PREMIÈRE PARTIE - LE CYCLE DE DOHA : CHRONIQUE D'UN ÉCHEC ANNONCÉ ?

Loin de constituer, comme avaient pu l'espérer certains observateurs, un choc salvateur susceptible de relancer une dynamique fructueuse pour l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'échec imprévu de la Conférence ministérielle de Cancún en septembre 2003 (3 ( * )) a eu de durables conséquences dépressives sur le déroulement des négociations commerciales .

I. LE CONTEXTE PRÉCÉDANT HONG KONG

Le processus du Cycle de Doha en a été considérablement ralenti puisque, devant initialement être conclu en 2005 , date du dixième anniversaire de la création de l'OMC (4 ( * )), l'accord final a été repoussé d'au moins une année . En outre, le contenu même du paquet des négociations a vu son périmètre se réduire afin de diminuer le nombre des sujets sur lesquels les désaccords étaient tels, ou les discussions si peu avancées, qu'ils risquaient de faire échouer l'ensemble de la négociation. Enfin, Cancún a fait figure de repoussoir pour tous les acteurs , qu'il s'agisse de la direction générale de l'OMC pour ce qui concerne la préparation et l'organisation des débats, ou des négociateurs eux-mêmes, dont aucun n'est disposé à prendre le risque de se voir accusé d'avoir conduit à un échec définitif.

Dès lors, les deux années s'étant déroulées entre les Conférences ministérielles de Cancún et de Hong Kong ont été consacrées à une redéfinition des enjeux, des priorités et des alliances dans l'objectif de parvenir à ce que le sommet de décembre 2005 constitue une étape positive pour l'achèvement du Cycle de Doha.

A. REBONDIR APRÈS CANCÚN

Les causes de l'échec de la Conférence de Cancún sont connues : au-delà du prétexte qu'ont constitué la question du coton d'une part, et l'ouverture de négociations sur les sujets de Singapour (5 ( * )) d'autre part, ce sont bien la préparation et l'organisation mêmes de la réunion qui ont conduit à son résultat. Ainsi, plusieurs des dossiers avaient été insuffisamment travaillés par les groupes préparatoires et sont arrivés à la négociation sans réelles perspectives de conclusion. Par ailleurs, divers acteurs ne semblaient pas préoccupés de parvenir à un consensus et leur investissement limité dans les débats a sans doute fermé des pistes de rapprochements. De plus, les négociations ont été parasitées par les interventions d'ONG puissantes (telles qu'Oxfam International, Attac, Ideas ou Public Citizen) et décidées, pour certaines, à confirmer leur pouvoir acquis à Seattle en 1999. Enfin, la direction générale de l'OMC comme la présidence mexicaine de la Conférence ont commis des erreurs tactiques (en particulier sur la fixation de l'ordre du jour et le caractère tardif des négociations menées en « green room ») s'étant avérées fatales. La combinaison de ces différents éléments rendait dès lors peu vraisemblable la possibilité de faire de Cancún, comme cela était pourtant prévu, une étape décisive ouvrant sur la phase finale du Cycle de Doha.

Les trois principales conséquences de cet échec ont porté sur le nouvel équilibre des rapports de forces entre les différents acteurs , sur la réduction du champ de la négociation faisant l'objet du Cycle du développement et sur les moyens de conférer à l'Organisation un rôle plus actif dans la recherche d'un accord .

1. Un nouvel équilibre

S'inscrivant dans la logique des négociations menées dans le cadre du GATT, l'organisation des débats au sein de l'OMC a tout d'abord été structurée autour de la « quadripartite » , c'est-à-dire le Canada, les Etats-Unis d'Amérique, le Japon et l'Union européenne. La « Quad » animait les négociations préparatoires aux Conférences ministérielles et disposait de ce fait d'une forte capacité d'influence sur leurs résultats .

