N° 340

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 15 mai 2008

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur l' industrie de défense dans la perspective du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ,

Par M. Josselin de ROHAN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan , président ; MM. Jean François-Poncet, Robert del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, André Boyer, Robert Hue , vice-présidents ; MM. Jacques Peyrat, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, André Rouvière, André Trillard , secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. Christian Cambon, Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Hubert Haenel, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Daniel Percheron, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, M. André Vantomme, Mme Dominique Voynet.

AVANT-PROPOS

La base industrielle et technologique de défense fait partie intégrante de la posture de défense d'un pays. Au moment où notre pays s'efforce de redéfinir sa stratégie de défense pour les quinze prochaines années, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a jugé opportun, avant la publication du livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, d'entendre les principaux acteurs industriels français concernés.

Tel est l'objet du cycle d'auditions auquel votre commission a procédé et au cours duquel ont été entendus MM.

- Louis GALLOIS, Président-directeur général d'EADS

- Denis RANQUE, Président-directeur général de Thales

- Jean-Paul HERTEMAN, Président du directoire de SAFRAN

- Jean-Marie POIMBOEUF, Président-directeur général de DCNS

- Luc VIGNERON, Président-directeur général de Nexter

- Charles EDELSTENNE, Président-directeur général de Dassault-Aviation

Le présent rapport d'information reproduit les débats qui se sont déroulés lors de ces auditions. Il comporte également le compte-rendu de l'audition au cours de laquelle M. Jean-Claude MALLET a fait le point sur les travaux de la Commission du livre blanc sur la défense et la sécurité nationale qu'il préside.

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Les enseignements que votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées retire de ces auditions sont les suivants :

1° La définition d'une politique industrielle de défense reste plus que jamais une nécessité.

Les équipements de défense ne sont pas des biens comme les autres. L'idée qu'on puisse les acquérir à un moindre coût et plus rapidement « sur étagère » est une fausse bonne idée, comme l'a montré l'expérience britannique.

Il est nécessaire au contraire d'avoir une interface puissante entre l'Etat et les industriels, capable de conduire des partenariats de long terme. C'est le rôle de la Délégation Générale pour l'Armement, dont la présence doit être confortée au sein du ministère de la défense et non pas réduite à celle d'une simple centrale d'achat.

La révision de notre stratégie de défense ne saurait négliger l'impact qu'elle produira sur le maintien des capacités industrielles et technologiques et sur l'emploi. Certaines de nos entreprises de défense sont, à cet égard, plus dépendantes que d'autres des commandes nationales.

2° Les efforts consentis en faveur de la recherche militaire doivent être maintenus à un niveau important.

L'existence de bureaux d'études dont l'excellence est reconnue mondialement est un trésor national qu'il nous faut savoir préserver. La recherche duale en particulier est un puissant moteur de notre compétitivité économique.

Cela suppose bien évidemment de consentir les efforts budgétaires à un niveau adéquat - de l'ordre du milliard d'euros- mais aussi de définir de façon pragmatique quelles sont nos priorités et dissocier le savoir faire de conception qui ne saurait être abandonné, du savoir faire de réalisation qui peut être partagé.

Cela suppose également de définir des priorités stratégiques et assumer les choix qui en découlent.

3° L'organisation économique et administrative de notre outil de défense peut être optimisée, grâce notamment à l'externalisation.

Certes, l'externalisation ne résoudra pas tous les problèmes. Dans certains contextes, notamment les opérations extérieures, il n'est pas certain qu'elle puisse fonctionner. Mais globalement on peut attendre de ce type d'organisation, avec une forte implication des industriels, un surcroît d'efficacité et un allégement des coûts.

4° L'exportation doit être davantage soutenue.

Nos industriels sont, en matière d'exportation, face à une situation critique en raison, d'une part, de l'appréciation de l'euro par rapport au dollar et, d'autre part, du fait d'une application non uniforme des règles de l'OCDE contre la corruption. Dans ce contexte, l'exportation est un impératif pour nos industriels, afin de compenser la faible taille du marché intérieur, notamment dans les secteurs les plus dépendants des commandes nationales.

Tous les industriels saluent la volonté politique de redynamiser les exportations de défense et les premières mesures qui ont été annoncées et mises en place (comité interministériel, war room, simplification de la CIEEMG).

Mais il est nécessaire d'aller plus loin, notamment de mettre en place des procédures adaptées aux transferts intracommunautaires (un Schengen de la Défense) en assurant néanmoins la garantie d'approvisionnement.

