées à la transmission des virus pouvant accompagner ces animaux.

On pourrait examiner à cette occasion l'avantage entre le bénéfice économique d'organiser des grandes migrations d'animaux vivants et le coût sanitaire et économique des crises que cela peut provoquer. Certains d'entre vous autour de la table en ont le souvenir.

Le consommateur américain est aussi sensible à la sécurité alimentaire me semble t-il, mais pas forcément avec les mêmes peurs. Moi j'avais eu des contacts avec les consommateurs aux États-Unis, effectivement ils ont plus peur des microbes que des substances chimiques ou des OGM, ce qui peut changer dans le temps.

Alors, nous allons nous tourner vers le consommateur français ou l'un de ses représentants, s'il peut s'exprimer au nom des consommateurs, et la question que je souhaitais lui poser est : les consommateurs pensent-ils que la sécurité est vraiment retrouvée, comme il est dit dans le titre de la table ronde, ou bien y a-t-il une part d'amélioration réelle et une part de communication qui consiste à dire que tout va bien, et donc à le croire puisqu'on le dit ?

M. Nicolas Larmagnac - Merci, Monsieur Hirsch. Je crois que c'était la question qui m'était posée et le Ministre l'a dit, il y a une sensibilité très forte aux risques et à la sécurité alimentaire chez les consommateurs, sensibilité qui lui fait demander quasiment le risque zéro, même s'il a conscience que le risque zéro n'existe pas, mais les consommateurs espèrent que les modes de production et d'évaluation tendent vers ce risque zéro. Cette sensibilité, cette aspiration à la sécurité, peuvent revêtir, et M. Fischler l'a dit, un caractère un peu irrationnel, mais c'est justement parce que ce caractère peut être un peu irrationnel qu'il faut lui apporter une réponse et l'expliciter.

Est-ce que la sécurité est retrouvée ? Moi, je n'ai pas de réponse des consommateurs. On a vu après ces crises qu'il y avait eu des réponses institutionnelles. Vous en êtes la preuve, j'ai à côté de moi l'autorité AFSSA, il y a aussi autour de la table Mme Geslain-Laneelle, qui représente l'autorité européenne de sécurité alimentaire. Il y a donc eu ces réponses institutionnelles pour expliciter, pour apporter un peu plus de transparence auprès des consommateurs. Il y a eu également des réponses dans les pratiques, notamment du côté des professionnels. On peut dire que le monde agricole, le monde de l'industrie et le monde de la distribution se sont ouverts, et qu'il y a eu une plus grande transparence.

On peut dire aussi qu'il y a eu des réponses pratiques pour nous consommateurs ; la preuve en est : c'est qu'aujourd'hui on est autour de cette table, on peut s'exprimer, on peut dire ce à quoi on pense, on peut faire part de nos préoccupations, ce qui n'était pas forcément le cas il y a dix ou quinze ans.

Cela étant, il reste beaucoup à faire et il y a beaucoup de choses qui s'apparentent plus, à notre sens, à de la communication qu'à un réel progrès. Je voudrais rester pragmatique avec deux exemples récents.

Les pesticides, les fameux produits de protection des plantes ou les produits phytosanitaires. Nous avons eu des décisions récentes sur le « Gaucho » et le « Régent ». En fait, ces deux décisions montrent réellement que notre système d'évaluation et de gestion des risques en matière de produits phytosanitaires est complètement défaillant. La Commission en charge de l'évaluation des toxiques n'a pas joué son rôle d'alerte et d'une façon générale, ce que nous remarquons en tant que consommateurs, c'est qu'il y a une aberration du système qui est sous la tutelle d'un ministère en présence de professionnels, est-ce que l'évaluation peut être bien opérée dans le sens de l'intérêt général lorsque cela fonctionne ainsi ?

Juste une petite parenthèse sur le Régent, j'ai un souvenir que dans notre revue « Que Choisir », dés 1998 on parlait des problèmes du Fipronil et autres avec des études à l'appui ; donc il a fallu six ans pour que l'on se mette en cohérence avec les premières études.

Autres exemples, les biotechnologies et les OGM. Est-ce que le rattachement de la Commission du génie biomoléculaire au Ministère de l'agriculture est une bonne chose ?

Pourquoi séparer évaluation des problèmes, risques environnementaux, santé publique et risque sanitaire des produits, c'est-à-dire la santé et l'environnement, à la Commission génie biomoléculaire et la sécurité sanitaire à l'AFSSA ?

Est-ce que cela pourrait être clair et transparent pour les consommateurs, lorsqu'ils ont besoin de s'appuyer sur des informations qui leur viennent des spécialistes pour qu'ils prennent position et se fassent une opinion. Par ailleurs, quelle coordination entre le niveau national et le niveau européen ? Je prends l'exemple du maïs BT 11. Pourquoi serait-il bon à un endroit et pas à un autre ?

Là nous avons Martin Hirsch et Catherine Geslain-Laneelle à la même table, ils vont peut être nous expliquer comment ils arrivent à deux positions différentes sur un même produit.

Donc, peut-être que la sécurité est retrouvée en nombre de cas de personnes décédées, mais il y a encore beaucoup à faire en matière de transparence et d'information. Et puis, je voudrais vous parler d'autres styles d'enjeux pour nous. Le Ministre en a parlé, Claude Saunier en a parlé, l'harmonisation des contrôles et des normes est importante. Les consommateurs n'accepteront pas, par exemple, qu'avec l'ouverture à 25 de l'Union européenne, le niveau de protection sur les produits alimentaires soit moindre parce que tel ou tel pays n'a pas les mêmes normes ou les mêmes types de contrôles.

Plus avant, on l'a dit, les produits viennent de partout dans le monde et cela a été évoqué très fortement par le Ministre : si l'on commercialise des produits venant de l'étranger mais qui ont été fabriqués avec des produits interdits en Europe, est-ce que le consommateur peut l'accepter ? Nous, nous pensons que non, donc il va falloir réfléchir à cela !

Et puis, il y a d'autres enjeux sécuritaires qui sont de plus en plus forts, c'est le problème des allergies, le problème des effets cumulés à long terme de certains éléments, de certaines substances, additifs, le problème de la biorésistance.

C'est aussi le problème des industriels avec les nouveaux process. Il y a eu un transparent évoquant la question de l'acrylamide. C'est un sujet important pour les associations de consommateurs et pour les consommateurs eux-mêmes, d'autant que ces problèmes relèvent de process industriels.

Je vais m'arrêter là mais je voudrais juste rappeler les trois demandes majeures pour les associations de consommateurs dans le domaine.

La première, c'est l'indépendance des instances d'évaluation au regard des gestionnaires du risque, et l'exemple des produits phytosanitaires ou des biotechnologies est très parlant.

Le deuxième, c'est une coordination au niveau national, européen et international parce qu'une décision qui est prise en France doit être valable partout, sinon quel sens lui donner ?

Et la troisième chose, c'est surtout l'ouverture à la société civile dans le système d'évaluation des risques, ce fameux deuxième cercle.

Je me souviens qu'il y avait eu une conférence organisée par l'Office Parlementaire des Choix Scientifiques et Technologiques, il y a plusieurs années, qui s'appelait la Conférence de consensus sur les OGM. On en parlait déjà, le Ministre en a parlé tout à l'heure, donc à quand ce fameux deuxième cercle ?

M. Martin Hirsch - Merci beaucoup.

Je crois qu'à travers votre intervention on voit l'idée que l'on n'est pas à la fin d'un processus « après les crises, une sécurité retrouvée ! Acquis, Enseignements et Défis », on pourrait dire que l'on peut tirer des enseignements de mi-course.

Je suis content de le dire devant M. Saunier et dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, puisque la loi de 1998, qui a créé différentes agences, notamment l'AFSSA - il y a six ans - fait qu'une partie de ces dispositions sont entrées en vigueur il y a 5 ans et que le législateur avait prévu de faire une révision au bout de cinq ans pour réexaminer ce qui devait éventuellement être changé.

On a pris conscience effectivement qu'un certain nombre de changements avaient été réalisés mais qu'il fallait les tester à l'épreuve des faits et peut être en faire d'autres.

Depuis, les choses ont encore évolué. On a créé notamment d'autres agences. Je pense qu'il est extrêmement important de ne pas perdre de temps pour ne pas perdre la dynamique qui s'est créée et qui est aujourd'hui, je dirais, à mi-course, et qui connaît un certain nombre de difficultés dans son système d'application.

Je pense que vous avez donné de bons exemples de questions qui sont aujourd'hui sur la table qu'il ne faut pas, à mon avis, trop tarder à résoudre ou en tout cas à commencer à traiter.

J'abuse de ma fonction de modérateur mais je vous avais prévenu que je n'étais pas fait pour cela ; j'espère que l'on y reviendra et que cela suscitera des questions.

Après le consommateur, nous allons être un peu classiques et nous allons nous tourner vers le producteur, M. Beaubois ; la question que je souhaitais vous poser était de savoir comment justement, de votre côté, vous estimez qu'on peut faire les arbitrages entre impératifs économiques et impératifs sanitaires face à une nouvelle place, une nouvelle demande, une nouvelle attente ou à de nouvelles exigences du consommateur et à de nouveaux moyens techniques disponibles, et donc comment cet arbitrage peut se faire en faveur du consommateur ?

M. Pierre Beaubois - Je vais éviter de reprendre trop de notions qui ont déjà été dites depuis ce matin mais je souhaiterais rappeler que le consommateur est adulte et responsable, qu'il est tout à fait libre de son acte d'achat et que, comme cela a été dit, nous ne sommes plus dans une société de pénurie ; donc, il y a une offre abondante et disponible dans tous les domaines, que ce soit dans l'agroalimentaire ou dans d'autres types de consommation.

Il nous est donc nécessaire, en tant que producteurs, de produire des produits mais également de faire en sorte que ces produits se vendent, c'est-à-dire qu'ils soient attractifs vis-à-vis du consommateur.

A partir de là, nous sommes obligés de le fidéliser, et pour le fidéliser le seul moyen que nous ayons trouvé a été de mettre en place une confiance partagée avec lui pour qu'il place nos produits carnés à la fois sous deux aspects : une promesse qualitative et une sécurité des aliments.

Concernant la promesse qualitative, pour les produits carnés que produit ma société, tout cela est lié essentiellement à l'origine, à la tendreté - pour des produits tels que les nôtres, c'est un point important - ou à des démarches particulières, que ce soit des démarches label, de certification de produits bio ou des particularités technologiques sur des produits notamment où la praticité est mise en oeuvre par rapport à ces produits.

Je voudrais reprendre aussi la notion qu'a évoquée M. le Ministre concernant la sécurité des aliments ; on a tous coutume de parler de sécurité alimentaire et en fait la sécurité alimentaire c'est plutôt la sécurité des approvisionnements. Nous ne sommes plus dans cette optique là et donc nous parlerons de sécurité des aliments.

Pour répondre à cette attente, une entreprise telle que la nôtre a mis en place une marque, que ce soit la nôtre ou celle d'intervenants avec qui nous commercialisons. Pour nous, c'est le bien immatériel le plus précieux de l'entreprise parce qu'il représente une masse économique très importante à mettre en place, qui coûte très cher à installer et évidemment il pourrait être en quelques heures complètement dévalorisé. Il serait donc économiquement désastreux pour nous de ternir cette image de marque par des actions qui mettraient en cause sa réputation.

Concernant la sécurité des aliments, dans la matière alimentaire des produits carnés, nous avons en fait trois grandes composantes : physique, chimique et biologique.

Très vite, parce que je n'ai que quelques minutes pour vous l'expliquer, je peux vous dire que le risque physique est, lui, géré essentiellement par la maîtrise des corps étrangers dont l'origine est liée soit à l'élevage, soit au process ou encore à l'environnement.

L'élevage, par exemple, c'est typiquement les aiguilles de traitement vétérinaire employées lors de traitements qui cassent et restent dans les colliers des animaux.

Dans le cadre d'élevage comme le porc, c'est assez bien maîtrisé puisqu'il y a des procédures au niveau des bonnes pratiques d'élevage pour identifier les porcs.

Mais dans le cadre des produits d'origine bovine, il y a encore beaucoup à faire.

En ce qui concerne le process, cela peut être éventuellement une petite vis, un petit boulon qui peut se détacher d'une machine, et pour l'environnement cela peut être essentiellement un élément lié à l'activité de l'homme et aux manipulations.

Les moyens de prévention par rapport aux risques physiques sont de deux ordres : préventifs ou correctifs. Le préventif, c'est d'abord les bonnes pratiques d'élevage pour gérer le risque que l'on a évoqué, je l'appellerai aussi l'action citoyenne de tous parce qu'il nous arrive, avec les moyens curatifs que l'on va évoquer rapidement, qui sont ceux de la détection de particules métalliques, pour retrouver des plombs de chasse.

On ne chasse pas et on n'abat pas les bovins ou les porcs, notamment les porcs plein air, avec des fusils à plomb, ce qui veut dire qu'il n'y a a priori que les faisans et les gibiers qui prennent quelques petits plombs. Pas suffisamment sûrement pour les blesser, mais cela arrive.

Donc, vous voyez que vraiment lorsque l'on dit « de la ferme à l'assiette », c'est aussi tout l'environnement qui tourne autour de cet élevage qui est important.

