II. SUJETS ÉCONOMIQUES ET BUDGÉTAIRES

A. DANGER DE L'UTILISATION DE L'APPROVISIONNEMENT ÉNERGÉTIQUE COMME INSTRUMENT DE PRESSION POLITIQUE

Un rapport portant sur l'utilisation de l'approvisionnement énergétique comme instrument de pression politique a ensuite suscité un débat contrasté. Si tous les délégués se sont accordés pour encourager l'efficience énergétique, le développement des énergies renouvelables, et même, par voie d'amendement, l'idée de reposer sans tabou la question de la relance de l'énergie nucléaire, des contrastes sont apparus. Certains délégués, dont une partie de la délégation russe, ont souhaité que le la loi du marché s'impose en Europe, et que la fixation des prix s'exerce librement, mettant fin à une fixation de prix d'amis, récompense ou sanction politique vis-à-vis d'un pays. D'autres ont plaidé pour un marché régulé et stable qui favorise le développement des pays dépourvus de ressources naturelles.

MM. André Schneider (Bas-Rhin - UMP), Denis Badré (Hauts-de-Seine - UC-UDF), Francis Grignon (Bas-Rhin - UMP) et Yves Pozzo di Borgo (Paris - UC-UDF) se sont exprimés dans ce débat.

M. André Schneider, député :

« Monsieur le président, mes chers collègues, en 1973, en pleine guerre du Kippour, un groupe d'États producteurs de pétrole, regroupé en cartel, l'OPEP, décide de quadrupler le prix du baril de pétrole. C'en était fini d'une énergie bon marché. Une récession économique s'installait dans les pays occidentaux, qui ont pris alors conscience de leur vulnérabilité.

La question de la sécurité énergétique est revenue sur le devant de la scène l'hiver dernier lors du conflit entre la Russie et l'Ukraine. La compagnie russe Gazprom annonce qu'elle fournira désormais le gaz au prix du marché et non plus à des tarifs subventionnés. Même si des considérations commerciales président à ces décisions, il est indéniable que se cachent en arrière plan des sous-entendus politiques. La fourniture d'énergie bon marché est un moyen de récompenser les amis fidèles; a contrario, les pays se détachant de la sphère d'influence russe sont rappelés à l'ordre par ce biais.

Ces derniers jours, l'Europe est de nouveau la victime indirecte du conflit énergétique qui oppose, cette fois-ci la Biélorussie à la Russie. C'est pourquoi, le débat que nous avons aujourd'hui est particulièrement important.

Par quels moyens s'exerce ce chantage à l'énergie ?

Le premier réside dans la régulation de la production et la fixation de quotas, les quantités de ressources énergétiques pouvant être modulées selon des objectifs et les acheteurs pouvant être sélectionnés.

Le deuxième moyen de pression consiste dans la fixation des prix, qui ne suivent plus la logique du marché mais, au contraire, servent à pénaliser ou à récompenser les pays acheteurs selon les intérêts du pays producteur.

Enfin, les conditions d'acheminement de l'énergie deviennent aussi un objectif stratégique. C'est tout l'enjeu des tracés des oléoducs et gazoducs en Asie centrale et dans les Balkans. C'est aussi la raison des attaques terroristes contre les super-tankers afin de fragiliser l'approvisionnement des pays occidentaux.

Dans tous les cas de figure, l'utilisation de l'énergie comme instrument de pression est dommageable pour l'économie. C'est pourquoi, comme le souligne justement le rapporteur, il convient de trouver des solutions, que ce soit pour limiter la consommation, diversifier les approvisionnements et établir de nouvelles relations avec les pays producteurs. Mais il convient aussi et peut-être surtout, pour chaque pays, de s'assurer un maximum d'indépendance énergétique.

Pour cela, tous les instruments doivent être utilisés : économies d'énergie, promotion des énergies renouvelables, développement des moyens nationaux de production d'énergie. Sur ce dernier point, il est impossible de passer sous silence l'intérêt que peut représenter l'énergie nucléaire. Quatre-vingt pour cent de l'électricité française provient de cette source d'énergie. Très controversée en raison des conséquences dramatiques en cas d'accident, ce programme, qui réduit les rejets gazeux et, à ce titre, participe à la lutte contre le changement climatique, a permis à la France de réduire sa dépendance et d'être moins vulnérable.

Néanmoins tout cela ne suffira pas si les pays consommateurs ne mettent pas en place des politiques communes. L'Agence internationale pour l'énergie a été créée en 1974 afin de faire front à l'Opep. Elle se veut un espace de dialogue entre pays consommateurs et producteurs et cherche à éviter les ruptures d'approvisionnement. L'Union européenne, fortement dépendante du gaz russe et du pétrole du Moyen-Orient, a pris conscience de la nécessité d'avoir une politique concertée. Après la publication d'un «Livre vert» en 2000, plusieurs priorités ont été définies au sommet d'Hampton Court, en octobre 2005.

