B. MARDI 24 JANVIER 2006

1. Allégations de détentions secrètes dans les États membres du Conseil de l'Europe

La journée a été marquée par la présentation par M.  Dick Marty, (Suisse - Parti libéral), président de la commission des Questions juridiques et des droits de l'Homme, des résultats de ses premières investigations sur les allégations relatives aux centres secrets de détention dans les États membres du Conseil de l'Europe. A l'occasion de cette séance très suivie par les délégués et la presse, M. Marty s'est dit convaincu de l'existence de ces centres et de la réalité de « restitutions extraordinaires », ces dernières étant d'ailleurs reconnues par Mme Condoleezza Rice. M. Marty a souligné qu'aucune preuve matérielle n'était à ce jour en sa possession, mais qu'un faisceau d'indices très important, entre autres des témoignages, pouvait appuyer ses soupçons. Il a exhorté chacun des parlementaires à demander la création de commissions d'enquête au sein de son assemblée afin d'amplifier et de faciliter la manifestation de la vérité. Le débat qui a suivi a notamment porté sur la question de savoir si la lutte contre le terrorisme pouvait autoriser la violation des droits de l'Homme. Sur la base des investigations que poursuit M. Marty et des réponses à un questionnaire qu'il a envoyé aux gouvernements des États membres, il doit présenter un rapport à la session de printemps de l'Assemblée parlementaire.

M. Bernard Schreiner, (Bas-Rhin - UMP) s'est exprimé à cette occasion.

M. Bernard Schreiner, député :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, en novembre dernier, le Washington Post révélait la présence possible de prisons secrètes en Europe sur des bases américaines, destinées à interroger des prisonniers suspectés d'activités terroristes. En clair, des mini-Guantanamo sur le sol européen, à l'abri de tout regard, où la torture et les mauvais traitements pourraient passer inaperçus.

« Le combat que mène le Conseil de l'Europe pour promouvoir l'État de droit et faire respecter les Droits de l'Homme ne peut ignorer ce genre de pratique et notre Assemblée se devait de réagir pour faire toute la lumière sur ces allégations. De tels centres, si jamais ils avaient existé, violeraient à l'évidence la Convention européenne des Droits de l'Homme.

« C'est pourquoi je me félicite de l'initiative prise par la commission des Questions juridiques et des droits de l'Homme qui s'est aussitôt saisie de cette question pour faire le point. Son travail progresse, grâce, je dois le souligner, à la coopération de tous, et notamment des États membres impliqués. Depuis les événements de septembre 2001, les autorités américaines incarcèrent à Guantanamo toute personne suspectée d'activité terroriste, au mépris de toutes les règles du droit international.

« Ni prisonniers civils, ni prisonniers de guerre, ces détenus, qualifiés de combattants ennemis, relèvent d'un statut discrétionnaire créé sur mesure par les autorités américaines. C'est ce système qui aurait été mis en place en Europe. Il est d'ailleurs particulièrement significatif que ces prisonniers aient été envoyés sur des bases militaires situées en dehors du territoire américain. Face à ces entorses à l'État de droit, la justice américaine s'est elle-même émue.

« En juin 2004, la Cour suprême, dans un jugement, a rappelé que «l'état de guerre n'est pas un chèque en blanc pour le président lorsqu'il est question des droits des citoyens de la nation». De plus, elle reconnaît aux prisonniers, mêmes étrangers, le droit de faire une demande d'habeas corpus, afin de contester leur détention.

« Les États-Unis, signataires de conventions internationales, ne peuvent renier leur propre signature. Les pays européens, confrontés depuis des décennies au terrorisme, respectent les droits fondamentaux des auteurs d'attentat et leur accordent des procès équitables, même s'ils relèvent parfois de législations spécifiques. Ne pas respecter, les règles juridiques, revient à faire le jeu des terroristes qui cherchent à nous faire renier nos valeurs démocratiques et le respect de l'État de droit.

« Le meilleur moyen de défendre les valeurs de la démocratie et des droits de l'homme n'est-il pas de montrer l'exemple et, en tout premier lieu, d'appliquer les principes du droit humanitaire régi par les conventions internationales, même aux pires combattants terroristes ? C'est pourquoi je souhaite que le rapporteur, Dick Marty, puisse mener à bien ses travaux et fasse toute la lumière sur ces allégations. »

2. Contribution de l'Europe pour améliorer la gestion de l'eau

Ensuite, l'Assemblée a débattu d'un rapport portant sur une meilleure gestion de l'eau. Ce rapport, préparatoire au Sommet de Mexico qui se tiendra en mars 2006, rappelle la nécessité du partage de cette ressource naturelle dont 1,5 milliard de personnes sont privées dans le monde. L'Assemblée a préconisé une gestion équilibrée et décentralisée de l'eau, le développement des réseaux de distribution, l'attention constante qu'il faut porter à sa qualité et les nécessaires économies qu'il convient de mettre en oeuvre pour rationaliser la consommation des pays développés.