Ce que je voudrais dire sur le risque physique c'est que les moyens curatifs seuls ne suffisent pas. Donc on a mis en place dans nos entreprises des politiques « bijoux » pour éviter que l'on retrouve dans nos produits une boucle d'oreille par exemple, cela s'est déjà vu, ou à l'inverse un morceau de stylo, etc. Parce que les moyens curatifs sont essentiellement soit basés sur les flux magnétiques, soit basés sur les rayons X (et toutes ces méthodes ont leurs limites mais ne sont pas des protections absolues), il ne faut donc pas baisser la garde par rapport au préventif.

Concernant le risque chimique, l'origine est soit endogène, c'est-à-dire liée à la viande elle-même, soit exogène, c'est-à-dire liée au produit et à son environnement.

Certaines substances ont été évoquées, cela peut être des substances médicamenteuses résiduelles si les délais d'attente n'étaient pas respectés mais c'est aussi la problématique des métaux lourds, des dioxines, de radio éléments ou d'autres produits.

Et exogènes au produit, cela peut être par exemple des additifs qui pourraient éventuellement être mal dosés ou des contaminants extérieurs, cela a été dit, des désinfectants, des produits de nettoyage résiduels ou des insecticides raticides.

Je crois que dans d'autres produits que la viande il y a eu un incident il y a quelques années, donc cela montre qu'il y a nécessité de travailler là dessus.

En moyens de maîtrise, il y a du préventif et du curatif. Au niveau préventif, il y a bien sûr la surveillance à travers l'analytique. Le problème, c'est que ce sont souvent des structures qui sont très difficiles à mettre en évidence par des méthodes classiques d'analyse. Cela nécessite des moyens lourds car il faut savoir ce que l'on cherche.

Ce sont donc souvent les moyens curatifs qui sont appliqués, et là il n'y en a qu'un efficace, c'est la traçabilité, qui permet l'application de plans de retrait ou de plans de rappel. Dans le cadre des deux crises qui ont été évoquées, par exemple concernant les dioxines, c'était un plan de rappel amont ; le but était d'identifier à partir d'élevages sous séquestre sanitaire où étaient passés les viandes, les produits, pour pouvoir les rappeler.

Dans le cas aval, par exemple, c'est un élément relativement récent qui est l'utilisation d'un pigment de colorant interdit, le E 101, dans certains produits épicés. Concernant le risque biologique, il est de plusieurs natures, cela a été évoqué : les microbiologiques virales, parasitaires ou de maladies transmissibles à l'homme, donc concernant la viande fraîche.

Ce qu'il faut savoir c'est que nous avons une particularité par rapport à d'autres types de produits transformés : c'est que tous nos produits ont une charge microbienne initiale, que cette charge initiale va augmenter, se multiplier par les conservations et les stockages et qu'au bout il va y avoir en plus une surcharge liée à l'activité de transformation et de découpe qui va apporter, par contamination croisée, d'autres bactéries. On retrouvera donc à la fin les bactéries initiales en plus grand nombre, ajoutées à celles qui ont été déposées par les opérations.

Il faut savoir que ces flores peuvent être d'altération ou pathogènes. Les flores d'altération ou protéolytiques dégradent les protéines en donnant des odeurs nauséabondes lipolytiques, c'est-à-dire qui vont dégrader les graisses en donnant un goût d'acétone. Quant aux flores pathogènes, dans notre filière, elles sont de type invasif ou toxinogène.

Les flores pathogènes, plus fréquentes dans la filière des produits carnés en France, sont la salmonella et la listéria monocytogénèse, et concernant les flores toxinogènes cela peut être potentiellement certains clostridiums.

Concernant le risque parasitaire, la maîtrise est assurée par l'inspection ante mortem au niveau de nos abattoirs, inspection réalisée par les services vétérinaires de l'État et des analyses laboratoires de confirmation si nécessaire. Concernant le risque maladies transmissibles à l'homme, au niveau des entreprises de transformation, il est géré essentiellement par l'inspection ante mortem et post mortem et notamment pour le risque ESB ; une inspection ante mortem poussée au niveau des bovins, la démédulation des bovins et des ovins adultes et l'analyse de l'obex par des laboratoires agréés extérieurs et indépendants permettent de qualifier si l'animal est positif par rapport à ce test.

Et enfin, une inspection de deuxième niveau a pour but de vérifier que l'ensemble des procédures mises en place sont bien réellement appliquées et respectées.

Ce que je voudrais donc, pour répondre à la question qui m'a été posée, c'est bien faire le parallèle et là, je rejoindrai Monsieur Mignot qui l'a dit pour la filière lait, mais je peux le confirmer dans la filière viande : il est évident que le bien économique le plus précieux, pour nous, c'est cette confiance et cette réputation, et à partir du moment où on la mettrait en cause en privilégiant, j'oserais dire des impératifs économiques immédiats, cela mettrait à bas toute cette politique de marque et cette confiance.

On a vu que lors des crises comme celle de la dioxine de 1999 ou celle qui a beaucoup touché la filière porc concernant la fièvre aphteuse, que vous soyez ou non concernés, votre chiffre d'affaires et votre rentabilité en prennent un réel coup. Cette confiance est donc la base de notre relation et en conséquence de quoi on ne peut pas privilégier l'économie au détriment de la sécurité des aliments.

M. Martin Hirsch - Merci beaucoup. Deux petites choses après votre exposé.

La première : là vous venez de parler de dioxine et tout à l'heure vous aviez parlé du piment, moi j'ai été très frappé effectivement par la façon dont, à partir d'un problème de matières premières très en amont, il y avait des répercussions jusqu'à l'assiette du consommateur, ce qui appelle certainement que les opérateurs puissent faire des audits de fournisseurs extrêmement poussés.

Là aussi je fais, excusez moi, le parallèle avec le système du médicament dans lequel on impose très en amont des audits qui vont jusqu'au fournisseur de matières premières, y compris de matières premières animales. On voit que dans l'alimentation on a besoin de la même chose. Si l'on veut pouvoir dire qu'une pizza ne pose pas de problèmes, il faut aller vérifier que le producteur de piment indien n'a effectivement pas coupé son piment avec du colorant classé 2 par le centre de recherches sur le cancer, ce qui s'est produit il y a peu de temps.

La deuxième chose, c'est que l'on voit bien que pour que la sécurité alimentaire soit assurée, vous avez montré comment cela se passait pour la filière viande, il y a besoin à la fois d'une évaluation scientifique de bon niveau pour que l'on sache si le prion passe à droite ou à gauche, mais également d'une mise en oeuvre des différentes mesures d'un point de vue technique et d'un contrôle de ces mesures. Pour lutter contre les crises, il faut effectivement pouvoir tenir sur ces différents piliers et aussi pouvoir organiser les choses, en sachant que la phrase « le risque zéro n'existe pas » est bien connue, mais que la phrase « les contrôles ne peuvent jamais garantir 100 % de satisfaction de mise en oeuvre d'une mesure » est aussi une phrase importante à retenir, parce qu'il faut adapter la réglementation au fait qu'il y a forcément quelques pour cent qui ne respectent pas les contrôles.

Avant d'aller en Europe, on va rester en France avec Bernard Chevassus-Au-Louis qui, avant d'être Président du Muséum national d'histoire naturelle, a été le premier président du Conseil d'administration de l'AFSSA et a fait aussi beaucoup d'autres choses.

Nous avons donc eu à travailler trois ans ensemble et c'était pour ma part un grand plaisir.

Actuellement, Bernard Chevassus est un des grands militants de la Charte de l'Environnement et de l'inscription du principe de précaution dans la Constitution et je pensais que l'on pouvait profiter de sa présence pour savoir si, à ses yeux, l'inscription du principe de précaution dans un texte aussi élevé que la Constitution pouvait concrètement contribuer à une meilleure évaluation et gestion des risques dans le secteur alimentaire.

M. Bernard Chevassus-Au-Louis - Merci, Martin Hirsch. Je vous retourne le compliment sur le plaisir d'avoir travaillé ensemble. Merci de cette invitation. En tant que modérateur, il a déjà donné la réponse puisqu'il m'a présenté comme un militant de la Charte de l'Environnement. Ce que je voudrais dire, effectivement - et je ne suis pas juriste donc la question du niveau d'inscription dans une loi constitutionnelle ou autre n'est pas de mon ressort - et qui me semble intéressant dans la rédaction qui en est proposée actuellement, c'est que ce principe de précaution soit inscrit dans une charte.

Je dirais que pour moi cela clarifie trois points importants quant à l'utilisation du principe de précaution. Le premier, c'est que cela cerne le sujet puisque cela dit clairement qu'il s'agit d'une part d'incertitudes scientifiques et d'autre part de risques graves et irréversibles.

Incertitudes scientifiques, c'est-à-dire que l'on parle d'une incertitude liée au fait que la science, à un moment donné, n'a pas tous les éléments, ce qui veut dire, et on l'a lu dans la presse, que des gens qui ont dit « la guerre en Irak est une application du principe de précaution » ou « au nom du principe de précaution, on ne devrait pas se marier », je suis désolé, c'est totalement hors sujet.

Il y a, Dieu merci, dans la vie, d'autres incertitudes que les incertitudes scientifiques, mais dans le cas qui nous intéresse on parle effectivement ici d'incertitudes scientifiques.

Ensuite, on dit que c'est quand même une chose sérieuse, autrement dit il s'agit de risques graves et irréversibles. Irréversibles, cela veut dire qu'effectivement la science, à un moment donné, dit « si ce que nous supposons se réalise, dans l'état actuel de la science, nous aurons bien du mal à nous en débarrasser ». C'est l'exemple de la maladie de la vache folle, on ne savait pas si elle se transmettait à l'homme, il y avait donc là une incertitude scientifique. Par contre, nous savions parfaitement que si cela se déclenchait, nous ne savions pas guérir cette maladie, donc nous aurions bien du mal à appliquer le principe de correction.

Même chose pour les gènes des OGM : s'ils se disséminent, peuvent-ils perturber la biodiversité ? Incertitude scientifique. Par contre, une fois qu'un gène est disséminé dans la nature, la réversibilité est difficile. Le premier point qui me paraissait important était donc une définition qui encadre bien dans quels cas on va appliquer ce principe.

Deuxième chose qui me paraît importante, c'est effectivement à la fois de légitimer et d'encadrer l'action publique. Légitimer parce qu'effectivement on voit que le droit et la légitimité des acteurs publics à prendre des mesures pouvaient être contestés aussi bien au niveau national qu'au niveau international.

Nous avons d'ailleurs vécu des débats dans lesquels, et encore au Codex alimentarius j'ai eu l'occasion de le voir, cette idée de dire : « tant que vous n'avez pas la certitude scientifique vous ne pouvez pas, vous n'êtes pas autorisés parce que vous n'êtes pas légitimes pour prendre des mesures » est un débat encore très actuel. Le fait que dans la Constitution on puisse inscrire « les autorités publiques, en l'absence de certitudes scientifiques, sont légitimes pour prendre des mesures » me semble tout à fait important.

De plus, cela ne concerne pas n'importe quelles mesures puisqu'il est dit que ces mesures doivent être provisoires et proportionnées. Alors, nous pourrions discuter longtemps sur ces termes, certains disent qu'il ne faudrait pas dire « provisoires » mais « révisables », d'autres disent qu'il faudrait être plus précis dans la notion de proportionnalité.

Je crois qu'un texte de niveau constitutionnel énonce des principes, qu'il faudra ensuite décliner, j'y reviendrai, mais en tout cas cela dit bien effectivement que l'argent public étant chose rare, des mesures dans un domaine vont faire que l'on en fera moins dans un autre et qu'une certaine modération, une certaine proportionnalité des mesures doit guider le décideur public.

Le troisième point qui est clarifié et qui me semble important, c'est que cela incite très clairement à acquérir des connaissances scientifiques complémentaires. Il est dit là aussi que le décideur public devra mettre en oeuvre des procédures d'évaluation des risques c'est-à-dire qu'il va chercher à en savoir plus. Chercher à en savoir plus, c'est-à-dire soit mettre en place ou renforcer des dispositifs de biovigilance pour mesurer effectivement si le phénomène advient, soit déclencher des programmes de recherche et d'expérimentation pour mieux caractériser la situation.

Autrement dit, dans un débat où certains ont estimé que précaution va contre recherche, qu'entre innovation ou précaution il faut choisir, et un autre débat qui voudrait radicaliser la situation, ce principe de précaution ne met pas en marge la science et serait une sorte de refuge pour une sorte d'arbitraire du politique, c'est au contraire un appel à utiliser la science et en même temps à la faire avancer.

Cela me semble particulièrement important parce que cela va peut être introduire la suite des débats, dans nos domaines de sécurité sanitaire et de sécurité environnementale ; la science aura beaucoup de mal à être au rendez-vous des certitudes que le politique voudrait avoir.

Dans ces domaines effectivement, on a ce qu'on appelle en science des « bas niveaux de preuves », c'est-à-dire des observations épidémiologiques, des expérimentations contradictoires, et le citoyen va s'habituer peu à peu à voir que les experts ne sont pas d'accord, et si effectivement on prend appui sur ces désaccords entre experts pour dire à ce moment là : « on attend et quand vous serez d'accord on décidera », on voit bien par contre que là on veut se passer de la science. Au contraire, inciter à mobiliser et à faire évaluer la certitude me semble tout à fait important.

Alors, pour ne pas donner l'impression que je fais un plaidoyer complètement unilatéral, je voudrais terminer sur deux points.