Cette prédominance objective traduisait l'état des rapports de force économiques mondiaux. Contrairement à ce qu'affirment nombre de contempteurs de l'OMC, elle n'était pas contradictoire avec la règle fondatrice de l'Organisation , à savoir que tous ses membres sont égaux entre eux , chacun disposant d'une voix , ni avec son fonctionnement traditionnel voulant que toutes les décisions sont adoptées par consensus : il n'est en effet pas anormal que, pour réussir une conférence réunissant de 130 à 150 acteurs, un petit nombre d'entre eux soit chargé de la préparer. La difficulté venait plus du fait que, face à ces quatre acteurs, qui disposaient des moyens et des compétences les plus élevés, les autres Etats membres apparaissaient pour le moins désorganisés. C'est précisément ce constat qui les a progressivement conduits à se regrouper selon les intérêts principaux qu'ils cherchent à défendre ou promouvoir . En outre, ces alliances ont également eu pour objet d'établir un débat plus équilibré au regard du poids économique des deux « super-grands » de la négociation , les Etats-Unis et l'Union européenne, permettant ainsi au Canada et au Japon de ne pas rester isolés.

a) La structuration des alliances au sein de groupes de négociation

La premières de ces alliances s'est organisée très tôt, dès 1986 : les quinze pays du Groupe de Cairns , emmenés par l'Australie, le Brésil et le Canada, sont exportateurs nets de produits agricoles et réclament la libéralisation maximale des marchés agricoles , associée à la limitation des exceptions . Très offensif dans les négociations, ce groupe, aujourd'hui composé de dix-huit membres , a su nouer des alliances avec d'autres ensembles d'Etats pour forcer l'UE et les Etats-Unis à consentir des concessions dans les discussions du paquet agricole. Dans le courant des années 90 s'est ensuite constitué, par une sorte d'effet-miroir, un groupe ayant des intérêts exactement opposés à ceux du précédent : le G10 , qui regroupe des Etats, pour la plupart développés comme le Japon, la Suisse, Israël et la Norvège, étant importateurs nets de produits agricoles et ayant une forte exigence de protection de leur secteur agricole domestique pour des raisons d' aménagement du territoire et de sécurité alimentaire .

Au-delà de ces deux ensembles, d'autres rapprochements se sont opérés, suivant des structurations relevant d'autres champs des négociations internationales : ainsi, des 79 pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP), réunis par leurs mêmes intérêts de négociations avec l'UE dans le cadre des Accords de Lomé (aujourd'hui dits de Cotonou), ou des 50 pays les moins avancés (PMA), reconnus officiellement comme tels par les organes relevant de l'Organisation des Nations-Unies (ONU) tels que le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale.

Mais la réunion de Cancún a été une étape décisive pour définir des regroupements structurés et stables , destinés à faciliter le déroulement des négociations en obligeant les Etats membres à fixer des priorités dans la défense de leurs intérêts et à s'allier en fonction de celles-ci. Certes, comme le démontre du reste le schéma de la page suivante, la situation n'est pas totalement limpide, de nombreux Etats pouvant relever de plusieurs groupes distincts ayant, sur certains dossiers, des positions différentes voire opposées . Toutefois, depuis Cancún, il est clair que plus aucun pays ne peut espérer avoir une quelconque influence dans la négociation s'il ne relève d'aucun groupe, comme c'est encore le cas pour plus d'une vingtaine d'Etats.

Arabie saoudite Hong-Kong

Albanie Jordanie

Arménie Koweït

Bahreïn Macao

Brunéi Darussalam Macédoine

Croatie Moldavie

El Salvador Oman

Emirats arabes unis Qatar

Equateur Roumanie

Géorgie Singapour

République kirghize

Tonga (Membre admis fin 2005)

Groupe
de Cairns

Australie (*) Guatemala

Canada Malaisie

Colombie Nouvelle-Zélande

Costa Rica Uruguay

LES 150 MEMBRES DE L'OMC

G90

Afrique du Sud

Argentine Chili

Bolivie Paraguay

Brésil (*) Thaïlande

Antigua et Barbuda Kenya

La Barbade Madagascar

Bélize Mozambique

Bénin Ouganda

Botswana République Dominicaine

Congo Sainte-Lucie

Côte d'Ivoire Saint Kitts-et-Nevis

Grenade St Vincent-et-les-Grenadines

Guyana Sénégal

Haïti Suriname

Jamaïque Trinité-et-Tobago

Zambie

Indonésie

Philippines

Honduras

Mongolie

Nicaragua

Panama

Pérou

Sri Lanka

Turquie

G33

Cuba

Egypte

Fidji

Nigeria

Tanzanie

Zimbabwe

Chine

Inde (*)

