LE RISQUE ÉPIDÉMIQUE - INTRODUCTION - M. LE PROFESSEUR PHILIPPE KOURILSKY, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTITUT PASTEUR

Mesdames et Messieurs les Parlementaires, chers collègues, mon Général, Mesdames et Messieurs, quelques mots pour vous rappeler que la définition de base d'une épidémie est simplement l'augmentation significative de la fréquence d'une maladie, au-delà de ce qui est observé habituellement. Cette définition est relative.

Les épidémies ne sont pas toutes d'origine infectieuse, cette définition englobe les épidémies comme celle de diabète qui se développe aujourd'hui, d'autres maladies auto-immunes et même l'obésité, dont les sources sont assez mal comprises, connues et contrôlées, possiblement liées aux comportements et à l'environnement. Cela a été dit, la lutte contre les maladies infectieuses, puisqu'il s'agit principalement d'elle, est une lutte qui ne peut avoir de fin. Pour formuler la problématique différemment, nous vivons dans un équilibre écologique avec ces minuscules microbes que nous ne voyons pas, mais nous sommes effectivement dans un équilibre écologique singulier avec cette flore qui nous entoure et ne comporte pas uniquement des ennemis puisque nous savons que la flore microbienne nous est extrêmement utile dans un certain nombre de processus symbiotiques, mais qui est également la source émergente de pathogènes parfois redoutables. Ces microbes ne connaissent pas les frontières, ils voyagent avec les avions, auparavant ils voyageaient par bateaux, de façon extrêmement rapide. Ils ne sont d'ailleurs pas les seuls à voyager puisque la résistance aux antibiotiques voyage également à grande vitesse et lorsqu'un nouvel antibiotique est créé, nous voyons la résistance apparaître en un lieu et se propager en quelques semaines dans d'autres pays de la planète. Il existe, bien entendu, des niches locales, des réservoirs de toutes sortes, et vous entendrez parler de ces réservoirs animaux considérables et extraordinairement difficiles à contrôler, incontrôlables pour ce qui est des réservoirs sauvages.

Les circonstances de survenue sont toujours les mêmes, on observe la contamination au départ d'un petit nombre de personnes, généralement à partir d'une même source environnementale, et nous entendrons parler du prototype des légionelles par exemple. Souvent, ces épidémies sont des foyers qui se révèlent limités dans l'espace et dans le temps. Il est à noter que la couverture vaccinale est tout à fait essentielle pour contrôler certaines épidémies lorsque nous disposons du vaccin. Je tiens à mentionner l'actuelle situation de la Grande-Bretagne : la diminution de la couverture vaccinale contre la rougeole, à la suite d'une polémique qui a enflammé nos voisins à propos de la sécurité du vaccin en question et de son possible lien avec l'autisme, entraîne aujourd'hui un phénomène mesuré, et publié dans les plus grandes revues internationales, dans lequel l'on voit bien que la dimension des foyers épidémiques de rougeole augmente en fréquence et en amplitude. Le seuil de cas atteint le niveau où une épidémie de grande ampleur risque de se développer, c'est du moins ce que montrent les modèles mathématiques qui sont divers, mais qui montrent tous un effet de seuil en matière de développement des épidémies, qui n'est pas loin d'être atteint en Grande-Bretagne.

Il faut prendre la mesure des phénomènes de transmission, l'épidémie de SRAS a été importante par sa rapidité, mais il faut rappeler que pour le Sida j'imagine qu'en 1983 - date de découverte du virus en France à l'Institut Pasteur, dans les hôpitaux et laboratoires associés - il devait déjà y avoir dans le monde quelques milliers de personnes infectées. Vingt ans plus tard, ce sont 40 millions de personnes touchées suite à une incroyable diffusion du pathogène. Il existe beaucoup de choses que nous ignorons en matières de modèles infectieux, d'agent infectieux, de mécanismes de transmission. À titre d'exemple, nous avons récemment découvert en France, à l'Institut Pasteur, que des enfants étaient réinfectés par la coqueluche par des parents porteurs asymptomatiques. Ce phénomène, totalement ignoré, que nous n'avions pas saisi jusqu'à présent est susceptible d'influer sur la politique vaccinale. Le Ministre l'a bien dit, nous avons encore beaucoup de choses à découvrir, de recherches à faire dans toutes sortes de domaines, y compris des domaines qui sont aux frontières de la biologie puisqu'à l'évidence les questions de climatologie, de sociologie du comportement sont essentielles pour comprendre en profondeur ces phénomènes épidémiques.

L'impact social est gigantesque. Je veux insister sur ce qui se produit dans les pays en développement. Nous sommes, évidemment, attentifs à ce qui se passe dans notre propre pays où l'impact économique est considérable, mais, dans les pays en développement, l'impact humain est effroyable. Il existe un problème humanitaire évident, 90 % des morts de maladies infectieuses se produisent dans les pays en développement. L'impact économique cumulé du Sida et de la malaria dans un certain nombre de pays d'Afrique provoque une chute du produit intérieur brut de plusieurs points par ans, c'est une spirale négative désastreuse qui mène ces pays vers la faillite la plus totale. Pour revenir à nos sociétés, il faut lourdement insister sur le problème des maladies nosocomiales qui est considérable et pose des problèmes qui se reflètent, j'imagine, jusque dans l'organisation même du système hospitalier, des conditions d'hospitalisation, etc. Nous avons également à réfléchir aux questions d'organisation de l'émergence des épidémies, il faudrait qu'il existe dans les systèmes hospitaliers des conditions permettant de disposer de chambres de haute sécurité qui, en cas d'émergence, permettent d'analyser rapidement ce qui se passe. La question de savoir si nos structures hospitalières sont adaptées à ces périodes de crise est à poser.

