2. La mise en cause de la « loi Fauchon »

a) Rappel sur la loi du 10 juillet 2000

Afin de replacer le débat sur la responsabilité pénale dans son contexte, la mission a entendu une communication de M. Pierre Fauchon qui a rappelé la genèse de la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.

Dans le domaine particulier de l'imprudence, l'auteur des faits n'a pas voulu sciemment commettre une faute mais il a eu un comportement tel qu'il en est résulté un mal pour la victime. L'imprudence engage la responsabilité civile de l'auteur et l'oblige donc à une réparation.

En revanche, il est moins évident qu'elle engage sa responsabilité pénale. En effet, le code pénal considère que, dans une société civilisée, il n'y a pas de délit sans volonté de le commettre. Par exemple, si une blessure a été commise, il faut que l'auteur ait délibérément cherché à blesser pour que cet acte constitue un délit. A l'inverse, en l'absence de cette volonté, et même si la blessure a été causée par une imprudence de l'auteur, il ne s'agit pas d'un délit au sens de la philosophie du droit et de la conscience. Ceci étant, pour contraindre à la prudence, il est nécessaire de considérer que certains faits d'imprudence sont des délits. Dans ces conditions, l'auteur d'une imprudence risque d'être condamné à des amendes ou à de la prison.

Pendant très longtemps, le droit français a considéré qu'une même imprudence mettait en cause la responsabilité civile et la responsabilité pénale de son auteur. Les codes civil et pénal et la Cour de cassation jugeaient que la moindre imprudence, dès lors qu'elle avait la moindre conséquence, incapacité de travail, blessures, homicides, etc., mettait en jeu la responsabilité civile et pénale de l'individu.

Cela n'allait pas sans poser des problèmes qui se sont accentués au fur et à mesure du développement économique. Ainsi, on a vu se multiplier des affaires qui, à la fin du XIX e siècle, étaient très rares mais qui sont aujourd'hui beaucoup plus fréquentes. Ces affaires concernent maintenant les accidents du travail et de la circulation, les accidents dans les cliniques et les hôpitaux ou encore sur les terrains de sport. Des chefs d'entreprise, des maires, des directeurs de colonies de vacances ou des directeurs d'hôpitaux se sont ainsi vu reprocher de ne pas avoir pris certaines mesures qui entraient dans le cadre de leurs fonctions et qui auraient probablement, mais sans certitude, permis d'éviter certains accidents.

Considérant que de telles situations n'étaient plus tenables, la commission des lois du Sénat avait engagé une réflexion sur le sujet dans le cadre d'un groupe de travail, dont M. Pierre Fauchon avait été désigné rapporteur.

Comme celui-ci l'a rappelé, « les défenseurs des maires réclamaient une loi spéciale » en faveur des élus. Or, il n'est naturellement pas possible de voter une loi spécifique, la loi pénale étant égale pour tous.

Comme il l'a expliqué, « il fallait donc une loi générale qui contribue à plus de discernement, non pas en éliminant la responsabilité pénale pour imprudence, mais en faisant en sorte qu'elle soit appréciée de façon spécifique ».

Une première loi a été votée en 1996. Il s'agit de la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour faits d'imprudence ou de négligence, qui, pour apprécier la responsabilité pénale de l'auteur de faits qui n'aurait pas accompli les diligences normales, nécessite du juge la prise en compte d'éléments concrets, tels que la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont elle disposait.

M. Pierre Fauchon a considéré que « cette loi n'a cependant pas suffi. Il fallait aller plus loin et donner une définition du délit d'imprudence qui ne soit pas la même que celle de la faute par imprudence ».

C'est ainsi qu'a été élaborée la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, plus connue sous l'appellation de « loi Fauchon », qui a fait l'objet de longs débats parlementaires et de nombreuses modifications au cours de la navette. Le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, M. René Dosière, député, avait proposé que, pour que la responsabilité pénale soit retenue, il fallait être en présence d'une faute d'une exceptionnelle gravité, ce que le Sénat avait jugé trop restrictif.

Cette loi a notamment modifié les alinéas 3 et 4 de l'article 121-3 du code pénal.

Article 121-3 du code pénal

Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.

Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui.

Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.

Il n'y a point de contravention en cas de force majeure.

Ainsi, le comportement de la personne auteur indirect d'un dommage peut être pénalement sanctionné s'il constitue une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité que cette personne ne pouvait ignorer.

Dans sa circulaire du 11 octobre 2000, qui précise l'interprétation à donner de la loi du 10 juillet 2000, le garde des Sceaux note que « cette faute pourra ainsi être établie [...] même en l'absence de violation manifestement délibérée, même s'il n'existait qu'une réglementation générale et non particulière, même si cette réglementation n'avait pas pour origine la loi ou un règlement au sens administratif, mais qu'elle provenait d'une circulaire ou du règlement intérieur d'une entreprise, et même, le cas échéant, en l'absence de réglementation écrite préexistante ».

Deux aménagements particuliers ont également été introduits :

- la responsabilité ne s'applique que dans l'hypothèse où il y aurait une relation de causalité indirecte entre l'imprudence et le dommage. M. Pierre Fauchon a rappelé que « la raison de ce choix est extrêmement simple » : « Pour traiter de manière spécifique les accidents de la circulation, nous avons évoqué à part l'hypothèse de la causalité directe, puisqu'il s'agit toujours de causalité directe dans les accidents de la circulation » ;

- la non-application de cette responsabilité aux personnes morales.

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