UN OBJECTIF PERMANENT :
SUSCITER LA PRATIQUE SPORTIVE

Sous la présidence de M. Jean Faure , sénateur de l'Isère, président du groupe d'études des problèmes du sport et des activités physiques

M. Denis Astagneau

Quelle est l'exemplarité de Zinédine Zidane, de Marie-José Pérec ou de Tony Parker sur les jeunes et les moins jeunes ?

Le sport a valeur d'exemple, mais pour éviter les dysfonctionnements, il faut les moyens financiers et juridiques, et donc législatifs. Certains ont été lancés pour un développement équilibré du sport de haut niveau, et toute la pratique sportive et le sport de masse en dépendent.

M. Jean Faure, sénateur de l'Isère, président du groupe d'études des problèmes du sport et des activités physiques

Cette table ronde doit nous mener à réfléchir sur le thème de la promotion de la pratique sportive.

Notre attention est souvent focalisée sur les exploits, mais nous devons garder à l'esprit que l'un des objectifs premiers, si ce n'est le principal, est qu'il faut diffuser la pratique sportive au sein de la population. Ces activités sont un facteur de santé physique et mentale, le sport véhicule des valeurs, une éthique, et constitue un vecteur privilégié de l'estime et du dépassement de soi, de la maîtrise de ses impulsions, d'une hygiène de vie et d'un corps de règles. La confiance en soi et la reconnaissance qu'apporte le sport participent en outre de l'insertion dans le tissu social et peuvent rendre espoir à des jeunes en voie de marginalisation.

Ces valeurs ne peuvent cependant être tenues pour acquises et sont susceptibles d'être dévoyées ou caricaturées lorsque le sport verse dans l'outrance, et se traduit par la rivalité, la violence, la recherche absolue de la performance ou l'égoïsme.

C'est pour ces raisons qu'a été constitué au Sénat un groupe d'études du Sport, où une soixantaine de sénateurs réfléchit aux conséquences de notre manière de légiférer ce domaine.

Ce que l'on appelle le « sport de masse » constitue pour nous un triple impératif : de santé publique, de citoyenneté et de politique sociale.

En effet, l'estime de soi suppose préalablement d'accepter, de respecter et d'entretenir son propre corps.

La nécessité de la pratique sportive pour le plus grand nombre a sans doute rarement été aussi prégnante que de nos jours. La sédentarisation, le délitement de certains repères, les modes de vie, la ghettoïsation urbaine, la montée de la violence comme mode d'expression ou les angoisses qu'éprouvent nos contemporains sont autant de symptômes auxquels le sport peut apporter une réponse, partielle bien entendu, mais nécessaire et bénéfique.

Par ailleurs, l'importance croissante du sport comme vecteur économique plaide en faveur de la captation et de la structuration des loisirs multiformes dans le sport.

La politique sportive doit donc être résolument tournée vers ces nouvelles pratiques, ne serait-ce que pour mieux en assurer la sécurité.

Quelques chiffres montrent que la marge de progression de pratiques sportives est encore bien réelle : 36 millions de Français entre 15 et 75 ans déclarent pratiquer des activités physiques au moins une fois dans l'année ; parmi ces derniers, 26 millions déclarent faire du sport au moins une fois par semaine ; en 2000 on recensait environ 14,4 millions de licences sportives, dont un tiers de licences féminines.

Mais nous constatons que la pratique sportive est moindre en France que chez nos voisins des pays du Nord.

L'extension de la pratique du sport est donc un objectif majeur, et figure en bonne place dans les priorités du ministère, en particulier à destination des publics spécifiques que sont les handicapés et les salariés d'entreprises.

La Fondation du Sport peut à cet égard jouer un rôle déterminant, et servir de catalyseur en permettant aux entreprises d'implantation locale ou nationale de parrainer des manifestations de sport de proximité, et non pas se cantonner exclusivement au sponsoring de sportifs ou de fédérations.

Le thème de la pratique du sport amène d'autres questions.

Comment sensibiliser le public à la nécessité du sport, l'inciter à la découverte puis le fidéliser dans une pratique ?

Quel rôle les sportifs de haut niveau peuvent-ils jouer en ce sens ?

Les fédérations sont-elles suffisamment pro-actives ?

L'offre en termes d'équipements est-elle bien calibrée, en particulier dans les territoires les plus isolés ?

Laissons les intervenants s'exprimer sur ces sujets.

Merci de votre attention.

M. Denis Astagneau

Nous commençons par un champion hors normes, exemplaire à plus d'un titre : David Douillet.

