III. LE PROJET DE LOI NE CONSTITUE QU'UN DES OUTILS D'UNE STRATÉGIE GLOBALE EN FAVEUR DE LA PARITÉ PROFESSIONNELLE

A. LA NÉCESSITÉ D'UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE DES INÉGALITÉS

1. Une synthèse récente : les femmes « top » modèles des inégalités

Une des synthèses les plus récentes et les plus complètes de la situation des femmes sur le marché du travail est une publication de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ( Les femmes « top » modèles des inégalités, n° 90 - juillet 2004). Ces travaux permettent de mieux situer les enjeux du présent projet de loi dans un contexte plus large.

a) Les inégalités traditionnelles, la précarisation et l'enjeu pour la croissance économique.

Mme Françoise Milewski, rédactrice en chef du comité de rédaction de cet institut indépendant rappelle que les progrès historiques de l'insertion des femmes sur le marché du travail sont indéniables : les taux d'emploi des femmes et des hommes se sont rapprochés. Mais de profondes inégalités demeurent : par exemple, le taux de chômage féminin reste supérieur à celui des hommes dans la plupart des pays, même si les écarts se sont réduits.

Cet auteur évoque ensuite l'apparition de nouvelles inégalités : précarisation de l'emploi, insertion par des temps partiels, imposés par les employeurs ou contraints par l'insuffisance des modes de garde des enfants, tant en qualité qu'en quantité. Les femmes sont plus vulnérables que les hommes sur le marché du travail, si bien que les formes d'emploi flexibles les concernent davantage . Mais parce qu'elles représentent près de la moitié de la population active (46 % en France, 44 % dans l'Union européenne à 15), c'est l'ensemble du marché du travail qui est atteint. Leur activité est ainsi, tour à tour, un enjeu pour la croissance économique, afin de compenser le recul à venir de la population active, ou un moyen de rendre plus flexibles les marchés du travail.

La délégation souscrit au diagnostic de l'OFCE selon lequel « seule une approche pluridisciplinaire, économique, sociale, politique et institutionnelle peut permettre de comprendre la manière dont se forgent les discriminations en Europe. Les inégalités tiennent d'abord au cadre social dans son ensemble : l'école et la famille dès l'enfance, l'inégal partage des tâches familiales conditionnent la division sexuelle des rôles sociaux et influencent les comportements des femmes elles-mêmes, dans les choix d'orientation, puis dans les représentations qu'elles ont de leur rôle. La sphère professionnelle reproduit des inégalités et en produit de nouvelles . » .

b) Le cumul des tâches privées et professionnelles et la question centrale du temps

Exprimant une préoccupation pratique essentielle, l'OFCE indique que les relations entre la sphère privée (domestique) et la sphère professionnelle pénalisent particulièrement les femmes dans leur parcours professionnel. « Peu de progrès ont été réalisés dans le partage des tâches d'éducation des enfants et des tâches ménagères. La mode des « nouveaux pères » fut éphémère dans les années 1970. Les années 1980 ont consacré le triomphe de la réussite professionnelle individuelle dans un environnement où triomphait le libéralisme. Les écarts restent considérables .

L'enquête du groupe « division familiale du travail » du CNRS montre comment se conjuguent cinq temps dans la vie des individus. Ainsi, sur une journée théorique de 24 heures, les femmes font en moyenne 11 heures de travail dont 4 heures 20 de temps professionnel , 4 heures 30 de temps domestique et 2 heures 10 de temps parental ; il leur reste alors 13 heures pour le hors travail (moins de 4 heures pour le temps personnel et plus de9 heures pour le temps physiologique). Les hommes, eux, effectuent moins de 10 heures de travail dont 6 heures 30 de professionnel, 2 heures 10 de domestique et 1 heure de parental ; par contre, il leur reste plus de 14 heures pour le hors travail (4 heures 30 de temps personnel et plus de 9 heures 30 de temps physiologique).

Dans les faits, l'inégal partage des tâches parentales et domestiques est un facteur essentiel de blocage à l'égalité professionnelle. Le concept de temps parental, et plus généralement du temps privé (pas seulement celui de l'enfant, mais aussi le temps social) est important. Les rapports sur la place des femmes au travail abordent comme une question centrale la question de la « conciliation » entre vie professionnelle et vie familiale.

