CONCLUSION

« Je crois que l'Europe ne peut à long terme affermir sa réputation de puissant et indépendant centre de la politique mondiale que si elle unit ses moyens avec les hommes, le territoire et les ressources naturelles russes, ainsi qu'avec le potentiel économique, culturel et de défense de la Russie. »

Vladimir Poutine, discours au Bundestag (25 septembre 2001)

L'interdépendance entre l'Union européenne et la Russie est telle que, en réalité, il n'existe pas d'alternatives à un partenariat stratégique.

Face aux États-Unis ou à des puissances émergentes comme la Chine ou l'Inde, l'Union européenne et la Russie ont besoin l'une de l'autre pour faire entendre leur voix sur la scène internationale.

Or, il faut reconnaître que ces relations traversent aujourd'hui de fortes tensions, liées à des désillusions et à des malentendus réciproques.

Il paraît donc indispensable de conclure un nouvel accord, qui remplacerait l'actuel accord de partenariat et de coopération, et de renforcer la coopération entre l'Union européenne et la Russie, en particulier en matière d'énergie, de politique étrangère et de défense ou de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.

Dans le même temps, cela ne doit pas se faire au détriment du rappel des principes de la démocratie et des droits de l'homme, qui figurent au centre du projet européen.

Toutefois, ces relations resteront incomplètes et fragiles si elles se limitent uniquement aux rencontres diplomatiques, qui devraient d'ailleurs être renforcées, tant au niveau des instances européennes que nationales, et si elles ne s'accompagnent pas d'une multiplication des contacts au niveau de la société civile.

C'est la raison pour laquelle je suis profondément convaincu qu'il est nécessaire de renforcer les échanges économiques, avec l'objectif de créer à terme un espace économique commun entre l'Union européenne et la Russie, de développer la mobilité des étudiants et des chercheurs, d'encourager toutes les formes de coopération décentralisée ou encore de lancer des projets conjoints en matière industrielle ou technologique.

À cet égard, la suppression à terme de l'obligation des visas et la création d'un espace de libre circulation des personnes constitueraient un bon moyen de rapprocher les peuples de l'Union européenne et de la Fédération de Russie.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

La délégation s'est réunie le 9 mai 2007 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par le rapporteur, M. Yves Pozzo di Borgo, le débat suivant s'est engagé :

M. Hubert Haenel :

La question des relations entre l'Union européenne et la Russie est un sujet d'actualité, avec notamment la perspective du prochain Sommet du 18 mai. Ce thème avait d'ailleurs été évoqué à l'initiative du parlement finlandais lors de la dernière réunion de la COSAC à Helsinki, les 20 et 21 novembre derniers, et il devrait figurer à l'ordre du jour de la prochaine réunion de Berlin les 14 et 15 mai. Votre rapport vient donc à point nommé.

M. Aymeri de Montesquiou :

Les relations entre l'Union européenne et la Russie doivent être replacées dans leur contexte géopolitique. Il faut prendre en compte, non seulement l'Union européenne et la Russie, mais aussi d'autres acteurs, comme les États-Unis, la Chine ou les pays d'Asie centrale.

Il est vrai que la Russie a une attitude parfois brutale vis-à-vis de l'Union européenne. Mais je crois que cela résulte surtout d'une incompréhension réciproque. L'Union européenne ne mesure pas toujours l'extraordinaire changement qu'a entraîné l'effondrement de l'Union soviétique et les extrêmes difficultés rencontrées dans la transition vers la démocratie et l'économie de marché en Russie. La Russie s'est, en effet, trouvée confrontée, dans les années 1990, à une situation anarchique, à un effondrement de l'économie et à une déliquescence de l'État. Les entreprises occidentales, qu'elles soient européennes, américaines ou japonaises, se sont d'ailleurs comportées comme de véritables prédateurs vis-à-vis des richesses de ce pays. L'évolution actuelle de la Russie est aussi une réaction à la période précédente. La remise en cause de certains contrats, notamment dans le domaine de l'énergie, s'explique ainsi par le fait que ces contrats avaient été signés dans les années 1990, à une période où la Russie était faible et avec des conditions souvent scandaleuses.

Certes, la démocratie actuelle en Russie est très différente de celle qui existe dans l'Union européenne et certains aspects autoritaires de ce régime peuvent nous heurter. Mais, comme vous l'avez souligné, Vladimir Poutine est très populaire en Russie.