Il nous faut une organisation nationale, largement en place, pour permettre une identification rapide des agents pathogènes émergents - organisation dont je pense personnellement qu'elle doit être renforcée car nous n'avons pas encore tous les moyens qui nous permettent de détecter rapidement l'émergence de nouveaux pathogènes - la surveillance doit également être internationale. Encore une fois, les microbes n'ont pas de frontières, la rapidité de dissémination est importante et il est donc nécessaire de collaborer à un système européen, mais aussi totalement international de façon à avoir une vision globale des événements. Ceci me conduit une fois de plus à évoquer les pays en voie de développement puisque c'est là que beaucoup d'émergences se produisent. Je vous rappellerai qu'elles sont, en réalité, des réémergences de maladies le plus souvent liées aux conditions d'hygiène, parfois désastreuses, non seulement liées à la pauvreté, mais également aux guerres, conflits, déplacements de populations et qu'elles se résument très souvent à un problème de contrôle microbiologique des eaux. Les maladies que l'on voit se développer sont très souvent des maladies entériques, dont le choléra est l'un des prototypes.

La question du bioterrorisme a été évoquée, cette hypothèse n'a heureusement pas eu de grands développements, mais elle est grave et à prendre en considération. La cellule créée à l'Institut Pasteur avec Monsieur le Professeur Jean-Paul LEVY et Monsieur Jean-Claude MANUGUERRA - la CIBU, Cellule d'intervention biologique d'urgence - pour faire face à l'hypothèse d'une action terroriste s'est avérée utile pour des situations d'émergence épidémique « naturelles ou normales ».

Je terminerai par une considération qui me tient à coeur, je ne suis pas certain qu'il y ait eu une réflexion suffisante sur les procédures d'urgence au sens large. Je voudrais que nous réfléchissions un moment sur la notion d'urgence. Prenons l'exemple du bioterrorisme, aux États-Unis on a tenté de développer à nouveau un vaccin contre la variole de façon tout à fait justifiée. Cela a été fait à marche forcée, de telle sorte qu'en trois ans on a été capable de réexpérimenter un vaccin, avec malheureusement un résultat qui n'est pas meilleur que le vaccin historique, puisque celui qui a été développé comporte toujours des effets secondaires négatifs. Je suis frappé que l'on ait décrété l'état d'urgence, accéléré les procédures pour développer ce vaccin contre la variole alors que jamais je n'ai entendu dire que le développement du vaccin contre le Sida était une urgence, au sens où l'on était prêt à considérer le facteur temps, y compris dans les procédures. Je me permets d'insister sur ce point qui me paraît très important, le paramètre temps dans le développement des instruments qui permettent de contrôler les épidémies émergentes. Aujourd'hui l'épidémie de Sida est développée et n'a pas fait l'objet d'une réflexion suffisante. Le problème du contrôle, de la lourdeur des procédures, et de l'allégement éventuel de ces procédures pour des raisons d'urgence me semble capital. J'ai été choqué, il y a une dizaine d'années, de voir qu'un candidat vaccin exploratoire contre le Sida de phase 1, avec un nouveau vecteur de vaccination qui avait une chance d'améliorer les choses, a vu son essai clinique différé d'un an pour des raisons administratives, sans fondement ni aucun intérêt réel à mon sens. Il existe un problème d'éthique administrative réellement important, or je pense que la notion de l'urgence et d'éthique de l'urgence mérite réflexion. Le réexamen des procédures, l'accélération possible de certaines d'entre elles peut poser des problèmes d'éthique et nous avons intérêt à les raisonner à froid, plutôt qu'à chaud, et à nous saisir du problème très rapidement car nous avons de bonnes raisons de le faire.

En matière de perception sociale, le principe de précaution avec son possible cortège de conséquences judiciaires ou judiciarisées devient une interrogation. Je conclurai en affirmant qu'il ne faut pas confondre prévention et précaution. Je suis convaincu que le fait de substituer la précaution à la prévention, comme l'on est parfois tenté de le faire, représente une véritable fraude à l'éthique. Il faut préserver les conditions maximales de la prévention et utiliser la précaution comme un instrument supplémentaire qui ne doit pas nuire à la prévention en tant que telle. Je vous remercie.

Mme Marie-Christine BLANDIN

Merci à vous Monsieur le Professeur KOURILSKY. Chacun comprendra que nos orateurs pourraient fort pertinemment nous instruire plus longuement de façon passionnante, mais l'exercice limite la parole de chacun à dix minutes. Nous nous en excusons auprès de tous puisque vous nous consacrez beaucoup de temps, ce pourquoi nous vous en remercions. Nous allons maintenant entendre Monsieur le Professeur Jérôme ÉTIENNE qui a déjà évoqué le sujet de la légionellose en ces lieux, puisqu'elle a fait l'objet d'une crise dans le Pas-de-Calais et a été à l'origine de nombreuses inquiétudes dans toutes les collectivités et zones industrielles. Pour un rapport consacré au risque épidémique, nous devions à nouveau l'entendre.

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