Or, les femmes ne « concilient » pas : elles cumulent, sous tension. Le marathon quotidien des femmes au travail est abondamment décrit ; il vaut pour toutes les femmes, et, pour celles qui pourraient accéder à des fonctions de responsabilité, il constitue un obstacle qu'elles intériorisent souvent en les refusant. Même lorsque les pères assument leur rôle, c'est le plus souvent sur les mères que repose l'organisation des tâches à accomplir. »

Votre délégation souscrit à ce diagnostic qui évoque, de manière objective, le « cumul des tâches » et qui traduit, mieux encore que les termes « d'articulation » ou de « conciliation » la réalité qui s'impose à l'heure actuelle à de nombreuses femmes.

c) Un phénomène d'autolimitation et d'autocensure

Dans ses conclusions générales , Mme Françoise Milewski souligne que l'analyse du travail des femmes résiste aux analyses centrées sur une seule discipline. « Pour comprendre ce qui se déroule dans la sphère professionnelle, il faut non seulement analyser les discriminations spécifiques dans les entreprises, mais aussi faire appel aux processus de construction des inégalités dans les formations initiales, aux relations entre la sphère privée et la sphère professionnelle, à la façon dont l'entourage familial et professionnel reproduit les stéréotypes de sexes, et à la manière dont les femmes elles-mêmes intériorisent les contraintes et s'autocensurent . Discriminations explicites ou subtiles relèvent de l'économie, du social, du droit, des institutions et de leurs histoires combinées. L'accent peut être mis, tour à tour, sur un aspect particulier, ce qui conduit à des préconisations différentes, dans leur importance, leur agencement, leur hiérarchie.

Dire que nombre d'inégalités se forgent à l' école - « les filles sont le plus souvent absentes des filières porteuses » - est évident et conduit à rendre prioritaire le combat pour l'égalité à l'école.

Dire que la place des femmes sur le marché du travail doit s'appréhender à partir des rapports sociaux de sexe au sein de la famille - « l'inégal partage des tâches parentales est un handicap pour le travail des femmes » - est évident et conduit à privilégier l'évolution des mentalités dans la réalisation de l'égalité et/ou à faire de la question du temps une question centrale.

Dire que l'insertion des femmes dans l'emploi dépend de l'existence de services publics de prise en charge de la petite enfance - « il y a un rationnement du travail des femmes du fait de l'insuffisance des crèches » - est évident et implique de prôner des politiques publiques d'accroissement des moyens consacrés aux systèmes de garde.

Dire que l'on ne peut se contenter de renvoyer à l'école et à la famille l'origine des inégalités car l'entreprise est le siège de discriminations spécifiques - « ce sont les employeurs qui imposent le sous-emploi et la précarité » - est évident et amène à se focaliser sur ces mécanismes pour trouver les moyens de les surmonter.

Dire que les femmes s' autocensurent , par exemple en refusant de prendre des responsabilités professionnelles - « on a bien cherché des femmes, mais on n'en a pas trouvé » - est évident, et conduit à considérer qu'il suffit de les convaincre pour que la situation évolue.

Dire, enfin, qu'il faut... dire tout cela en même temps pour rendre compte des multiples facettes que prennent les inégalités entre les femmes et les hommes est tout aussi évident, mais laisse perplexe sur l'ampleur des moyens à mettre en oeuvre pour les surmonter. Cet article n'échappe pas à ce travers...

Et si, au bout du compte, il suffisait de dire : peu importe, puisque le résultat est le même. Les femmes sont discriminées, les inégalités prennent de multiples formes et les principes fondamentaux du « droit au travail décent pour tous » et de « à travail égal, salaire égal » ne sont pas respectés. Mais entre le fait, d'une part d'attendre que la majorité des pères s'impliquent dans la prise en charge des enfants ou que le temps de travail soit significativement réduit pour tous -- femmes et hommes --, et d'autre part le développement de modes de gardes de qualité et en nombre suffisant, ou l'instauration de quotas pour imposer la parité dans l'entreprise, il y a un horizon temporel... au moins. Il y a donc bien des ordres de priorité, dans un souci d'efficacité immédiate.

La question majeure est celle de la cohérence des politiques publiques et la définition de l'objectif. La reconnaissance du droit au travail conduit à condamner toute politique de désincitation , directe ou indirecte. La reconnaissance du droit à un travail décent conduit à ne pas considérer comme un progrès le temps partiel, contraint par les employeurs ou « choisi » sous la contrainte d'un partage inégal de la parentalité entre les mères et les pères, et qui est toujours pénalisant ; ni la flexibilité recommandée dans la stratégie européenne de l'emploi en même temps que l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. »

Les femmes sont plus vulnérables sur le marché du travail, si bien que les formes d'emploi flexibles et la précarité les concernent davantage.