5° La coopération européenne doit être accentuée en privilégiant les formules les plus pragmatiques.

a. La définition des programmes d'équipement doit être effectuée davantage en amont . La collaboration européenne ne pourra pas progresser tant que les états-majors des différentes armées concernées ne procéderont pas conjointement à une synthèse - et non à une superposition - des spécifications des équipements souhaités. Faute de quoi, nous continuerons à multiplier les programmes concurrents comme c'est le cas actuellement.

b. Ces programmes doivent être également définis dans le cadre d'un partenariat européen et transatlantique renouvelé . Dans cette perspective, il appartient à l'Etat français de définir avec précision  les différents « cercles » de partenariat :

- les industries, les processus, les équipements qu'il souhaite maintenir dans le cercle strict de la souveraineté : dissuasion nucléaire, cryptographie...

- celles et ceux qu'il souhaite partager au niveau européen ;

- celles et ceux enfin pour lesquels un partage transatlantique peut être envisagé.

c. Le renforcement de l'Agence Européenne de Défense apparaît nécessaire. Cette Agence doit être mieux intégrée dans le processus de définition des besoins. Son rôle n'est pas cependant exclusif de coopérations plus restreintes.

d. Précisément, plus que des fusions d'entreprises ce sont des définitions claires de projets qui permettront de réduire les coûts et d'endiguer ce que l'on pourrait une certaine « frénésie technologique ». Pour cela quelques principes simples pourraient être appliqués :

- la nécessité de définir un maître d'oeuvre unique ;

- l'abandon du principe dit du « juste retour » ;

- une répartition claire des charges de travail et de la répartition des bénéfices, chaque partenaire faisant son affaire des coûts.

e. Enfin, les regroupements industriels au niveau européen n'ont pas encore été poussés à terme, notamment dans le domaine des armements terrestres et dans celui des équipements navals.

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AUDITION DE M. Louis GALLOIS Président-directeur général d'EADS

(Mercredi 9 avril 2008)

M. Josselin de Rohan, président , a rappelé le contexte spécifique dans lequel s'inscrivait l'audition de M. Louis Gallois, président-directeur général d'EADS, à savoir la révision générale des politiques publiques (RGPP), la rédaction du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et, enfin, la préparation de la loi de programmation militaire. Il a indiqué que s'il n'appartenait pas aux industriels de définir la politique de la défense nationale, leur éclairage était néanmoins important, car il était nécessaire qu'ils puissent présenter leur point de vue à la représentation nationale. Il a souhaité que le président Louis Gallois s'exprime en particulier sur la future loi de programmation militaire, les programmes industriels de l'avenir actuellement en préparation, les problèmes d'exportation liés à la dépréciation du dollar par rapport à l'euro et, enfin, sur le renforcement de la politique européenne de défense.

En réponse au président de la commission, M. Louis Gallois , a rappelé que s'il n'appartenait pas effectivement aux industriels de la défense de définir la politique de défense, inversement, il ne pouvait y avoir de politique de défense autonome sans base industrielle et technologique solide. S'agissant du Livre blanc, il a indiqué qu'un cycle de 15 ans venait de se clore, et que le cycle qui s'ouvrait était marqué par l'émergence de nouvelles menaces et la nécessité de définir un nouveau modèle d'armée. L'industrie a été associée aux travaux du Livre blanc par l'intermédiaire du sous-groupe présidé par M. Jean-Martin Foltz et la tenue d'une réunion d'information présidée par M. Jean-Claude Mallet, président de la commission du Livre blanc. Il a exprimé sa préoccupation sur le retard pris par la publication du Livre blanc, et donc sur les risques de décalage de la loi de programmation militaire. Dans ce contexte, le budget 2009 risque fort d'être un budget « blanc », c'est-à-dire un budget d'attente, ne pouvant pas traduire des décisions politiques qui n'auraient pas encore été prises ou qui auraient été prises trop tardivement.

