QUATRIÈME PARTIE - ADAPTER LA FRANCE ET L'UNION EUROPÉENNE AUX DÉFIS POSÉS PAR LES DÉLOCALISATIONS

Ayant ainsi précisé les principes qu'elle considère comme essentiels, votre commission a estimé que ses préconisations devaient répondre à trois préoccupations principales : favoriser un meilleur positionnement de nos entreprises dans la nouvelle division internationale du travail , soutenir les territoires affectés par les délocalisations et, plus généralement, les mutations industrielles , et promouvoir une politique industrielle qui, pour être durablement efficace, ne peut s'inscrire que dans le champ communautaire .

Au plan économique, plusieurs pistes doivent être privilégiées pour éviter la délocalisation des activités productives riches en valeur ajoutée, dont nulle logique économique ne peut justifier le transfert à l'étranger . Dans cette perspective, il s'agit concurremment de supprimer les contraintes, en particulier fiscales, entravant le développement économique et constituant autant d'incitations aux délocalisations d'activités, de renforcer les avantages comparatifs de la France pour améliorer l'attractivité de son territoire et la compétitivité de son tissu industriel, et d' organiser et de soutenir, dans une logique d'innovation, les filières de production , donc aucune n'est condamnée a priori dans son ensemble .

Pour que les mutations économiques soient acceptées par nos concitoyens, il faut leur donner les moyens de s'y adapter en récusant toute notion de « sacrifice » obligé des plus exposés aux nécessités de la modernisation . Dans cette optique, il convient tout d'abord d' affermir le rôle des collectivités territoriales en matière de développement économique , afin de rapprocher les outils d'action des territoires et populations concernés. Il est ensuite nécessaire d' améliorer l' « employabilité » de la main d'oeuvre par un effort plus soutenu, et soucieux d'une réelle efficacité, en matière de formation initiale et permanente. Il paraît enfin indispensable d' agir sur la structure des emplois afin de ne pas négliger des gisements d'emplois de proximité présentant pour avantages de n'être pas délocalisables , de créer de la richesse , d'être potentiellement nombreux et de permettre de satisfaire des besoins croissants .

Reste enfin, en complément de ce double cadre d'action, à soutenir un volontarisme industriel nouveau au plan européen . Il s'agit d'une part de garantir un développement équilibré de l'Union européenne favorisant l'harmonisation accélérée des politiques publiques dans tous les domaines ayant une incidence sur la répartition des moyens de production à l'intérieur du périmètre communautaire. Il s'agit d'autre part de renforcer la puissance industrielle de l'Union face au reste du monde , en faisant de cet objectif une ambition politique prioritaire dotée des moyens et des outils adaptés à son succès.

I. FAVORISER L'ACTIVITÉ PRODUCTIVE

Pour accroître le potentiel économique du pays et développer l'emploi, la première des priorités est assurément de favoriser l'activité productive . S'il ne relevait pas de la mission du groupe de travail de donner un contenu à ce truisme dans tous ses aspects, il lui paru nécessaire d'indiquer les trois directions qui, pour agir contre les délocalisations injustifiées, devraient selon lui structurer notre politique économique . La première vise à mettre fin aux mécanismes, en particulier fiscaux, qui favorisent objectivement les mouvements de délocalisation . La deuxième a pour objet de renforcer les avantages comparatifs dont dispose notre pays , de manière générale ou dans certains secteurs, afin d'inciter au maintien domestique des activités, de favoriser les investissements étrangers « greenfield » sur le territoire et de valoriser nos savoir-faire. La dernière, mais non la moindre, consiste à organiser et soutenir les filières dans une logique d'innovation , en privilégiant de manière délibérée et plus efficiente les activités et segments riches en valeur ajoutée.