Etes-vous conscient du fait que des milliers de Français voudraient vous ressembler ?

M. David Douillet, champion du monde de judo

Bien sûr que nous en sommes conscients ! Les enfants ou les gens dans la rue nous le témoignent. L'équation est simple : résultats, puis médias, puis notoriété. Ensuite, il faut savoir ce que l'on fait de cette dernière.

En ce qui me concerne, j'ai « géré » celle-ci le plus naturellement du monde. Je ne joue pas un rôle, j'essaie d'expliquer la vérité du sport.

Aux enfants, et j'en ai rencontré quelques milliers, la première chose à dire est qu'il s'agit avant tout de se faire plaisir . Le lien le plus fort entre le haut niveau et le sport de masse est d'ailleurs bien cela : le plaisir. Les enfants comprennent parfaitement cela, et se rendent compte alors que l'homme de 130 kilos couvert de médailles qui se trouve devant eux n'est pas inaccessible ! Ils comprennent ce qu'il dit, et il est ainsi démystifié, condition nécessaire pour faire passer les messages. Il arrive alors de voir les petites flammes du rêve dans leurs yeux...

M. Denis Astagneau

Vous leur expliquez qu'il y a du travail, aussi...

M. David Douillet

Cela vient ensuite. Il faut d'abord s'amuser. Quand on est jeune, que l'on passe 8 heures par jour en classe, il faut s'amuser, lâcher la pression, et le sport sert à cela.

Très vite vient l'aspect « social » : on doit respecter les lieux, ceux qui enseignent, ceux avec qui l'on pratique, on se fait des amis... Puisque l'on s'est engagé sur les rails du plaisir, ensuite on travaille, sans s'en rendre compte !

Je trouve qu'il n'y a pas de meilleur apprentissage de la vie.

M. Denis Astagneau

Le judo souffre-t-il de sa médiatisation on ne peut plus épisodique ?

M. David Douillet

On en souffre sans en souffrir.

La Fédération compte aujourd'hui 600 000 licenciés et un peu plus de 800 000 pratiquants. Cela signifie que le maillage des clubs, de l'enseignement de qualité, existe. On se rend compte ainsi que la médiatisation n'est pas pour nous le seul vecteur de croissance : le travail se fait aussi sur le terrain, à la base.

Avant même de revêtir un kimono, dès l'entrée d'un dojo, le pratiquant lit le Code moral du judo. La première chose qu'il devra mettre en oeuvre, c'est le respect.

Mme Marie-Claire Restoux-Gasset, conseillère en charge de la Jeunesse et des Sports à la Présidence de la République

Je rejoins David Douillet sur le fait que la promotion d'un sport est un tout. Les médias y contribuent, mais la fédération concernée a aussi un rôle à jouer. En ce sens la Fédération française de Judo, depuis qu'elle a appliqué ce Code moral, a vu arriver un public plus jeune. Les parents ont pris conscience sans doute que le judo, au-delà de l'aspect physique, pouvait apporter un certain nombre de valeurs non seulement à la vie du jeune sportif, mais aussi à celle de l'adulte qu'il sera demain.

Le judo est un bon exemple sur ce point.

Par ailleurs, le fait d'avoir communiqué de manière importante et à tous les échelons, jusqu'aux clubs, a fait que le nombre des licences s'est démultiplié.

M. Denis Astagneau

David Douillet, vous êtes aussi aujourd'hui l'ambassadeur d'Adidas. Etre lié à une marque ne vous gêne pas ?

M. David Douillet

Non, d'autant que cette marque est vraiment liée au sport et depuis fort longtemps. Mon premier survêtement de l'Equipe de France, avec lequel j'ai même dormi, était un Adidas !

Cela m'a donc paru naturel et logique.

Adidas est une marque qui a su absorber les valeurs du sport, elle fait partie intégrante du paysage sportif, ce qui prouve qu'elle a tout compris de son milieu.

M. Denis Astagneau

Une marque peut en arriver à influer sur une fédération...

M. David Douillet

Ce sont des choses que je ne connais pas. Je ne suis qu'un ex-athlète très jeune, et ce genre d'influence est un sujet qui me laisse « sec ». D'ailleurs cela ne m'intéresse pas.

Mme Marie-Claire Restoux-Gasset

Je n'ai pas dormi avec mon premier survêtement de l'Equipe de France, mais la fierté de porter les couleurs nationales pour la première fois est significative. Cet élément me paraît important dans notre société aujourd'hui, il porte la nécessité de s'identifier à quelque chose.