« Mais parce qu'elles représentent près de la moitié de la population active (46 % en France, 44 % dans l'Union européenne à 15), c'est l'ensemble du marché du travail qui est ainsi atteint. Tour à tour enjeu majeur pour la croissance afin de compenser le recul à venir de la population active, ou moyen de rendre plus flexibles les marchés du travail, « la femme est-elle vraiment l'avenir de l'homme ? ».

L'égalité entre les femmes et les hommes doit être considérée comme une valeur économique et sociale à laquelle les politiques publiques devraient être consacrées, dans un souci de justice. » .

Votre délégation estime nécessaire d'insister sur l'importance de ce phénomène d'autolimitation des femmes qui se manifeste de manière sous-jacente à la quasi -totalité des entretiens et des observations de terrain qu'elle a pu conduire. Elle estime que cette dimension mérite d'être prise en compte dans les modes de régulation des entreprises ainsi que dans la conception et l'interprétation des règles de droit. La délégation estime, en outre, que cette tendance à l'autocensure, justifie un effort particulier pour encourager l'accession des femmes à des postes de décision.

2. Les divers aspects de l'action gouvernementale en matière d'égalité professionnelle

La délégation observe que ce projet de loi, qui insiste sur l'aspect le plus sensible des inégalités professionnelles doit être replacé dans un ensemble plus vaste de mesures prises ces dernières années et de chantiers en cours. A ce titre, et comme en témoigne la communication en Conseil des ministres de Mme Nicole Ameline, ministre de la Parité et de l'égalité professionnelle à l'occasion du 8 mars 2005, Journée internationale des Femmes, plusieurs actions méritent d'être citées.

En ce qui concerne l'accès des femmes aux emplois supérieurs dans la fonction publique et aux postes à responsabilité , cette communication précise notamment que le ministère de la Fonction publique et de la réforme de l'État s'emploie avec tous les départements ministériels à lancer la deuxième génération des plans pluriannuels pour l'amélioration de l'accès des femmes aux emplois et aux postes d'encadrement supérieur, tandis que les efforts pour nommer des femmes au sein des jurys et des instances consultatives ont été poursuivis.

L'accès des femmes aux responsabilités dans les associations a fait l'objet de la diffusion, cette année, d'un guide méthodologique expérimental favorisant l'égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités et valorisant les bonnes pratiques internes au milieu associatif, réalisé en 2004 par la Délégation interministérielle à l'économie sociale, en associant largement le monde associatif et la Conférence permanente des coordinations associatives, devraient faciliter les progrès en ce domaine.

En matière d' égalité professionnelle , il convient de rappeler l'importance de l'accord national interprofessionnel sur la mixité et l'égalité professionnelle signé le 1 er mars 2004, à l'unanimité par les partenaires sociaux. Cet accord encadre la négociation de branche et d'entreprise sur les thématiques de l'orientation, du recrutement, de la formation continue, de l'égalité salariale et prend en compte la question de la parentalité.

D'ores et déjà, deux dispositions de cet accord ont été intégrées dans la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 : le droit pour toute femme à un entretien spécifique sur son projet professionnel avant et après un congé maternité ou un congé parental et la neutralisation de la période du congé parental pour le calcul du droit individuel à la formation. Un répertoire des bonnes pratiques a été élaboré, destiné aux entreprises qui s'engagent sur l'égalité.

Pour accompagner cette dynamique, a été créé, le 28 juin 2005 dernier, le label « égalité ». Conçu avec les partenaires sociaux, et délivré par l'association française pour l'assurance de la qualité (AFAQ), ce label est attribué aux organismes qui font de l'égalité professionnelle un élément fort de leur engagement en terme de responsabilité sociale.

S'agissant de la politique de l'emploi , l'implication des pouvoirs publics et, en particulier, du Service public de l'emploi (SPE), s'est manifestée en 2004, dans les domaines de la formation, du retour à l'emploi et en matière de lutte contre les discriminations. Le SPE a poursuivi l'objectif de baisse de 5 % du nombre de femmes chômeuses de longue durée fixé en 2001. L'AFPA, avec un plan d'action volontariste d'intégration de l'égalité professionnelle, dans son dispositif d'orientation et de formation qualifiante, s'est engagée à doubler le nombre des femmes sur des métiers présentant des difficultés de recrutement et traditionnellement masculins, soit 5000 femmes en 2006 sur huit secteurs, tels l'électricité, l'électronique, le transport, l'informatique et l'hôtellerie.