De même, comment convaincre les Russes que l'OTAN est une organisation pacifique qui n'est pas dirigée contre la Russie, tout en déployant des installations militaires à ses frontières ? Peut-on sérieusement prétendre qu'il soit nécessaire de déployer des éléments de défense anti-missiles en Pologne et en République tchèque pour faire face à d'éventuels tirs de missiles iraniens ? Tout ceci ne semble pas très sérieux.

Les crises entre la Russie et l'Ukraine ou entre la Russie et la Biélorussie en matière d'énergie illustrent bien ces malentendus. En effet, on a beaucoup reproché à la Russie son attitude dans ces deux crises. Mais est-il réellement choquant que la Russie cherche à vendre son gaz à l'Ukraine ou à la Biélorussie à un prix équivalent à celui du cours mondial ? N'y a-t-il pas là une contradiction puisque l'Union européenne demande précisément à la Russie d'adopter les lois du marché ?

Comme vous l'avez mentionné, il n'existe pas aujourd'hui de politique européenne de l'énergie ni d'approche commune vis-à-vis de la Russie. Le projet de gazoduc sous la Mer Baltique entre l'Allemagne et la Russie, qui vise à contourner les pays de transit comme l'Ukraine ou la Pologne, en offre l'illustration. Je suis également très inquiet du blocage actuel de la Hongrie sur le projet de gazoduc Nabucco. Ce gazoduc, qui permettrait d'acheminer du gaz en provenance d'Asie centrale, voire d'Iran, par la Turquie, en contournant le territoire de la Russie, a en effet une importance majeure pour la sécurité des approvisionnements énergétiques pour l'Union européenne. Il est donc indispensable d'avoir une approche commune vis-à-vis de la Russie.

La Russie est aujourd'hui le premier fournisseur de gaz de l'Union européenne et la dépendance à l'égard du gaz russe devrait s'accroître dans les prochaines années. Or, il existe un sérieux risque que, dans quinze ans, la Russie ne soit plus en mesure d'exporter de gaz naturel, compte tenu de la hausse de la consommation intérieure, de la faible performance énergétique, de la vétusté des infrastructures et de l'absence d'investissements dans les nouveaux gisements, comme celui de Shtokman. Il existe aussi un gaspillage considérable d'énergie, en matière de chauffage urbain par exemple.

Dans ce contexte, le gaz d'Asie centrale pourrait revêtir une importance cruciale pour l'Union européenne. Il serait donc souhaitable que les entreprises de l'Union européenne, comme Gaz de France ou Suez, mutualisent leurs efforts pour investir dans la production de gaz au Turkménistan, en Ouzbékistan ou au Kazakhstan et encourager des voies alternatives de transport afin d'exporter ce gaz vers l'Union européenne. Il est également indispensable de renforcer les liens avec d'autres pays producteurs, comme les pays d'Asie centrale et l'Iran, qui dispose de la deuxième réserve mondiale de gaz (15 %), et d'encourager des modes d'acheminements alternatifs, comme le gaz liquéfié. Car il ne faut pas sous-estimer la puissance d'un géant comme Gazprom dont la capitalisation boursière le place au 3 e rang mondial.

Enfin, je suis préoccupé par un point qui est largement passé inaperçu : les manoeuvres militaires récentes organisées conjointement entre la Russie et la Chine. N'est-ce pas le signe d'une volonté de rapprochement ? Ne pourrait-on pas imaginer que la Russie se tourne de plus en plus vers la Chine, notamment en matière d'exportation des hydrocarbures ? J'ai participé à une conférence sur l'énergie à Irkousk en Russie et j'ai été frappé de voir dans l'assistance de nombreux représentants chinois, japonais, coréens, etc.

M. Pierre Fauchon :

Pour ma part, je suis assez sceptique sur l'idée d'un rapprochement entre la Russie et la Chine. Il existe, en effet, de nombreux différends entre les deux pays et je pense qu'il y a une réelle inquiétude du côté russe, notamment en raison de la démographie. En revanche, je crois beaucoup plus à un rapprochement entre la Russie et l'Inde, qui est son partenaire traditionnel.