Pakistan

Venezuela

Corée

Mexique

Bulgarie

Islande

Israël

Japon

Lichtenstein

Norvège

Suisse

Taïpei chinois

Angola Ghana Myanmar

Bengladesh Guinée Namibie

Burkina Faso Guinée-Bissau Népal

Burundi Îles Salomon Niger

Cambodge Lesotho Papouasie-Nlle-Guinée

Cameroun Malawi Rwanda

République Centrafricaine Sierra Leone

République démocratique du Congo

Djibouti Mali Swaziland

Dominique Maldives Tchad

Gabon Maroc Togo

Gambie Mauritanie Tunisie

G20

Maurice

Communautés européennes (*)

(en outre, chaque Etat membre de l'Union est également Membre à part entière de l'OMC)

Etats-Unis d'Amérique (*)

G10

(*) FIPS - Five Interested Parties (les cinq parties intéressées)

En souligné : les membres du G6

Les trois groupes qui ont émergé de la conférence de Cancún sont :

- le G90 , vaste coalition réunissant les PMA , les pays ACP et les pays de l'Union Africaine , certains Etats relevant naturellement de deux de ces sous-ensembles, voire des trois ; ce groupe , aujourd'hui constitué de soixante-cinq pays , est essentiellement préoccupé par l' érosion du système dit « des préférences » résultant de la libéralisation des relations commerciales : alors que celles qu'entretiennent la plupart des membres du groupe avec les marchés riches de l'UE, des Etats-Unis, du Canada, du Japon, etc. sont aujourd'hui caractérisées par des systèmes de préférences généralisées (SPG) réduisant de manière parfois significative le nombre des lignes tarifaires de produits exportés par ces pays en développement (PED) vers les pays riches soumises à des droits de douane ou à des quotas (6 ( * )), la baisse des droits au niveau multilatéral diminuerait d'autant l'avantage comparatif dont ils bénéficient à l'égard d'autres exportateurs , qu'elle porte sur les biens agricoles (Brésil et autres membres du Groupe de Cairns) ou sur les biens industriels (on pense immédiatement à la Chine) (7 ( * )) ;

- le G20 , littéralement né à Cancún dans la mesure où c'est à cette Conférence qu'il s'est imposé comme un partenaire majeur des négociations , avec le Brésil pour chef de file ; regroupant à l'heure actuelle dix-neuf PED exportateurs agricoles , le G20 réclame la libéralisation des marchés agricoles , par la suppression des droits de douane et des quotas (ou contingents), accompagnée d'un système de traitement spécial et différencié (TSD) accordant aux PED des délais plus longs de mise en oeuvre de leurs obligations, réduisant le nombre et la portée de celles-ci, prévoyant des exceptions et leur ouvrant des programmes d'assistance technique pour les aider à se conformer à leurs engagements ;

- enfin, le G33 , groupe intermédiaire qui compte désormais quarante-deux pays faisant de la protection de leur marché intérieur une priorité de leur action ; très hétérogène, il réunit des Etats qui relèvent presque tous d'une autre coalition : le G90 pour la majorité d'entre eux, mais aussi le G20 pour les plus importants (Inde, Chine, Indonésie, Vénézuéla, Pakistan), voire le G10 (Corée) ou le Groupe de Cairns (Afrique du Sud, Philippines) ; emmené par l' Inde , il est parfois en proie à des difficultés internes qui le contraignent à un certain retrait tant, sur certains dossiers, les positions de ses membres peuvent être opposées (exemple des exceptions portant sur le riz, l'Afrique du Sud les récusant quand la Corée les exige).

b) La préparation des réunions par le groupe restreint

Outre l'émergence et la structuration de ces trois coalitions, la Conférence de Cancún a eu pour second et très important effet la reconnaissance que la préparation des réunions interministérielles ne saurait être seulement animée par la Quad , laquelle ne représentait plus de manière satisfaisante la réalité des forces économiques et politiques en présence. Certes, la seule prise en compte quantitative des flux commerciaux internationaux confère encore aux quatre pays et ensemble concernés une prépondérance incontestable (8 ( * )) : mais dans une enceinte comme l'OMC, dont l'objet même est de réguler de manière équitable et équilibrée les contradictions d'un monde multipolaire, il devenait patent que ce mode de fonctionnement était devenu dépassé.