Un travail a été conduit en 2004, à titre expérimental, pour valider les acquis de l'expérience des femmes dans les secteurs de l'aide à domicile ou de la fabrication industrielle, et leur permettre d'obtenir une certification. 300 femmes en ont bénéficié en 2004. L'AFPA et l'ANPE ont mis à l'étude un module d'ingénierie familiale, destiné à valoriser, lors de la reprise d'un emploi, les compétences et les savoir-faire que les femmes ont acquis dans le cadre de leurs responsabilités familiales.

Sur la question du retour à l'emploi, le ministère de l'Emploi, du travail et de la cohésion sociale a prévu, dans la loi de programmation de la cohésion sociale, le recours aux contrats d'avenir pour les femmes bénéficiaires de minima sociaux, notamment celles qui sont bénéficiaires de l'allocation de parent isolé.

Parallèlement, cette loi renforce les mesures d'accompagnement vers un emploi durable des jeunes en difficulté. Le contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS) permettra, notamment, de résoudre les difficultés des jeunes parents, plus particulièrement des jeunes mères isolées. Les plates-formes de vocation mises en oeuvre par l'ANPE aideront les jeunes filles et jeunes garçons à élargir leurs choix d'orientation.

Pour lutter contre le chômage et favoriser l'insertion professionnelle des femmes, la ministre de la Parité et de l'égalité professionnelle a signé un accord cadre avec l'ANPE. Par ailleurs, l'accès aux crédits bancaires, grâce à des mécanismes de garantie, a été facilité pour les femmes créatrices d'entreprises.

Enfin, un rapport sur Les inégalités entre les femmes et les hommes, facteurs de précarité , qui a été remis à la ministre de la Parité et de l'égalité professionnelle le 3 mars, permettra de jeter les bases d'une politique en faveur des femmes qui risquent de basculer dans la précarité.

L'orientation professionnelle des jeunes filles , constitue une préoccupation de la loi d'orientation pour l'avenir de l'école, qui intègre un objectif d'augmentation de 20 % de la place des filles dans les séries scientifiques générales et technologiques d'ici 2010. Le ministère délégué à la Recherche, pour sa part, a publié le Livre blanc 2004 sur les femmes dans la recherche privée , destiné à dresser l'état des lieux de la situation des femmes dans ce secteur et à recommander de bonnes pratiques. Chaque année, le Prix Irène Joliot-Curie récompense les actions entreprises pour promouvoir la place des femmes dans les études scientifiques, techniques et de la recherche.

Pour sa part, le ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie avec la Commission permanente de concertation pour l'industrie (CPCI), procède à une analyse statistique régulière de la place des femmes dans l'emploi industriel et dans la recherche. En partenariat avec les organisations professionnelles, il a lancé, à l'automne dernier, une campagne nationale de communication sur l'attractivité des métiers de l'industrie auprès des jeunes particulièrement des filles, qui devrait contribuer à accroître la part des emplois occupés par les femmes dans l'industrie.

Au printemps 2005, une campagne nationale de communication et d'image autour de l'apprentissage, à l'initiative du secrétariat d'État à l'Insertion professionnelle des jeunes, devra inviter davantage de jeunes filles à recourir à ce dispositif qui a fait ses preuves en matière d'insertion professionnelle.

En matière d'articulation des temps de vie, les pouvoirs publics, particulièrement le ministère en charge de la Famille, a amélioré quantitativement et qualitativement les modes d'accueil des enfants et les entreprises, elles-mêmes, ont investi dans la prise en compte de l'articulation des temps professionnels et familiaux.

Différentes mesures annoncées lors de la Conférence de la Famille 2003 ont été mises en oeuvre :

la prestation d'accueil du jeune enfant, qui permet de mieux « solvabiliser » le recours à un mode de garde individuel (assistante maternelle ou garde à domicile). Cette prestation va être désormais accessible aux conjoints collaborateurs ;

le « plan crèches » qui va permettre d'augmenter de près de 10 % le nombre de places en crèches d'ici 2007 (soit une création de 20.000 places supplémentaires) grâce, notamment, au financement de crèches privées ;

le développement de crèches dont l'amplitude horaire d'ouverture est élargie et qui est également favorisé dans le choix d'attribution des aides à l'investissement par les CAF.

Par ailleurs, les entreprises ont été encouragées à développer des initiatives pour faciliter l'articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale de leurs salariés grâce au crédit « impôt famille », dont elles peuvent bénéficier pour toutes les dépenses qu'elles engagent pour leurs salariés (pour bonifier les congés de maternité ou de paternité ou pour accorder des aides complémentaires pour frais de garde) ou pour financer des places nouvelles de crèches collectives.

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