M. Denis Astagneau

Avec plus de médias et plus d'argent dans votre sport, ne pensez-vous pas que grandiraient les risques de dérapages comme le dopage, par exemple ?

M. David Douillet

Plusieurs choses influent sur le fait qu'un athlète se dope ou non. La première est la motivation selon laquelle il fonctionne : pourquoi s'entraîner des heures chaque jour, quel intérêt propre y porte-t-il ? Pour ceux qui cherchent notoriété et/ou argent, il y a un risque, et en général, ceux-là n'y arrivent pas. Jamais je n'ai vu un jeune athlète qui ne pensait qu'à l'argent, réussir dans sa discipline. Quant à ceux qui fonctionnent sur la passion et le plaisir de la compétition, je pense et j'espère que le dopage est à l'opposé de l'amour qu'ils peuvent porter à la compétition, donc à la difficulté et au doute, dont naît le plaisir de la compétition.

Malheureusement, certains sports-spectacles, en général faciles, peuvent entraîner ce genre de dérives. Non pas que ces sports soient intrinsèquement antinomiques des valeurs du sport, mais le travers vient de la fréquence des événements : plus on en fait, plus il faut en faire, souvent pour l'argent, et les athlètes ne sont pas des machines ! Mais comme trop de spectacle tue le spectacle, le dopage tue les athlètes...

M. Denis Astagneau

Les enfants ont-ils une vraie image du sport, ou celle-ci est-elle faussée ?

M. David Douillet

Je ne parle pas beaucoup de cela avec eux. Je crois qu'ils ont des difficultés à comprendre ce qui doit se passer pour être bon dans un sport. La télévision présente un « produit fini », en quelque sorte. Les enfants ont du mal à imaginer ce qui est nécessaire pour arriver à ce stade de l'histoire, qui est préalablement très longue mais que l'on ne voit que trop peu dans les médias.

Donner l'impression de facilité est négatif dans la mesure où l'on crée ainsi de la déception. Les Zidane ou les Platini sont rares...

Je crois qu'il faut distinguer la passion pour une discipline et la passion pour la compétition ; les deux choses sont à expliquer, puis à gérer par les jeunes sportifs eux-mêmes. Mais les médias semblent manquer de place pour faire cela. Le monde du sport doit peut-être mettre en place quelque chose en ce sens, de même que l'école, où le sport est trop peu présent pour que naisse une véritable culture sportive.

M. Denis Astagneau

Stéphanie Ludwig, le fait que l'Equipe de France soit Championne du Monde de handball a-t-il fait se révéler des handballeuses en herbe ?

Mme Stéphanie Ludwig, championne du monde de handball

Oui, le nombre de licences a augmenté, et je ne pense pas que ce soit un soufflé qui risque de retomber, dans la mesure où la Fédération a élaboré des projets notamment en direction des jeunes, qui peuvent chaque année participer par exemple à UniHand. Le suivi mis en place laisse donc prévoir la continuité.

Il semble que les résultats obtenus influent aussi sur la quantité de public qui se déplace sur les terrains, et que cela attire les télévisions.

M. Denis Astagneau

Quels sont les conseils que vous pouvez donner aux jeunes handballeuses qui désirent réussir dans ce sport ?

Mme Stéphanie Ludwig

Je réponds comme David Douillet : il faut penser d'abord au plaisir, à la camaraderie, etc. Le reste, dont le travail, vient ensuite naturellement, avec la rigueur et le sérieux nécessaire, comme partout.

M. Denis Astagneau

Les clubs de handball français ne disposent pas d'extraordinaires moyens financiers. Comment peuvent-ils lutter contre les Danois ou les Suédois ?

Mme Stéphanie Ludwig

Nous luttons avec nos moyens. On y va ! On joue ! Et l'on peut gagner.

M. Denis Astagneau

Serge Simon est une « grande gueule » du rugby français, et il connaît bien les médias pour y avoir écrit. Pensez-vous que le rugby risque les mêmes dérives que celles du football ?

M. Serge Simon, président de l'Union des joueurs de rugby professionnels français (Provale)

Certaines choses sont inéluctables, c'est la loi du marché. Le sport n'est pas en ce sens un sanctuaire, et doit donc accompagner le mouvement, selon certains aménagements qui évitent que le système ne s'emballe, afin que l'homme reste au coeur des préoccupations. Notons que ce n'était pas le cas ce matin, lors des premières tables rondes.

