PREMIÈRE PARTIE : LE MODÈLE ÉNERGÉTIQUE MONDIAL : ÉTAT ET PERSPECTIVES

Une certitude s'installe progressivement : il nous sera de plus en plus difficile de continuer à fonder notre développement économique sur un modèle énergétique qui présuppose l'utilisation sans frein de sources d'énergie fossile abondantes et bon marché.

Mais on ne peut traiter des problèmes liés au modèle énergétique mondial actuel comme on l'aurait fait à l'occasion des crises pétrolières de 1973 et 1980. Car la Terre est à la fois un espace de vie et une réserve de ressources .

La menace sur cet espace de vie, déjà pressentie par Lamarck en 1820, est devenue incontournable : le changement climatique. Ce phénomène majeur, d'ampleur historique, que les scientifiques mesurent avec plus d'acuité depuis le milieu des années 1980 est d'origine fortement anthropique ; il est une des conséquences directes de nos modes d'utilisation des ressources énergétiques. Cette menace est désormais ressentie comme aiguë par la quasi-totalité des scientifiques mondiaux.

D'autant plus que l'inertie des systèmes fait que le redressement de la tendance ne peut relever que de durées très longues, ce qui doit appeler à une action aussi rapide que possible.

Mais il peut se faire aussi que la prise de conscience de la nécessité de cette action et de la mise en oeuvre de la transition énergétique soit accélérée par la confrontation d'une offre de sources d'énergies primaires qui se raréfient et d'une demande dont on voit mal les courbes de croissance s'infléchir d'ici une génération.

I. LE CHANGEMENT DU CLIMAT : UNE RÉALITÉ TRÈS INQUIÉTANTE

En parallèle à la mondialisation de l'économie de marché, une mondialisation plus discrète, celle des problématiques environnementales s'est esquissée. Ce mouvement, amorcé à l'occasion de la lutte contre les CFC, s'incarne dans la communauté scientifique internationale.

Il existe aujourd'hui, autour du groupe international d'experts sur le changement climatique (GIEC), une conscience mondiale commune des problèmes liés au changement climatique, ainsi que de leurs objets et de leurs instruments d'étude.

Les progrès accomplis par la science , en particulier dans le domaine de l'espace, des outils de mesure, de la puissance de calcul et de la modélisation ont abouti à une métrologie pratiquement en temps réel des données physiques de la biosphère qui permet d'en modéliser les évolutions.

Cette modélisation requiert une puissance de calcul croissante ce qui va poser à terme le problème de la mise en ligne à l'échelon mondial des calculateurs de plus en plus coûteux qu'elle requiert.

Elle devient, parallèlement, de plus en plus efficace car elle est corrigée régulièrement par la comparaison entre les prévisions antérieures et les observations d'évolution constatées.

En l'état, une vingtaine d'années de travaux scientifiques certains sur le changement climatique :

- autorise à établir un double constat sur les origines anthropiques du réchauffement climatique et sur le caractère incontournable du phénomène,

- soulève des interrogations sur l'évolution du système climatique de la planète,

- et permet d'en esquisser les conséquences.

A. LES CONSTATS DE BASE

En 1990, le premier rapport du GIEC était prudent, tant sur les causes que sur l'ampleur du changement climatique.

Le rapport de 1995 a marqué des progrès dans les réponses à ces deux questions.

Le dernier rapport, publié en 2001, est plus affirmatif : les retours d'information sur la mécanique du système climatique établissent sans conteste que ce réchauffement va se poursuivre d'ici 2100 et qu'il est très largement d'origine anthropique .

1. La mécanique du système climatique

Les rayons du soleil et, pour une moindre part, la radioactivité naturelle sont des facteurs d'échauffement. La radiation de la terre vers l'espace est un facteur de refroidissement. L'équilibre thermique, entre ces variables contraires, s'établirait à -18°C s'il n'y avait pas de gaz tels que la vapeur d'eau, le gaz carbonique et d'autres.