Il apparaît nécessaire qu'une plus grande solidarité entre États membres puisse jouer et que l'Union puisse sécuriser ses approvisionnements par le biais de partenariats. Malheureusement, cette politique se heurte à la souveraineté des États qui veulent préserver leur indépendance dans un domaine stratégique.

Je conclurai en apportant mon soutien aux propositions du rapporteur qui plaide, notamment, pour une ratification par la Russie de la Charte sur l'énergie, et qui demande la mise en oeuvre du Protocole sur la liberté de transit. Les intérêts de tous, pays membres du Conseil de l'Europe en tant que consommateurs ou producteurs, passent par l'établissement de relations énergétiques stables et fiables. »

M. Denis Badré, sénateur :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, sur un sujet comme celui dont nous débattons aujourd'hui, quoi de plus naturel que de renouer avec l'inspiration des pères fondateurs de l'Europe ? Robert Schuman nous a en effet légué un message fondamental : « Si tu veux construire une paix durable, amène les hommes à travailler ensemble ». Et Jean Monnet a immédiatement mis en oeuvre ce principe en suggérant la mise en commun des ressources en charbon, puis de l'atome. Il s'agissait bien d'intervenir d'abord au niveau de l'énergie non plus pour construire des canons mais pour garantir la paix.

Quel usage avons-nous fait de ce principe ? Le débat en tout cas demeure à l'évidence actuel. C'est pourquoi je suis de ceux qui préconisent l'établissement d'une véritable politique commune de l'énergie pour l'Union européenne. Il était également au moins aussi essentiel que nous puissions en débattre en cette Assemblée, pour renforcer la prise de conscience de tous et pour amener chacun de nos États à une plus grande responsabilité sur un sujet crucial puisque touchant à la vie, à l'activité économique, aux échanges, puisque nous sommes aussi au coeur du débat sur le devenir de la planète.

Je voudrais donc féliciter notre collègue Marko Mihkelson, dont l'excellent rapport constitue déjà une réaction «à chaud» aux difficultés apparues dans la fourniture d'énergie, et principalement du gaz, par la Russie à d'autres États membres du Conseil de l'Europe. Ce rapport était d'autant plus urgent que certaines menaces d'interruption de fourniture d'énergie se sont manifestées en plein hiver et sans préavis. Ce sont là des «violences» qui révèlent de manière très concrète la nécessité d'une réflexion générale de fond susceptible de déboucher sur des principes forts qui s'imposeraient à toutes nos démocraties.

Je regrette simplement à cet égard que le rapport n'évoque pas le Protocole de Kyoto, dont nous ne cessons pourtant tous de réclamer la ratification générale et le respect. Le rapport table ainsi sur une croissance de 60 % de la demande européenne en énergie fossile d'ici 2030. Cette perspective est-elle compatible avec les objectifs du protocole de Kyoto ?

Ne devons-nous pas en particulier miser beaucoup plus encore sur la diversification vers des énergies non fossiles pour desserrer la dépendance énergétique ? On ne peut ignorer que des alternatives existent. La France, vous le savez, a fait le choix de l'énergie nucléaire. Cette forme d'énergie satisfait déjà plus de 70 % de nos besoins nationaux. Sans doute, impose-t-elle des précautions et des contraintes techniques, touchant entre autres à la sûreté des installations et au retraitement des déchets. Mais elle a l'avantage de n'émettre aucun gaz à effet de serre. À tout le moins, nous devrions pouvoir débattre de manière sereine d'un tel sujet, ce qui n'est pas encore tout à fait le cas.

Sans rappeler que nombre des progrès techniques accomplis par l'humanité l'ont été sous la pression de besoins nouveaux, je voudrais souligner ce que nous savons tous : tôt ou tard, l'abondance du gaz et du pétrole, c'est-à-dire des gisements d'énergie fossile, aura une fin.

Bien sûr, il faut amener les États les mieux pourvus en ressources énergétiques à en faire un usage respectueux vis-à-vis de leurs partenaires moins bien dotés, comme vis-à-vis des générations futures. Il y va de l'équilibre et de l'avenir de la planète. Il faut aussi se soucier de desserrer les excessives dépendances des États les uns vis-à-vis des autres, et de soutenir activement tous les efforts de recherche scientifique dans l'ensemble de ce domaine.

Vous souvenez-vous, mes chers Collègues, de l'exposé de M. Jean Lemière en 2006 ? Le Président de la BERD insistait alors sur la marge considérable dont beaucoup d'États disposent en matière d'économie d'énergie, sans en avoir peut-être conscience.