Je crois qu'il faut effectivement surveiller de près la pression médiatique, qui n'est d'ailleurs pas voulue, comme le disait Monsieur Tessier, et néanmoins constante. La pression pour amener le sport à être plus spectaculaire, plus attirant pour tous, existe, et c'est bien normal de la part des médias. En ce sens le sport peut « jouer gros ». Au-delà, tout ce qui concerne les dérives du sport-spectacle, je trouve que cela fait un peu « Paris-Match »...

Le sport est un monde paradoxal, et pour étendre les pratiques sportives, je crois que le sport gagnerait à être plus lucide vis-à-vis de lui-même.

Le sport est porteur de valeurs extraordinaires, c'est une panacée qui guérit de tout, même du mildiou ! Mais en même temps nous avons assisté à deux tables rondes où les participants ne se sont pas vraiment montrés porteurs de ces valeurs, comme ils le disent d'ailleurs eux-mêmes. Le socle idéologique du sport est donc pur, idéal, utopique, mais son développement génère un système de production extrêmement important -- on a parlé de milliards -- qui se moque de ces valeurs. Le mariage est évidemment complexe à gérer, ce qui explique quelques impasses qui ont été évoquées ce matin. Certains veulent que cela soit un système économique comme les autres, d'autres refusent cette voie, compte tenu justement des valeurs qui en sont la base, tellement éloignée du système économique classique.

Le sport est ainsi fait de diverses choses qui n'ont rien à voir entre elles.

Il est médicalement démontré que le sport est éminemment bon pour la santé, mais toutes ces démonstrations ont été faites à partir d'activités physiques modérées et encadrées médicalement. Il s'agit de ce que l'on appelle le « sport de masse », qui est effectivement bon pour la santé, mais qui n'a rien de commun avec le sport intensif et de haut niveau.

Je n'ai pas pratiqué le sport tel que je l'ai fait pour être en bonne santé : j'ai trente-six ans, et le dos d'une grand-mère de quatre-vingts ! Je l'ai fait par plaisir, et si c'était à refaire, je le ferai mille fois.

Le sport gagnerait là encore à clarifier les choses, ne serait-ce que pour éviter des drames comme celui de la mort de Marco Pantani, qui a ouvert la fenêtre médiatique par laquelle tout le monde donne tout à coup son avis, jusqu'à ce que la fenêtre se referme...

Chacun sait pourtant que le sport de haut niveau est très loin du sport hygiéniste, du sport-santé.

Ce qui incite la pratique, c'est aussi le rêve, bien évidemment, mais depuis que j'ai arrêté de pratiquer, toutes mes actions consistent à dire que le système sportif est merveilleux, bien sûr, mais que quelques aménagements s'imposent. On ne vend pas de la poudre pour faire bien grandir ! Le sport est quelque chose de bon, dans certaines conditions, de magique, mais il demande aussi travail, sacrifices et douleurs parfois. Il y a des facteurs de risques. Le filet qui a cueilli Zidane en a ramené bien d'autres, des borgnes, des boiteux et des asthmatiques, mais au fil des étages... on jette. Le sport ne peut fonctionner que comme cela, bien entendu, mais le monde du sport pourrait réfléchir à une information de base différente, qui prévienne les risques, justement.

D'une rencontre avec de jeunes sportifs intensifs, pas plus tard qu'hier, sont ressorties des questions comme celles-ci : « le sport intensif peut-il avoir des conséquences sur la vie adulte ? Faire beaucoup de sport peut-il nuire à la santé ou à l'équilibre psychologique ? Le sport de haut niveau chez les jeunes peut-il entraîner des problèmes plus tard ? », etc.

Nous avons ainsi pu discuter avec ces jeunes de leur vie de sportifs intensifs, une vie singulière et pleine de difficultés potentielles.

Nous savons en fait depuis les années soixante que la reconversion des sportifs de haut niveau peut poser problème.

Mme Marie-Claire Restoux-Gasset

Il ne faut effectivement pas mêler les niveaux de pratique des sports. Il est ainsi nécessaire d'accompagner ceux qui ont fait le choix de s'adonner pleinement à la compétition, donc dans la discipline. Par ailleurs, être dans une filière de compétition n'implique pas obligatoirement l'excès, contrairement à ce que des événements médiatiques et donc médiatisés laissent parfois entendre. Il faut savoir adapter la pratique aux capacités de chaque individu. Tout le monde doit être convaincu de cela, dans la mesure où chacun a sa part de responsabilité au sein de la société : parents, éducateurs, encadrements sportifs, médias, etc.

M. David Douillet

Les deux mondes sont différents. Le premier comprend quelques milliers de personnes, qui constituent le haut niveau ; c'est celui que l'on voit tout le temps. L'autre comprend quelques millions d'individus... Ne mélangeons pas les choses !

