N° 512

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2004-2005

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 13 juillet 2005

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 septembre 2005

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la mission d' é valuation et de contrôle du soutien français au dispositif nigérien de gestion de la crise alimentaire ,

Par MM. Michel CHARASSE et Adrien GOUTEYRON,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin, vice-présidents ; M. Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne, François Trucy secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM.  Bernard Angels, Bertrand Auban, Jacques Baudot, Mme Marie-France Beaufils, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Mme Nicole Bricq, MM. Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Claude Haut, Jean-Jacques Jégou, Roger Karoutchi, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera.

Aide au développement.

INTRODUCTION

Le 23 novembre 2004, un communiqué officiel du Conseil des ministres du gouvernement du Niger annonçait les résultats définitifs de la campagne agro-pastorale 2004, faisant apparaître un déficit céréalier net de 223.500 tonnes, soit 7,5 % des besoins alimentaires 1 ( * ) , et un déficit fourrager de 4,6 millions de tonnes de matière sèche, soit 36,5 % des besoins. Le dispositif nigérien de prévention et de gestion des crises alimentaires, soutenu principalement par la France et l'Union européenne, se mettait aussitôt à l'oeuvre. Quelques mois plus tard, le déficit alimentaire, somme toute relativement modéré, constaté en novembre 2004, se transformait en catastrophe humanitaire dans la bouche des responsables nigériens.

Alertée par des médias signalant une crise alimentaire de très grande ampleur au Niger, préoccupée à l'idée que la France ait pu, face à cette situation, ne pas être aussi présente qu'elle aurait du l'être, comme les déclarations peu responsables de certaines organisations non gouvernementales (ONG) pouvaient le faire penser, confrontée à des différences d'appréciation sur la nature de la crise, y compris au sein des institutions nigériennes 2 ( * ) , votre commission des finances, au titre des pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place que lui confère l'article 57 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), a jugé utile et nécessaire de réaliser une mission d'évaluation et de contrôle du soutien français au dispositif nigérien de gestion de la crise alimentaire. Cette mission a été conduite, du 23 au 26 août 2005, par vos collègues Michel Charasse et Adrien Gouteyron, respectivement rapporteurs spéciaux des crédits de l'aide publique au développement et de ceux des affaires étrangères, secteurs auxquels ressortit l'aide humanitaire.

Malgré leur bref déplacement, vos rapporteurs spéciaux ont pu, à travers des contacts avec les autorités nigériennes, aussi bien au gouvernement qu'au plan local, avec les ONG, les représentants de l'ONU et les diplomates français et étrangers (cf. programme), mesurer un écart certain, à Niamey, Maradi, Dakoro, Abalak et Tahoua, entre la réalité nutritionnelle nigérienne et les comptes-rendus réalisés par certains médias.

Un article du Figaro en date du 23 août 2005, lu par vos rapporteurs spéciaux dans l'avion les conduisant à Niamey, indiquait : « En août 2005, à cinq heures de vol de Paris, des centaines de milliers d'enfants meurent encore de faim ». A Maradi, considéré par beaucoup comme un des points durs de la crise alimentaire, un des médecins du centre de récupération nutritionnelle intensive (CRENI) de Médecins Sans Frontières (MSF) 3 ( * ) indiquait toutefois à vos rapporteurs spéciaux que deux jeunes enfants mourraient chaque jour dans ce centre.

Cette réalité est en tant que telle insupportable. Nul besoin de l'exagérer. Pourtant, Libération titrait le 24 juin 2005 : « confronté à la famine, le Niger appelle au secours ». L'Humanité publiait le 25 juin 2005 une interview ainsi libellée : « De retour du Niger, responsable de programmes à Médecins sans frontières, Emmanuel Drouhain alerte sur l'imminence d'une famine entretenue par la politique des institutions internationales ». Et Le Monde de rapporter fidèlement, dans un article du 15 juillet 2005, les propos de M. Jean Ziegler, rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation, « les groupes les plus vulnérables - enfants, malades, personnes âgées - sont en voie de liquidation ».