Le premier, c'est que s'il existait un principe qui donnerait à toute action un caractère totalement pertinent, cela serait-il commode ? Autrement dit, il y a cinquante ans, dans cette assemblée on discutait peut-être de la question : le principe « mieux vaut prévenir que guérir » est-il pertinent ?

L'introduction du principe de prévention est-elle si justifiée que cela ? Pourquoi ne pas corriger a posteriori les choses ? Autrement dit, un principe de précaution, au même titre qu'un principe de prévention ou un principe de correction, ne confère-t-il pas à une décision un caractère forcément totalement pertinent ?

Le deuxième point est qu'effectivement, si cela est constitutionnel, il faut que cela soit aussi consensuel que possible et j'aspire à voir des débats dans lesquels l'utilisation, le recours à la précaution soient encadrés par des dispositifs dont la transparence et le degré de débat public sont tels que cette utilisation du principe de précaution soit considérée effectivement comme non pas une sorte d'arbitraire, mais comme une attitude légitime des pouvoirs publics par rapport à la gestion des risques.

Je vous remercie.

M. Martin Hirsch - Merci beaucoup Bernard, tu as présenté de manière très limpide les enjeux du principe de précaution et je pense que la salle y a été sensible.

Tu as dit cependant que le principe de précaution et la guerre en Irak n'avaient pas de rapport, mais il y a quand même un rapport entre la guerre en Irak et la question de l'articulation entre l'évaluation et la gestion des risques sur lesquelles on va revenir dans un instant puisqu'effectivement se posait la question entre l'évaluateur, qui était Monsieur Hans Blix, et le gestionnaire des risques. Il y a eu une dialectique qui est tout à fait intéressante et que l'on peut regarder à la lumière de la problématique de sécurité alimentaire avec un gestionnaire des risques qui savait quelle décision il voulait prendre et qui attendait de l'évaluateur des risques qu'il lui dise à peu près les conclusions sur lesquelles il allait s'appuyer pour pouvoir prendre sa décision.

Il y a eu conflit au moment où l'évaluateur a usé de son indépendance pour dire « moi, évaluateur indépendant, je vais quand même dire que le risque n'est pas exactement celui que vous aimeriez que j'énonce pour pouvoir vous permettre de le gérer comme vous souhaiteriez le gérer ». Du coup, cela a quand même posé un petit problème.

M. Claude Saunier - Monsieur le Directeur, c'est un principe sur lequel vous méditez chaque matin.

M. Martin Hirsch - Voilà. Du coup, nous allons passer de la France à l'Irak en passant par l'Europe. Nous avons à la table un gestionnaire des risques, M. Poudelet, de la Direction générale Santé Consommation, et une évaluatrice des risques puisque Mme Geslain-Laneelle est là en tant que Vice-présidente du Conseil d'administration de l'Autorité européenne.

Nous allons commencer par M. Poudelet, auquel j'avais envie de poser une question : au niveau européen, dans lequel l'un des objectifs est la libre circulation, l'élargissement peut-il avoir comme conséquence d'entraîner des appréhensions vis-à-vis de pays dans lesquels les normes sanitaires seraient plus basses que dans d'autres où elles seraient plus élevées ?

Moi, j'avais été très frappé par le fait que le commissaire Burn avait considéré qu'il était normal d'attaquer la France devant la Cour de justice à propos de l'ESB parce qu'elle n'avait pas levé l'embargo, qui était une mesure de précaution, mais qu'en revanche il n'avait jamais été émis l'idée que l'on pouvait attaquer des pays qui n'avaient pas détecté chez eux de cas de ESB et qui, eux-mêmes, n'avaient pas enlevé les MRS, etc.

Je trouvais que, de la part du commissaire, le fait que l'action soit une action contre un pays qui n'avait pas levé une mesure de précaution mais qui n'avait pas eu l'idée de faire une procédure juridique contre des pays qui n'avaient pas mis en place de mesures de prévention posait la problématique de « est-ce que l'Europe et la libre circulation européenne sont cohérentes avec le plus haut niveau de protection du consommateur » ?

Voilà la question que je souhaitais vous poser.

M. Eric Poudelet - A propos de cette libre circulation et des entraves, cette libre circulation est quand même un grand principe qui existe depuis longtemps et si l'on reprend les cinquante dernières années analysées par M. Fischler tout à l'heure, cela a commencé par la libre circulation de l'acier, du charbon, ensuite des entités ont été créées, comme le Benelux, le grand marché unique à partir du 1 er janvier 1993, et aujourd'hui l'ouverture avec les nouveaux États membres qui vont arriver dans quinze jours pour nous rejoindre, mais c'est un concept qui a lieu dans le monde entier.

Cette libre circulation, on la trouve dans l'Amérique du Nord avec l'ALENA, on la trouve dans l'Amérique du Sud avec le MERCOSUR, on la trouve dans les pays asiatiques avec l'ASEAN, et donc il y a une volonté politique aujourd'hui de pouvoir s'affranchir des barrières tarifaires, des barrières économiques, des barrières sanitaires pour que les produits puissent circuler. Il paraît que c'est la raison, et c'est une source de richesse, et aucun homme politique aujourd'hui ne peut être contre la libre circulation.

Vous savez que l'Europe est la première entité exportatrice de produits alimentaires mais aussi le premier importateur au monde. Il n'y a que trois marchés importateurs de denrées alimentaires : le marché nord-américain (USA - Canada), le Japon et l'Union européenne.

Tous les autres pays au monde exportent mais la position spécifique de l'Europe est à la fois d'être le plus grand importateur mais aussi le plus grand exportateur. Et si vous bloquez les frontières, il est évident que vos partenaires économiques vont bloquer les leurs. Cela s'est toujours vu dans l'histoire du commerce, à partir du moment où il y a un pays qui ferme ses frontières, des mesures de rétorsion sont mises en place.

Alors, pour en revenir à cette problématique de sécurité alimentaire, comme le temps m'est compté, je voulais vous donner trois éléments.

La perception du risque par le public, on en a parlé, je ne vais pas y revenir en détails, mais cette perte de confiance dans la science est un phénomène relativement spécifique à l'Europe et au Japon, c'est beaucoup moins vrai aux États-Unis et c'est un phénomène qui nous inquiète beaucoup.

Cela nous inquiète beaucoup car nous avons fondé toute notre politique sur une législation basée sur des faits scientifiques, sur l'indépendance entre les scientifiques et les gestionnaires du risque et on s'aperçoit petit à petit de la limite de ce schéma.

On s'aperçoit, comme l'a dit le représentant des consommateurs, qu'il faudrait peut être mettre en place ce fameux deuxième cercle, cette fameuse enceinte de réflexion où n'apparaissent pas simplement les scientifiques mais aussi toute la chaîne, c'est-à-dire les producteurs, les transformateurs, les consommateurs, afin d'avoir un éclairage sur d'autres éléments qui peuvent éclairer les politiques pour pouvoir prendre des décisions.

Enfin, cette différence de perception, on la voit au niveau de l'Europe. Nous avons nos amis suédois, pour qui les salmonelles représentent le danger absolu et nous avons les pays du Sud, pour qui les fromages au lait cru sont la panacée en matière gastronomique alors qu'ils sont refusés par beaucoup d'autres pays.

Le deuxième point, c'est la réponse des autorités. La réponse des autorités suite aux différentes crises alimentaires a été de dire « il faut introduire un haut niveau de sécurité alimentaire ».

Le problème, c'est qu'à crise alimentaire intense il y a une réponse administrative intense qui signifie plus de réglementations, plus de détails, qui peut être critiquée, nous l'avons vu, avec le représentant des industries tout à l'heure. Nos hommes politiques et nous-mêmes agissons dans la peur de la sanction politique, administrative, voire judiciaire, vous avez tous des exemples en tête.

Pour en revenir à la fameuse crise de la vache folle, elle a coûté leur poste à plusieurs ministres au sein de l'Union européenne et les ministres qui restent ont essayé de prendre les mesures adéquates non seulement pour protéger le consommateur mais aussi pour éviter des crises politiques majeures.

Le problème de nos autorités et de la Commission européenne est d'être trop actives en matière de risque alimentaire. Nous savons à peu près gérer maintenant la majorité des risques alimentaires. Il y a encore quelques problèmes en matière de risque chimique, de produits cancérigènes, de systèmes où il y a parfois des synergies qui sont mal contrôlées, mal connues, mais la majorité des risques biologiques nous savons les maîtriser et les industries le savent également.

Par contre, le problème réside dans le risque émergent, et c'est là où il faut mettre en place des systèmes de « vigilance active » pour essayer de découvrir quels sont les prochains risques.

Il y a dix ans, on ne parlait pas des campylobacter, personne ne les connaissait à part quelques bactériologistes dans le fond de leur laboratoire.

Aujourd'hui, c'est le risque numéro 1 en matière d'intoxication alimentaire. Il faut donc arriver à mettre en place des systèmes qui puissent nous alerter sur le passé et cette proactivité est quelque chose de très difficile à mettre en place, et c'est là où nous nous retournons vers les scientifiques pour essayer d'imaginer un petit peu l'avenir.

Enfin, pour en revenir sur ce problème de gestion des risques, nous estimons que nous avons fait quasiment le tour en tant que législation sanitaire au niveau communautaire. Le Parlement européen et le Conseil viennent d'adopter des textes que l'on appelle « le paquet hygiène », les contrôles officiels, qui sont des textes majeurs et pour le moment, en matière de sécurité alimentaire, nous allons pousser nos efforts en matière du contrôle de cette législation car ce n'est pas tout d'avoir une excellente législation, le tout est de vérifier qu'elle est bien appliquée à la fois par les pouvoirs publics et par les industriels qui ont la première responsabilité de la qualité de leurs produits.

Enfin, quelles sont les mesures à la disposition des autorités ? Pour en revenir à votre exemple sur la vache folle, où la France n'a peut être pas apprécié que l'Union européenne prenne des mesures à son encontre, c'est parce qu'à Bruxelles nous n'aimons pas du tout qu'un État membre ne suive pas un texte communautaire qui a été adopté à l'unanimité.

Cela fait partie de la discipline communautaire. Lorsqu'un texte a été adopté, tout le monde doit le suivre, c'est la discipline du groupe, c'est la démocratie et à partir du moment où un État membre refuse d'appliquer une décision communautaire, il y a tout un mécanisme qui se met en place et qui est arrivé jusqu'à la condamnation de l'État français.

Les scientifiques avaient estimé (les scientifiques communautaires et pas les scientifiques français) que la viande britannique exportée dans certaines conditions très strictes ne présentait pas de danger vis-à-vis du consommateur et ne présentait pas plus de danger que la viande française produite à l'époque en France.

Alors, pourquoi n'a-t-on pas critiqué les autres États membres ? Bien sûr que si, nous les avons critiqués et il y a eu une sanction de la part des politiques puisque dans les pays qui ne recherchaient pas la vache folle à l'époque dans le cheptel bovin, il y a eu des crises politiques, des ministres ont été évincés très rapidement. Il y a eu des bouleversements politiques et c'est la sanction politique qui est importante dans ces cas-là, en dehors de la sanction judiciaire ou de la sanction administrative.

Je crois quand même qu'à ces problèmes de crise alimentaire, il faut des réponses proportionnées et c'est là toute la difficulté pour éviter des réactions épidermiques ou des réactions disproportionnées. On parlait tout à l'heure du principe de précaution, je crois que là, lorsqu'il y a un risque, la science doit nous éclairer.

Prenons rapidement un exemple. Vous savez qu'il y a eu des épidémies de grippe aviaire en Thaïlande il y a deux ou trois mois, des morts au Vietnam et en Thaïlande. L'Union européenne a pris immédiatement des mesures pour interdire les importations de volaille vivante et de viande. Par contre, on a autorisé les importations de viande qui ont été traitées thermiquement, c'est-à-dire chauffées à 70°, parce qu'à cette température-là le virus de l'influenza aviaire est détruit.

Alors que les industriels français de la volaille étaient ravis de la mesure, ils voulaient que l'on interdise tout, nous avons dit non. Nous avons répondu que selon les principes scientifiques, il faut une mesure adaptée à la situation et lorsque la viande de poulet est traitée thermiquement le risque est éliminé, donc laissons rentrer ces produits. La réponse à votre question en fait est oui. Les enjeux sanitaires prévalent sur la libre circulation et lorsqu'il y a un risque, tous les mécanismes nécessaires sont employés pour empêcher cette libre circulation, que ce soit pour les produits importés des pays tiers ou pour nos produits intérieurs.

La réponse est oui, la libre circulation s'arrête lorsqu'il y a un risque sanitaire.

M. Martin Hirsch - Merci. Sans revenir sur l'exemple particulier de la vache folle, je pense que dans le processus de sécurité sanitaire, l'un des éléments les plus importants est de pouvoir savoir se remettre en cause le plus vite possible. J'en ai eu l'expérience dans différentes fonctions, c'est-à-dire qu'on a pu prendre une décision à un moment donné et si il y a juste après des éléments qui peuvent conduire à devoir réviser cette décision, il ne faut jamais avoir l'amour-propre de se dire « cette décision, je l'ai prise, donc je ne reviens pas dessus ».

C'est l'une des leçons des crises sanitaires des quinze ou vingt dernières années et on voit beaucoup de choses qui se sont justifiées parce qu'on n'a pas voulu changer d'avis. C'est la raison pour laquelle je pense que le processus de décision en matière de sécurité sanitaire, qui est presque le même que le processus de décision individuel d'un médecin vis-à-vis d'un malade, est assez particulier par rapport à d'autres processus de décision.