Après ces remarques, M. Louis Gallois s'est exprimé sur la direction générale de l'armement (DGA). Il a indiqué que l'idée de faire de la DGA une « agence d'achats » (solution déjà expérimentée, puis abandonnée au Royaume-Uni) était une mauvaise idée. En revanche, les industriels ressentent la nécessité d'une « interface » forte, capable de définir une véritable politique industrielle, d'avoir une vision stratégique et d'engager un partenariat de long terme constructif et exigeant avec l'industrie de la défense. Tel est le cas désormais en Grande-Bretagne, où EADS discute avec des interlocuteurs parlant un langage industriel et allant au-delà d'une politique d'achats reposant sur de simples critères de prix ; EADS a signé un partenariat stratégique avec quatre ministères (défense, industrie, universités et recherche et collectivités locales). Il est également important que le ministère de la défense s'interroge sur une application moins systématique de la règle du « moins-disant » pour privilégier, au contraire, le « mieux-disant ». Aux Etats-Unis, par exemple, pour l'appel d'offres relatif au programme d'avions ravitailleurs, le prix n'était qu'un critère de choix parmi d'autres et pas le plus important. Les autres critères portaient sur la qualité, le niveau de risque et l'adéquation du produit aux objectifs. En outre, le choix du « moins-disant » se traduit souvent à terme par des retards ou des surcoûts, liés à des compléments de prestations non pris en compte à l'origine ou pour compenser la non-tenue des spécifications par l'achat de prestations ou matériels supplémentaires. Concernant l'application des règles de la concurrence, M. Louis Gallois a indiqué qu'il y avait un code de conduite élaboré par l'Agence européenne de défense (AED) et qu'il y souscrivait sans réserve. Compte tenu des préférences nationales qui s'expriment légitimement dans les appels d'offres, il a souhaité que les entreprises véritablement européennes, telle EADS, soient traitées sur un strict pied d'égalité avec les sociétés nationales. M. Louis Gallois a appelé l'attention des sénateurs sur la nécessité de se méfier de certaines clauses susceptibles d'avoir des effets anti-économiques. Ainsi, il a regretté que le programme de l'avion de transport A-400 M ait porté, moyennant un prix fixe, à la fois sur un programme de développement d'un avion extrêmement complexe et sur la livraison de 179 exemplaires de cet avion. Il eût été souhaitable d'avoir, sur ce projet, des études préalables et des programmes d'évaluation du risque permettant d'identifier les difficultés, d'esquisser des solutions et, en définitive, de réduire les risques industriels à supporter. EADS ne s'engagera plus à l'avenir dans de tels contrats, trop déséquilibrés en matière de portage de risques.

M. Louis Gallois a ensuite indiqué que la politique de recherche devait à tout prix demeurer une priorité dans la future loi de programmation militaire et qu'il fallait impérativement maintenir la capacité de nos bureaux d'études, véritable patrimoine national, dont la construction a nécessité 30 ans. Il revient à l'Etat seul de décider du maintien ou non de ces capacités qui ont jusqu'à présent fait partie de sa posture de défense ; le réemploi des personnels concernés ne posera pas de difficulté à EADS qui a besoin de ressources dans d'autres secteurs en forte croissance, comme l'aéronautique civile. L'objectif d'un milliard d'euros fixé par le rapport Fromion et le CIDEF sur la recherche de défense devrait être réaffirmé. S'agissant d'EADS, trois domaines sont essentiels : les missiles balistiques, les missiles de croisière et les satellites d'observation. Il a également émis le souhait d'une plus grande coordination européenne. La recherche européenne ne représente que 20 % de l'effort de recherche américain en matière de défense. De plus, 90 % de cette recherche sont effectués sur une base nationale, et seulement 10 % sont coordonnés au niveau européen, ce qui donne lieu à de multiples redondances.

M. Louis Gallois a indiqué, qu'en dehors du cas particulier de la dissuasion, aucun pays en Europe n'avait les moyens, seul, de développer de grands programmes. Il ne fait aucun doute, pour lui, que le prochain avion de combat sera européen. La création d'une industrie européenne de défense forte peut enclencher un cercle vertueux et susciter un accroissement de l'effort national de défense qui ferait qu'un nombre très limité de pays aurait moins à supporter, les autres se réfugiant plus ou moins derrière le « parapluie américain ». Pour cela, il faut être capable de leur montrer qu'industriellement cela serait avantageux pour eux.