Les réseaux de distribution, l'isolation des bâtiments, mais aussi des politiques de transport, des choix d'urbanisme ou d'aménagement du territoire plus économes en énergie devraient être une préoccupation prioritaire pour des États confrontés à la rareté de l'énergie.

Je conclus sur l'essentiel : la loi du plus fort n'a pas sa place entre les États du Conseil de l'Europe. Cette réalité première est même précisément ce qui nous réunit et mérite donc d'être rappelé. C'est pourquoi le bon usage de l'énergie doit être une préoccupation commune à nos États. Il doit être, tout simplement, l'expression de leur volonté, elle aussi commune, de promouvoir la paix sur notre continent. »

M. Francis Grignon, sénateur :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, vous savez que la France s'est dotée de centrales nucléaires, précisément dans l'optique d'assurer, autant que faire se peut, son indépendance énergétique.

Mais la moitié de ces centrales aura une moyenne d'âge de 30 ans en 2011. Même si elles peuvent être prolongées de quelque 10 ans, il faut préparer leur remplacement. Le Gouvernement français réfléchit donc à cette échéance. La renonciation à cette source d'énergie, qui couvre d'ores et déjà plus de 50% de la consommation française, impliquerait des rejets de gaz à effet de serre équivalents à l'ensemble du parc de véhicules de l'Union européenne. Ce serait donc un choix irresponsable.

L'Union européenne partage ce souci de la transition des centrales actuelles vers une énergie nucléaire de troisième génération. Le réacteur européen à eau pressurisée-EPR est dix fois plus sûr, moins cher et produit de 15 à 30 % de déchets en moins. Un site expérimental a finalement été choisi en Haute-Provence pour mettre au point les générateurs dont nous aurons tous besoin tôt ou tard. Plus que jamais, le cadre européen peut seul permettre la conception et l'expérimentation d'équipements de cette taille.

Pour autant, je comprends parfaitement la sensibilité de notre rapporteur aux menaces qui ont porté sur la fourniture de gaz et de pétrole à certains pays d'Europe centrale par la Russie. Je le comprends d'autant plus que ces menaces ont pu apparaître comme soudaines, en plein hiver de surcroît.

Si je comprends ces inquiétudes, il me semble qu'elles devraient renforcer la recherche d'une diversification des approvisionnements. D'une part, depuis quelques années déjà, la Chine est devenue le deuxième consommateur de pétrole au monde ! Cela signifie que la pression de la demande ne fera que s'accroître. D'autre part, nous avons souscrit, avec le Protocole de Kyoto, l'obligation de réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

C'est-à-dire que nous avons devant nous un immense défi de productivité à consommation d'énergie constante.

Nous pouvons commencer à y répondre avec des priorités de maîtrise de nos consommations énergétiques :

- inviter les constructeurs de véhicules pour qu'ils améliorent le rendement des moteurs ;

- la limitation de la vitesse entraîne mécaniquement une diminution de la consommation des véhicules ;

- la réglementation thermique, qui vient d'ailleurs d'être complétée par l'obligation de fournir un diagnostic pour le chauffage des bâtiments, incitera sans doute à l'amélioration de l'isolation ;

- nous devons favoriser le développement des réseaux d'infrastructure ferroviaire, fluviale et maritime ;

- enfin, les gouvernements peuvent jouer d'incitations fiscales pour avantager les citoyens qui investissent en vue d'économiser l'énergie ou pour limiter la consommation d'énergies fossiles au profit, notamment, d'énergies renouvelables.

J'évoquerai également les orientations que nous devons poursuivre : d'abord le doublement des énergies renouvelables ; l'exemple de Barcelone pourrait même servir de modèle en soumettant l'octroi des permis de construire à l'engagement de recourir à des énergies renouvelables.

De même, nous devons encourager le développement des biocarburants par des mesures législatives et fiscales. Enfin, je crois que seule la recherche de technologies nouvelles peut nous dégager peu à peu non seulement de la dépendance aux États fournisseurs des énergies fossiles mais de la consommation elle-même d'une denrée appelée à devenir plus rare donc plus chère.

Aussi, je partage l'appel que contient le rapport de notre collègue à faire converger nos politiques énergétiques, non dans le ressentiment mais dans le surcroît de progrès technique que stimulera un besoin croissant d'énergie. »

M. Yves Pozzo di Borgo, sénateur :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, notre excellent rapporteur traite d'une question angoissante : l'utilisation de la dépendance énergétique de la plupart des États européens à des fins politiques.