Je vais me tourner vers Catherine Geslain-Laneelle pour lui poser la question suivante : en tant que vice-présidente de l'Autorité européenne de sécurité alimentaire, est-ce que les agences nationales ont encore leur place avec un système européen, ou doivent-elles s'effacer face à l'Agence européenne ? Sachant que si la réponse était oui, cela ne me choquerait pas outre mesure à partir du moment bien entendu où la réponse est argumentée.

Si la réponse est non, les agences nationales peuvent-elles coexister avec une agence européenne ? Si oui, selon quelles articulations, parce que je dois avouer qu'aujourd'hui, vu d'un pays, on n'y voit pas encore extrêmement clair sur ce qui peut être évalué au niveau européen et ce qui peut l'être au niveau national.

Mme Catherine Geslain-Laneelle - Avant de répondre à la question, je voulais insister sur deux aspects, peut-être pour un peu revenir sur le titre de la table ronde qui est « la sécurité est-elle retrouvée ? ». En réalité, sans vouloir faire une présentation exhaustive, je voudrais essayer de tirer devant vous quelques leçons des crises sanitaires que nous avons connues au plan européen ; je ne parle pas au plan national mais au plan européen, en disant qu'il semble quand même, du point de vue de l'ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire, que les crises sanitaires que nous avons connues dans les années 1990 ont conduit à penser que l'Europe n'avait peut être pas été assez présente et pas assez réactive sur un certain nombre de dossiers ; je pense en particulier à la première crise de la vache folle et peut-être, dans une moindre mesure, à la seconde.

Il ne s'agit pas là de critiquer, mais d'essayer de tirer quelques leçons et de voir comment, justement, un certain nombre de décisions qui ont été prises ensuite ont été fondées sur cette appréciation.

Donc, il n'y avait peut être pas assez « d'Europe » dans la gestion de ces crises sanitaires. Au niveau européen, l'identification des responsabilités en matière économique et sanitaire n'avait pas été aussi claire qu'on aurait pu le souhaiter, c'est-à-dire que pour le dire simplement, l'administration et la direction qui avaient la charge des intérêts économiques des acteurs de la chaîne alimentaire étaient aussi celles qui avaient d'éminentes responsabilités en matière de sécurité sanitaire des aliments et peut-être que cela a introduit une confusion et, en tout état de cause, une perte de confiance dans les décisions sanitaires qui étaient prises.

Il y a eu aussi peut-être un manque de transparence dans la prise de décision publique. Je voulais indiquer qu'il y avait peut-être eu un manque de visibilité de l'instance d'évaluation des risques au niveau communautaire que représentait ce comité scientifique - comité qui a d'ailleurs fait l'objet d'une restructuration ensuite - et puis aussi l'idée que l'approche du « champ à l'assiette », de la ferme au consommateur était une approche valide, que parfois elle avait pu être négligée et que tout ce qui concernait la santé des animaux et des végétaux était susceptible d'avoir un impact important en matière de sécurité des aliments.

Donc, on voit bien que dans ces crises sanitaires, au niveau européen, la confiance a peut être été perdue parce que la légitimité des décisions n'apparaissait pas clairement ; en particulier c'était la qualité des processus décisionnels qui était en cause. Et donc, au niveau européen, il y a eu un travail très important qui a été fait par la Commission européenne, par les gouvernements qui avaient dans un premier temps à travailler sur la gestion des risques, c'est-à-dire sur l'organisation des services de la Commission, et dont M. Poudelet est le témoin puisqu'il travaille maintenant dans une direction générale en charge de la protection de la santé et des consommateurs.

Cela a permis de mieux distinguer effectivement les services administratifs en charge de la sécurité sanitaire de ceux qui ont la charge de la défense des intérêts économiques des différents acteurs de la chaîne alimentaire. C'est là la première série de décisions importantes et la deuxième, évidemment, c'est la création de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, c'est-à-dire l'idée qu'il fallait, et cela a été évoqué par plusieurs intervenants et en particulier M. Chevassus-Au-Louis, fonder la décision publique sur une évaluation des risques réalisée par des experts scientifiques, ce qui avait déjà été le cas évidemment avant la création de l'Autorité européenne de sécurité des aliments.

Cette autorité devait être fonctionnellement indépendante du gestionnaire du risque et répondre ainsi aux standards internationaux et en particulier à des principes qui sont repris dans les principes généraux du codex alimentarius, donc au plan international, pour prévoir la séparation fonctionnelle de l'évaluateur et du gestionnaire du risque.

Dans cet esprit, l'Autorité européenne de sécurité des aliments a été créée il y a près de 18 mois maintenant, je date sa création à la première réunion du Conseil d'administration de l'Autorité, qui a pour mission principale de faire de l'évaluation des risques.

On pourrait dire que ses missions sont très comparables à celles de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments : évaluation des risques dans le domaine de la santé des végétaux, la santé et le bien-être animal mais aussi tout ce qui a trait évidemment à la sécurité des aliments.

Elle a aussi des missions d'appui scientifique et technique, comme l'agence française d'ailleurs, sans pour autant disposer de structures comparables à celles dont dispose l'AFSSA pour le faire, puisque l'AFSSA est dotée de très nombreux laboratoires.

L'Autorité européenne, ce sont 80 personnes, 27 millions d'euros de budget et des organes qui lui permettent de fonctionner et qui sont en place.

J'ai évoqué tout à l'heure le conseil d'administration, qui est composé de 14 personnalités indépendantes nommées intuitu personae et un représentant de la commission qui a des fonctions classiques d'un conseil d'administration, c'est-à-dire la définition d'un programme de travail, le vote du budget, la désignation du directeur, la vigilance et le contrôle du bon fonctionnement de l'autorité.

Le deuxième organe très important, évidemment, c'est l'ensemble des comités d'experts scientifiques constitués dès l'été dernier, qui ont commencé à fonctionner et se sont vu transférer l'ensemble des dossiers du comité scientifique directeur. Ils sont au nombre de 8, avec un conseil scientifique qui est là pour harmoniser les méthodes de travail et puis on a le forum consultatif, instance importante qui rassemble l'ensemble des structures nationales d'évaluation du risque et en particulier le siège de l'agence française.

Alors le principal - et donc cela me donne l'occasion de répondre à la question qui a été posée par le modérateur - défi que nous avons cette année et l'année prochaine, parce que c'est un défi lourd, c'est de construire la crédibilité de l'Autorité européenne à la fois sur la scène européenne, mais aussi sur la scène internationale en créant les conditions de travail entre le niveau européen et le niveau national.

En réalité, l'Autorité européenne n'est pas deux choses et donc cela va permettre de dire ce qu'elle est. Elle n'est pas seulement la seizième agence, ou la vingt-sixième bientôt, elle n'est pas que cela, c'est-à-dire qu'elle n'est pas une agence de plus dans un dispositif qui compte déjà des agences nationales. Elle ne peut pas être cela parce que, j'allais dire, si elle n'était que cela il n'était pas nécessaire de la créer, il y avait un comité scientifique qui a bien travaillé et qui pouvait continuer à le faire.

Elle n'est pas non plus l'agence qui se substitue aux vingt-cinq ou quinze autres. Le Conseil des ministres ne l'a pas voulu ainsi, c'est-à-dire que la naissance de l'Autorité européenne ne conduit pas à la disparition des agences nationales.

Le dispositif ne le prévoit pas et donc en fait elle est une création - on va dire - un peu nouvelle et originale qui doit travailler, et c'est cela le défi principal que nous avons, avec les agences nationales.

On a vu que l'une des leçons des crises sanitaires des années 1990 vient de l'Europe, dans ce domaine-là et également du point de vue de la gestion du risque ; donc on attend beaucoup de la Commission, mais c'est également plus d'Europe en matière d'évaluation des risques parce que nous avons eu, dans les responsabilités qui ont été les nôtres, à gérer des conflits, dont certains ont été évoqués ici, liés à la divergence entre les avis scientifiques des agences nationales et ceux du comité scientifique européen.

Il ne s'agit donc pas de dire qu'il n'y aura plus jamais de désaccords entre le niveau européen et le niveau national mais il s'agit de créer les conditions qui permettent de faire fonctionner ces deux niveaux en bonne intelligence pour éviter aux gestionnaires du risque au niveau national, mais également au plan communautaire, de se trouver confrontés à deux avis divergents.

Alors, vous allez me dire que c'est facile, mais comment fait-on ? Eh bien on y réfléchit mais c'est un sujet difficile.

Je voudrais devant vous simplement lancer quelques idées, quelques pistes de réflexion. La première, d'abord, c'est de faire fonctionner efficacement le forum consultatif, c'est-à-dire le lieu où toutes les agences nationales vont se retrouver et doivent travailler ensemble, échanger des données, valider les programmes de travail ensemble, se répartir les tâches, coopérer, créer des réseaux sur des thématiques données.

Deuxièmement, ceci est nécessaire mais cela n'est pas suffisant. Il faut aussi impliquer les agences nationales dans le travail de l'Autorité européenne, donc faire en sorte que l'on puisse, au delà de la participation d'experts nationaux dans les comités d'experts de l'AESA, faire en sorte que les agences nationales se voient confier la préparation d'un certain nombre de travaux de l'Autorité européenne pour les impliquer dans ce travail-là et faire en sorte qu'elles considèrent elles aussi qu'elles sont à part entière un constituant de l'Autorité européenne de sécurité des aliments.

Harmoniser les méthodes d'évaluation : tout à l'heure, M. Larmagnac a évoqué les OGM, le maïs BT 11, pour éviter que les agences nationales et européennes se trouvent à dire qu'effectivement des données dans l'évaluation nationale ou européenne manquent. Il faut donc harmoniser ces méthodes et le conseil scientifique de l'Autorité européenne doit trouver les moyens de procéder rapidement à cela.

Voilà donc quelques pistes de réflexion ; je n'ai pas la prétention d'avoir répondu définitivement à cette question mais, oui, nous avons encore besoin des agences nationales, elles doivent coopérer avec l'Autorité européenne et c'est l'Autorité européenne qui doit créer la dynamique d'implication des agences nationales dans le dispositif européen pour que les consommateurs français et européens retrouvent la confiance dans le dispositif européen. Merci.

M. Martin Hirsch - Merci Catherine. Excuse-moi de t'avoir fait des signes pour te presser un peu mais on m'a fait comprendre qu'ensuite à la fin il y aurait un arbitrage à mener entre deux intérêts contradictoires, celui du café ou celui des questions. Voilà. Donc merci aussi pour la clarification des enjeux, on voit bien qu'effectivement la question est de savoir si on est capable ou non de construire un système intégré d'évaluation qui mette dans un même bloc le chapeau européen et le chapeau des agences, ce qui n'est pas simple, y compris par le fait par exemple que la France se singularise puisqu'elle est un des rares pays à avoir une agence spécialisée dans l'évaluation des risques alors que maintenant, lorsque l'on se retrouve autour de la table européenne, les pays ont créé des agences « post-vache folle », qui sont des agences cumulant des fonctions d'évaluation et de contrôle et sur lesquelles l'articulation avec un système d'évaluation centralisé peut être un petit peu différente. La question est tout à fait ouverte.

Donc, nous allons prendre cinq à dix minutes de questions.

M. Claude Saunier - On va peut-être supprimer la pause café... ? On va interroger démocratiquement la salle.

On suspend pour 10 minutes, pas plus de 10 minutes.

Auparavant, on se donne 5 minutes d'échanges avec la salle.

M. Grange - Je préside la Fédération des industries agroalimentaires de la région PACA et je porte, avec quelques amis, un gros dossier sur la valorisation et la nutrition méditerranéennes.

Le thème de la table était : sécurité alimentaire retrouvée ? Sous-entendu, sécurité des aliments bien entendu.

Je ne vais pas être modérateur, je vais être volontairement provocateur, mais je le ferai le plus courtoisement possible.

J'ai en face de moi ce que l'on fait de mieux dans la compétence et dans l'expertise individuelle sur tous les sujets qui nous concernent et pourtant l'addition de ces compétences, et donc l'efficacité de la table ronde, me paraissent très nettement inférieures aux compétences individuelles.

Pourquoi ?

Il n'y a pas de pilote dans l'avion et quand l'opinion publique est le pilote de l'avion, c'est très dangereux. Les politiques, pour préserver leurs adducteurs, et leur éviter de faire trop de grands écarts, je le dis en tant qu'industriel, ne prennent pas toujours position.

J'ai d'un côté à concilier le scientifique, l'épicurien et l'économique pour résumer ce qu'a dit le représentant de Nestlé.

Je voudrais poser une question précise : M. Fischler, quand je l'entends, me paraît être un observateur compétent, bien sûr, mais observateur d'une société qui évolue.

La sécurité alimentaire perçue n'est pas du tout la sécurité alimentaire vécue, que vous représentez.

Ne serait-il pas utile d'avoir un observatoire de l'opinion publique ? Ce sont des scientifiques, ce sont des ethnologues, etc., tout ce que M. Fischler a dit me paraît être une contribution importante et dans votre table ronde je pense qu'un représentant de l'opinion publique aurait dû être là.

M. Martin Hirsch - On va prendre deux ou trois questions.

M. Cléry-Voltz - Bonjour. Je suis directeur d'une agence de communication et je rebondis sur ce que dit Monsieur, par rapport à la place du grand public et la place du consommateur dans ce débat.

Il est vrai qu'aujourd'hui les crises sanitaires qui sont vécues attaquent de plein fouet le consommateur. Vous avez évoqué la place qu'occupe l'AFSSA, par rapport à l'agence européenne.

