N° 88

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation parlementaire pour l'Union européenne (1) sur le dialogue avec la Commission européenne sur la subsidiarité ,

Par M. Hubert HAENEL,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; MM. Denis Badré, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Bernard Frimat, Simon Sutour, vice-présidents ; MM. Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; MM.  Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Louis de Broissia, Gérard César, Christian Cointat, Robert del Picchia, Marcel Deneux, Pierre Fauchon, André Ferrand, Yann Gaillard, Paul Girod, Mme Marie-Thérèse Hermange, M. Charles Josselin, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam, Louis Le Pensec, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Yves Pozzo di Borgo, Roland Ries, Mme Catherine Tasca, MM. Alex Türk, Serge Vinçon.

INTRODUCTION

Après des référendums négatifs en France puis aux Pays-Bas, une « période de réflexion sur l'avenir de l'Union » avait été ouverte tant au sein des États membres qu'à l'échelon de l'Union. Les conclusions du Conseil européen des 15 et 16 juin 2006 en ont bien résumé le résultat en quelques mots : « Les citoyens attendent de l'Union qu'elle démontre sa valeur ajoutée » . Cette formule doit cependant être bien comprise :

- pour le Conseil européen, les citoyens « demeurent attachés au projet européen » et souhaitent que l'Union agisse pour « garantir la paix, la prospérité et la solidarité, renforcer la sécurité, favoriser le développement durable et promouvoir les valeurs européennes dans un environnement qui se mondialise rapidement ». Il faut donc comprendre le diagnostic du Conseil européen comme un appel à l'action, au moins dans certains domaines, et non comme un constat de montée du scepticisme.

- en même temps, l'Union doit justifier ses interventions. Elle ne doit pas agir seulement parce qu'il serait bon pour la construction européenne d'étendre sans relâche le champ d'intervention de l'Union, mais bien parce que son action va permettre d'atteindre des résultats probants, en phase avec les attentes prioritaires des citoyens, et qui n'auraient pu être atteints autrement : c'est pourquoi l'exigence de « valeur ajoutée » est mise en avant . Et cette notion doit être entendue de manière comparative : il ne suffit pas, pour qu'une intervention européenne soit justifiée, qu'elle apporte un bénéfice (ce qui est bien le moins qu'on puisse en attendre), mais que le rapport entre ce bénéfice et les coûts de toute sorte de l'intervention soit convaincant.

- l'exigence d'une réelle « valeur ajoutée » européenne suppose ainsi de prêter une attention plus forte au principe de subsidiarité selon lequel l'Union « n'intervient que si et dans la mesure où » un objectif peut être « mieux réalisé » au niveau de l'Union. Elle invite également à mieux prendre en compte le principe de proportionnalité selon lequel l'action de l'Union « n'excède pas ce qui est nécessaire » pour atteindre l'objectif recherché.

C'est dans cet esprit que les mêmes conclusions du Conseil européen ont entériné la proposition du président de la Commission européenne - lancée quelques semaines auparavant (1 ( * )) - d'ouvrir un dialogue direct avec les parlements nationaux centré sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Extrait des conclusions du Conseil européen
des 15 et 16 juin 2006

« Le Conseil européen fait observer l'interdépendance qui existe entre les processus législatifs européen et nationaux. Il se félicite donc de l'engagement qu'a pris la Commission de rendre toutes ses nouvelles propositions et ses documents de consultation directement accessibles aux parlements nationaux, et d'inviter ceux-ci à lui faire part de leurs réactions afin d'améliorer le processus d'élaboration des politiques. La Commission est invitée à examiner avec toute l'attention requise les observations formulées par les parlements nationaux, eu égard en particulier aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. Les parlements nationaux sont encouragés à renforcer leur coopération dans le cadre de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) lors du contrôle de l'application du principe de subsidiarité ».

Sur cette base, le dialogue direct entre la Commission européenne et les parlements nationaux sur la subsidiarité et la proportionnalité a été lancé à partir du 1 er septembre 2006. Il s'agit d'un dialogue informel, et non pas d'une application anticipée des dispositions du traité constitutionnel - reprises et complétées par le traité de Lisbonne - organisant un contrôle des parlements nationaux sur le respect du principe de subsidiarité. Il n'eut guère été concevable d'appliquer par anticipation des dispositions d'un traité rejeté par deux pays membres, même si elles ne faisaient pas partie des aspects contestés de ce traité. De plus, ces dispositions mettaient en place des procédures formelles, susceptibles d'entraîner des effets juridiques, et ne pouvaient donc être appliquées par anticipation. Enfin, leur champ se limitait à la subsidiarité, alors que le dialogue informel, plus large, porte aussi sur la proportionnalité.