A. SUPPRIMER DES INCITATIONS AUX DÉLOCALISATIONS

Parmi les multiples facteurs semblant entraver la reprise de la croissance économique évoqués par les divers interlocuteurs du groupe de travail, un nombre important relève d'orientations politiques générales ou particulières qui, pour être sans aucun doute opportunes, ne constituent pas directement des réponses aux délocalisations. Aussi le groupe de travail, soucieux de rester dans le cadre de l'épure, les a-t-il délibérément écartées, quand bien même elles pourraient peut-être avoir, par contrecoup, une certaine incidence sur la localisation des activités industrielles. Il lui a en effet paru plus efficient de porter son attention sur trois types de propositions s'inscrivant directement dans la problématique et susceptibles dès lors, nonobstant parfois leurs difficultés de mise en oeuvre, d'être davantage opérationnelles.

Ces propositions concernent respectivement la taxation des facteurs de production , le soutien à l'entrepreneuriat national et la valorisation des produits respectueux des normes sociales et environnementales .

1. Cesser de taxer les facteurs de production

Tous les industriels entendus par votre groupe de travail ont placé au premier rang des incitations à la délocalisation, ou plus exactement des obstacles à la localisation sur le territoire français d'investissements destinés à accroître les capacités productives , le coût de la main d'oeuvre et la taxe professionnelle . Si la première de ces deux charges ne constitue pas, au contraire de la seconde, une spécificité française, et si, comme cela a été examiné précédemment, il serait illusoire d'espérer la ramener à des niveaux comparables à ceux que connaissent les pays émergents, il semble cependant possible de modifier le mode de financement de notre système de protection sociale pour le rendre plus compatible avec le développement de l'activité productive nationale . Quant à la taxe professionnelle, le débat ouvert à son sujet au début de l'année 2004 par le Président de la République ouvre des perspectives salutaires à l'industrie française .

a) Substituer aux charges sociales une TVA de compétitivité

Le coût du travail est relativement plus élevé en France que dans nombre des autres pays développés en raison de l' importance des charges sociales assises sur les salaires , lesquels s'inscrivent quant à eux dans la moyenne des salaires de membres de l'OCDE. Or, les différentes mesures d'exonération de cotisations sociales patronales instituées depuis une dizaine d'années pour les bas revenus ont eu, tous les économistes en conviennent, d'excellents résultats sur l'emploi des travailleurs non qualifiés. Pour votre commission, il convient désormais d'aller plus loin et de généraliser la baisse du coût du travail sans pour autant pénaliser les actifs , en transformant radicalement le dispositif actuel de financement des branches famille et maladie .

Conformément à des préconisations avancées dès 1993 par notre collègue Jean Arthuis dans son rapport d'information, et reprises et développées depuis par des intervenants très divers (115 ( * )), ce financement devrait être désormais assuré par une taxe sur la consommation , qui pourrait être qualifiée de TVA de compétitivité . Le principe en est simple, et les avantages très nombreux.

(1) Un principe simple

Si le financement par l'activité professionnelle des dépenses sociales qui lui sont liées (chômage, retraite, accidents du travail, formation professionnelle) ne soulève aucune question de principe, il n'en est pas de même de l'assurance maladie, des prestations familiales ou encore du logement : nulle raison autre qu'historique n'explique que le financement de ces acquis sociaux, qui relèvent dans leur principe de la solidarité nationale, soit assis sur le travail. Or, ces charges pénalisent directement l'activité productive nationale en renchérissant le prix des biens produits localement par rapport à celui des biens confectionnés dans des pays où le coût du travail est plus bas, notamment en raison d'un filet de protection sociale plus lâche . Cette altération des capacités concurrentielles de nos productions domestiques les affecte au demeurant tant sur le marché intérieur , où elles sont exposées à des importations évidemment attractives, qu' à l'export .

Ces charges sont loin d'être négligeables . On observe par exemple qu'en ce qui concerne les salariés relevant du régime général de sécurité sociale , elles représentent plus du quart du salaire brut : 12,8 % de cotisations patronales d'assurance maladie, maternité, invalidité, décès, 0,75 % de cotisations salariales pour ce risque, 5,4 % pour les allocations familiales, 0,2 % pour le veuvage, 0,1 % ou 0,5 % selon les entreprises pour le fonds national d'aide au logement (FNAL), 0,45 % pour la participation des entreprises de dix salariés au moins à la construction, 5,25 % pour la part de la contribution sociale généralisée (CSG) affectée au régime d'assurance maladie, et enfin 0,5 % au titre de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). Naturellement, même si leur nombre, leur structuration ou leurs taux diffèrent, des prélèvements similaires sont opérés sur les revenus des travailleurs non-salariés.