MM. Jean-Marie Bockel (Soc - Haut-Rhin), Jean-Marie Geveaux (UMP - Sarthe) et Gilbert Meyer (UMP- Haut-Rhin) se sont exprimés au cours de ce débat.

M. Jean-Marie Bockel, sénateur :

« De la res nullius des Romains dans l'Antiquité, par ailleurs pionniers de l'hydraulique, au bien collectif par excellence qu'est l'eau aujourd'hui, que de chemin parcouru ! Et c'est à un débat tout à fait judicieux que nous convie notre rapporteur. La réflexion des responsables politiques sur ce bien rare qu'est devenue l'eau peut nous amener à l'envisager sous ses différents aspects, quantitatif et qualitatif. Cette gestion implique évidemment les autorités locales, mais aussi les gouvernements et les structures internationales. Nous devons prendre en compte les besoins immédiats de nos concitoyens mais considérer également que des investissements d'approvisionnement en eau se font à très long terme. Dans ma propre ville, Mulhouse, nous bénéficions aujourd'hui d'investissements qui furent faits il y a cent vingt ans pour avoir une eau pure et non traitée, mais coûteuse.

« Nous devons aussi, et c'est un sujet en débat aujourd'hui, concilier ce caractère de bien essentiel, de service public de base, de monopole, pourrait-on dire, que constitue l'eau, et le choix de son mode de gestion - choix de la gestion déléguée à des entreprises privées, choix de la régie... Je pense qu'en la matière, le seul dogme qui doit nous animer est la qualité du service public rendu. Il faut ensuite permettre à chaque pouvoir local d'agir de manière pragmatique. Chez moi, par exemple, l'eau reste en régie et son assainissement est délégué à une entreprise privée.

« Enfin, l'évolution de la disponibilité de cette ressource vitale est sans doute le problème le plus grave. Les courbes que vous connaissez démontrent que 6,5 milliards d'hommes se partagent inégalement une ressource qui pourrait diminuer alors que la population mondiale va augmenter. L'ONU prévoit même que quelque soixante millions d'habitants du Maghreb, de l'Afrique sahélienne pourraient chercher à émigrer vers l'Europe, chassés de leur pays plus encore qu'aujourd'hui par la désertification.

« C'est un aspect essentiel de cette réflexion, sur lequel je voudrais insister, que l'inégale répartition de cette ressource qui peut encore s'accentuer dans les années à venir et exacerber encore la concurrence pour l'accès à l'eau. Or les régions où cette concurrence va s'accentuer sont souvent déjà des zones de conflits latents ou actifs: à côté du château d'eau qu'est la Turquie, s'étend le Moyen-Orient dont les densités démographiques sont parmi les plus élevées du monde. La solidarité est donc plus qu'un devoir, une nécessité qui nous impose une coopération au niveau des grandes régions riches en eau mais aussi de savoirs, de capitaux avec la population dont la survie est liée à l'accès à cette ressource.

« Je dois représenter l'Association des grandes villes françaises, que je préside par ailleurs, lors de la Conférence de Mexico, après avoir été à Johannesburg et à Kyoto, parce que nous voulons parler et défendre cette coopération nord-sud qui, je crois, est de plus en plus efficace et orientée sur les questions de l'eau.

« Enfin, je veux insister et finir sur un aspect que le rapport laisse de côté : les menaces terroristes qui peuvent s'exercer sur l'alimentation en eau. Dans la mesure même où cette ressource est vitale, elle peut être un des vecteurs du terrorisme par empoisonnement. Nous sommes déjà alertés là-dessus sur le terrain. Il nous incombe donc, responsables politiques, en concertation avec les services spécialisés, de parer ce risque. Cela implique notamment un renforcement de l'accès au réseau d'approvisionnement en eau, un contrôle permanent de qualité et la constitution de stocks d'eau potable au cas où le risque, par malheur, se réaliserait ici ou là, et donc, une véritable démarche de solidarité entre les différents pays concernés. »

M. Jean-Marie Geveaux, député :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, source de vie, enjeu politique, l'eau est âprement convoitée dans certaines régions du globe. En Europe, les populations durant ces dernières décennies ont pris conscience de sa rareté, face à l'augmentation de son prix et à l'accroissement des pollutions.

« Selon le rapporteur, seule une gestion intégrée et décentralisée de l'eau constituerait une condition indispensable à un développement durable en Europe. Je ne peux que souscrire à cette approche. La France, dès 1964, a élaboré un cadre juridique, largement décentralisé, privilégiant les bassins pour permettre à la fois de préserver cette ressource essentielle qu'est l'eau, répondre aux besoins de tous, agriculteurs, industriels ou particuliers et limiter les pollutions.

« Le droit français repose sur quelques principes fondateurs. Inspiré du principe de la Révolution française qui veut que nul ne peut se prétendre propriétaire exclusif des cours d'eau, la loi érige l'eau comme patrimoine commun de la Nation. Elle a choisi un mode de gestion décentralisé au niveau du bassin : depuis 1992, c'est la commune qui a la charge d'approvisionner en eau ses habitants et de veiller à son assainissement.