Or tous les acteurs, les ONG, y compris les plus alarmistes, les ambassades étrangères, les autorités nigériennes ont, au cours de la mission de vos rapporteurs spéciaux, systématiquement mis en avant les termes « crise alimentaire » 4 ( * ) , ou, sans doute encore plus à propos, « crise nutritionnelle » pour qualifier la situation nigérienne.

L'emballement médiatique incontestable relevé par vos rapporteurs spéciaux peut s'expliquer par la volonté d'attirer l'attention des bailleurs de fonds sur l'un des pays les plus pauvres du monde et trop souvent négligé par l'aide internationale . Le Niger est ainsi passé d'une situation de pénurie d'aide alimentaire , lorsqu'en juin 2004, le dispositif national de prévention et de gestion des crises alimentaires s'est trouvé dans l'incapacité de se procurer, auprès du marché de la sous-région, les 30.000 tonnes de céréales qui lui paraissaient nécessaires pour faire face à la crise alimentaire, à un emballement des acteurs internationaux , organisations non gouvernementales, gouvernements et ONU (représentée essentiellement au Niger par le programme alimentaire mondial (PAM) et l'UNICEF). Cet emballement a conduit, à distribuer massivement, sans ciblage véritable sur les populations les plus nécessiteuses, et gratuitement des vivres , encore aujourd'hui, alors même que les récoltes ont déjà commencé.

Comme toujours dans des situations « d'urgence humanitaire », l'afflux des organisations non gouvernementales s'est déroulé de manière désordonnée, sans toutefois que cela conduise à un « petit chaos », en raison de la volonté, justifiée, du gouvernement nigérien de coordonner, à tout le moins, les distributions gratuites de vivres sur son territoire . L'action des organisations non gouvernementales a été, pour certaines, il convient de le souligner, financée par le trop-perçu des dons reçus à l'occasion de la catastrophe du Tsunami, en début d'année 2005.

Vos rapporteurs spéciaux ont souhaité dans un premier temps, face aux informations parfois contradictoires dont ils disposaient, définir la crise nigérienne de 2005. De leur point de vue, sa gravité, très préoccupante, réside dans le fait qu'il s'agit d'une double crise : une situation de malnutrition infantile, endémique, amplifiée par une grave pénurie alimentaire. Le terme de « crise » est à la fois insuffisant et réducteur pour qualifier la situation du Niger.

Si l'activisme de certaines organisations non gouvernementales a eu pour effet positif de mettre à l'agenda la question de la malnutrition infantile , il convient de relever qu'au-delà des actions d'urgence, qui permettent indéniablement de sauver des vies, la priorité est, tout d'abord, d'évaluer avec précision l'étendue de la malnutrition endémique au Niger, et ensuite d'engager des actions de fond pour résorber ces situations. Ces actions de fond ne peuvent se résumer à des distributions de vivres. Elles nécessitent une modification des comportements alimentaires et un accès au soin plus performant.

Saisis par les images d'un Niger aux paysages verdoyants, aux champs de sorgho et de mil presque mûrs, dont certains étaient déjà récoltés au moment de leur passage, dans le sud du Niger, vos rapporteurs spéciaux ont été amenés à s'interroger sur les moyens mis en oeuvre pour gérer la crise alimentaire. Ils ont été favorablement impressionnés par l'action du dispositif national nigérien de prévention et de gestion des crises alimentaires , insuffisamment pourvu en céréales en début de crise, trop peu soutenu par les donateurs bilatéraux préférant faire valoir leur action directement sur le terrain. Ils en soulignent le caractère indispensable pour mettre en oeuvre une coordination efficace et ordonnée de l'aide alimentaire et mettre en oeuvre une action pérenne et cohérente pour assurer la sécurité alimentaire du Niger. Ils regrettent ainsi la tentation de certaines organisations de mener leurs opérations « offshore », en cavalier seul, indépendamment du cadre national dans lequel ils opèrent 5 ( * ) . Ils appellent à conforter ce dispositif national, irremplaçable, en contribuant à reconstituer son stock national de réserve (besoin de 110.000 tonnes de céréales et d'équivalents céréales), qui sera épuisé après la crise, au besoin en réorientant les excédents du programme alimentaire mondial (PAM) qui n'auraient pu être distribués 6 ( * ) ou dont la distribution ne se justifierait plus .