C'est ainsi que, pour faciliter en amont les négociations, à la Quad a d'abord succédé le FIPS ( Five intersted parties ), censé mieux représenter les grands intérêts en présence : aux côtés de l' Union européenne et des Etats-Unis participaient donc aux réunions préparatoires l' Australie , au titre du Groupe de Cairns , le Brésil , au nom du G20 , et l' Inde , en tant que représentant du G33 . On relèvera toutefois que cette restructuration, pour être plus respectueuse, n'était cependant pas totalement satisfaisante puisque deux des sept grands ensembles prenant part aux négociations n'étaient pas représentés : le G10 et le G90 . C'est pour lever une partie de cette difficulté que le Japon a été de nouveau invité à participer aux réunions du groupe, désormais qualifié de G6 .

Quant à la représentation du G90 , elle demeure délicate à réaliser pour deux raisons essentielles : d'une part, il est encore plus difficile pour ce groupe que pour les autres de distinguer clairement en son sein un pays susceptible de fédérer de manière non contestable les intérêts parfois divergents de ses nombreux membres , dont beaucoup relèvent du reste d'autres coalitions ; d'autre part, aucun des Etats concernés ne semble suffisamment riche et doté des moyens humains et logistiques lui permettant d'assumer la lourde tâche d'être présent dans toutes les enceintes où se déroulent les négociations. Dans les faits, le Brésil et l' Inde , bien que ne faisant pas partie du G90, ont indiqué être en mesure de parler en son nom lors des réunions du G6 : mais beaucoup des Etats concernés contestent cette affirmation, notamment pour ce qui concerne le dossier agricole .

2. La réduction du champ de la négociation

La deuxième conséquence de l'échec de Cancún a été de contraindre l'Union européenne à renoncer à faire examiner dans le cadre du Cycle de Doha un certain nombre de thèmes pourtant essentiels , selon elle, au développement des relations commerciales.

a) Un contenu initialement ambitieux...

La Conférence ministérielle réunie au Qatar du 9 au 13 novembre 2001 avait permis, dans le contexte très particulier de « l'après-11 septembre » propice au consensus, de définir un agenda très ambitieux de vingt-et-un sujets qualifié de « Programme de Doha pour le développement » et censé satisfaire l'ensemble des parties prenantes (9 ( * )).

Si tous les sujets, notamment les quatre qui constituent le coeur de la négociation commerciale (10 ( * )), devaient être abordés dans une optique faisant une place particulière à la problématique du développement des pays les moins riches , certains thèmes étaient spécifiquement destinés à susciter l'adhésion des PED : le TSD (traitement spécial et différencié), la « mise en oeuvre » ( i.e. adaptations particulières à prévoir en faveur des PED pour accompagner leur participation au système commercial multilatéral), l'assistance technique, l'accès aux médicaments dans le cadre de l' Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), les PMA, les produits de base, les petites économies vulnérables (PEV), les transferts de technologie, la dette et les finances...

S'agissant des pays développés , ils obtenaient la prise en compte, essentielle pour eux compte tenu de la structuration de leurs économies et, par conséquent, de leurs intérêts offensifs, des quatre sujets dits « de Singapour » . Avancés lors de la première Conférence ministérielle de l'OMC, organisée à Singapour du 9 au 13 décembre 1996, ces thèmes concernaient l'ouverture aux investissements étrangers, la politique de la concurrence (transparence, non-discrimination et équité des procédures), la transparence des marchés publics et la facilitation des échanges ( i.e. réduction, simplification et accélération des diverses procédures douanières). Ils avaient ainsi vocation à couvrir de manière horizontale les secteurs économiques faisant par ailleurs l'objet des négociations , ce complément étant susceptible de donner aux échanges internationaux une vigueur supplémentaire.