Il est vrai que cela a été perçu par le grand public comme un atout innovant dans la présence de la sécurité sanitaire au niveau de l'hexagone.

Le grand problème, c'est que le grand public aujourd'hui écoute ce que dit son pays d'abord et, dans un deuxième temps, il entend ce que dira l'Agence européenne de sécurité et on n'y peut rien.

En France, c'est comme cela, on écoute d'abord son médecin local et ensuite on va voir son expert un peu plus loin.

Par contre, il attend de l'Autorité européenne...

M. Martin Hirsch - Votre question ?

M. Cléry-Voltz - Je voudrais savoir simplement si le rôle de l'agence européenne sera celui de jouer le grand gendarme régulateur au niveau des importations douteuses qui viennent parasiter le pays et les pays d'Europe ?

M. Martin Hirsch - Est-ce que M. Larmagnac veut bien répondre ?

M. Nicolas Larmagnac - Juste une première petite réponse : il est vrai que le grand public écoute, comme le disait Monsieur , son pays d'abord, avant l'Europe, mais pour revenir à votre interrogation, je crois qu'il y a plusieurs dizaines d'années, quand il y avait des problèmes industriels sur des voitures, sur des pneus - et je me souviens d'une affaire que nous avions vue avec les pneus Kléber dans les années 1970 - cela faisait un aussi gros scandale que le scandale d'aujourd'hui dans le secteur alimentaire.

Il se trouve qu'on est plus habitués maintenant à ces problèmes industriels, il y a une plus grande transparence dans le monde industriel, que les consommateurs sont plus habitués à entendre que tel fabricant de voitures rappelle tout sa série parce qu'il y a tel truc, que ces questions sur les problèmes alimentaires.

Peut-être sommes-nous plus sensibles aux questions de l'alimentation et puis aussi, pendant des années, on ne nous a rien dit.

La transparence n'a jamais été spontanée. Il a fallu attendre les crises alimentaires des années 1990 pour que les producteurs, les distributeurs, les industriels commencent à être transparents.

Voilà pourquoi, aujourd'hui, il y a cette sensibilité très forte. Dans plusieurs années, si le système se met en place, s'il s'améliore là où on apporte des critiques, il est fort probable que les consommateurs, et le grand public, comme vous dites, seront moins sensibles et moins réactifs à ce type d'annonce et feront plus la part des choses entre le réel, le supposé et l'imaginaire.

M. Claude Saunier - Merci.

Deux questions et quatre réponses.

Sur la sécurité, pour clore cette table ronde, incontestablement, il y a eu progrès.

On est passé de 15.000 morts à 150 morts par an. Je crois que c'est un des éléments... vous doutez ? Un peu plus que 150 ?... On corrigera !

Néanmoins l'ordre de grandeur est là. On a quand même gagné énormément en sécurité.

Deuxièmement, cette sécurité aujourd'hui peut être altérée par un contrôle insuffisant du nouvel espace alimentaire qui est maintenant l'espace alimentaire européen.

Je m'adresse en particulier à nos représentants européens en disant que les témoignages qui m'ont été donnés par des industriels sur certaines pratiques des pays qui vont entrer dans l'espace européen posent effectivement problème.

De même que pose problème la porosité des nouvelles frontières européennes vis-à-vis de l'entrée d'un certain nombre de produits alimentaires.

Troisième observation : harmonisation de l'agence européenne et des agences nationales. Je crois que nous sommes au début de la construction européenne et que dans ce domaine-là, comme dans tous les autres, il y a effectivement nécessité d'une période d'apprentissage !

Il faut que les différents acteurs apprennent à travailler ensemble, mais pour reprendre ce que vous avez dit, Monsieur, je crois qu'il faut, dans ce domaine-là comme dans les autres, un pilote dans l'avion et un cap politique défini, mais défini je ne dirai pas dans la recherche d'un consensus, mais dans la recherche de la transparence.

Je crois qu'un certain nombre de comportements irrationnels que nous observons et qui ont été soulignés par Claude Fischler au début de notre matinée résultent d'une méfiance profonde vis-à-vis des politiques et vis-à-vis des scientifiques, liée à une insuffisante culture scientifique collective, et donc je crois qu'il y a un gros travail à faire en réconciliant, en effet, la nation et la science.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à 11h40, est reprise à 12 heures).

M. Claude Saunier - Nous reprenons nos travaux.

Je vous propose maintenant d'aborder la deuxième table ronde de la matinée, qui va nous permettre de jeter un coup d'oeil un peu moins administratif, mais un peu plus technique, sur les réponses de la science à un certain nombre de questions portant sur la sécurité et qualité des aliments.

Je passe la parole à Gérard Pascal, Directeur de recherche honoraire à l'INRA. Il a été une des personnalités qui m'a accompagné au cours de cette année dans la recherche de la vérité. Vérité est peut-être un terme abusif mais, en tout cas, on a essayé de s'en approcher. A vous, Monsieur Pascal, de prendre la suite des opérations.

Deuxième table ronde :

SANTÉ, SÛRETÉ ET QUALITÉ DE L'ALIMENT :
LES QUESTIONS ÉMERGENTES
ET LES RÉPONSES DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE

M. Gérard Pascal - Merci. La mission qui m'est confiée est quasiment impossible parce que si on veut respecter absolument les horaires, il va être difficile à la fois de donner la parole aux participants de cette table ronde et de vous donner ensuite la parole.

Le thème de cette deuxième table ronde concerne les réponses de la science et de la technologie à des questions émergentes en matière de santé, de sûreté et de qualité des aliments.

Je crois que vous avez déjà compris que la réponse à ces questions n'est pas seulement une affaire de science.

On va essayer de vous apporter un éclairage du côté de la science mais vous en aurez d'autres, parce que pour effectivement arriver à des conclusions, on s'apercevra vite que la science ne suffit pas.

Les questions émergentes, cela a été dit, ne sont très faciles à détecter à l'avance pour les scientifiques.

Je vais en évoquer quelques-unes, mais elles sont émergentes dans les médias, ou ré-émergentes, mais je ne suis pas sûr que ce soit les vraies questions émergentes de demain. Il y a donc un risque à ce niveau.

Ces questions émergentes, elles peuvent aussi être totalement liées à des attentes nouvelles, des exigences nouvelles - cela a été évoqué aussi - des citoyens et des consommateurs et pas seulement naître de l'évolution des connaissances scientifiques.

Santé, je le traduis par nutrition. Quelles sont les questions qui sont sur le devant de la scène aujourd'hui ?

L'obésité, je ne vais pas insister, va conduire, comme le dit M. Saunier, à un désastre sanitaire si aucune action d'envergure n'est entreprise très rapidement.

Je ne suis pas sûr, là encore, que les sciences biologiques soient capables de répondre à la totalité du problème posé. C'est aussi un problème de comportement et là, on a besoin de nos collègues - en restant dans le domaine scientifique - des sciences humaines et sociales.

Une autre question me semble émerger, parce que jusqu'à présent elle n'était pas largement posée sur le plan scientifique : c'est l'influence de l'alimentation de la mère et du jeune enfant sur ses prédispositions, lorsqu'il sera adulte, en matière de risque cardiovasculaire, en matière d'obésité, en matière de cancer.

C'est en lien avec quelque chose qui n'est pas émergent mais qui est aussi une préoccupation croissante du consommateur qui est l'étude de l'influence de l'alimentation sur la qualité de vie, en particulier au cours du vieillissement. En fait, comment mieux vieillir physiquement et intellectuellement en s'alimentant et en se nourrissant mieux ?

Voilà trois questions qui me semblent tout à fait d'actualité.

Dans le domaine de la sécurité sanitaire, on a déjà évoqué le risque microbiologique. Le risque microbiologique depuis le champ jusqu'à l'assiette, en insistant sur l'assiette et le comportement du consommateur vis-à-vis de ses aliments.

Le risque microbiologique lié à l'ouverture de l'Union européenne, mais plus largement à la mondialisation de notre alimentation, a aussi été évoqué.

Les zoonoses virales, cela aussi a été évoqué. Je pense qu'il y a lieu d'être très vigilant. La récente grippe du poulet a bien posé le problème : que se passera-t-il, sommes-nous armés pour réagir si jamais un virus aviaire se transforme et est capable d'attaquer l'homme ?

J'ai des difficultés à trouver quel est le chiffre du nombre de morts lié à la grippe espagnole au début du 20 e siècle... C'est au moins 20 millions ?...

Dans la salle - 25 millions...

M. Gérard Pascal - J'ai trouvé jusqu'à 40 !

Sommes-nous armés pour réagir face à un tel risque ? Je n'en suis pas sûr.

La biorésistance a aussi été évoquée. L'AFSSA a mis en évidence un certain nombre de résultats assez inquiétants au niveau des biorésistances.

Les maladies nosocomiales, c'est quelque chose qui, incontestablement, est responsable d'un nombre important de morts dans notre pays, et une partie de ces morts est due à la multirésistance aux antibiotiques.

Le moment n'est pas venu de savoir qui est coupable mais comment on peut faire pour essayer de remédier à cette affaire. Je crois que là, la science est tout à fait capable d'ouvrir de nouvelles voies pour trouver de nouvelles approches pour lutter contre les micro-organismes pathogènes et pas de nouveaux antibiotiques sur des bases anciennes.

Le risque chimique : je pense que vous avez déjà perçu combien il était difficile de le situer par rapport aux risques biologiques : microbiologique, viral, etc.

Certains prétendent, dans les grands médias, que 80 ou 90  % des cancers sont dus à la contamination de notre environnement et en particulier de notre alimentation. Un ouvrage est paru récemment là-dessus.

D'autres scientifiques, spécialistes de la mutagenèse et de la cancérogenèse, comme Brussens, disent que c'est 1  % seulement... 1  %, 90  % ? Je ne vous apporterai pas aujourd'hui la réponse.

Comment cela se situe par rapport à d'autres types de risques ? Quelles sont les conséquences de l'abaissement des seuils, des normes en matière de contamination de nos aliments ?

Est-ce qu'on va pouvoir continuer comme cela, au fur et à mesure que progressent les méthodes d'analyses physico-chimiques, à suivre les analystes et à ne plus suivre les toxicologues ?

Quelles conséquences cela a-t-il quant au développement des pays pour lesquels ces normes deviennent des obstacles infranchissables à leurs exportations de matières premières, vitales pour leur économie ?

Toutes ces questions-là, je pense qu'on va avoir à les discuter, en particulier sur des bases scientifiques.

C'est une vraie question. L'exposition à long terme, à de très faibles doses, de mélanges de substances qui sont des toxiques à forte dose, a-t-elle des conséquences sur notre santé ? Et on revient ainsi à ce qui était évoqué: il faudra qu'on s'interroge, en termes de risque-bénéfice, sur cette course à l'abaissement permanent des teneurs en contaminants de nos aliments.

Au niveau de l'actualité, d'autres dimensions ont déjà été évoquées, que ce soit la valeur santé, donc la qualité nutritionnelle, ou la qualité de sécurité sanitaire.

Toutes les demandes du consommateur sont liées aux méthodes de production, méthodes d'élevage, et aux pratiques agronomiques mais aussi à l'origine géographique des produits.

Là encore, la science est capable d'apporter un certain nombre d'outils qui vont permettre de répondre à ces préoccupations, en particulier en matière de traçabilité ou en matière de caractérisation de signes de qualité, de critères de qualité.

Voilà donc un certain nombre de questions qui sont posées.

Les progrès de la technologie vont permettre :

- d'apporter des réponses aux préoccupations nutritionnelles, mieux protéger nos matières premières et leurs constituants.

- d'apporter des réponses en matière de sécurité sanitaire et en matière de respect de l'environnement également.

On va essayer de vous apporter un certain nombre d'éclairages rapides. La consigne à chacun des intervenants de cette table ronde, c'est une intervention entre 3 et 5 minutes, pour vous montrer, sur un exemple, deux exemples au maximum, ce que peut apporter le progrès de la connaissance scientifique à la réponse aux préoccupations des citoyens et des consommateurs.

Je vais vous proposer de commencer cette présentation par Xavier Leverve, qui est à ma droite, professeur d'université, praticien hospitalier, qui dirige une unité INSERM à Grenoble et, en même temps, un département nutrition et sécurité des aliments à l'INRA. Il sera, dans quelques mois, le directeur scientifique de l'alimentation à l'INRA, mais j'aurai l'occasion de revenir sur l'alimentation à l'INRA plus tard.

Xavier Leverve est un nutritionniste. Il est aussi en charge de la sécurité sanitaire chimique au sein de l'INRA.

Je donnerai ensuite la parole à M. Thomas Derville, Vice-président d'UNILEVER, qui abordera aussi les problèmes nutritionnels, l'approche de l'industrie et les propositions de l'industrie en matière d'adéquation entre les besoins, les attentes des consommateurs et les produits.

Je passerai la parole à Laurent Rosso, qui est Directeur du laboratoire d'études et de recherches sur la qualité des aliments et sur les procédés alimentaires et en même temps, directeur-adjoint de la programmation des laboratoires à l'AFSSA.

Il abordera plus spécifiquement les problèmes de sécurité microbiologique.

Ensuite nous passerons à la technologie. Je passerai la parole à M. Chamba, qui est responsable recherche et développement à l'Institut français des fromages. Il abordera la technologie fromagère, la maîtrise des flores qui permettent de produire ce qui fait la fierté de la France en matière de gastronomie...