La réforme suggérée par votre commission consisterait dès lors dans le basculement de ces prélèvements sur une taxe assise sur la consommation, c'est-à-dire une taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Pour assurer la neutralité comptable du transfert, le niveau de cette taxe devrait être calculé de manière à garantir la collecte d'un produit au moins identique au montant actuel des cotisations concernées. Mais rien n'interdit toutefois de saisir l'occasion pour, dans le cadre du débat actuel sur la pérennité financière du système d'assurance maladie, combler aussi le déficit accumulé jusqu'à présent (116 ( * )) et établir un équilibre entre dépenses et recettes évitant de l'accroître davantage . Enfin, votre commission observe aussi qu'une telle réforme pourrait utilement s'accompagner d'un réexamen d'ensemble de la structuration des taux actuels de TVA (117 ( * )) pesant sur les biens et services , dont l'architecture résulte elle aussi de compromis historiques successifs ayant bien peu de rapports avec la rationalité économique.

Si le principe de cette réforme est simple, votre commission convient que sa mise en oeuvre sera évidemment très compliquée à engager , et devra nécessairement être précédée d'une analyse minutieuse des conditions de sa réussite. Cependant, les avantages qu'on peut en attendre sont tels qu'il serait très préjudiciable de la récuser au prétexte de la complexité indéniable que présente le basculement.

(2) Des avantages très nombreux

Quels bénéfices collectifs tirer d'un tel mécanisme ?

En premier lieu, rétablir une certaine équité en matière de formation des prix . Le dispositif actuel pénalise en effet tous les biens et services utilisant de façon intensive le facteur travail , en particulier les outputs des industries de main d'oeuvre, dont se préoccupe principalement votre groupe de travail. Il incite par conséquent à une substitution du capital au travail qui, si elle autorise d'appréciables gains de productivité, pèse cependant très fortement sur l'emploi, notamment des travailleurs non qualifiés .

En deuxième lieu, améliorer la compétitivité relative des biens produits sur le territoire national et soumis à la concurrence étrangère sur le marché français , grâce à un double mécanisme positif. D'une part, l'assujettissement à la TVA compétitive des produits importés augmenterait nécessairement leur prix de vente dans une proportion égale au niveau de cette taxe : le bénéfice concurrentiel qui en résulterait pour les produits domestiques serait donc direct. Mais, d'autre part, le report sur lesdits produits importés d'une partie du financement de la protection sociale de notre pays conduirait à nécessiter un moindre prélèvement social sur l'ensemble de la production nationale : dès lors, l'enchérissement d'un produit domestique résultant de la taxe pourrait être finalement inférieur à la diminution de son coût de revient consécutif à la suppression d'une partie des charges sociales, et son prix de vente être ainsi lui-même réduit (118 ( * )). L'attractivité des prix des produits français serait donc renforcée de deux manières distinctes et complémentaires.

En troisième lieu, accroître la compétitivité des productions destinées à l'exportation , qui bénéficieraient à plein de la réduction du montant des charges sociales pesant sur leur coût de revient puisque aucune TVA ne viendrait enchérir leur prix en compensation : les gains de compétitivité seraient d'ailleurs d'autant plus importants que le bien produit serait riche en facteur travail.

Tous ces avantages seraient immédiatement perceptibles en matière de localisation des industries de main d'oeuvre puisqu'ils conduiraient, de manière cumulative, à rendre plus intéressante la consommation des produits fabriqués en France . Mais ils peuvent être complétés par deux autres types de considérations.

D'une part, asseoir sur la consommation plutôt que sur l'emploi le financement de la partie de notre système de protection sociale relevant davantage du principe de solidarité que de celui de l'assurance serait un moyen de garantir la pérennité du modèle social français : la consommation des ménages est en effet tendanciellement orientée à la hausse et ses fluctuations sont plus réduites que celles du marché de l'emploi, ce qui permettrait d'assurer un financement régulier de la sécurité sociale ; les difficultés récurrentes de celle-ci, et notamment de sa branche maladie, seraient donc, pour ce qui concerne à tout le moins la colonne recettes, durablement amoindries.