Le dialogue direct avec la Commission doit donc être abordé indépendamment du processus de révision des traités . Il s'agit d'une nouvelle pratique, lancée dans un contexte de crise, en vue de contribuer à combler le fossé qui était apparu entre les citoyens et l'Union : les conclusions du Conseil européen déjà citées, immédiatement après avoir approuvé le lancement du dialogue direct, soulignent à cet égard qu' « une législation européenne reflétant davantage la valeur ajoutée des mesures prises par l'Union peut exercer un effet bénéfique sur la confiance des citoyens dans le projet européen » .

Cette nouvelle pratique s'exerce depuis plus d'un an. C'est peu pour qui souhaiterait l'évaluer à l'aune de résultats tangibles : on voit mal un dialogue informel suffire à changer rapidement des habitudes de pensée et de fonctionnement solidement enracinées, encore moins parvenir à provoquer un revirement complet. Mais c'est assez pour faire un premier bilan de la manière dont s'est engagé ce dialogue et en tirer quelques enseignements.

I. LA MISE EN oeUVRE DU DIALOGUE

A. LA MISE EN oeUVRE AU SÉNAT FRANÇAIS

1. L'organe parlementaire

Dans le cas du Sénat, c'est la délégation pour l'Union européenne qui a été l'interlocuteur de la Commission européenne. Cette situation s'est dégagée de la pratique : la délégation a été, de fait, le seul organe du Sénat à participer au dialogue informel, dans lequel elle n'a, naturellement, engagé qu'elle-même.

On peut penser que cette pratique est la mieux adaptée aux spécificités de l'exercice. Les questions de subsidiarité et de proportionnalité sont par excellence des questions transversales : il ne s'agit pas de se prononcer sur le fond même d'un texte, mais de veiller à la prise en compte de principes généraux, qui doivent jouer quel que soit le jugement porté sur le projet examiné. Or, la délégation a précisément un caractère transversal : des membres de toutes les commissions permanentes y siègent, et elle a une mission générale de suivi des travaux conduits par les institutions de l'Union, comprenant l'examen des projets d'actes avant leur adoption par celles-ci (article 6 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires).

En outre, cette pratique a l'avantage du réalisme. Entre le 1 er septembre 2006 et le 31 août 2007, ce sont 787 textes qui ont été directement transmis au Sénat par la Commission européenne au titre du dialogue sur la subsidiarité et la proportionnalité. Un tel afflux de documents ne peut être absorbé que par l'adoption de critères permettant de se concentrer sur les cas réellement litigieux. Une « jurisprudence » est nécessaire. En outre, les délais sont relativement brefs : dès le début du dialogue, il a été entendu que les observations devaient être adressées à la Commission européenne dans le délai de six semaines garanti par le protocole annexé au traité d'Amsterdam pour l'examen des textes européens par les parlements nationaux. Au demeurant, il est clair que c'est seulement en intervenant à un stade précoce du processus de décision européen qu'il est possible d'exercer quelque influence, compte tenu du fait que les groupes de travail du Conseil commencent à fonctionner dès la présentation du texte et que les « trilogues » informels associant Parlement, Conseil et Commission préfigurent assez rapidement l'issue finale des négociations.

Ainsi, le nombre très élevé des textes et la relative brièveté des délais ne plaident pas pour un dispositif complexe faisant intervenir plusieurs organes parlementaires.

Il convient d'ajouter que, comme le précisent les conclusions du Conseil européen citées plus haut, l'efficacité du dialogue sur la subsidiarité et la proportionnalité repose en partie sur un effort de concertation interparlementaire au sein de la COSAC : or, la délégation est précisément l'organe du Sénat représenté au sein de la COSAC en application des traités.

Enfin, on peut observer que cette pratique a fait la preuve de son efficacité car, en partie sans doute grâce à la simplicité de la procédure suivie, la délégation a été un des participants les plus actifs au dialogue.

C'est vraisemblablement en fonction de ces considérations que le rapport du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, présidé par M. Edouard Balladur, a proposé que l'organe chargé des affaires européennes dans chaque assemblée soit compétent pour les questions relatives à la subsidiarité.

2. La méthode de sélection

La transmission de tous les documents émanant de la Commission est indispensable pour un dialogue fondé sur la transparence. Mais le nombre des textes ainsi transmis - 787 du 1 er septembre 2006 au 31 août 2007 - rend nécessaire une sélection drastique, de manière à ce que les débats puissent se concentrer sur les textes susceptibles de poser problème.

La délégation s'est donc efforcée de dégager des critères généraux objectifs afin d'éliminer les documents ne se prêtant pas à un examen au regard de la subsidiarité ou de la proportionnalité.

Elle a ainsi, de manière empirique, distingué quatre catégories de documents qu'il était possible de soustraire de la masse de ceux qui lui étaient transmis par la Commission européenne :

- les documents n'ayant pas de portée normative et ne préfigurant pas une proposition d'acte :

Il s'agit de rapports prévus par des directives ou règlements, de communications à visée informative, de documents de travail, de textes d'orientation de portée très générale. En revanche, les livres verts et livres blancs n'entrent pas dans cette catégorie, même s'ils ne comportent pas de dispositions normatives, dès lors qu'ils constituent le premier élément d'un processus qui débouchera sur des propositions normatives.