M. Louis Gallois a considéré qu'il serait souhaitable de renforcer, l'Agence européenne de défense (AED). Dans cette perspective, il a formulé sept recommandations : 1° identifier en commun les lacunes capacitaires. Telle est la condition nécessaire pour permettre l'élaboration de programmes communs qui constituent la synthèse, et non pas la superposition, des besoins des états-majors nationaux ; 2° accepter une certaine dépendance réciproque fondée sur des accords d'approvisionnements sécurisés ; 3° s'engager à ne pas dupliquer les programmes, sauf exigences impératives ; 4° mettre l'Agence européenne de développement au coeur des processus de décision, afin que son information lui permette de jouer son rôle de catalyseur ; 5° accepter la clause de la nation la plus favorisée sans restriction opérationnelle, c'est-à-dire sans « dégrader » les matériels livrés aux armées nationales entre pays européens. Cette clause pourrait s'appliquer, par exemple, aux six pays de la lettre d'intention ; 6° se faire confiance et s'engager à regarder honnêtement toutes les possibilités européennes avant d'avoir recours à d'autres offres nécessaires à une réelle compétition ; 7° se doter d'organes de pilotage des programmes européens forts, l'OCCAR constituait un progrès à cet égard comparé à certaines expériences antérieures (NH90). Enfin, il a espéré qu'on n'oppose pas les coopérations bilatérales et l'Europe de la défense, les premières permettant d'amorcer des coopérations plus larges.

M. Louis Gallois a ensuite souhaité s'exprimer sur l'externalisation. Le fait de confier à l'industrie les tâches qu'elle connaît et pour lesquelles elle est la plus efficace permet au ministère de la défense de concentrer son énergie sur l'opérationnel. Les économies à en attendre ne sont pas toujours gigantesques, mais elles existent. Elles permettent en outre aux états-majors de se concentrer sur leur coeur de métier. Il a cité le cas du contrat des avions ravitailleurs FSTA passé avec les forces armées britanniques pour lequel EADS garde la propriété des avions et en assure l'entretien, ainsi que PARADIGM, opérateur qui fournit les communications satellitaires sécurisées aux armées britanniques à un coût très compétitif car il peut amortir ses investissements en vendant le service à d'autres utilisateurs. De la même façon, sur la base aérienne de Cognac, le fait qu'EADS assure la première formation des pilotes induit des économies de l'ordre de 35 % pour le ministère de la défense. En Allemagne, EADS assure le maintien de la flotte aérienne de la Luftwaffe, en équipe intégrée avec celle-ci. Une telle politique, en France, suppose des avancées en matière de distorsion fiscale (notamment la TVA) entre solutions patrimoniales et externalisations, ainsi que des règles adaptées de consolidation de la dette publique.

Enfin, M. Louis Gallois a indiqué qu'en matière d'exportations, EADS avait toujours bénéficié d'un soutien très fort de la part du gouvernement français. Il s'est félicité des décisions positives prises à la suite du rapport Fromion, avec la création du comité interministériel des exportations de défense et celle de la « war room » informelle à l'Elysée. Il a souhaité que soit mis en place un « Schengen » des matériels de défense pour au moins les six pays européens signataires de la LOI, afin de permettre la création de matériels en Europe. Cette création d'un marché intérieur ne doit cependant pas conduire à donner à la Commission européenne une compétence sur les marchés extérieurs.

Un débat s'est ensuite engagé avec les commissaires.

M. Robert del Picchia a demandé des précisions sur le déroulement du programme d'avion de transport A400M. Il a évoqué l'impact de la baisse du dollar sur la compétitivité d'EADS. Enfin, il a rappelé que la France accusait un certain retard en matière de drones, du fait des difficultés enregistrées sur plusieurs programmes, alors que les besoins sont de plus en plus avérés en la matière. Il a interrogé M. Louis Gallois sur la coexistence de plusieurs programmes de drones conduits par des industriels français et sur les perspectives de coopération européenne plus affirmée sur un secteur où les industriels américains et israéliens sont très présents.

M. André Dulait a évoqué la perspective d'une centralisation renforcée de la fonction « achats » au sein du ministère de la défense, en souhaitant qu'elle ne privilégie pas le « moins-disant » au détriment du « mieux-disant ».

M. Robert Bret a rappelé à M. Louis Gallois qu'il avait qualifié de « tournant » pour Airbus le contrat conclu avec le ministère de la défense américain sur les avions ravitailleurs. Il a demandé des précisions sur les conditions de réalisation de ce contrat, en soulignant que la chaîne de montage se situerait aux Etats-Unis. Il s'est demandé si ce type de solution allait se généraliser, compte tenu de la volonté d'Airbus de se développer outre-Atlantique. Il a également évoqué l'attitude de certains pays européens qui voient dans l'OTAN un moyen de se dispenser d'un effort renforcé dans le domaine de la défense ; enfin, il a souhaité des éclaircissements sur la récente annonce de l'Autorité des marchés financiers (AMF) sur les délits d'initié au sein d'EADS.