D'autre part, la création de cette TVA de compétitivité pourrait ne pas être uniforme et, au contraire, être organisée de manière discriminante en faveur de secteurs ou d'activités que des objectifs politiques ou économiques clairement établis choisiraient de favoriser . C'est dans cette perspective, au demeurant, que la réforme pourrait également être étendue à la répartition actuelle des taux de TVA, afin d'en rendre la structure plus cohérente, notamment au regard de la rationalité économique.

(3) Des objections qui ne résistent pas à l'analyse

Outre la difficulté de l'entreprise, qui est indéniable mais que votre commission ne saurait considérer comme dirimante (119 ( * )), trois catégories d'objections peuvent être opposées à cette proposition de réforme.

La première consiste à dénoncer la création d'un impôt indirect supplémentaire , considéré comme inéquitable car supposé frapper plus lourdement les plus bas revenus . Outre que de nombreuses études économiques tendent à démontrer que la TVA pèse en réalité davantage sur les revenus moyens que sur les bas revenus et qu'elle n'est qu'en apparence un impôt régressif (120 ( * )), trois considérations viennent tempérer cette critique :

- d'une part, comme l'a opportunément observé devant le groupe de travail notre collègue M. Jean Arthuis, tous les impôts et charges acquittés par les entreprises sont financés par leur chiffre d'affaires , et donc en définitive par les consommateurs . De ce fait, la substitution d'un canal de financement de l'assurance maladie et de la branche famille par un autre serait globalement neutre pour le consommateur , dont l'arbitrage ne porterait que sur le contenu de son « panier » de consommation : un des objectifs de la réforme est en effet de l' inciter à acquérir davantage de produits français , au détriment de produits importés rendus plus chers par leur assujettissement à la TVA de compétitivité ;

- d'autre part, il a été indiqué ci-dessus que le taux de cette taxe serait susceptible de ne pas être uniforme : on peut ainsi imaginer que les taux soient déterminés en considération de la structure de consommation moyenne des bas et moyens revenus , afin de ne pas déformer ladite structure et garantir une capacité de consommation des populations concernées similaire à l'actuelle ;

- enfin, la proposition de votre groupe de travail a pour but de favoriser l'emploi domestique et donc de contribuer à diminuer le chômage : le retour à l'emploi étant un facteur d'enrichissement des intéressés accroissant leur capacité de consommation, l'éventuelle pénalisation susceptible d'advenir semble alors pouvoir être largement compensée par les bénéfices globaux tirés de la réforme.

La deuxième objection est de nature institutionnelle : le financement des branches maladie et famille par une TVA mettrait à mal l'organisation paritaire du système de protection sociale , fruit de bientôt soixante ans d'histoire. Il semble à votre groupe de travail que l'évolution même de ce système depuis qu'il est soumis à de graves déséquilibres financiers rend cette critique inopposable . La création de la CSG ou de la CRDS d'un côté, les diverses politiques de réduction ou de suppression des charges sociales de l'autre, le vote annuel de la loi de financement de la sécurité sociale par le Parlement enfin, sont autant de preuves que le financement de la protection sociale n'est plus désormais un élément dépendant des seuls partenaires sociaux . Mais ces preuves démontrent aussi , a contrario , que le paritarisme peut vivre tout en s'accommodant de modes de financement s'apparentant à l'impôt . Dans ce contexte, la substitution d'une TVA de compétitivité à certaines charges sociales ne paraît pas constituer une atteinte insupportable au mode de gestion paritaire de notre dispositif de protection sociale. Ce que ne semble au reste pas contester le président de la CFE-CGC, M. Jean-Luc Cazette, qui appelle lui-même à ce nouveau mode de financement, pour des raisons identiques à celles avancées par votre groupe de travail.

On ajoutera qu'un tel dispositif serait également économe des deniers publics puisqu'en élargissant l'assiette d'une partie des prélèvements sociaux, il permettrait de supprimer tout un système complexe d'exonérations de charges sociales qui, pour être souvent légitimes au plan économique, n'en pèsent pas moins sur nos finances publiques de manière considérable, sans d'ailleurs que leur efficacité soit toujours démontrée.