Enfin, outre l' ouverture de nouveaux sujets (tels que la protection des indications géographiques à travers l'ADPIC, les questions environnementales ou encore l'amélioration des dispositions encadrant le recours aux mesures anti-dumping et anti-subventions), l'Union européenne parvenait à faire admettre un principe lui paraissant absolument essentiel : celui de la globalité des négociations et des accords ( notion « d'engagement unique » ). Placée en situation « défensive » sur le volet agricole, l'UE estimait en effet que la reprise des négociations sur les secteurs de l'agriculture et des services, prévue à compter de 2000 par les accords de Marrakech signés le 15 avril 1994, risquait d'être difficile si elle était limitée à ces deux seuls sujets. C'est pourquoi elle défendait un concept de « cycle large » associé à l'exigence d'un accord global qui, du reste, permettait davantage de répondre aux multiples attentes des PED et de s'attaquer aux nombreux obstacles contraignant le développement des relations commerciales internationales. Elle avait d'ailleurs oeuvré dès 1999, lors de la préparation de la Conférence de Seattle, au lancement du « Cycle du Millénaire », malgré les réticences des Etats-Unis et de grands pays émergents alors résolus à restreindre le champ des négociations.

b) ... progressivement réduit de jure comme de facto

Pour favoriser la reprise du Cycle de Doha après l'échec de Cancún, il a été nécessaire de procéder à un réexamen de ses objectifs qui donne plus largement satisfaction aux demandes des PED. Ceux-ci avaient en effet considéré à Cancún que les préoccupations en faveur du développement se dissolvaient dans l'agenda trop chargé du Cycle . Votre rapporteur estime cependant nécessaire de préciser que l'unanimité de façade de l'ensemble des PED sur ce constat était largement tactique, certains membres de l'OCDE comme nombre de grands pays émergents se cachant derrière les PMA pour mettre sous pression l'Union européenne.

Reste que, pour ne pas être accusée de la responsabilité d'un échec définitif du Cycle, l'UE a accepté, lors de la réunion du Conseil général (11 ( * )) de l'OMC tenue à Genève en juillet 2004 , d' abandonner le concept de « cycle large » et de recentrer la négociation sur un nombre limité de sujets . Les concessions européennes ont ainsi concerné trois des quatre sujets de Singapour (investissements, transparence des marchés publics et concurrence).

Toujours dans l'espoir de débloquer le processus, le commissaire européen au commerce s'est en outre engagé, au cours de la même réunion, sur le principe de l'élimination des subventions communautaires aux exportations agricoles , sous réserve d'un parallélisme des efforts de la part des autres grands exportateurs agricoles sur leurs propres procédures de soutien à l'export : aide alimentaire et crédits bonifiés à l'exportation pour les Etats-Unis, monopoles commerciaux pour l'Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande.

Force est de constater que ce qui a été qualifié de « cadre de juillet » (12 ( * )) a ainsi concentré la négociation sur quatre sujets essentiels seulement : l' agriculture , les biens industriels (volet habituellement appelé NAMA , pour « non agricultural market access » ), les services (également désigné sous l'acronyme AGCS, pour « Accord général sur le commerce des services » ) et l' aide au développement .

Et parmi ces quatre thèmes, le volet agricole est devenu l'abcès de fixation des débats en raison de l'intérêt objectif des principaux acteurs (Etats-Unis, Groupe de Cairns, certains PED sur des secteurs particuliers), y compris les ONG, à placer l'Union européenne en position d'accusée . Cette focalisation tactique a très sérieusement appauvri , au-delà des termes du « cadre de juillet », le champ réel des négociations dès lors qu'un certain nombre d'Etats membres refusent d'avancer sur d'autres sujets de l'ordre du jour tant qu'ils estiment n'avoir pas obtenu satisfaction sur celui-ci.