Vos rapporteurs spéciaux ont constaté, en outre, que la France, dont les contributions hors Europe pour la seule gestion de la crise alimentaire de 2005, ont dépassé les 10 millions d'euros, avait été encore une fois au rendez-vous. Notre pays a ainsi été le plus gros bailleur de fonds bilatéral du Niger dans la gestion de cette crise. Son aide, volontairement peu médiatisée, car abondant pour l'essentiel directement le dispositif national de prévention et de gestion des crises alimentaires, est ainsi allée bien au-delà des 275.000 euros de médicaments apportés par M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, le 31 juillet 2005 au cours de sa visite ministérielle. Il revient au ministère des affaires étrangères de faire valoir le soutien français au Niger , durant la grave crise de 2005, soutien qui s'est manifesté dès le début, sitôt les résultats de la campagne agro-pastorale connus.

Vos rapporteurs spéciaux souhaitent remercier les autorités nigériennes qui les ont accueillis au cours de leur mission, notamment M.  Ibrahim Belko, gouverneur de la région Maradi, M. Mahamadou Zeiti Maïga gouverneur de la région de Tahoua, M. Najim Bouali, préfet du département de Dakoro et M. Seidou Bakari, coordonnateur de la cellule de crise alimentaire au cabinet du Premier ministre, et souhaitent saluer les organisations non gouvernementales qu'ils ont rencontrées pour leur travail généralement remarquable.

Ils remercient enfin tout particulièrement M. François Ponge, ambassadeur de France au Niger, M. Gilles Pommeret, premier conseiller, M. Franck Humbert, conseiller régional, chargé du développement rural, de l'environnement et de la santé et Mme Elsa Delcombel, assistante technique au sein de la cellule de crise alimentaire, pour la part qu'ils ont prise à l'organisation de leur mission.

* 1 Le déficit céréalier a atteint 26 % dans les zones déclarées vulnérables par le dispositif national de prévention et de gestion des crises alimentaires.

* 2 Le Président nigérien M. Mamadou Tandja a ainsi déclaré le 9 août 2005 « Premièrement, il n'y a pas de famine au Niger. Quiconque vous le dit, répondez-lui que c'est un mensonge ! Deuxièmement, si c'était une famine, les populations rurales auraient fui pour s'installer aux portes de votre ville. Des camions seraient bondés de femmes, d'enfants et des vieillards fuyant vers l'extérieur. Troisièmement, enfin, dans la capitale, Niamey, les rues seraient noires de femmes, d'hommes et d'enfants, assiettes en main, à mendier de porte à porte ».

* 3 MSF évoque au Niger entre 10 et 15 décès d'enfants par semaine, principalement en soins intensifs où sont pris en charge les cas les plus sévères.

* 4 Selon le dictionnaire Larousse, une famine est un manque presque total de ressources alimentaires dans un pays.

* 5 A titre d'exemple, l'opération fortement médiatisée de l'association « Réunir », qui, parce qu'elle n'a pas été annoncée aux autorités nigériennes, et notamment aux autorités aéroportuaires, a pu, par certains côtés, être perçue comme une « atteinte à la souveraineté du Niger », suscitant une séance d'explication chez le Premier ministre...

* 6 La cellule de crise alimentaire du Niger a annoncé le 22 septembre 2005 qu'il n'y avait plus de crise alimentaire au Niger.

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