La parole sera donnée ensuite à Gilles Trystram qui, lui, est responsable du département du génie industriel alimentaire et professeur à l'École nationale supérieure des industries alimentaires à Massy. Il évoquera les nouvelles technologies, les nouveaux progrès en matière de technologie, ce que l'on peut en attendre.

Enfin dernier intervenant, Alexandre Feigenbaum. Il est le spécialiste de l'emballage. Il préside le Comité d'experts à l'AFSSA sur les matériaux au contact des aliments, et il est également expert auprès de l'Union européenne dans ce domaine. Il évoquera les nouveautés en matière d'emballage qui, à la fois, répondent à des préoccupations de praticité mais aussi à des préoccupations de sécurité sanitaire et de préservation des qualités organoleptiques de nos aliments.

Je répète, j'en suis désolé : 5 minutes maximum pour chaque intervenant.

M. Xavier Leverve - Merci, Gérard. J'ai bien intégré, trois minutes et donc une information brève.

Je voudrais prendre comme fil conducteur quelque chose qui a été finalement utilisé par différents intervenants dans la session précédente, et que Gérard a repris, c'est cette idée de bénéfice-risque qui, effectivement, est très chère à tous les cliniciens, parce que bien évidemment les cliniciens apprennent, petits, que tout médicament qui n'a pas d'effets secondaires, en général, n'est pas très efficace. On peut trouver quelques exceptions mais la règle est une règle assez large.

Je dois dire que cette règle s'applique bien pour l'alimentation et sans remonter sur l'historique de l'alimentation, comme aurait pu le faire tout à l'heure Claude Fischler, je voudrais dire que de façon inhérente à l'alimentation, la notion d'incorporer dans l'organisme des substances étrangères, de xénobiotiques, est en soi potentiellement un danger très grand.

Il existe des systèmes physiologiques, dans le foie en particulier, qui sont de très puissants détoxifiants, justement pour lutter contre cela.

Il ne faut pas oublier que le fait de s'alimenter est en soi un acte dangereux et qu'il y a un risque autour de l'alimentation qui remonte à la plus haute antiquité.

Cela fait que le comportement alimentaire, avec toutes sortes de choses qui sont le fruit d'expériences millénaires, représente un acquis qui est considérable et qui a beaucoup bougé au cours des dernières années puisque, effectivement, ce choix a été transposé vers d'autres organismes producteurs que sont principalement les industries agroalimentaires étant donné que la quasi totalité de ce qu'on ingère passe directement à travers ce savoir-faire.

Donc cette réflexion, à la fois au niveau de la science et au niveau du consommateur, est quelque chose de compliqué.

Une question est posée : en quoi la science apportera-t-elle des éléments déterminants ?

Je crois qu'il y a deux grandes difficultés à répondre à cette question.

La première difficulté est que la science, pour apporter des questions, se met dans une situation qui est une situation donnée que l'on peut comparer à une autre.

Pour essayer d'illustrer cet exemple, je vais prendre une comparaison extrêmement simple et amusante, et néanmoins vous allez voir qu'elle est très significative : je peux trouver facilement, dans la littérature, autant d'arguments qui montrent que la restriction alimentaire ou que l'obésité sont des facteurs de longévité.

Si on reste dans l'alimentation des souris, on peut montrer qu'on double leur longévité, mais si on compare des rats obèses à des rats non obèses qui sont en train de jeûner, on multiplie par 8 leur longévité.

Autrement dit, il est clair que dans deux situations différentes, il y a des conséquences opposées.

Les rats qui sont en restriction alimentaire vivent plus longtemps à condition qu'ils soient dans leur cage et qu'on leur donne à manger en cadence. S'ils doivent courir devant le chat, ou derrière la proie, cela fonctionne beaucoup moins bien, et de même pour les animaux obèses.

Autrement dit, l'environnement global fait que la même réponse scientifique peut être interprétée comme positive ou négative en fonction justement de cet environnement.

C'est un élément qui est très difficile à prendre en compte. Pourquoi ?

Parce qu'il oblige à mettre en comparaison des éléments de connaissance, qui sont de nature différente, à comparer des éléments qui sont issus de données relevant de disciplines différentes, et cela est quelque chose de très compliqué.

Bien évidemment, là où la science doit apporter des éléments qui sont très porteurs, on va se trouver dans deux directions fondamentalement opposées.

L'autre difficulté est liée à la connaissance des effets bénéfiques de l'alimentation, des aliments et des nutriments.

C'est une discipline importante. La difficulté réside, ici, dans le fait que la plupart du temps la science repose sur des données établies principalement à partir de systèmes simplifiés, je veux dire par là de tel ou tel nutriment pour reprendre un exemple simple. On a des données sur telle ou telle vitamine, mais sur l'ensemble de l'apport vitaminique, c'est beaucoup plus compliqué !

A l'opposé, je pense que nous manquons singulièrement - et c'est sans doute le point sur lequel je veux insister le plus dans cet exposé - de données épidémiologiques.

Que se passe-t-il sur le terrain ? Quelles sont les données qui nous permettent de dire qu'effectivement on pourra relativiser tel ou tel risque ou qu'on pourra au contraire amplifier telle ou telle chose ? L'épidémiologie est à la base de données qui montrent qu'il y a un problème sans qu'on sache à quoi il est dû.

Je dois dire qu'un des plus gros défauts de notre pays est un manque de ce type de connaissances. Si je devais émettre un voeu pour le futur, c'est qu'effectivement on puisse amplifier considérablement notre potentiel en termes d'études épidémiologiques, pour nous permettre d'avoir l'analyse en temps réel, non pas de savoir ce qui se passe dans un laboratoire, mais savoir ce qui se passe effectivement dans le champ expérimental de la vie de nos concitoyens.

On pourrait développer, mais comme la règle des trois minutes m'est strictement imposée, je vais m'arrêter là. Je suis prêt à développer ce sujet plus tard s'il y a des questions !

M. Gérard Pascal - Merci. Je pense que ces quelques minutes d'exposé devraient susciter de nombreuses questions. Monsieur Derville ?

M. Thomas Derville - Il n'y a pas de doute que nous sommes maintenant dans un environnement choc au point de vue des problématiques de santé et de nutrition.

N'oublions pas qu'il y a aujourd'hui plus de monde qui meurt de surnutrition que de sous-nutrition. Cela dit, il y a bien un problème de sous-nutrition.

L'alimentation est devenue le facteur n° 1 en matière de santé. J'attire votre attention sur un très important rapport qui a été publié par l'Organisation mondiale de la santé et qui s'intitule : « Stratégie mondiale, nutrition, activités physiques et santé ».

Ce rapport recueille vraiment toutes les statistiques et les approches d'autorité sur cette problématique de niveau mondial.

Il est extrêmement intéressant et appelle à des solutions à ces problématiques de santé, qui sont des solutions dont le mérite est de rassembler les parties prenantes, c'est-à-dire les administrations, les ONG, les consommateurs, la recherche et l'éducation, et pour finir, ce qu'ils appellent le secteur privé.

Je crois qu'il ne faut pas être trop défaitiste sur ces problématiques de nutrition. Nous avons, en Europe, un exemple frappant de ce qu'on peut faire en la matière. Quand on regarde ce que la Finlande a fait pour diminuer les maladies cardiovasculaires, je crois qu'ils ont très significativement baissé ce taux de maladie.

Je représente ici le groupe UNILEVER, et donc ce rapport de l'OMS appelle à l'intervention du secteur privé.

Pourquoi le secteur privé ?

Tout simplement parce que notre offre de produits est mondiale. Nous vendons 150 millions de produits par jour dans le monde entier. Nous avons une couverture géographique dans 175 pays et je pense que nous avons également une connaissance du consommateur, une science de la santé et de l'aliment et, enfin, la crédibilité apportée par nos marques.

Contribuer à ce problème mondial, comme partie prenante, dans ce secteur privé, cela veut dire quoi ? Cela signifie faciliter le choix santé, participer à l'éducation, contribuer au partenariat.

Tout cela ne peut marcher pour une entreprise agro-industrielle que si nous partons sur des bases de confiance. Je ne développerai pas beaucoup sur ce qui a été dit en matière de santé et de sécurité mais, pour nous, c'est la plate-forme indispensable. Cela commence par là. Ce sont nos marques qui en sont réellement le garant parce que le jugement est immédiat, si jamais elles y font défaut !

Sécurité, familiarité, capacité à satisfaire, naturalité, connaissance des origines, traçabilité amont, traçabilité aval, tout cela est bien connu, responsabilité environnementale.

Ceci est absolument clé pour un groupe, par exemple, qui intervient beaucoup en matière de pêche. On ne peut pas penser l'avenir en matière de pêche sans penser développement durable.

Également responsabilité sociétale, rôle dans la société.

Que peut-on faire ?

On peut agir pour la nutrition et, si vous voulez, le groupe s'est récemment donné une mission, qualifiée de mission vitalité. Apporter un supplément de vitalité à la vie, cela veut dire proposer des produits qui ont une composante praticité, une composante goût - car le goût est roi - et également une composante nutritionnelle plus marquée.

Pour ce faire, nous nous appuyons sur les « capabilités » en matière de sciences. C'est, je crois, un des atouts qu'un groupe industriel mondial a, que de pouvoir entretenir une science de l'aliment d'environ un millier de personnes, et une science de l'aliment santé particulièrement appliqué à la santé d'une centaine de personnes, en Hollande.

Nous avons actuellement des engagements prioritaires qui sont maintenant visibles.

Deux exemples :

Le premier : nous pouvons offrir au consommateur un produit ou une gamme de produits qui lui permette de faire baisser son taux de cholestérol. Il s'agit de margarine, mais aussi, maintenant, de yaourts et de lait.

Eh bien voilà un produit qui permet de baisser de 10  % le taux de mauvais cholestérol et bien entendu, avant de lancer ce produit, toutes les recherches cliniques, toute l'implication nécessaire des scientifiques, des faiseurs d'opinion a été très soigneusement parcourue.

Ce n'est pas le seul exemple mais c'est probablement le plus spectaculaire.

Nous avons également des engagements extrêmement importants dans les pays en voie de développement parce que c'est un peu le paradoxe de ce village planétaire que cette surnutrition s'accompagne de malnutrition et une bonne partie du monde connaît actuellement des problèmes de malnutrition, plus particulièrement au niveau des enfants : la résistance aux maladies, le développement physique, voire le développement intellectuel, sont également conditionnés par la nutrition.

C'est la raison pour laquelle nous avons, particulièrement en Afrique et en Hindoustan, le développement de propositions de sels renforcés en iode, fer, zinc, vitamine A. C'est un exemple, mais cela joue également un certain rôle.

Là vous avez les deux exemples : comment traiter la maladie des pays développés et comment satisfaire les besoins des pays en voie de développement ?

La nutrition est pour nous, clairement, un domaine d'investigations. J'ai cité deux cas, qui sont des cas on pourrait dire « problème-solution ».

Vous avez un problème de cholestérol, on peut vous aider à faire baisser votre taux de cholestérol avec bien entendu l'appui des autorités, des scientifiques et de la médecine.

Mais je pense que le domaine réellement le plus prometteur, c'est le domaine de la nutrition positive.

C'est aussi le domaine de la prévention dans lequel, réellement, l'alimentation concourt très clairement.

Le Professeur Fischler disait : « on est ce que l'on mange » et il est évident que l'on peut agir sur ces aspects de longévité, de santé, de bien-être, grâce à l'apport des aliments.

Cette dimension d'alimentation positive est clairement un domaine sur lequel, à l'avenir, notre groupe, toujours fondé sur la science pour baser les promesses santé, va certainement développer son action.

Voilà, chers amis, comment un groupe industriel - et j'en termine là, car j'ai dépassé mon temps de 5 minutes - peut répondre à cette demande avec sa mission : apporter un supplément de vitalité à la vie. Je vous remercie.

M. Gérard Pascal - Merci. Laurent, les risques biologiques et microbiologiques ?

M. Laurent Rosso - Merci, Gérard.

Sécurité microbiologique : en fait, on parle ici de problématiques de questions émergentes et comment la science pose ces questions.

S'il y a un sujet qui n'est pas émergent, c'est bien celui de la sécurité microbiologique des produits alimentaires mais néanmoins des questions émergentes se posent en termes de sécurité microbiologique.

Je vais très rapidement vous les énoncer à travers trois exemples, trois grands types.

Avant cela, je voudrais simplement vous dire que la microbiologie et la science ont accompagné l'évolution qui vous a été présentée ce matin, l'évolution de l'agroalimentaire : le passage de la massification de l'artisanat à la massification des produits. Cette massification a une logique de garanties de qualité, de conformité, et désormais, aujourd'hui, une logique de sécurité.

Toute l'évolution de la science, en microbiologie alimentaire, a été destinée à maîtriser, dans un premier temps, ce que j'appelle les récurrences microbiologiques là où on avait régulièrement des problèmes par la maîtrise de l'hygiène, les mesures, la détection microbiologique à des niveaux qui étaient en rapport avec ce qu'on trouvait dans les produits.

Or, aujourd'hui, en considérant que c'est fait dans les pays industrialisés, se posent trois grandes questions qui demandent des réponses sur le plan scientifique.

La première concerne les émergences. Quand je dis « émergences », ce sont des émergences de niveau pathogène ou des émergences de pathogénéicité.

Quand je dis niveau pathogène, c'est par exemple l'arrivée, il y a quelques années, des E Coli hémorragiques.