Les valeurs du sport peuvent parfois être dévoyées au sein du premier, mais elles continuent d'exister pour tous les autres... Quoi qu'il en soit l'amalgame ne doit pas être fait.

M. Serge Simon

Les choses ne sont pas si simples. Le monde du sport se sert de cette échelle : ce sont les 6 000 sportifs de haut niveau et le système médiatique qui tirent la masse. Il faut traiter les choses, effectivement, en faisant la distinction, mais sans oublier qu'elles sont articulées, finalement.

Il faut être conscient que le sport de haut niveau peut entraîner des difficultés, et cela n'a rien d'extraordinaire, étant donné la nature même des activités. Le problème est que ces difficultés surviennent dans un monde où elles ne devraient pas, où on ne peut ni les dire ni les prendre en charge, excepté quand il est parfois trop tard.

Le parcours d'un sportif de haut niveau, c'est un peu une traversée de l'Atlantique à la rame, et cela ne pose aucun problème dans la mesure où cela est voulu, décidé. Dans le cas d'un jeune, la balance entre le plaisir et les sacrifices ne doit pas pencher du mauvais côté. Il faut mettre en place des systèmes de détection simples pour repérer ces premières difficultés, afin de les prendre en charge.

Ce sont de tels aménagements qui permettront aux sports d'attirer encore plus de monde et de rassurer un plus grand nombre de parents.

M. Denis Astagneau

Je voudrais demander à Bruno Derrien si les arbitres sont encore respectés sur les terrains de football...

M. Bruno Derrien, arbitre international de football

Je souhaiterais revenir sur ce qui a été dit à propos des marques.

Depuis trois ans, après bien des débats, les maillots des arbitres de football portent la marque But. Je précise que les arbitres de Ligue 1 et de Ligue 2 qui portent ces maillots ne perçoivent pas 1 euro sur les droits à l'image. L'argent sert à promouvoir l'arbitrage en France ; nous avons ainsi réussi à augmenter de 4 000 le nombre d'arbitres.

Mais nous en manquons encore.

900 000 matchs de football sont joués en France en un an, et 75 000 par mois. Nous ne comptons que 24 000 arbitres... On imagine le nombre de matchs qui ne sont pas arbitrés par des arbitres officiels, et les problèmes que cela peut poser.

Compte tenu des enjeux économiques et autres des rencontres d'élite, je suis d'avis qu'il faut y adapter l'arbitrage. Je pense par exemple à l'utilisation de la vidéo pour des questions de franchissements de ligne, etc. Il s'agit d'aller dans le bon sens pour assainir le jeu dans certains cas, et pour affermir le respect dû aux arbitres.

Nous ne sommes que des hommes, avec nos forces, nos faiblesses et nos limites. La perfection n'existe pas, y compris dans l'arbitrage.

M. Denis Astagneau

Le scénario de la star qui « disjoncte » sur le terrain se rejoue-t-il tous les dimanches sur les terrains de France ?

M. Bruno Derrien

Le mimétisme existe, effectivement, et fait des ravages dans le football amateur. Il ne s'agit pas de faire le procès de qui que ce soit, mais ceux qui se comportent mal ne se rendent parfois pas compte de l'image qu'ils véhiculent et de l'impact de celle-ci. On ne rappellera jamais assez le devoir d'exemplarité des « stars ».

M. Denis Astagneau

La contestation des décisions de l'arbitre n'existe de la sorte que sur les terrains de football...

M. Bruno Derrien

J'envie parfois mes collègues du rugby, effectivement, pour le respect que les joueurs leur témoignent. La philosophie n'est sans doute pas la même.

Pour que les arbitres retrouvent leur confiance, ils ont besoin de respect. Ils revendiquent le droit à l'erreur, comme tout un chacun, même si un coup de sifflet à tort peut effectivement avoir des conséquences terribles pour une équipe.

Nous aurions besoin de la vidéo pour les franchissements de ligne, comme je le disais, mais aussi pour gérer ce qui se passe dans la surface de réparation. Michel Platini était par ailleurs favorable à ce que l'on mette un arbitre derrière chaque but, mais je crois qu'il leur faudrait porter un casque !

M. Denis Astagneau

Bernard Amsalem, vous êtes à l'origine du succès des Championnats du Monde d'athlétisme, l'été denier, puisque vous en étiez l'organisateur en tant que président de la Fédération. Quelles retombées cela a-t-il eu sur l'athlétisme français ?

M. Bernard Amsalem, président de la Fédération française d'athlétisme

Le succès a été populaire, médiatique et sportif, effectivement. Tout cela a permis de gommer un peu la déconvenue de Sydney et de relancer notre sport.