La dernière objection concerne la faisabilité du projet au regard des obligations communautaires et internationales de la France .

Au plan européen, la réglementation de la fiscalité indirecte relevant de la compétence communautaire, on peut s'interroger sur la latitude qu'aurait la France à instituer un tel mécanisme. Les difficultés rencontrées par le Gouvernement pour étendre à la restauration traditionnelle le bénéfice du taux réduit de TVA applicable aux activités à forte intensité de main d'oeuvre imposent en effet une certaine prudence en la matière. Trois considérations semblent toutefois permettre de lever ces réserves :

- d'une part, le Danemark a déjà adopté ce système et finance donc une partie de sa protection sociale par une TVA qui n'a pas suscité l'opposition des instances communautaires : le mécanisme n'est ainsi pas contraire dans son essence aux prescriptions européennes ;

- d'autre part, alors même que ces dernières datent, dans leurs principes fondamentaux, de 1977 (121 ( * )), un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (122 ( * )) a distingué, dix ans plus tard, la destination du produit des taxes pour les qualifier ou non de taxes à caractère fiscal rentrant dans le champ d'application de la directive : « La notion d'impôts, droits et taxes n'ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d'affaires, telle qu'elle figure à l'article 33 de la sixième directive (...), doit être interprétée en ce sens qu'elle inclut une taxe, à caractère non fiscal, (...) au profit de régimes de sécurité sociale (...) » . Ainsi, il semble bien possible d'instituer, indépendamment des prescriptions de la directive de 1977, une TVA à but social, distincte de la TVA à vocation fiscale et venant s'ajouter à celle-ci ;

- enfin, quand bien même cette direction ne pourrait être suivie, rien n'interdit d'agir sur les taux de TVA dans le cadre même des dispositions communautaires . Celles-ci, en effet, définissent certaines catégories de taux et précisent quels secteurs peuvent déroger au taux normal. Cependant, ce taux normal, comme les autres taux (réduit, super-réduit, « parking »), ne sont pas strictement définis : les Etats sont simplement contraints de déterminer leurs propres taux dans le respect de limites minimales pour le taux normal (15 %) et le taux réduit (5 %). Ainsi, par exemple, le taux normal de TVA des Etats des Quinze varie actuellement entre 15 % (Luxembourg) et 25 % (Danemark et Suède), la France, avec 19,6 %, se situant presque exactement au niveau communautaire moyen (19,4 %). Dès lors, rien n'interdirait à celle-ci d'augmenter son taux normal de TVA, ainsi d'ailleurs que son taux réduit, d'autant de points nécessaires à la compensation de la suppression de certaines charges sociales.

Restent alors les interrogations sur la compatibilité de ce système avec les règles adoptées dans le cadre de l'OMC : la TVA de compétitivité serait-elle une mesure protectionniste susceptible de sanctions ? La réponse de votre groupe de travail est négative. Bien que n'ayant pas été juridiquement validée par des instances faisant autorité en la matière, elle s'appuie sur le simple bon sens : en assujettissant de la même manière à cette taxe les produits fabriqués localement et les produits importés, la France ne saurait être accusée d'introduire une discrimination contraire à ses engagements internationaux . Au demeurant, l'exemple danois vient là encore à l'appui de la démonstration.

*

Votre commission considère cette réforme comme essentielle . Certes, la TVA de compétitivité ne viendra pas réduire le coût du travail dans des proportions permettant de le placer en concurrence directe avec les pays émergents. Mais ce mode de financement de la protection sociale apparaît réellement moderne, car adapté aux nouvelles conditions de l'activité économique : la globalisation de l'économie et l'accroissement des échanges internationaux rendent en effet obsolète notre dispositif actuel de prélèvement social , qui pouvait n'être efficace que dans un système très fermé et contraint (prix administrés, droits de douane élevés, contrôle des changes), où le jeu de la concurrence s'exerçait dans un espace territorial géographiquement circonscrit et où les possibilités de délocalisation des activités de production étaient réduites . Alors qu'on peut estimer que plus de 20 % des produits consommés sur le territoire français proviennent désormais du reste du monde, il serait paradoxal de continuer à pénaliser le travail domestique en maintenant le financement de nos dépenses sociales collectives relevant de la solidarité sur la seule activité de la main d'oeuvre . Ce serait non seulement paradoxal, mais aussi et surtout coupable puisque le statu quo ne ferait qu'amplifier les difficultés de notre outil productif face à la concurrence toujours plus grande des pays émergents.

