B. DES CONTRAINTES COMMUNES AUX AUTRES PAYS DÉVELOPPÉS

Au-delà de ses particularismes, exposés ci-dessus, la France partage par ailleurs avec les autres pays industriels , en particulier européens, un certain nombre de contraintes qui sont autant de facteurs favorisant objectivement les délocalisations « pures » , c'est-à-dire exemptes d'objectifs d'ouverture à de nouveaux marchés. Au-delà des considérations traditionnelles liées aux coûts de production, doivent ainsi être citées les modifications structurelles de l'économie mondiale qui renforcent sa « financiarisation », de même que la relative incapacité des Etats, que l'on peut espérer temporaire, à créer les outils fiables et adaptés de sa régulation . En outre, au plan strictement européen, deux défis, d'ailleurs en partie liés, sont posés aux quinze Etats membres les plus anciens : l' intégration des dix nouveaux venus et la prise en compte équilibrée de différents intérêts politiques contradictoires .

1. La « financiarisation » de l'économie et « l'internationalisation » des structures décisionnelles

Le phénomène des délocalisations résulte en partie, d'une manière que l'on pourrait qualifier d'endogène, de la transformation du capitalisme mondial . Celle-ci se caractérise par deux mouvements dont l'un commande parfois l'autre : la « financiarisation » de l'économie et « l'internationalisation » des structures décisionnelles.

a) La « financiarisation » de l'économie

Le monde industriel est de plus en plus gouverné par des objectifs de rentabilité dictés par des groupes financiers et les marchés boursiers . Il s'agit d'un constat qui ne porterait pas à conséquence si les rythmes de l'industrie et de la finance étaient synchrones. Or, précisément, ils ne le sont pas : alors que le processus productif s'inscrit dans la durée et nécessite des investissements de long terme dont la rentabilité ne peut être immédiate , le monde financier, qui s'appuie sur un dispositif dont le libéralisme absolu autorise d'incessants mouvements transfrontaliers de capitaux, obéit à des règles de rentabilité où la perception des gains doit être rapide. En outre, on assiste à un dévoiement certain du système lorsque les normes de rentabilité sont définies ex ante par les investisseurs et, qui plus est, non pas tant en fonction de la situation du marché sur lequel évolue l'entreprise qu'à raison du différentiel de gains qu'ils auraient pu espérer réaliser s'ils avaient investis dans un autre secteur.

Cette situation a pour effet de fragiliser les assises capitalistiques de l'industrie puisque la valorisation financière d'une entreprise cotée en bourse peut être durablement affectée par des mouvements indépendants de sa santé objective, quand il ne s'agit pas parfois de simple spéculation. Plus fondamentalement, elle peut conduire à certaines décisions qui, n'ayant pour objet que de maximiser les résultats immédiats de l'entreprise afin de rendre « présentable » son bilan, s'écartent délibérément d'une stratégie de développement industriel .

Une telle logique est notamment poursuivie par les investisseurs que sont les fonds de pension anglo-saxons , dont l'exigence de rentabilité à court terme se double d'objectifs de taux que l'industrie ne peut en général pas offrir en situation normale dans les pays occidentaux : le management se voit ainsi imposer des ratios de profitabilité identiques à ceux dégagés dans les zones émergentes, au mépris de toute logique industrielle de long terme. Pour y parvenir, la répartition de la valeur ajoutée n'obéit plus alors à l'équilibre du capitalisme rhénan, qu'à titre personnel votre rapporteur a toujours préconisé, entre le revenu des salariés, la rémunération des actionnaires, l'acquittement de l'impôt citoyen et l'accroissement des capacités futures de l'entreprise. L'objectif prioritaire de rémunération des investisseurs réduit au contraire ce dernier poste à la portion congrue , au risque d' obérer le développement futur de l'entreprise faute d'investissements suffisants en recherche-développement , en matière de modernisation de l'outil industriel ou d' augmentation de ses capacités , en efforts marketing pour gagner de nouveaux marchés, etc.

On comprendra, de ce fait, que le critère des IDE entrants ne puisse pas nécessairement constituer un élément probant de la santé d'une économie : si nombre de ces investissements ont une réelle valeur industrielle, qui soutiennent le développement de la production et la création d'emplois, d' autres ne constituent en revanche que des investissements d'opportunité financière qui n'agissent pas de façon positive sur la sphère réelle de l'économie .

Enfin, on ne saurait manquer d'évoquer, même s'ils ne restent heureusement que marginaux, certains comportements « prédateurs » d'actionnaires volatiles . Après avoir mis la main sur une entreprise florissante ou profité d'avantages consentis temporairement par les pouvoirs publics nationaux ou locaux pour favoriser le redémarrage d'un bassin d'emploi, ils réalisent leurs gains dans un très court laps de temps puis disparaissent en fermant l'entreprise, laissant des salariés au chômage et les collectivités publiques désemparées . Telle est par exemple la situation de la fonderie de Saint-Dizier appartenant au groupe Valfond, lui-même filiale à 100 % du pôle investissement de l'Union des banques suisses (UBS), qui a déposé son bilan en février 2004 malgré la signature, deux ans plus tôt, d'un protocole d'accord avec l'Etat (étalement de la dette sociale) et la région Champagne-Ardenne (subventions et avances remboursables) pour la création d'emplois, la pérennisation de l'activité et la mise aux normes écologiques.

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