Un an et demi avant les Championnats, nous avions mis en place un plan de développement, dont l'idée était de moderniser la pratique de notre sport, pour faire en sorte que la pratique des jeunes soit plus basée sur le plaisir, sur le ludique. Il s'agissait aussi de rendre l'athlétisme plus présent sur le terrain, à l'extérieur du stade, par exemple en s'ouvrant sur des pratiques nouvelles comme la course hors stade, la course de nature, de montagne, etc.

Les Championnats du Monde ont été un catalyseur pour tout cela. Aujourd'hui, l'augmentation des licences est de 25 % depuis septembre. Il s'agit maintenant de fidéliser les jeunes qui arrivent dans les clubs.

Mais notre Fédération est encore un peu archaïque. Nous envions en ce sens la Fédération de judo, qui réussit grâce à son professionnalisme dont nous voulons nous inspirer, ce que nous faisons en travaillant avec l'ensemble des clubs au niveau national.

Nous prônons aujourd'hui le fait que l'on n'a pas besoin d'un stade pour faire de l'athlétisme, dans la mesure où cela met en oeuvre des gestes de base, fondamentaux. Nous avons ainsi inventé le concept « Athlénature » : on peut, en forêt, confectionner des javelots, aménager une ligne droite pour faire de la course, etc.

L'athlétisme plus « sérieux », dans le sens technique, arrive plus tard, après l'adolescence. L'approche est bien entendu différente, de même que l'environnement.

M. Denis Astagneau

Il y a donc eu des retombées médiatiques, mais j'ai appris que Toyota, qui travaillait avec l'athlétisme, vient de signer un contrat avec l'Equipe de France de football.

M. Bernard Amsalem

Il est vrai que les partenariats sont plus difficiles à établir. Plusieurs sociétés se sont intéressées à nous, mais plutôt par curiosité.

Heureusement que nous avons aussi des partenaires de longue date, qui ont continué de nous soutenir même dans les moments les plus difficiles : il en est ainsi de Gaz de France, Adidas ou la Caisse d'Epargne. Notons que Toyota a proposé un partenariat avec les athlètes, mais pas avec la Fédération.

Le premier partenaire de la Fédération est le ministère des Sports. Ce soutien et cette confiance de la part des pouvoirs publics sont très importants. Etant un sport éducatif, nous demandons simplement de pouvoir réinvestir le champ scolaire. L'athlétisme est « la mère de tous les sports », ne l'oublions pas...

M. Denis Astagneau

La Fondation pour le Sport existe depuis quelque mois. Pierre Dauzier, quels en sont les objectifs ?

M. Pierre Dauzier, président de la Fondation pour le Sport

Notre premier objectif a été de collecter les fonds qui nous permettent d'exister. Nous avons ainsi collecté un peu plus de 2 millions d'euros auprès d'une dizaine d'entreprises, ce qui nous permet d'agir dans un domaine spécifique complémentaire à ce qui est déjà en place. Ce domaine est constitué de deux objectifs simples.

Il s'agit de soutenir des associations existantes qui viennent en aide à des personnes en déshérence ou déshéritées --handicapés, résidents de zones péri-urbaines difficiles, etc. Nous apportons une contribution financière, sur un terme assez long, mais aussi une expertise sportive auprès de gens de bonne volonté, puisque nous sommes une entité à but non-lucratif.

Le sport est pour nous un élément fort de socialisation, et nous avons besoin d'emblèmes comme les grands sportifs présents ici. Notre volonté est de lutter contre l'isolement, contre la solitude, contre des milieux dont l'influence, notamment sur les jeunes, peut avoir des effets désastreux. Il faut pour cela se mettre dans la peau des gens, sous peine de faire du mécénat gratuit, sans suite et sans âme. Nous voulons donner une âme à cette Fondation du Sport. Cela prendra du temps et demandera que l'on fasse appel à de nombreuses bonnes volontés.

M. Denis Astagneau

Comment vous positionnez-vous par rapport aux collectivités locales, puisque votre credo est la proximité ?

M. Pierre Dauzier

Les collectivités locales dans l'ensemble fournissent un travail considérable, sur le plan des structures, bien entendu, mais aussi sur celui de l'aide aux associations pour leur fonctionnement et leur animation. Nous ne nous substituons pas aux collectivités, mais nous nous sommes rendu compte que de nombreuses bonnes volontés restent anonymes, que des initiatives n'aboutissent pas, que certaines actions ne sont pas reconnues, etc., tout cela par manque de concours.