Les gaz à effet de serre (GES), dont les plus importants sont la vapeur d'eau, le gaz carbonique, le méthane et le protoxyde d'azote, absorbent une part de cette radiation de la terre vers l'espace et contribuent à réchauffer l'atmosphère.

Le pouvoir de réchauffement global (PRG) de chacun de ces gaz est défini par un indice qui combine leur efficacité énergétique à absorber les rayonnements et leur temps de résidence dans l'atmosphère

Pour un indice PRG de 1, qui est celui du gaz carbonique :

- celui du méthane est de 23,

- et celui du protoxyde d'azote est de 296.

De 1750 à 2000, les contributions de ces gaz à l'effet de serre ont été de 60 % pour le gaz carbonique et de 20 % pour le méthane.

Mais :

- le méthane s'oxyde naturellement en gaz carbonique au terme de son temps de résidence,

- et la concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère par rapport au méthane est 216 fois plus forte (368 parties par million contre 1,7 partie par million).

De ce fait, l'examen de la problématique du changement climatique s'identifie très largement à celle du cycle du carbone dans notre biosphère.

Quarante-six pour cent du gaz carbonique émis reste dans l'atmosphère, le reste est capté à part égale par la biomasse et les océans.

L'atmosphère échange le carbone avec les réservoirs naturels que sont la biomasse et les océans (les autres réservoirs naturels que sont les sédiments marins et les roches ne participent à cet échange que sur des échelles de temps géologiques).

La végétation absorbe le carbone par photosynthèse (et le restitue plus lentement par décomposition - ou plus brutalement par incendie).

Dans l'océan , outre la biomasse marine qui agit par photosynthèse, une grande partie du carbone est captée sous forme de CO 2 dissous, pour l'essentiel sous formes d'ions CO 3 .

Le réchauffement est néfaste pour l'intensité de cette absorption car les eaux froides dissolvent plus rapidement le CO 2 que l'eau plus chaude.

La situation de chacun de ces trois puits de carbone, qui sont autant de réservoirs, s'établit comme suit :

- 775 milliards de tonnes dans l'atmosphère,

- 2 190 milliards de tonnes dans la biomasse terrestre,

- 1 030 milliards de tonnes à la surface des océans,

- et 38 100 milliards de tonnes au fond des océans.

Une des caractéristiques de cette mécanique complexe qu'est le climat sur terre est qu' elle est très sensible aux variations . On estime qu'il suffit d'une émission supplémentaire de 1 % de gaz carbonique (c'est-à-dire 7,4 milliards de tonnes sur 775 milliards de tonnes présentes dans l'atmosphère) pour que les interrelations du système évoluent.

Une autre caractéristique est son inertie :

• Les gaz à effet de serre qui commandent pour partie le réchauffement ont des temps de résidence longs :

- 120 ans pour le gaz carbonique,

- 8 à 13 ans pour le méthane,

- 296 ans pour le protoxyde d'azote.

• Les océans qui ont un rôle directeur 1 ( * ) sur l'état du climat constituent une masse très inerte. Depuis 1870, la température des océans n'a varié que de 0,05° C à 0,1° C (contre 0,6° C à 0,2° C pour la température de l'air). Cette inertie thermique continuera à contribuer au réchauffement pendant au moins plusieurs générations même si l'on stabilise les émissions de CO 2 dans l'atmosphère.

D'où ce constat brut, mais incontestable , qu'a établi en 2001 le rapport du GIEC :

- d'ici 2100, la température sur terre augmentera de 1,4° C à 5,8° C (soit 2 à 9 fois plus que l'augmentation enregistrée au 20 e siècle),

- d'ici 2100, le niveau des mers s'élèvera de 10 à 90 cm ;

Relevons que ces fourchettes assez larges s'expliquent à la fois par des incertitudes relevant des rythmes d'évolution propre au système climatique et du poids de l'intervention humaine pendant le prochain siècle. A cet égard, nous verrons que la plupart des rapports sous-estiment fortement le développement économique de la zone asiatique amorcé ces dernières années.

* 1 Par exemple, on a observé sur des séries climatiques passées que des variations de circulation océanique pouvaient augmenter la température de 10° C à certains endroits de la planète.

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