Aujourd'hui, l'évolution de cette pathogénéicité fait qu'on étudie ce phénomène, appelé par exemple O 157:H7, qui a tué plusieurs dizaines de personnes, et même plus que cela, au Japon et ailleurs.

On les étudie par biologie moléculaire, on les caractérise et on s'aperçoit que plus on les caractérise, plus on en trouve d'autres et plus on trouve d'autres types : les O 191, les O 145, qui prennent le relais et qui prennent la place des O 157 :H7 initialement connus.

C'est le premier exemple.

Deuxième exemple : c'est l'anti biorésistance. C'est la pathogénéicité acquise, disons modulée.

Les grosses questions scientifiques sont : comment cette anti biorésistance apparaît, comment elle se transmet, comment elle est acquise et comment elle se diffuse ? Ce sont des questions qui relèvent, à la fois, de la logique d'élevage, c'est-à-dire de façon géographique, dans un territoire, mais aussi - et on en a parlé ce matin - des problèmes qui touchent à la mondialisation des échanges. Donc émergence des pathogènes ou des caractères pathogéniques.

La deuxième question scientifique qui se pose en microbiologie concerne les éléments rares. On a réglé, aujourd'hui, comme je l'ai dit, les questions de récurrence ou presque !

La microbiologie est une problématique d'événements rares. Pour la listeria, par exemple, il faut savoir que la pathogénie de listéria est anecdotique. Le problème est qu'on a du mal à détecter celles qui sont virulentes et celles qui ne le sont pas.

Or, la listéria est une bactérie que l'on trouve partout et comme on ne sait pas faire la différence entre celles qui sont pathogènes et celles qui ne le sont pas, on a à traiter un problème d'événement rare qui, de ce fait, ne l'est pas par la mesure puisqu'on trouve des listérias partout.

L'événement rare est un gros problème. C'est un gros problème à la fois pour ce qui concerne une exposition pour le consommateur, donc, scientifiquement comment évalue-t-on l'exposition à un événement rare, et comment peut-on acquérir des données ?

On parlait d'épidémiologie. Eh bien on a un énorme problème aujourd'hui, c'est d'avoir une épidémiologie représentative d'une situation sanitaire dans un type de produits destinés à la consommation pour en estimer le risque. Ceci est très problématique.

Pour les acteurs industriels, il est difficile de gérer les événements rares parce que cela demande des investissements analytiques énormes. De ce fait, la science doit apporter des solutions techniques permettant d'aller chercher les événements rares en nombre et rares en fréquence.

Rares en nombre : nous en sommes aujourd'hui à aller chercher une listéria ou une bactérie dans 100 grammes de produit. Pour aller les chercher, il faut les détecter, donc méthode moléculaire par exemple, par amplification génétique.

Il faut aussi les dénombrer. Il faut savoir si c'est 1 ou 100 bactéries par gramme. C'est difficile parce qu'on a énormément de difficultés analytiques pour aller chercher ces données !

Tous les éléments, et notamment la durée de conservation d'un produit alimentaire repose sur le plan initial de combien on part pour évaluer une durée de conservation au regard du risque listéria par exemple. Si on ne garantit pas le point de départ, on ne garantit pas la durée de conservation.

Les événements rares sont un énorme problème à la fois pour la quantification, pour la vigilance sanitaire et pour la gestion des crises.

La troisième question - et j'en terminerai par là - est l'approche de la complexité. Aujourd'hui la microbiologie est intégrée dans le complexe.

Quand je dis le complexe, en fait, ce sont les processus sanitaires, du champ à la table. Ce sont des objets biologiques qui se développent, qui se multiplient, ou qui peuvent décroître, qui peuvent être retardés en développement, et tout cela s'inscrit dans des processus de l'histoire d'un produit, notamment pour la chaîne du froid, que l'on connaît très mal, à la fois lorsqu'on se pose la question - et on va regarder ce qui se passe - mais aussi en variabilité, en représentativité sur une échelle d'une année.

Pour évaluer un risque, la probabilité qu'une population soit malade, il faut que la science soit capable de chercher les bons outils, et la bonne description de cette complexité et là, il y a énormément de travail.

M. Gérard Pascal - Merci pour avoir respecté parfaitement le temps.

Nous passons au fromage. L'histoire d'un produit.

M. Jean-François Chamba - Vous savez tous que la France est le premier producteur européen de fromages, le deuxième au monde après les États-Unis.

Nous consommons, nourrissons et parlementaires compris, 24,6 kilos de fromage par an, mais nous ne sommes pas les premiers en Europe en consommation de fromages ! Ce sont les Grecs, avec 2 kilos de plus, ce qui veut dire que dans le régime crétois il y a du fromage. Or, on n'en parle pas souvent !

De plus, c'est un fromage qui est un petit peu salé.

Faire un fromage, en schématisant très brièvement, c'est effectuer une concentration sélective des nutriments contenus dans le lait, et c'est effectuer des fermentations.

Je focaliserai mon propos sur cet aspect - Je sais que c'est partial... sur cette flore microbienne qu'est le fromage, sur ces microbes qui nous veulent du bien ! C'est quand même d'abord cela. C'est cela qui a permis de nous nourrir, de conserver les aliments pendant longtemps.

Quelques mots sur ce monde microbien que l'on ne connaît pas, que l'on ne voit pas, parce que, par définition, c'est un microbe. C'est de la taille du micron !

Sur notre planète, la biomasse microbienne est égale à la biomasse végétale, lichen boréal et forêt équatoriale compris.

Chacun d'entre nous est accompagné par 10 14 bactéries, à savoir 100.000 milliards de bactéries, ce qui représente un kilo, pour moi peut-être un peu plus, compte tenu de mon format, que pour d'autres, mais c'est avec cela que nous vivons. Chaque fois que nous consommons un yaourt, nous mangeons 10 11 bactéries, c'est-à-dire que nous agissons sur le millième de la flore.

Les bactéries que l'on porte, c'est 10 fois plus que toutes nos cellules, globules rouges et neurones compris.

Le nombre d'espèces de micro-organismes qu'il y a sur notre planète est peu connu. Allez savoir, par exemple, ce qui se passe à très grande profondeur ! Il y a plusieurs dizaines, plusieurs centaines de milliers d'espèces de microbes. Il y en a 200 seulement qui sont dangereux pour nous ! Voyez la proportion.

Le fromage est donc un produit fermenté. Ce sont des écosystèmes microbiens, majoritairement remplis par une flore positive - il y en a 10 9 , voire 10 10 par gramme - et ces micro-organismes positifs, utiles, concourent à l'élaboration du fromage, à sa conservation, mais on pourrait prendre la même chose avec la salaison par exemple, à sa préservation contre les altérations ou contre les bactéries dangereuses et là il y a un moyen d'utilisation !

Puis cela participe, vous l'apprenez ou le savez, à la texture, à l'arôme des fromages, à la diversité de nos fromages. Je ne sais pas, mais on prête à De Gaulle, ou à Churchill, la phrase célèbre : « Un pays qui a 365 fromages est difficile à gouverner ! »... Les micro-organismes participent largement à cette diversité !

Maîtriser la qualité, préserver la diversité, c'est important. Dans notre combat, légitime, contre les micro-organismes indésirables, dangereux, nous avons procédé à une hygiénisation non sélective. Ces frappes massives, généralement efficaces, mais pas toujours, ont eu des effets collatéraux meurtriers sur les flores utiles et positives.

Pour vous donner un exemple simple à retenir : nous recevons, dans nos fromageries, aujourd'hui, des laits qui contiennent moins de germes que la norme prévue pour les laits pasteurisés. Cette perte de richesse, de diversité microbienne, a participé certainement à ce qui a déjà été dit, à savoir à une banalisation de la saveur et de l'arôme de nos fromages.

C'est vrai en France, c'est encore pire ailleurs. On parlait des pays nordiques. Si on veut en parler, on peut ! Sachez que c'est ce qu'on peut considérer comme une - ce n'est pas la seule - question émergente pour notre domaine fromager !

Comment organiser, mieux maîtriser et j'ai un peu peur - je vais me faire le porteur de cela - que notre extrême attention vis-à-vis des bactéries pathogènes n'ait peut-être trop détourné de moyens de ceux qui devraient être consacrés aux flores positives !

Il ne faut pas l'oublier. Il faut aussi faire ce type d'arbitrage parce que finalement, conforter la spécificité fromagère française - on en exporte 28  % - c'est quand même offrir à nos concitoyens, à nos visiteurs, à nos clients étrangers, le plaisir de partager, en sécurité bien entendu, un patrimoine gastronomique qui est aussi un patrimoine culturel.

M. Gérard Pascal - Merci.

Les technologies, les nouvelles, les anciennes améliorées, quel rôle vont-elles jouer à l'avenir pour garantir les qualités de nos aliments ?

M. Gilles Trystram - Pour l'avenir, je ne sais pas si je vais être capable de faire une prévision.

Quelques mots d'abord pour les définir.

Les sciences du génie des procédés alimentaires ont à peu près l'histoire de l'industrie alimentaire, c'est-à-dire une cinquantaine d'années. C'est donc jeune. Cela veut dire qu'il y a beaucoup de choses que l'on sait faire, qui ont été faites, mais il y en a encore énormément qu'on ne sait pas faire et qui constituent même, dans les voies traditionnelles de transformation, et de conservation des aliments, des points d'interrogation, soit parce qu'on ne les a pas étudiées, soit parce qu'on n'a pas les outils pour les étudier, pour comprendre et concevoir et améliorer des technologies.

Avant de dire deux ou trois mots sur les voies émergentes, si on regarde le passé, très peu de rupture technologique franche, importante, mais beaucoup d'innovations et de petites évolutions dont je dirais qu'elles sont souvent cachées dans des technologies et qu'elles arrivent par le biais d'un nouvel appareil, d'un nouveau type de matériau, qui vont donner une aptitude au nettoyage, une aptitude au non encrassement d'un appareil, une facilité à transférer de la chaleur avec des dynamiques plus grandes et qui vont, comme cela, faire ce que cherche à faire le procédé, et qu'il faut bien avoir en tête, qui consiste à assurer la transformation et la conservation, donc de moduler des propriétés des matières premières pour créer des propriétés qui, ensuite, vont accompagner le produit.

Il y a un élément important à avoir en tête, c'est que les propriétés des produits sont acquises à la sortie du procédé, elles sont créées dans beaucoup de cas par le procédé, mais ensuite elles vont être modulées dans la chaîne logistique.

On a parlé tout à l'heure de la chaîne du froid, notamment dans l'usage domestique, ou en restauration hors domicile, donc dans une deuxième transformation qui, évidemment, échappe au travail qui est réalisé dans l'usine puisqu'elle est faite à domicile, et la manière dont on va finalement utiliser les produits peut détruire ou exacerber certaines des propriétés qui ont été créées au niveau de la fabrication industrielle. C'est un champ assez difficile.

Où sont les vecteurs importants dans le passé des nouvelles technologies ?

J'ai dit peu de rupture technologique, des voies physiques de transformation différentes, notamment beaucoup d'études débouchant peu dans l'industrie mais débouchant quand même par des voies athermiques.

On s'efforce donc de ne pas utiliser des transformations thermiques dans la mesure où on sait qu'elles dégradent certaines propriétés, on recherche d'autres voies physiques comme l'utilisation de la pression, l'utilisation de technologies électriques.

Cela donne de très beaux résultats dans les laboratoires, avec un transfert, une appropriation dans l'industrie plus difficile pour des raisons économiques ou de gestion des compromis avec d'autres propriétés puisqu'il faut avoir un point de vue sur l'ensemble des propriétés.

Un deuxième grand domaine qu'on a tendance à oublier : ce sont tous les à-côtés du procédé lui-même, c'est-à-dire le fait que l'homme est en contact avec les produits et tout ce qui est protection du produit et de l'impact de l'homme, par rapport au produit en gérant les conditions de températures, d'hygrométrie, sanitaires de l'environnement, etc.

C'est une innovation importante et, je pense, une ligne directrice qui continue à être fortement vraie dans les industries alimentaires.

Le troisième point, c'est tout ce que j'appelle l'intelligence associée aux procédés, c'est-à-dire la capacité à mesurer ce qui se passe et à réagir pour respecter toutes les contraintes qui font un champ de propriété du produit sortant de la chaîne de transformation.

Où sont les grands défis et, pour reprendre l'expression de Laurent Rosso, les éléments émergents ?

Je crois qu'ils viennent de deux considérations :

- une considération de questions posées par les consommateurs ou de préoccupations,

- une considération qui concerne les progrès connexes des procédés et notamment - cela a été soulevé par Olivier Mignot tout à l'heure - les progrès considérables des technologies analytiques, c'est-à-dire ce qui nous permet de caractériser un produit aujourd'hui.

Vu de ce côté-là, on voit ce qu'on va appeler des risques émergents. On a parlé des risques microbiens mais il y a tous les risques physico-chimiques et chimiques qui sont aussi derrière.

Donc, prendre en compte cette dimension-là, dans ce qu'elle a de positif dans la création de propriétés nutritionnelles par le procédé ou la non dégradation de ces propriétés, et savoir se prémunir de tous les composés supposés toxiques - je dis supposés parce qu'il faut encore que la toxicité ait été établie - fait que nous avons à faire en sorte que dans la création du produit, il n'y ait pas ces risques potentiels ou supposés.