J'ai été surpris de l'adhésion des entreprises. Elles ont été malmenées, la légitimité de leurs dirigeants a été écornée, elles sont jugées uniquement sur leurs résultats. Mais à un moment donné, les valeurs du sport, l'altruisme, la solidarité, etc., peuvent permettre aux entreprises de communiquer autrement que sur leurs produits ou services, en utilisant l'angle de leur rôle social dans la cité.

Je précise que depuis le 1 er août 2003, nous avons en France une loi qui a facilité notre démarche, loi telle qu'il n'en existe pas dans les autres pays.

M. Denis Astagneau

Quel est votre degré d'efficacité ?

M. Pierre Dauzier

Notre degré d'efficacité est fort, grâce à la présence des sportifs « emblèmes » dont je parlais précédemment, mais aussi grâce aux sportifs « de proximité ». Tous les concours sont positifs, même si une médaille d'or frappe plus... Quoi qu'il en soit la proximité est nécessaire, avec la mobilisation des entreprises, grandes, petites ou moyennes.

M. Denis Astagneau

Comment analysez-vous les relations entre le sport de masse et les médias, et comment les voyez-vous évoluer dans les années à venir ?

M. Pierre Dauzier

Les médias ont tendance à privilégier l'événement ou les grands dossiers, ce qui est normal.

Nous, nous allons chercher des appuis de proximité : la presse quotidienne régionale, les radios locales, etc., de manière à donner aux associations avec lesquelles nous travaillons la valeur d'exemple.

M. Denis Astagneau

Le Comité national olympique et sportif français insiste lui aussi sur le rôle des clubs associatifs et des éducateurs. Quelles sont les actions que le CNOSF met en oeuvre pour impulser la pratique sportive en France ?

M. Denis Masseglia, secrétaire général du Comité national olympique et sportif français (CNOSF)

Je voudrais tout d'abord exprimer une opinion concernant les athlètes de haut niveau. Par expérience, je sais que l'on côtoie dans ce monde des gens parfaitement équilibrés et bien dans leur peau. Il ne faut surtout pas généraliser ce qui ne touche que quelques-uns. Aller vers le haut niveau est un choix respectable qui mérite d'être soutenu dans la limite des capacités de chaque individu.

Ne ramenons pas tout à l'argent : certains athlètes de haut niveau sont reconnus, médiatisés et riches, mais restent attachés aux valeurs de base, pour suivre une démarche louable et exemplaire.

Concernant nos actions, il faut savoir que nous englobons les sports dans leur totalité, et dans la totalité de leurs pratiques. Le CNOSF représente la fédération des fédérations, en fait, et par là même doit jouer un rôle d'impulsion et de promotion des sports tels qu'ils se pratiquent dans les associations. Le club est d'abord une famille dans laquelle chacun peut s'exprimer et trouver ce à quoi il aspire au travers de la pratique sportive. Il est forcément le creuset, avec ses éducateurs, dans lequel tout se crée.

M. Denis Astagneau

La médiatisation galopante des « grands » sports a-t-elle un effet pervers sur les « petits » sports, comme l'aviron, dont vous avez été Champion de France ?

M. Denis Masseglia

Il faudrait essayer de mettre en oeuvre une sorte de pondération.

Les propos que nous avons entendus ce matin tournaient autour du football et de sa médiatisation, notamment par TF1. Mais TF1 fait son travail ! Cela ne me gêne pas !

Le football est incontestablement le sport numéro un, mais ce qui m'interpelle, ce sont les répercussions que sa médiatisation peut avoir au niveau local. De manière caricaturale, on peut dire qu'avec 20 % des licenciés, le football prend 80 % des subventions. Mais il ne faut privilégier aucun sport. Je crois que le football souffre aussi de la différence de traitement qui existe entre l'élite sportive et le football amateur, qui se débat dans les mêmes problèmes que les autres sports.

Le monde sportif souffre de ne pas avoir su communiquer pour faire savoir ce qu'il est, ce qu'il vit et ce qu'il représente. On pense que tout va bien grâce à des passionnés qui donnent leur temps et parfois leur argent au service du sport de la jeunesse. Mais rien est acquis : il ne faudrait pas considérer que ces engagements vont perdurer sans une forme de reconnaissance, sinon d'aide, largement justifiée au regard de ce qu'ils apportent à la société française.

M. Denis Astagneau

J'ai appris hier que le CIO lançait un appel d'offres pour la vente des droits de radiotélévision olympique en Europe. Cela me semble contradictoire avec ce que vous nous dites...