M. Yves Pozzo di Borgo :

Je partage également l'analyse de notre collègue. La Chine représente un défi pour la Russie. Comme j'ai pu le constater lors de mon déplacement à Moscou, il existe une réelle inquiétude chez les responsables russes à l'égard de ce pays et de sa démographie. L'Inde est un partenaire traditionnel pour la Russie, mais c'est encore un pays peu développé en comparaison avec l'Union européenne et il n'y a pas de frontières communes. C'est la raison pour laquelle je pense que l'Union européenne représente pour la Russie le seul partenaire possible. Je crois aussi que la crainte que la Russie ne se tourne vers d'autres clients, notamment en Asie, doit être relativisée. En effet, la quasi-totalité des gazoducs russes est actuellement dirigée vers l'Union européenne, qui représente un client fiable pour la Russie. Les projets russes de réorienter une partie des exportations vers l'Asie nécessitent des investissements de très grande ampleur en matière d'infrastructures. Je pense donc qu'il s'agit davantage d'un discours destiné à relativiser la dépendance de la Russie vis-à-vis de son principal débouché.

M. Robert Badinter :

J'ai toujours été très intéressé par la situation de l'Union soviétique, puis de la Russie, et je m'y suis rendu à de nombreuses reprises. Mon premier voyage en Union soviétique remonte, en effet, à la mort de Staline. J'ai ensuite pu constater les espoirs suscités par l'accession au pouvoir de Nikita Khrouchtchev et la désillusion de la période de glaciation sous Brejnev qui a été fatale à l'URSS. Jusqu'à la chute du rideau de fer, personne n'aurait pu imaginer que l'Union soviétique s'effondrerait aussi rapidement en dépit des efforts de Gorbatchev.

La situation politique actuelle en Russie est préoccupante. Le régime de Vladimir Poutine peut être qualifié de despotisme plus ou moins éclairé, qui s'inscrit d'ailleurs dans la longue tradition de la Russie. Dans le même temps, ce régime représente aussi un grand réconfort pour la population après les années chaotiques d'Eltsine et la crise des valeurs provoquée par l'effondrement de l'URSS. Il faut reconnaître, en effet, que les années 1990 se sont caractérisées par des privatisations qui se sont déroulées dans un contexte de corruption généralisée et de délitement de l'État, et qui ont provoqué un véritable pillage des richesses du pays par quelques oligarques qui ont constitué d'immenses fortunes dans des conditions parfaitement scandaleuses. Il faut aussi tenir compte de la spécificité russe. La vocation messianique de la Russie est un sentiment profondément ancré au sein du peuple russe, qui est un grand peuple patriote.

Ce sentiment que la Russie est vouée à jouer un rôle particulier est une constante de la littérature russe et il y a d'ailleurs une continuité entre l'URSS et la Russie impériale de ce point de vue. Or, l'effondrement de 1991 a créé un choc dont les Russes ne se remettent pas. Après avoir été l'une des deux superpuissances mondiales pendant plus de quarante ans et dominé près de la moitié du globe, la Russie a été du jour au lendemain amputée d'une grande partie de son empire et son économie s'est effondrée. Vladimir Poutine a donc été celui qui a rendu leur fierté aux Russes. Est-ce que Vladimir Poutine quittera le pouvoir en 2008 au terme de son deuxième mandat ? Personnellement, j'en doute.

La coopération dans le domaine de la justice fonctionne assez bien avec la Russie. À l'époque tsariste, la Russie avait d'ailleurs opté pour le modèle français. La Cour constitutionnelle, créée dans les années 1990, est inspirée du Conseil constitutionnel français et il existe de nombreux contacts entre les juridictions russes et françaises. La France dispose d'un magistrat de liaison à Moscou qui réalise un travail remarquable.

En revanche, je partage tout à fait votre constat concernant la coopération universitaire. La politique française actuelle très restrictive à l'égard des étudiants russes, qu'il s'agisse des visas ou de l'accueil des étudiants, est à proprement parler honteuse. Les jeunes russes sont souvent des étudiants de très grande qualité, épris de culture française et il est rare qu'ils souhaitent rester définitivement en France. Je pense donc, comme vous, qu'il est indispensable de renforcer considérablement la coopération universitaire et les échanges d'étudiants.

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À l'issue de ce débat, la délégation a autorisé la publication de ce rapport d'information.

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