De fait, elle conduit aussi, d'une certaine manière, à remettre en cause le principe de l'engagement unique , quand bien même celui-ci a formellement été confirmé à Genève en 2004.

3. Une implication plus grande de la direction générale

Le troisième effet de l'échec de Cancún se rapporte au fonctionnement de l'OMC en tant qu'organisation.

De légitimes interrogations sur les méthodes de travail d'une structure passée, en quarante ans, de 23 à quelque 145 membres, avaient conduit dès juin 2003 le directeur général de l'OMC, l'Indonésien Supachai Panitchpakdi, à charger un Conseil consultatif , présidé par l'Irlandais Peter D. Sutherland (lui-même ancien directeur général du GATT puis de l'OMC), d' analyser la situation de l'OMC en tant qu'institution , d' étudier et de clarifier les défis institutionnels auxquels le système était confronté et d' examiner de quelle manière l'OMC pourrait être renforcée afin de les relever .

Rendu au début de l'année 2005, le rapport Sutherland a été largement influencé par l'analyse des causes de l'échec de Cancún, même si le travail des huit membres du Comité consultatif a naturellement dépassé ce seul événement. Votre rapporteur analysera ultérieurement, dans la seconde partie du présent rapport, leurs conclusions et recommandations les plus pertinentes.

Il souhaite toutefois relever ici qu'un nombre significatif de celles-ci suggérait une montée en puissance du rôle et des moyens du Directeur général (DG) et du secrétariat de l'organisation , afin de favoriser leur plus grande implication dans le processus de négociation . Or, c'est bien à la lumière de ces préconisations qu'on doit apprécier la désignation du Français Pascal Lamy au poste de DG, lors de la réunion du Conseil général du 26 mai 2005 (13 ( * )).

Doté d'une très forte personnalité et d'un tempérament énergique, bénéficiant d'une notable expérience des négociations commerciales internationales, notamment dans l'enceinte de l'OMC, en tant qu'ancien commissaire européen au commerce, bon connaisseur des ONG et de la société civile, négociateur averti et fin manoeuvrier comme l'a du reste démontré sa capacité à forger sur sa candidature une alliance entre l'UE, les Etats-Unis, d'importants pays émergents et de nombreux PED sensibles à ses préoccupations en faveur du développement, Pascal Lamy a été très explicite sur la manière dont il envisageait le rôle du DG, qu'il a résolument placée dans les perspectives ouvertes par le rapport Sutherland. Dans sa déclaration faite au Conseil général le 26 janvier 2005, il a notamment estimé que le DG devait être un gestionnaire , un avocat et un courtier capable , par la confiance qu'il suscite, de faire entendre et comprendre l'OMC à l'extérieur et de faciliter les accords à l'intérieur .

L'engagement de Pascal Lamy à exercer son mandat de manière active et déterminée s'est confirmé dès avant sa prise de fonction, le 1 er septembre 2005. Convaincu que le DG et le secrétariat de l'OMC ne pouvaient être réduits à un statut de greffier, il a choisi personnellement ses quatre directeurs généraux adjoints, multiplié les contacts avec les membres du Conseil général à Genève et préparé très en amont la Conférence de Hong Kong afin d'accroître ses chances de succès. Dans son discours remarqué d'ouverture de la session ministérielle, le 13 décembre 2005, il a regretté de ne pas disposer d'une baguette magique pour garantir ce succès : pourtant, à l'issue de la Conférence, tous les observateurs sont convenus que son implication personnelle à toutes les étapes des négociations et, en particulier, en « green room », sa capacité de travail et sa force de conviction, son intime connaissance technique et politique des dossiers et sa parfaite analyse des stratégies des différents acteurs avaient fait de lui le pivot de celle-ci et, sans besoin de baguette magique, l'architecte de sa réussite.

Si ces qualités n'ont, depuis lors, pas été suffisantes pour lever les obstacles qui demeurent sur la voie d'un véritable accord, nul doute cependant qu'en cas d'achèvement positif du Cycle de Doha, elles seront, avant même l'engagement d'un nouveau cycle, mises au service d'une consolidation du nouveau rôle d'animateur conféré au secrétariat général .