C'est un défi certainement très important du génie des procédés de savoir faire cela, tout en garantissant que le produit, sur le plan organoleptique, sur le plan microbiologique, sur le plan technologique, c'est-à-dire l'aptitude à le manipuler, à l'emballer, à le transporter, à le découper, soit garanti.

C'est ce compromis-là qui est sans doute l'enjeu scientifique majeur.

Je voulais juste finir par une chose, parce que j'ai deux casquettes, dont l'une est d'être enseignant. Il y a un point dont on n'a pas du tout parlé, qui est sûrement un facteur extrêmement important pour l'avenir, c'est que je pense que le niveau de formation des techniciens supérieurs, des ingénieurs qui arrivent dans les industries, est considérablement plus élevé dans tous les domaines dont on parle que ce qu'il a pu être il y a 20 ans. C'est une dimension extrêmement importante à considérer. On peut se poser la question des efforts de formation des catégories inférieures, comme les opérateurs, les médias, pour leur expliquer ce que l'on fait, sur la manière dont on doit utiliser les produits dans la population. Merci.

M. Gérard Pascal - Merci.

L'intelligence associée aux procédés et les emballages intelligents. Alexandre ?

M. Alexandre Feigenbaum - Je vais vous parler d'emballages. Je ne sais pas s'ils sont tous intelligents mais je vais essayer de l'être un petit peu.

On ne mange pas des emballages et pourtant ils jouent un rôle important dans l'évaluation des risques sanitaires.

Tout le monde sait que les emballages contribuent fortement à l'hygiène. Ils permettent la distribution de nos produits alimentaires. Ils sont indissociablement liés à notre mode de vie. Plus on consomme, plus on utilise d'emballages et plus cela veut dire qu'on a un niveau de vie important.

Les sociétés qui ne disposent pas d'emballages ou de moyens d'emballer leurs produits alimentaires sont des sociétés qui connaissent toute une série de déboires au niveau de leur alimentation.

Je vais parler de deux exemples de recherches dans le domaine de l'emballage. Je viens de dire qu'il y a des aspects très positifs, mais le premier aspect sur lequel je voudrais insister, ce sont les aspects de contamination des aliments par les constituants des emballages.

Cela peut paraître marginal et peut-être qu'effectivement, quand on conçoit un produit alimentaire, on n'a pas très envie de s'intéresser à cet aspect de contamination liée à l'emballage.

Pourtant, c'est un domaine sur lequel ont été investis des moyens considérables au niveau de l'Agence européenne de sécurité alimentaire, au niveau de la Direction générale SANCO de la Commission européenne, au niveau de l'AFSSA en France, puisqu'il existe un Comité dédié aux matériaux en contact avec les aliments, au niveau des laboratoires de recherche, et également au niveau de l'industrie qui a investi des sommes énormes sur les évaluations toxicologiques de ces constituants d'emballage.

Ces constituants d'emballage, on peut les retrouver dans les aliments. Ce n'est pas un phénomène dangereux a priori puisque même quand on prend du vin, dans un verre en cristal, on s'expose à retrouver du plomb dans son vin. C'est donc un phénomène qui est général et cela ne signifie pas qu'il est dangereux si on le maîtrise et si on le connaît. Le phénomène de contamination n'est pas forcément dangereux.

Les crises sanitaires spécifiquement liées à l'emballage, ces dernières années, ont toutes eu rapport à quelque chose d'un peu différent, que l'on appelle « les produits néoformés ».

Ce qu'on a vu apparaître comme contaminants liés aux emballages, ce n'était pas toutes les substances que l'on a inventoriées ; la Commission européenne et les autorités françaises ont mis des années - trente ans - pour faire des inventaires avec des milliers de substances, trente ans pour inventorier ces substances, trente ans pour faire des évaluations toxicologiques, et puis, depuis 5 ans, on a des problèmes sanitaires qui sont liés à des substances qui ne sont pas du tout dans ces listes, pas du tout dans ces inventaires, qui sont les produits néoformés, donc des produits de réaction et de dégradation.

C'est un domaine sur lequel il faut encore investir des efforts, à la fois au niveau de la connaissance des processus chimiques, puisqu'on parle de contamination chimique, et au niveau de la modélisation des processus physico-chimiques. On peut arriver à prévoir de mieux en mieux les risques de contamination.

Le deuxième exemple - et je vais conclure là-dessus - dans le domaine des emballages, sur lequel il y a une évolution considérable, c'est ce qu'on appelle maintenant - en fait, Gérard Pascal introduisait mon intervention là-dessus - les emballages actifs ou intelligents, qui sont une nouvelle génération d'emballages.

Dans peut-être un an, voire deux, vous aurez des emballages qui sauront réduire le taux d'oxygène à l'intérieur des paquets, qui sauront avoir des propriétés antimicrobiennes, qui prolongeront la durée de vie des produits alimentaires bien au-delà de ce qui se fait actuellement.

Vous aurez des emballages qui contrôleront la maturation des produits, qui auront des absorbeurs, qui pourront absorber l'éthylène, l'oxygène ou relarguer des produits antimicrobiens.

Tout cela est un domaine qui, à mon avis, va demander une évaluation des risques et des bénéfices. Les bénéfices-risques, on en a parlé tout à l'heure. En ce qui concerne les bénéfices, on les connaît assez bien maintenant, mais en ce qui concerne les risques, on ne les connaît pas, du moins on les connaît très peu actuellement.

Je citerai pour conclure un exemple qui a été donné : il existe des emballages qui savent éliminer les odeurs indésirables de certains produits alimentaires. Certains produits alimentaires ont des odeurs marquées. Imaginez qu'on arrive à éliminer les amines qui sont des produits indiquant par exemple que sur des poissons la date limite de consommation est un peu dépassée. Si on élimine ces amines, ces avertisseurs de consommateurs, on va certainement rendre le produit plus acceptable, certainement même, mais, en même temps, on va enlever au consommateur un moyen très simple par lequel il risque de perdre son libre arbitre, et sa capacité d'opinion.

Là il y aura de l'évaluation de risque, mais aussi du bon sens, qu'il va falloir introduire dans tous ces nouveaux matériaux.

M. Gérard Pascal - Un grand merci à vous tous d'avoir respecté l'horaire et de nous avoir permis de rattraper un petit peu le temps perdu.

M. Claude Saunier - Ce n'était pas du temps perdu. On consacre 5 à 10 minutes à l'échange ?

M. Gérard Pascal - Oui.

Question - J'ai une question à Gérard Pascal et M. Leverve. Est-ce que ce problème d'interface santé-alimentation n'est pas typiquement un problème qui doit être pris en compte de manière forte et vigoureuse par la recherche publique ? D'une part, il est clair qu'il existe une contrainte d'indépendance qui a déjà été évoquée ce matin au niveau de l'évaluation. D'autre part, seuls les très grands groupes agroalimentaires comme Nestlé, Unilever ou quelques autres, peuvent investir dans des études qui coûtent pratiquement aussi cher que des études d'évaluation de médicaments.

Et puis également, je crois qu'il faut fournir une information aussi précise et scientifique que possible aux pouvoirs publics et aux consommateurs, pour savoir ce qu'il faut penser de tout ce qui se raconte dans les médias sur les compléments alimentaires, dont le marché explose aux États-Unis et aujourd'hui sur Internet. On peut se procurer pratiquement n'importe quel produit très rapidement !

M. Gérard Pascal - Je ne voudrais pas anticiper sur ce que je vais être amené à dire cet après-midi. En tout cas, pour ce qui concerne l'intervention de l'INRA dans le monde de l'alimentation, et l'effort particulier qui va être entrepris et qui sera d'ailleurs entrepris sous la responsabilité de Xavier, je vais lui donner la parole...

M. Xavier Leverve - Je souscris complètement à ce que vous venez de dire. Vaste programme, aurait dit un certain personnage historique. Il est sûr que c'est le noeud de la question que vous soulevez là. C'est le noeud de la question en sachant bien sûr que vous avez tout à fait bien identifié à la fois la question des moyens, c'est-à-dire l'étendue, et la comparaison faite avec le médicament est une comparaison tout à fait pertinente puisqu'on sait qu'effectivement un des risques dans l'évolution est que seul un certain nombre de groupes arriveront à mener un niveau de preuves suffisant.

Ce qui est derrière votre question, qui est un élément tout aussi important, c'est la discussion du niveau de preuves. Qu'est-ce qu'on veut ? Qu'est-ce qu'on attend et comment on l'établit ?

Ceci rentre dans une autre problématique que j'ai juste voulu esquisser tout à l'heure, c'est qu'on va être amené à comparer des choses dans des champs différents.

Autrement dit, qu'est-ce qu'on appelle l'effet santé ? C'est une grande question classique et quand j'essaie de poser la question en termes de qualité santé, quels bénéfices en termes de santé, sur certains paramètres simples, on sait l'évaluer, mais bien sûr, la santé, c'est bien plus complexe que la somme de ces paramètres simples et, dans ces conditions-là, on a encore non seulement à trouver des moyens mais à forger des outils pour répondre à cette question.

Cela dit, pour répondre d'une manière très claire et sans détours à votre question, je pense que cela relève effectivement majoritairement de la recherche publique.

M. Thomas Derville - J'aimerais ajouter un petit mot pour dire qu'effectivement, dans votre question, le rôle des PME est également clairement soulevé.

Je pense qu'il est absolument essentiel que les PME puissent avoir aussi accès à la recherche. Je crois d'ailleurs que des start-up se font à partir de la recherche en alimentation. J'en connais quelques-unes, notamment sur le site de Bourgogne.

En Bourgogne, je vous rappelle qu'on a installé ce pôle extrêmement remarquable, dans lequel se trouvent le Centre européen des sciences du goût, l'INRA, la Faculté des Sciences de Dijon, etc.

Tout cela est une plate-forme pour développer également les initiatives d'entreprises avec une technopole à la clé. Il n'y a pas simplement l'offre des grands groupes, même si moi-même j'appartiens à un grand groupe. Il y a, si vous voulez, une complémentarité.

Dans votre question il y a un autre point : pourquoi dire que la cause d'intérêt général est publique-privée ?

Il peut y avoir un point de vue de type idéologique mais il faut bien prendre conscience qu'au niveau, en tout cas, mondial, c'est le pragmatisme qui l'emporte et qu'aujourd'hui, par exemple, nous avons des partenariats avec les ONG, en particulier avec l'UNICEF, sur les problèmes de nutrition des enfants dans les pays en voie de développement, parce que, de plus en plus, on se rend compte qu'attaquer un problème c'est avoir une approche multipartite dans laquelle il n'y a pas simplement les pouvoirs publics, mais aussi les ONG et aussi les acteurs du privé.

M. Claude Saunier - Je voudrais vous dire que je suis très heureux d'entendre la réponse de Monsieur Derville. La question ne s'adressait pas à lui mais à Gérard Pascal. Elle aurait pu éventuellement s'adresser à un parlementaire à la place du service public de recherche.

Je crois que nous venons de vivre une période un peu conflictuelle, un peu délicate qui a quand même eu un grand mérite, c'est de réintroduire dans l'opinion publique, dans la société, un vrai débat - j'espère qu'il n'est pas achevé - sur la place de la recherche dans notre société.

C'est une avancée considérable qu'un certain nombre d'entre nous attendions depuis longtemps.

Je voudrais dire aussi - et c'est la raison pour laquelle je suis très heureux de la réponse de M. Derville, qu'une des caractéristiques de notre outil économique, dans l'agroalimentaire, c'est que c'est un outil économique qui est fondé essentiellement sur des petites et moyennes entreprises et que ces petites et moyennes entreprises n'auront aucune possibilité de participer à la nécessaire course à l'innovation si elles ne peuvent pas avoir des interlocuteurs qui sont des interlocuteurs de caractère public.

D'autre part, on est, à ma connaissance, le seul pays où on est capable de passer des mois à opposer la recherche fondamentale et la recherche appliquée, la recherche du public et la recherche du privé.

Pour reprendre aussi l'expression de M. Derville, quand on passe quelques semaines aux États-Unis ou dans n'importe quelle grande nation industrielle, on s'aperçoit que, naturellement, on travaille en partenariat et que naturellement, on ne peut pas attendre, sauf exception, que la recherche privée s'engage sur de la recherche fondamentale, dont les résultats sont incertains, et ne peuvent être estimés que sur 10 ou 15 ans, et que là, naturellement, c'est l'investissement public qui doit s'engager, mais qu'il y a une complémentarité parce qu'on n'imagine pas durablement une recherche fondamentale qui ne soit pas connectée à une recherche appliquée.

M. Gérard Pascal - Si vous me donnez trente secondes, je voudrais aussi dire que la pluridisciplinarité , on en a fait une démonstration au cours de cette table ronde, existe déjà : il y a des microbiologistes, des technologues, des nutritionnistes, des toxicologues qui, de plus en plus, vont utiliser des outils communs, ce qui va rapprocher toutes ces communautés. Quand je dis outils communs, du moins issus de la génomique, et puis les progrès de la physico-chimie puisqu'on a parlé de l'analyse physico-chimique. Tout cela, ce sont des outils qui vont être utilisés de plus en plus par les uns et les autres et qui, me semble-t-il, au niveau scientifique, vont permettre une meilleure intégration des différents maillons de la chaîne alimentaire.

M. Claude Saunier - Un dernier mot : introduisez dans la multidisciplinarité les sciences humaines et sociales car cela me semble être, notamment dans le domaine alimentaire, indispensable. La séance est suspendue.

( La séance est suspendue à 13h10 ).

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