M. Denis Masseglia

Je ne suis pas le président du CIO !

Le produit « Jeux Olympiques » peut rapporter beaucoup d'argent, et ce n'est pas un problème. Le problème est de savoir quelle va être l'utilisation de cet argent.

Le CIO n'utilise que 6 % de ses recettes pour son fonctionnement propre, le reste étant redistribué aux comités nationaux, aux fédérations internationales et à la solidarité olympique. L'argent sert ainsi au développement de la pratique sportive du plus grand nombre, l'essentiel étant que tout le monde puisse profiter de la manne.

M. Denis Astagneau

Tout le monde se souvient de cette petite femme qui terrassait les Japonaises aux Jeux Olympiques de 1996... Demandons à Marie-Claire Restoux-Gasset ses réactions à ce qui s'est dit lors de cette table ronde.

Mme Marie-Claire Restoux-Gasset

Nous parlons ici du plus grand nombre, et notamment de ceux qui ne pratiquent pas encore. Cela implique une double nécessité : suivre les tendances de la société et, puisque le sport est un tout, faire en sorte que ceux qui sont sous les projecteurs soient exemplaires, afin de donner envie aux plus jeunes de pratiquer. Pour être exemplaire, il faut être bien dans sa peau, et bien accompagné pour éviter les dérives que nous avons évoquées.

Pourquoi est-il intéressant pour un pays, une fédération, un club ou un Etat de développer et d'encourager la pratique sportive ?

Le sport est aujourd'hui un des rares domaines qui rassemble, au-delà de toutes considérations ou convictions.

Par ailleurs, il est nécessaire que nos jeunes puissent s'identifier à quelque chose. S'ils dérivent parfois, c'est par manque de repères ou d'exemples. Les sportifs de haut niveau se doivent d'être de tels exemples.

Le sport peut aussi être un acteur de la santé, comme cela a été décrit. Il peut contribuer à résoudre un certain nombre de problèmes, comme les risques à venir d'obésité chez les plus jeunes, par exemple.

Le sport est encore un facteur d'éducation. On apprend des choses à l'école, mais un professeur peut-il contribuer à l'éducation globale d'un enfant ? Je ne crois pas, ou en tout cas pas totalement. On apprend à vivre avec les autres lorsque l'on partage des expériences, dont le sport fait partie, comme la culture, les arts, etc., tous facteurs complémentaires de l'éducation. Le sport est un apprentissage de la vie avec les autres, donc en société.

Comment développer la pratique sportive ?

D'abord, il faut des équipements, parfois sophistiqués, parfois très simples. En ce sens des équipements modernes, en bon état et conformes aux normes sont plus attirants que les structures vétustes qui datent de cinquante ans. Je crois d'ailleurs savoir que le ministère travaille au recensement des équipements actuellement en utilisation, de manière à mettre en place une politique d'amélioration des équipements sportifs.

On pourrait ainsi envisager, dans le cadre de la réhabilitation qui va se développer avec la Politique de la ville, de créer un certain nombre d'équipements de proximité pour la pratique sportive.

Hormis les équipements, il faut aussi des personnes capables de transmettre le savoir, d'où la nécessité de formations adaptées qui évoluent avec les pratiques.

Un autre axe à travailler est la présence du sport à l'école. Faut-il plus de sport à l'école, ou à côté de l'école ? L'école est le lieu où l'on découvre, et elle peut travailler avec les clubs locaux en ce sens, comme cela se fait parfois, et cela mérite d'être intelligemment développé.

Les fédérations doivent aussi jouer le rôle de promoteurs de leurs activités. Certaines se sont penchées sur le sujet, comme la Fédération de judo, qui a mis en place certains outils pédagogiques de manière à ce que les professeurs puissent accueillir dans leurs clubs une population beaucoup plus jeune qu'auparavant. Ceci est d'ailleurs valable pour les moins jeunes, qui sont en forme beaucoup plus longtemps, ou encore pour les handicapés, éventuellement en relation avec les entreprises, comme cela se fait dans certaines collectivités.

Ces pistes ne nécessitent pas une grande réflexion, mais simplement que les gens se rencontrent et dialoguent.

La question a été posée tout à l'heure de savoir si les sports devaient s'adapter aux médias. A cela je répondrai « peut-être », mais seulement dans une certaine mesure. Le judo s'est ainsi adapté en admettant sur le tatami des kimonos bleu, afin que le public puisse plus facilement comprendre le combat... Cela n'a en rien dénaturé la discipline.

De telles petites choses simples peuvent promouvoir le sport, et donc ses valeurs.

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