C. RENFORCER LES MOYENS ET LES STRUCTURES DU TRANSFERT SCIENTIFIQUE ET TECHNOLOGIQUE

Nous l'avons exposé largement dans la deuxième partie de ce rapport : les perspectives scientifiques et technologiques d'amélioration de la qualité et de la sûreté des aliments sont très prometteuses.

Qu'il s'agisse du goût, de la nutrition, des services ou de la sécurité, le secteur alimentaire devient un domaine de connaissances de plus en plus exploré, avec des moyens de plus en plus puissants.

Les explorations de l'INRA sur les perspectives à 10-15 ans de la recherche en alimentation en témoignent.

Mais constater et se réjouir de cette nouvelle impulsion scientifique, c'est aussi poser le problème des conditions de son transfert à l'industrie alimentaire française , dont on rappellera :

- qu'elle est la première industrie européenne (134 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2002 avec 420.000 personnes),

- mais qu'elle connaît par ailleurs des faiblesses (filières insuffisamment organisées en fonction de la mondialisation des échanges, insuffisance du poids mondial des leaders (Danone n'est que le 16 e mondial), dispersion des entreprises (sur 10.840 entreprises, 3.100 ont plus de 20 salariés, mais seulement 400 plus de 250 salariés).

Comment maintenir le rang de ce secteur dans une économie mondialisée où les différences s'établissent de plus en plus en fonction des transferts de connaissance ?

C'est affaire de projets, de structures et de moyens.

1. Accélérer la mise en oeuvre du plan national pour l'alimentation

Le Premier ministre a demandé au Ministre de l'agriculture de préparer un plan national pour l'alimentation sur la période 2007-2010.

Si l'échéance de mise en oeuvre de ce plan peut s'expliquer par le fait que la date de 2007 coïncide avec les prochains contrats de plan État-Régions et le prochain programme cadre de l'Union européenne pour la recherche et le développement, cette date est trop lointaine .

Dans ce secteur comme dans d'autres, la France a besoin d'objectifs fédérant l'ensemble des acteurs sur un projet.

La raison en est simple.

Les règles de l'Union européenne et celles de l'OMC nous interdisent dorénavant de mener des politiques industrielles classiques, sauf dans des secteurs précis comme l'aéronautique.

Dans ce contexte, il devient donc essentiel de regrouper sur des objectifs clairs les acteurs scientifiques et industriels de nos grands secteurs économiques, en particulier sur l'interface cruciale entre le débouché de la recherche cognitive et le développement technologique de base.

Il convient d'accélérer la préparation du plan national pour l'alimentation.

2. Renforcer les conditions des transferts de connaissances grâce à la création d'outils d'intégration

Actuellement, l'essentiel du transfert de technologies dans le domaine alimentaire est le fait de plusieurs institutions :

- le réseau RARE, financé par le budget de la recherche,

- les centres ACTIA, financés à 80 % par des fonds privés.

Y concourent également les laboratoires de technologies des procédés de l'INRA, du CEMAGREF, de l'IFREMER et des grandes écoles d'ingénieurs, qui, compte tenu des moyens qui leur sont affectés, remplissent leur rôle, mais souvent dans la dispersion .

Si l'on souhaite créer des actions scientifiques et industrielles sur des projets à long terme, la mise en place d'outils d'intégration favorisant le transfert de technologies à l'industrie - et en particulier au tissu de PME agroalimentaires assez vulnérables sur ce point - seront nécessaires.

On en proposera deux :

- L' institution d'une conférence annuelle entre responsables scientifiques, industriels et administratifs.

Il n'existe pas, dans notre pays, de structure où les chercheurs, les industriels et les responsables politiques et administratifs puissent dialoguer sur les perspectives offertes par les avancées scientifiques à la demande économique et sociale. Encore une fois, il serait plus que nécessaire que notre pays adapte ses structures de réflexion comme ses structures de décision aux enjeux et aux contraintes d'une économie de la connaissance qui émerge tout en se mondialisant. Cette conférence annuelle pourrait y contribuer.

- La création d'une fondation dédiée à la recherche et aux transferts de technologies en alimentation et en nutrition.

On sait depuis longtemps qu'un des travers de l'organisation administrative dans notre pays est la déclinaison de la culture de verticalité : un ministère, un organisme de recherche, etc.

Dans le domaine qui nous préoccupe, cette organisation verticale n'est plus pertinente, ni pour susciter les interdisciplinarités nécessaires, ni pour faire converger les énergies, non plus que pour associer des intervenants en dehors de la sphère publique.

Des structures d'intégration sont donc de plus en plus nécessaires sur ce point.

L'an dernier, à l'occasion d'un rapport sur les nanotechnologies, unanimement approuvé par l'Office 86 ( * ) , il avait été recommandé d'encourager la création de fondations dédiées à ces recherches. On ne peut que se réjouir que le Gouvernement y ait donné suite, même si les encouragements concrets et la mise en pratique demeurent insuffisants.

La mise à disposition de 140 millions d'euros à tirer des recettes de privation sur le budget de 2004 pour amorcer la création de ces fondations pourrait, parmi d'autres objets, être mise à profit pour créer une fondation dédiée à la recherche et au développement technologique en alimentation et en nutrition .

3. Rééquilibrer l'affectation des moyens

Les pays les plus libéraux ont bien compris que l'impulsion des crédits publics était décisive non seulement dans le champ de la recherche fondamentale mais également dans celui du développement technologique.

Les pouvoirs publics en France n'ont pas encore assimilé cet impératif.

La mise en parallèle qui suit résume la pauvreté préoccupante des moyens que notre pays affecte au développement technologique d'un secteur de première importance pour notre tissu industriel :

- le chiffre d'affaires de l'industrie alimentaire est de 131 milliards d'euros ,

- l'agriculture française reçoit annuellement, de la politique agricole commune, 9 milliards d'euros ,

- lorsque les crédits ne sont pas gelés 87 ( * ) , le ministère de l'agriculture consacre au développement technologique du secteur 9 millions d'euros,

- dans le même temps, sous réserve d'un accord du Conseil européen à une baisse de la TVA sur la restauration, on affectera de 1,5 milliard d'euros à 3 milliards d'euros aux cafetiers et aux restaurateurs...

Il est nécessaire, dans ce domaine, de rééquilibrer l'affectation des ressources publiques et de faire des choix d'intérêt général fondateurs pour l'avenir.

* 86 L'évolution du secteur des semi-conducteurs et ses liens avec les micro et nanotechnologies, Rapport n° 566 (Assemblée nationale) et n° 138 (Sénat) de M. Claude Saunier, sénateur.

* 87 Ce qui a été largement le cas en 2003, des crédits opérationnels de recherche ayant été « détournés » pour indemniser les agriculteurs à la suite de la canicule de l'été.