Dois-je rappeler que ce phénomène n'est pas inédit : nous avons connu par le passé plusieurs «chocs pétroliers» qui déstabilisèrent des gouvernements par la hausse brutale, d'abord du prix des produits énergétiques, puis de ceux de toute la production industrielle dépendant des coûts de ces fournitures.

Pour désagréable qu'elle soit, je pense que la manipulation des cours ne saurait expliquer à elle seule les perturbations actuelles. Si j'osais, je reprendrais la phrase fameuse : « Ce n'est pas une crise, c'est une révolution ».

Le fournisseur dominant n'est pas lui-même sans fragilité : la fourniture de gaz et de pétrole dont dépend l'Europe suppose des investissements énormes et continus à tous les niveaux, extraction, raffinage, distribution : la Russie, nous-mêmes, avons-nous prévu ces investissements ?

Une négociation très complexe est en cours entre l'Union européenne et la Russie sur la « Charte de l'énergie » et le Protocole sur le transit. Il faut se garder de sur-réagir avec des d'attitudes conjoncturelles par trop brusques et finalement contre-performantes puisque nous devons établir un partenariat durable entre la Russie et les États européens qui seront encore longtemps dépendants de fourniture de gaz et de pétrole.

En marge de cette négociation, nous devons nous engager résolument dans des politiques propres à desserrer nos dépendances énergétiques.

La France a choisi de construire des centrales nucléaires, qui lui assurent d'ores et déjà un taux d'indépendance énergétique supérieur à 50%, tout en facilitant le respect des objectifs du Protocole de Kyoto. Mais il ne faut pas se leurrer, il existe au niveau mondial une différence entre l'offre et la demande d'énergies fossiles, différence qui ne peut que s'accentuer avec le développement industriel de la Chine et de l'Inde. Aussi, l'Europe doit-elle investir massivement dans la recherche d'économies d'énergie et d'énergies alternatives :

- économies d'énergie tout d'abord : les États autrefois soumis au régime soviétique ont un gisement considérable d'économies. Ils rejetaient naguère autant de gaz à effet de serre que les USA pour une efficacité énergétique près de 10 fois inférieure.

La France même a émis, en 2005, 135 millions de tonnes de gaz carbonique. Or, le rapport dont nous débattons fait l'hypothèse d'un accroissement de quelque 60% de la demande d'énergies fossiles en Europe dans les 20 prochaines années. Cela est parfaitement contradictoire avec le Protocole de Kyoto auquel nous avons souscrit.

Outre les économies d'énergie, qui sont à portée de main, notamment avec une meilleure isolation des bâtiments et une réduction de la consommation des véhicules, nous devons encourager résolument la recherche. Tous les grands laboratoires, y compris aux État-Unis, y sont engagés : les plus grands patrons américains viennent même de faire une déclaration pour réorienter la politique américaine en ce sens. Des innovations révolutionnaires vont transformer notre environnement, et l'environnement lui-même : matériaux et revêtements «piégeant» le rayonnement thermique ou même directement émetteurs de chaleur ou de fraîcheur, fenêtres «intelligentes» tantôt laissant passer les rayons du soleil, tantôt les réfléchissant. Saint-Gobain, également, a mis au point un vitrage revêtu d'une pellicule qui arrête le rayonnement solaire et retient la chaleur à l'intérieur du logement.

Nos amis canadiens développent un dispositif géothermique : une conduite, qui passe à un mètre sous terre où la température constante est de 12 à 15 degrés, réchauffe la maison en hiver et la rafraîchit en été. En Espagne, on bâtit des maisons dont les murs comprennent des modules photovoltaïques.

De même, l'éclairage va connaître une révolution avec les fibres optiques et les diodes électroluminescentes. Enfin, le développement des biocarburants doit être encouragé, comme également la gazéification du charbon qui permet une exploitation non polluante de cette ressource abondante.

En évoquant toutes ces recherches, je voulais seulement montrer qu'on ne peut rester passif non seulement devant les pressions politiques, mais surtout devant les risques de l'effet de serre.

Les Français ne peuvent se contenter de ces 135 millions de tonnes de gaz carbonique annuelles. Les nouvelles technologies, combinées avec l'apport des énergies renouvelables, auront des effets extrêmement favorables sur la qualification de la recherche européenne et nous permettront de «sortir par le haut» de la crise actuelle, selon le vieux principe qui meut l'intelligence humaine depuis toujours : la contrainte stimule l'inventivité. »

L'Assemblée a adopté une Résolution (n° 1531) et une Recommandation (n° 1779) enjoignant aux États du Conseil de l'Europe de créer un groupe de réflexion chargé d'élaborer une stratégie commune dans le but de garantir à long terme le respect de l'économie de marché et la sécurité des approvisionnements. Elle a également incité fortement la Fédération de Russie à signer la Charte sur l'énergie.

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