« Je souligne que si la gestion décentralisée présente de nombreux avantages, il ne faut pas oublier de mentionner ses inconvénients. Le principal obstacle est le financement de ces infrastructures, cela a été signalé par plusieurs de nos collègues, les petites communes peuvent se trouver démunies face à cette dépense obligatoire. Par ailleurs, l'élu peut voir sa responsabilité mise en cause en cas de pollution ou de mauvaise distribution. Gestion décentralisée mais aussi gestion intégrée et nécessité de développer une meilleure coopération en Europe : tel est le second thème soutenu par le rapporteur.

« Il paraît évident que, pour une meilleure répartition des ressources et une lutte efficace contre les pollutions, les pays dont les fleuves sont frontaliers doivent travailler ensemble. La France coopère activement avec ses voisins. En Alsace, où nous sommes, il existe un programme qui regroupe la France, l'Allemagne et la Suisse pour gérer au mieux la nappe phréatique rhénane. Le Rhin, fortement pollué, fait l'objet d'un programme particulier, «Rhin 2020», auquel participe la France qui cherche à améliorer la qualité de l'eau du fleuve et à éviter les inondations.

« Pour conclure, je m'interroge sur la suggestion du rapporteur d'instaurer un droit à l'eau, qui participerait du droit à la santé en tant que droit de l'homme fondamental. Il est indéniable que l'eau constitue un minimum vital pour les plus démunis. Cependant, l'eau est-elle un droit ou un besoin économique ? Une solution intermédiaire pourrait résider dans une tarification qui favoriserait l'accès à l'eau aux plus démunis, tout en respectant l'équilibre financier du secteur.

« C'est pourquoi les actions internationales, menées pour sensibiliser à ce sujet et aider les pays en voie de développement, sont cruciales. Le Conseil de l'Europe doit soutenir au 4ème Forum mondial de l'eau une approche intégrée et décentralisée. Je crois qu'il faut s'appuyer sur cette thèse. J'espère que le Conseil de l'Europe sera présent et très efficace dans ce forum. »

M. Gilbert Meyer, député :

« Les chefs d'État ont pris un engagement : celui de réduire de moitié d'ici à 2015 la proportion de personnes qui n'ont pas accès à l'eau potable ou qui n'ont pas les moyens de s'en procurer. L'Assemblée générale des Nations Unies a par ailleurs proclamé la période 2005-2015, décennie internationale d'action sur le thème «l'eau, source de vie». L'objectif est d'aider à réaliser les engagements internationaux pris dans le domaine des ressources en eau. Engagement ainsi de faire de la décennie, une décennie d'action.

« La réalisation de ces objectifs nécessitera un engagement, une coopération et un investissement soutenus de la part de tous, jusqu'en 2015 et au-delà. Ces objectifs ne peuvent être atteints que si chacun prend conscience du rôle essentiel que joue l'eau dans le développement durable. Les chiffres actuels diffusés par l'OMS révèlent des contrastes saisissants entre pays riches et pays pauvres. Contrastes aussi entre populations rurales et populations urbaines dans les pays les plus pauvres. Le rapport de l'OMS pointe aussi les changements que de simples améliorations dans les services de distribution d'eau et d'assainissement peuvent apporter aux conditions de vie et à la santé des populations concernées.

« Le quatrième Forum mondial de l'eau qui se tiendra à Mexico en 2006, va provoquer une prise de conscience pour encourager les parties prenantes à débattre des problèmes de l'eau à l'échelle mondiale. Cette manifestation internationale entend influencer la prise de décision pour améliorer les conditions de vie des populations du monde entier. Elle tend aussi à favoriser une utilisation et une gestion plus responsable des ressources en eau dans une logique de développement durable.

« Parallèlement, le deuxième Forum organisé par le Fonds des Nations Unies pour l'enfance soulignera la collaboration nécessaire entre les générations pour renforcer le dialogue entre les décideurs et les enfants du monde entier. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe se doit d'assurer une présence forte au Forum mondial de l'eau de 2006 à Mexico. La Commission de l'Environnement, de l'agriculture et des questions territoriales a déjà eu l'occasion d'approfondir sa réflexion sur les problèmes de gestion de l'eau. Le colloque sur «la gestion des bassins de lacs et de rivières transfrontaliers» tenu en 2003, en est l'exemple.

« Ce colloque avait reconnu clairement que l'Assemblée parlementaire a un rôle à jouer pour favoriser le débat entre les acteurs politiques de tous les pays concernés. Ces travaux avaient également permis d'établir que la mise en oeuvre d'une coopération transfrontalière pour la gestion des ressources est un élément clé du développement durable et de stabilité pour toute l'Europe. La sauvegarde de ces ressources vitales, qu'il s'agisse des eaux de surface ou des eaux souterraines, exige coopération et coordination. C'est la raison pour laquelle j'apporte mon soutien aux conclusions du rapport de M me Papadimitriou. »

À l'issue de ce débat l'Assemblée a adopté une recommandation (n° 1731).

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