* (115) Voir notamment la Lettre du Comité Pauvreté et Politique n° 21 de mars 2004 ( « Ralentir les délocalisations et recréer des emplois » ), l'éditorial du président Jean-Luc Cazette dans la Lettre confédérale de la CFE-CGC n° 1107 du 16 avril 2004 ( « Vers une cotisation sociale sur la consommation » ), la chronique de Henri Guaino, ancien commissaire général au Plan, du numéro des Echos du 27 avril 2004 ( « TVA sociale : le débat interdit » ) ou encore le point de vue de Christian Saint-Etienne, professeur d'université et président de l'Institut France Stratégie, parue dans le numéro des Echos du 1 er juin 2004 ( « Réforme de la santé et délocalisations : un lien révolutionnaire » ).

* (116) Cet objectif paraît difficile à éviter compte tenu de l'état actuel de la branche assurance-maladie. Toutefois, il est clair que sa poursuite nécessiterait la fixation du taux de TVA compétitive à un niveau supérieur au taux « naturel » de l'équilibre, ce qui diminuerait d'autant les avantages susceptibles d'être tirés de la mesure en ce qui concerne la compétitivité-prix des produits français.

* (117) Conformément à la directive communautaire portant sur la TVA, trois taux sont aujourd'hui appliqués en France : le taux normal de 19,6 %, le taux réduit de 5,5 % et le taux super réduit de 2,1 %.

* (118) Ce bénéfice indirect potentiel dépend cependant de deux variables : d'une part, les gains tirés de l'assujettissement à la TVA de compétitivité des produits importés seront minorés des pertes de financement résultant de la diminution des charges sociales pesant sur les biens français exportés, qui ne seront pas assujettis à cette taxe. L'ampleur de la marge de manoeuvre au plan global sera ainsi fonction du différentiel de résultat, au regard des sommes concernées pour le financement social, entre les importations et les exportations. D'autre part, l'éventuelle diminution du prix des produits ne sera pas identique pour chacun d'entre eux : au contraire, elle différera à raison de la part que représentent les charges sociales dans leur coût de revient .

* (119) D'autant que la difficulté est essentiellement politique : le calcul du taux moyen de TVA compétitive permettant de compenser la diminution des recettes sociales résultant de la suppression des charges considérées est en réalité assez simple, et l'éventuelle détermination de deux ou trois taux différents, selon les objectifs économiques poursuivis, n'est pas davantage impossible pour les experts ; la collecte pourrait s'appuyer sur le circuit actuel de prélèvement de la TVA sans en augmenter significativement le coût ; seul le basculement d'un système à l'autre risquerait d'être délicat : mais la France a bien été capable, dans un passé lointain (création de la TVA) comme dans un passé récent (introduction de l'euro), de répondre efficacement à de tels défis techniques et logistiques. En revanche, au plan politique, il est évident que la réforme susciterait des réactions puisqu'elle aurait des conséquences différentes selon les secteurs : dans ce jeu à somme nulle, les filières intensives en facteur travail y gagneraient, au détriment des filières intensives en capital .

* (120) Voir notamment « La taxe sur la valeur ajoutée » - Conseil des impôts - Dix-neuvième rapport au Président de la République - Les éditions des Journaux Officiels - 2001.

* (121) Directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977, dite sixième directive, modifiée et complétée par des directives de 1992, 1999, 2001 et 2002.

* (122) SA Rousseau Wilmot contre ORGANIC - 27 novembre 1985 - Affaire concernant la légalité d'un prélèvement assis sur le chiffre d'affaires et destiné au financement de la retraite des artisans et commerçants.

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