d) La position de la mission

En ce qui concerne l'amiante, que M. Pierre Fauchon a qualifié de « plus grosse affaire pénale du siècle », un examen attentif des termes de l'article 121-3 du code pénal, en particulier de ses alinéas 3 et 4, ne permet pas, selon la mission, de conclure à un rejet systématique de la responsabilité pénale de toute personne physique 46 ( * ) .

Sans vouloir naturellement se substituer au juge, mais souhaitant préciser l'intention du législateur, la mission considère, aux termes de ses travaux, que certains acteurs de l'affaire de l'amiante pourraient entrer dans le cadre fixé par la loi pour voir leur responsabilité pénale engagée.

Au cours de l'audition des responsables de l'ANDEVA, le 13 avril 2005, M. Pierre Fauchon avait ainsi estimé que, « dans le cas de l'affaire de l'amiante, l'imprudence est du reste plus que caractérisée. En outre, il est précisé que cette imprudence caractérisée expose à « un danger que l'on ne peut ignorer » et non à un danger que l'on connaît. Vous jugerez peut-être cette rédaction insuffisante mais le législateur, en toute bonne foi, a pensé qu'elle induisait pour le responsable l'obligation de savoir », même si, « dans le Nord, il est vrai que les juridictions d'instruction ont décidé qu'elles n'étaient pas en présence d'une imprudence caractérisée ».

Pour la mission, il ne saurait en effet être exclu que certaines personnes physiques, « qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter », soient reconnues responsables pénalement dès lors que le juge, au terme d'une instruction approfondie, par conséquent nécessairement longue, aura établi qu'elles ont, notamment, « commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ».

Dans cette affaire, en effet, il paraît clair à la mission que certaines personnes physiques ont commis une faute caractérisée et qu'elles n'ignoraient pas les dangers de l'amiante.

La loi du 10 juillet 2000, afin d'empêcher la condamnation d'une personne n'ayant pas été en mesure d'avoir eu connaissance de l'existence d'une situation de danger, exige qu'il soit établi que la personne ne pouvait ignorer le risque auquel elle exposait autrui.

Selon la circulaire du 11 octobre 2000 précitée, « l'exigence posée par la loi sera remplie non seulement lorsqu'il apparaîtra des faits de l'espèce que la personne connaissait effectivement le risque auquel elle exposait des tiers, mais également lorsque cette personne ne sera pas en mesure de démontrer, malgré les présomptions de fait résultant des circonstances, qu'elle ignorait totalement l'existence d'un tel risque ou qu'elle avait des motifs légitimes de l'ignorer ».

De surcroît, la circulaire précise clairement que la loi du 10 juillet 2000 n'a pas pour conséquence d'écarter automatiquement la responsabilité des employeurs en matière d'accidents du travail, au contraire : « Sauf exception, il semble qu'il faille considérer qu'en matière d'accident du travail, la responsabilité de l'employeur ou des personnes bénéficiant d'une délégation de pouvoir en matière de sécurité n'est qu'indirecte, et que les dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal doivent recevoir application ». « S'agissant par ailleurs de la violation de règles de sécurité, il ne sera le plus souvent pas possible, compte tenu de la nature de ces règles, que la personne chargée de les faire respecter puisse valablement soutenir que cette violation n'exposait pas autrui à un danger d'une particulière gravité et qu'elle ne pouvait ignorer. Il en résulte que, dans la plupart des cas, la responsabilité pénale du chef d'entreprise ou de son délégué sera encourue si la faute de ce dernier a indirectement causé un accident du travail ou une maladie professionnelle ».

Bien entendu, cette appréciation s'inscrit dans le cadre des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 121-3 du code pénal 47 ( * ) .

De ce point de vue, la mission partage l'avis de M. Daniel Boguet, représentant de l'UPA, qui a rappelé que « l'artisan employeur ne dispose pas des mêmes moyens que ceux qui existent dans les grandes entreprises. Or il est soumis aux mêmes obligations de sécurité à l'égard de ses salariés », ajoutant que « la « loi Fauchon » n'a donc pas absous les chefs d'entreprise de toute responsabilité pénale en la matière. Chaque situation doit simplement faire l'objet d'un examen attentif par la juridiction pénale, qui doit apprécier, en application des nouvelles dispositions, si l'effet reproché entre dans les limites fixées par la loi ». Tout est dit !

Il n'en demeure pas moins que, même si la loi du 10 juillet 2000, pour la mission, n'empêche pas d'engager la responsabilité pénale d'un employeur dans une affaire liée à l'amiante, le traitement judiciaire de ce type d'affaires est rendu plus difficile par la modestie des moyens dont dispose la justice pour les instruire.

* 46 Dans leur manuel intitulé Le nouveau droit pénal, tome 1 Droit pénal général (éditions Economica), MM. Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec notent que les dispositions introduites par la loi du 10 juillet 2000 « devraient en pratique bénéficier aux décideurs publics, sans pour autant affaiblir la répression des infractions d'imprudence dans des domaines sensibles comme celui de la sécurité routière, ou celui du droit du travail ».

* 47 C'est d'ailleurs le sens de la circulaire du 11 octobre 2000 : « En tout état de cause, cette faute devra évidemment être appréciée in concreto conformément aux exigences résultant de la loi du 13 mai 1996 et que rappelle toujours le troisième alinéa de l'article 121-3 ».

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