* (3) Pour un rappel du Mandat de Doha et une analyse du déroulement, du résultat et des conséquences de la Conférence ministérielle de l'OMC s'étant tenue du 10 au 14 septembre 2003 à Cancún, voir le rapport d'information n° 2 (2003-2004) de MM. Jean Bizet, Michel Bécot et Daniel Soulage ( « Cancún : un nouveau départ pour l'OMC ? » ), qui peut être consulté sur le site Internet du Sénat : http://www.senat.fr/rap/r03-002/r03-002.html .

* (4) Substituée au GATT ( General Agreement on Tariffs and Trade ), accord mis en oeuvre le 1 er janvier 1948, l'OMC est née le 1 er janvier 2005 en application des accords de Marrakech, conclus à l'issue du Cycle de l'Uruguay. Contrairement à la structure précédente, l'OMC est une véritable organisation internationale dotée d'un secrétariat permanent et de moyens budgétaires (120 millions d'euros) et humains (635 salariés) qui lui sont propres. Au nombre de 130 à son origine, les Membres seront 150 avec la prochaine accession du Royaume des Tonga, admis lors de la Conférence de Hong Kong. Parmi les grands pays du monde, seule la Russie n'en fait toujours pas partie.

* (5) Investissements, concurrence, transparence des marchés publics et facilitation des échanges ( i.e. simplification des barrières douanières).

* (6) A cet égard, il convient de rappeler que l'UE est l'ensemble économique le plus accueillant du monde pour les produits agricoles et industriels en provenance de ces pays : les préférences « Cotonou » de l'UE accordées aux PMA et aux pays non PMA de l'Afrique sub-saharienne n'excluent ainsi du libre accès que respectivement 8 et 284 lignes tarifaires, quand les SPG du Canada et du Japon, par exemple, en excluent encore 2 370 pour le premier et 1 280 pour le second !

* (7) Une étude de la Banque mondiale datant de 2005 démontre qu'une diminution totale des droits de douane de l'UE induirait une perte de 460 millions de dollars (M$) par an pour les PMA africains. Le FMI considère quant à lui que la diminution de 40 % des tarifs douaniers de la Quad engendrerait une érosion des préférences de 530 M$ pour les pays à revenu intermédiaire.

* (8) En 2004, ils représentaient ainsi près de 44 % des exportations et de 51 % des importations mondiales de marchandises (exclusion faite du commerce intra-communautaire à 25).

* (9) Pour le détail de ces sujets, voir le rapport d'information n° 2 (2003-2004) précité.

* (10) AGA (les produits agricoles), NAMA ( non agricultural market access , c'est-à-dire les produits industriels et ceux de la pêche et de la sylviculture), AGCS ( i.e. les services, tels que les transports, les télécommunications, les banques et les assurances...) et ADPIC (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce).

* (11) Le Conseil général réunit à Genève, autour du Directeur général, les ambassadeurs des Etats membres auprès de l'OMC (mais les négociateurs ministériels peuvent directement y participer s'ils le souhaitent : c'est ce qui s'était d'ailleurs passé en juillet 2004, compte tenu de l'importance de la réunion). Il exerce les fonctions de la Conférence ministérielle entre ses réunions sous la forme de Comité des négociations commerciales (CNC). En outre, il peut être réuni en formation d'Organe de règlement des différents (ORD) ou en tant qu'Organe d'examen des politiques commerciales. Enfin, il dirige les travaux du Conseil du commerce et des marchandises, du Conseil des ADPIC et du Conseil du commerce et des services, chargés de superviser l'application et le fonctionnement des accords sectoriels.

* (12) Même si, formellement, l'accord-cadre a été adopté par le Conseil général le 1 er août 2004.

* (13) Les autres candidats étaient Carlos Pérez del Castillo, ancien représentant de l'Uruguay à l'OMC, ancien président du Conseil général, Jaya Krishna Cuttaree, ancien ministre, ancien représentant de Maurice à l'OMC, et Luiz Felipe de Seixas Corrêa, ancien ministre, ancien représentant du Brésil à l'OMC.

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