III. LES NITRATES EN BRETAGNE : UN PROBLÈME D'APPLICATION QUI RISQUE DE COÛTER CHER

Le litige relatif à la pollution des eaux par le nitrate en Bretagne porte sur l'application de la directive 75/440/CEE du 16 juin 1975 sur la qualité des eaux superficielles destinées à la production d'eau alimentaire. L'article 10 de cette directive, notifiée le 18 juin 1975, disposait que les Etats membres devaient mettre en vigueur, dans un délai de deux ans à compter de sa notification , les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour s'y conformer.

A. LA PROCÉDURE AYANT CONDUIT AU PREMIER ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE

A la suite de plusieurs plaintes concernant la teneur en nitrates des eaux superficielles destinées à la production d'eau alimentaire en Bretagne, la Commission a adressé au gouvernement français, le 1 er avril 1992 , une demande d'information , à laquelle celui-ci a répondu le 11 mai 1993.

Considérant que cette réponse n'était pas satisfaisante, la Commission a envoyé, le 30 novembre 1993, une lettre de mise en demeure. La Commission y indiquait qu'elle considérait que la France avait manqué aux obligations découlant de la directive précitée, et plus particulièrement de son article 4.

Les dispositions de l'article 4 de la directive 78/440/CEE

«1. Les Etats membres prennent les dispositions nécessaires pour que les eaux superficielles soient conformes aux valeurs fixées en vertu de l'article 3. Ce faisant, chaque Etat membre applique également la présente directive aux eaux nationales et à celles qui franchissent les frontières.

« 2. Dans le cadre des objectifs de la présente directive, les Etats membres prennent les dispositions nécessaires pour assurer une amélioration continue de l'environnement. À cette fin, ils définissent un plan d'action organique comprenant un calendrier pour l'assainissement des eaux superficielles, notamment de celles de la catégorie A3. Des améliorations substantielles doivent être réalisées à cet égard au cours des dix prochaines années dans le cadre des programmes nationaux.

« Pour la fixation du calendrier visé au premier alinéa, il sera tenu compte, d'une part, de la nécessité d'améliorer la qualité de l'environnement, et notamment des eaux, et, d'autre part, des contraintes d'ordre économique et technique qui existent ou qui peuvent intervenir dans les différentes régions de la Communauté.

« La Commission procédera à un examen approfondi des plans d'action visés au premier alinéa, y compris les calendriers, et, le cas échéant, elle présentera au Conseil, à leur sujet, des propositions appropriées.

« 3. Les eaux superficielles qui ont des caractéristiques physiques, chimiques et microbiologiques inférieures aux valeurs limites impératives correspondant au traitement type A3 ne peuvent être utilisées pour la production d'eau alimentaire. Toutefois, une eau d'une telle qualité inférieure peut être exceptionnellement utilisée s'il est employé un traitement approprié -y compris le mélange- permettant de ramener toutes les caractéristiques de qualité de l'eau à un niveau conforme aux normes de qualité de l'eau alimentaire. Les justifications d'une telle exception, fondée sur un plan de gestion des ressources en eau à l'intérieur de la zone intéressée, doivent être notifiées dans les délais les plus brefs à la Commission en ce qui concerne les installations existantes et au préalable en cas de nouvelles installations. La Commission procédera à un examen approfondi de ces justifications et, le cas échéant, elle présentera au Conseil, à leur sujet, des propositions appropriées ».

Les autorités françaises ont répondu à la lettre de mise en demeure de la Commission par trois lettres, en date des 1 er février 1994, 28 novembre 1994 et 1 er mars 1995.

Le 28 octobre 1997 , la Commission a adressé à la République française un avis motivé dont les griefs reprenaient ceux avancés dans la lettre de mise en demeure. Le délai pour se conformer à la directive avait été fixé par la Commission à deux mois à compter de la notification de l'avis motivé. La France y porta réponse par deux lettres en date des 2 janvier et 18 juin 1998.

N'étant pas convaincue par ces réponses, la Commission a formé un recours devant la Cour de justice le 16 juillet 1999 .

