2. Vers un impôt personnel plus simple et plus neutre

a) La question de l'élimination des niches fiscales

Le rapport du Conseil des impôts sur la fiscalité dérogatoire a mis en avant l'importance des dépenses fiscales « d'un coût mal maîtrisé et d'une utilité rarement démontrée », et suscité un grand nombre de déclarations relatives à l'élimination des niches fiscales.

Lors de la conférence précitée du 4 mai dernier, le ministre d'Etat, ministre des finances, de l'économie et de l'industrie a ainsi déclaré que « toutes les niches fiscales actuelles seront évaluées d'ici à la fin de l'année. Je souhaite que les avantages fiscaux, quels qu'ils soient, soient limités à une durée de cinq ans et leur efficacité systématiquement mesurée. Ceux qui sont inutiles ou injustes seront, soit supprimés, soit réformés et le gain en résultant sera recyclé dans des baisses de taux profitables à tous ».

Faut-il pour autant condamner a priori toute dépense fiscale ? Si l'on peut adhérer à la démarche du Conseil des impôts lorsqu'il encourage les pouvoirs publics à mieux connaître 113 ( * ) , mieux encadrer et réexaminer les régimes dérogatoires existants en vue d'améliorer l'équité et l'efficacité du système fiscal, il ne faut pas pour autant les récuser par principe.

Quantitativement, la France ne présente sans doute pas les pertes de recettes fiscales les plus importantes ; ce qui la caractérise, c'est plutôt le nombre, la variabilité et la complexité des régimes fiscaux dérogatoires. L'examen auquel nous invite le Conseil des impôts tel que le comprend votre commission des finances, doit déboucher sur un système fiscal plus stable, plus simple et, surtout, plus transparent.

Une raison supplémentaire de limiter la portée des données globales est à trouver dans l'arbitraire du mode de calcul. La dépense fiscale se définit par la part de recettes non perçues ; elle correspond pour les contribuables à l'allègement de leur charge fiscale par rapport à ce qui résulterait de l'application de la norme. Toute la question est alors de savoir comment définir cette norme. La lecture du rapport démontre que selon le point de vue et la place dans le temps, la même mesure peut passer d'une catégorie à l'autre 114 ( * ) .

Aussi, lorsque le rapport précité du Conseil des impôts estime que le montant total des dépenses fiscales dépassent 50 milliards d'euros - ce qui correspond, soit dit en passant, au déficit de la France pour 2003 -, il ne faudrait pas en déduire qu'il existerait une sorte de réserve qu'il suffirait de supprimer pour retrouver immédiatement des ressources supplémentaires. : la logique à mettre en oeuvre est celle d'un redéploiement permettant un abaissement massif des barèmes auxquels sont assujettis tous les contribuables à l'impôt personnel.

A cet égard, votre commission des finances se rapproche dans une certaine mesure de certaines réactions au rapport du Conseil des impôts. Au delà d'une formulation polémique, il y a une vérité difficilement contestable : l'importance et surtout le nombre des régimes fiscaux dérogatoires sont indissolublement liés au niveau élevé des prélèvements, qui ne seraient sans doute pas supportables sans les soupapes que constituent les dépenses fiscales . Un certain nombre d'entre elles sont d'ailleurs « d'origine », tandis que d'autres se sont ajoutés au fil du temps dans un phénomène d'entropie fiscale.

Le Conseil des impôts suggère en premier lieu de procéder à un toilettage de toutes les dérogations de faible portée ou dont le coût est inconnu , estimant que les régimes spéciaux qui ne concernent qu'une poignée de contribuables ne peuvent avoir un impact suffisant pour justifier la place qu'ils occupent dans le code général des impôts.

La démarche du Conseil paraît justifiée même si l'on a des raisons de croire que certains dispositifs dérogatoires ne pourront être abrogés pour des raisons de principe : est-il ainsi défendable, sous prétexte que les dons se font de plus en plus rares -les collectionneurs ou les héritiers préfèrent la dation- de supprimer l'exonération de droits de mutation dont bénéficient les dons d'oeuvres d'art à l'Etat ?

Un bon exemple de fiscalité dérogatoire à réformer est donné par le régime fiscal des personnes âgées. Pour le Conseil des impôts, la question du maintien de l'exonération partielle ou complète de CSG ou de CRDS spécifique aux pensions, dont le coût approchait 4 milliards d'euros en 2001, pourrait notamment être soulevée. Une telle réforme supposerait la remise à plat du problème de la déductibilité de la CSG et de la CRDS, et surtout, répétons-le, une baisse globale du barème de l'impôt sur le revenu.

En dépit de l'opinion du Conseil des impôts, votre rapporteur général estime, que, sans vouloir s'attaquer à tous les impôts et à tous les niveaux, et en se concentrant sur quelques points essentiels, il n'est d'autre façon de lutter contre l'illisibilité de la politique fiscale que de rebâtir une nouvelle architecture.

On s'interrogera en particulier sur l'ensemble de la fiscalité de l'épargne, le régime spécifique du livret A devant être réexaminé, tandis que le dispositif doit devenir plus incitatif au financement en fonds propres et à la prise de risques.

Aujourd'hui, l'opacité du système fiscal français est accrue du fait de l'utilisation à des degrés divers de toutes les techniques d'allègement d'impôt : exonération de l'assiette d'imposition, déduction et abattement tendant à soustraire de l'assiette taxable une part forfaitaire ou proportionnelle, réduction d'impôt ou crédit d'impôt, taux différencié, indépendamment même, enfin, des dispositifs spécifiques comme les amortissements exceptionnels en matière d'impôt sur les sociétés.

Une des premières tâches consisterait donc à mettre en place des régimes assurant la quantification de l'avantage. De ce point de vue, on peut estimer que, d'une façon générale, les réductions d'assiette -exonération totale ou déductibilité, dont la logique interne n'est certes pas contestable s'agissant de déduire du revenu certaines charges qui lui sont associées- sont moins adaptées que les réductions d'impôts dans la mesure où elles dépendent de la tranche d'imposition où se situe le contribuable et ne peuvent être mesurées qu'en faisant des hypothèses sur le taux marginal moyen appliqué aux foyers fiscaux bénéficiaires de la mesure.

Sur le plan de la justice fiscale et en liaison avec le souci constant des récents gouvernements d'atténuer les effets de seuil, il conviendrait également de repérer les interdépendances entre dépenses fiscales et prestations sociales . Ainsi, deux dispositifs sont assurément à valoriser : l'incitation à se constituer une épargne à long terme pour la retraite et à souscrire à des couvertures complémentaires d'assurance-santé.

* 113 Le rapport du Conseil des impôts considère que l'estimation du coût des dépenses fiscales est très imparfaite. Seul un quart des dépenses fiscales sont estimées de façon précise, la moitié d'entre elles n'étant d'ailleurs même pas chiffrées. Il note d'ailleurs qu'en 2003 sur 418 mesures recensées, 56 % seulement faisaient l'objet d'un chiffrage. Il y a là, d'une façon générale la manifestation de l'incapacité des administrations de procéder à des estimations faute pour elles de disposer de données suffisantes

* 114 Ainsi, la diminution du taux de TVA à 5,5 % pour les travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien portant sur des logements achevés depuis plus de deux ans relève aujourd'hui de la première catégorie. Mais à terme, il n'y a aucune raison qu'ils ne fassent pas partie intégrante des biens soumis au taux réduit auquel cas c'est à bon droit que l'on supprimera la dépense fiscale correspondante.

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