Sur douze mois, 348 documents transmis par la Commission européenne ressortissaient à cette catégorie, soit 44 % du total.

- les textes qui ne sont pas susceptibles, en raison de leur objet, d'appeler des observations concernant la subsidiarité et la proportionnalité :

Il s'agit notamment de textes de gestion intervenant dans le cadre des politiques communes, d'accords internationaux de nature économique, de textes liés à la mise en oeuvre du processus d'élargissement, ou encore de propositions de nature essentiellement technique liées au fonctionnement du marché intérieur.

Sur douze mois, 302 documents transmis par la Commission européenne ressortissaient à cette catégorie, soit 39 % du total.

- les textes intervenant à un stade avancé du processus de décision :

Il s'agit de propositions modifiées présentées par la Commission pour traduire ou favoriser un accord. Il est manifestement trop tard pour engager un dialogue à ce stade ; de toute manière, à l'avenir, ces textes auront nécessairement tous été examinés dans leur version initiale.

Sur douze mois, 50 documents transmis par la Commission européenne ressortissaient à cette catégorie, soit 6 % du total.

- les textes de codification :

Il s'agit de textes qui, par définition, n'apportent pas de modification de fond ni ne traduisent aucune action nouvelle de l'Union européenne.

Sur douze mois, 27 documents transmis par la Commission européenne ressortissaient à cette catégorie, soit 3 % du total.

Après application de ces quatre critères, les textes appelant un examen plus approfondi se sont révélés relativement peu nombreux : ils ont représenté, sur une année, 8 % du total. Encore faut-il noter que certains de ces documents sont liés entre eux : ainsi, une proposition de directive est souvent accompagnée d'un document de travail apportant des informations complémentaires. Le nombre de sujets à aborder est donc inférieur à celui des documents.

Finalement, sur une année, la délégation a reçu 787 documents, en a éliminé 727 qui ressortissaient à l'une des quatre catégories pour lesquelles un examen au titre de la subsidiarité ou de la proportionnalité apparaissait inutile, et a constaté que les 60 textes restants correspondaient à 35 sujets différents.

À propos de chacun de ces 35 sujets, la délégation a eu un débat à partir de la proposition qui lui était faite par un de ses membres. Et, lorsque cela paraissait utile, elle a adopté des observations à destination de la Commission. Elle a, chaque fois, privilégié l'adoption d'observations synthétiques et brèves en sorte de faciliter la communication, non seulement avec la Commission, mais aussi avec les autres parlements nationaux.

Au total, sur une année, la délégation a ainsi adressé 31 observations à la Commission.

3. La poursuite du dialogue

La délégation a pris connaissance des réponses que la Commission lui a adressées. Dans la plupart des cas, elle a pris acte des réponses de la Commission, soit parce qu'elle les jugeait satisfaisantes, soit parce que la poursuite du dialogue ne paraissait pas susceptible d'apporter des éléments nouveaux. Toutefois, à quatre reprises entre septembre 2006 et avril 2007 (et une cinquième fois en novembre 2007), la délégation a jugé la réponse de la Commission insatisfaisante :

- soit parce qu'elle ne répondait pas véritablement aux observations formulées par la délégation,

- soit parce qu'elle contenait des affirmations nouvelles qui paraissaient contestables ou ambiguës,

- soit parce qu'elle soulevait une question de principe nouvelle.

La délégation a en effet considéré que l'initiative prise par le président Barroso ne limitait pas la transmission entre les parlements nationaux et la Commission à un seul échange, mais qu'elle visait à permettre un dialogue approfondi susceptible d'éclairer le mieux possible toutes les interrogations que pouvait susciter une proposition. Elle a en conséquence décidé de poursuivre le dialogue avec la Commission et de lui adresser de nouvelles observations fondées sur la première réponse reçue.

Une année de dialogue

(1 er septembre 2006 - 31 août 2007)

***

Nombre de textes transmis

787

Textes n'appelant pas
d'observations,
dont :

- textes de portée non normative ;

727

348

- textes qui, par leur nature, ne soulèvent aucun problème de subsidiarité ;

302

- textes qui interviennent à un stade tardif de la procédure d'adoption ;

50

- textes de codification

27

Nombre de textes examinés

60

Nombre de sujets concernés

35

Observations adressées à la Commission

31

Réponses de la Commission à ces observations

24

Poursuite du dialogue avec la Commission et nouvelles observations adressées à la Commission

4

* (1) Lors des rencontres interparlementaires sur « le futur de l'Europe », qui se sont tenues les 8 et 9 mai 2006 à Bruxelles. L'initiative du président Barroso a reçu le soutien de la COSAC, réunie peu après (22 et 23 mai 2006) à Vienne.

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