Dans un arrêt en date du 8 mars 2001 17 ( * ) , la Cour de justice a condamné la France pour trois griefs :

- l'état de la qualité des eaux brutes en Bretagne, la teneur en nitrates des eaux superficielles destinées à la production d'eau alimentaire de certains bassins bretons excédant la limite de 50 mg/l fixée par la directive;

- le manque de cohérence des actions du plan d'action organique breton pour protéger et restaurer la qualité de l'eau ;

- l'absence de notification des plans de gestion des eaux.

B. L'ETAT DU DOSSIER

Les échanges entre la Commission européenne et les autorités françaises ont alors repris leur cours (cf. tableau détaillé figurant à l'annexe n° 2) :

- demande d'information datée du 23 mai 2001 ;

- lettre de mise en demeure datée du 21 décembre 2001 , à laquelle il fut répondu le 17 avril 2002 ;

- avis motivé adressé le 3 avril 2003 , suivi de plusieurs réunions, ainsi que d'un déplacement des services de la direction générale de l'environnement de la Commission européenne en Bretagne le 22 février 2005, à la suite duquel fut envoyé un avis motivé complémentaire le 18 juillet 2005 .

A l'issue de ces échanges, la France répond aux deux derniers griefs ayant conduit à sa condamnation : elle a ainsi remédié au manque de cohérence des actions du plan d'action organique breton pour protéger et restaurer la qualité de l'eau et à l'absence de notification des plans de gestion pour les prises d'eau en dépassement.

S'agissant du premier grief, à savoir l'état de la qualité des eaux brutes en Bretagne, la France a annoncé trois séries de mesures:

- l'accélération des actions prévues dans les plans de gestion et le renforcement des contrôles sur les quinze bassins versants ne répondant pas aux critères définis par la directive. L'objectif affiché par le ministère de l'écologie et du développement durable est de contrôler, d'ici la fin de l'année 2006, 20 % des exploitations concernées. Il précise que les contrôles seront plus fréquents et de meilleure qualité pour les sept prises d'eau en non-conformité chronique, la cible s'élevant alors à 50 % des exploitations. Il souligne également la nécessité d'améliorer l'articulation des polices de l'eau et des installations classées et d'obtenir davantage de suites judiciaires aux infractions constatées ;

- la mise en place obligatoire de bandes enherbées le long des cours d'eau ;

- des mesures complémentaires faisant l'objet de seules incitations (réduction des apports d'azote minéral dans les cultures maraîchères, mise en place d'un système plus herbager dans les élevages bovins et développement de compostage de fumiers de bovins dans les exploitations concernées).

Les notes obtenues recueillies auprès du ministère de l'écologie et du développement durable précisent que « la réussite du dispositif, et notamment la réalisation et la coordination des contrôles, nécessite l'attribution de moyens supplémentaires. Elle requiert de mobiliser davantage l'ensemble des parties prenantes, comme le monde agricole et les collectivités locales, et d'accélérer la mise en oeuvre des actions décidées. D'autre part, compte tenu de l'insatisfaction de la Commission quant aux efforts annoncés, il ne faut pas se limiter à l'obligation de mettre en place des bandes enherbées à compter de septembre 2006 mais anticiper ce dispositif par des mesures agro-environnementales. Il faut également faire porter nos efforts sur les 3 mesures incitatives annoncées ».

Votre rapporteur spécial, qui a pu constater les dispositions d'esprit de la Commission, ne saurait trop inciter le ministère de l'écologie et du développement durable - et plus généralement le gouvernement, ce dossier piloté par le ministère de la santé et des solidarités appelant l'intervention d'autres ministères - à prendre rapidement les mesures qui s'imposent : outre une éventuelle condamnation à payer une somme forfaitaire, le milieu mettant un certain temps à réagir, une astreinte éventuelle pourrait coûter fort cher à la France...

* 17 Affaire C-266/99, conclusions de l'avocat général, Mme Stix-Hackl, présentées le 14 décembre 2000.

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