M. Philippe Nogrix a indiqué que les travaux du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale allaient vraisemblablement souligner la nécessité d'un renforcement des capacités de renseignement, au travers notamment des systèmes spatiaux. Il a demandé à M. Louis Gallois si, dans ce domaine, les relations entre les deux industriels européens du secteur, EADS-Astrium et Thales Alenia Space, allaient plutôt dans le sens de la coopération ou de la concurrence. Il a également évoqué l'hélicoptère NH90, en soulignant le bon déroulement de la production industrielle sur les chaînes d'Eurocopter, mais en déplorant une échéance de livraison si tardive pour la France. Il a également évoqué la question des drones.

M. Jean-Pierre Fourcade s'est demandé quels étaient les moyens d'enrayer la tendance à la « frénésie technologique » et s'il revenait aux directions nationales d'armement ou à l'Agence européenne de défense d'agir en la matière. Il a par ailleurs souhaité savoir s'il était envisageable d'accentuer l'accès des petites et moyennes entreprises aux budgets de recherche de défense.

En réponse à ces interventions, M. Louis Gallois a apporté les précisions suivantes :

- s'agissant de l'A400M, les cinq motoristes qui en sont en charge paraissent désormais avoir repris le contrôle des difficultés rencontrées sur le développement du moteur ; il en est de même pour les problèmes propres à EADS. La livraison de moteurs en état de vol est programmée en vue d'un premier vol de l'A400M avant la fin de l'été ; le retard sur le programme est toujours évalué entre 6 mois et un an. Les étapes clés sont : les essais en vol, l'intégration des systèmes militaires à l'avion, puis la qualification et la certification par les différents pays parties au programme, qui n'ont pas tous les mêmes impératifs calendaires ;

- la baisse du dollar est particulièrement pénalisante pour Airbus, dont les coûts sont en euros  alors que ceux de son concurrent - Boeing - sont en dollars ; l'actuelle parité euro/dollar a pour effet de laminer les marges des industries exportatrices, ce qui ne permettra pas de maintenir leur capacité de recherche et d'innovation ; elle constitue une puissante incitation à délocaliser la production et la sous-traitance dans des pays à bas coûts ou situés en zone dollar ;

- le système intérimaire de drones Male (SIDM) est déployé à Mont-de-Marsan depuis l'automne dernier et a achevé ses vols de qualification sur cette base ; l'entrainement des personnels de l'armée de l'air a commencé. Le programme de drones de surveillance « Advanced UAV » fait actuellement l'objet d'un programme d'évaluation et de réduction des risques ; en l'attente de l'aboutissement de ce dernier, prévu à l'horizon 2015, les armées souhaitent couvrir leurs besoins en matière de surveillance, par une solution intermédiaire. SIDM demeurant la solution nominale dans le cas d'un calendrier court pour AUAV. En cas de retard, les armées pourraient être tentées par d'autres solutions intérimaires. Dans cette hypothèse, EADS serait ouvert à une coopération avec Dassault Aviation sur une solution qui devrait naturellement s'appuyer sur l'expérience et les investissements réalisés pour SIDM. Il n'y a pas de concurrence directe entre les activités actuelles de Dassault, orientées vers les drones de combat avec le programme Neuron, auquel participe EADS par sa filiale espagnole, et celles d'EADS dans le cadre du programme « Advanced UAV » ;

- en ce qui concerne les programmes d'armement, M. Gallois rappelle à nouveau que la DGA ne peut se réduire à une simple centrale d'achats ; elle doit intégrer la perspective industrielle, la recherche et le soutien à l'exportation ;

- les programmes menés en coopération comportent un fort risque de course excessive à la technologie, par accumulation des spécifications émises par chaque état-major ; aussi bien la coopération doit-elle être orientée et conduite par des organes forts, tels que l'Agence européenne de défense et l'OCCAR ;

- l'obtention du contrat des avions ravitailleurs pour l'armée de l'air américaine par Northrop Grumman associé à EADS, après le contrat gagné par Eurocopter pour le Light Utility Helicopter et les avions CASA pour les Coast Guards, constitue effectivement un tournant stratégique pour EADS, car il est difficile de s'imposer comme acteur industriel majeur dans le domaine de la défense sans être présent sur le marché américain des équipements militaires, qui représente plus de la moitié du marché mondial de l'armement ; il faut rappeler que la réalisation de ce contrat créera des emplois des deux côtés de l'Atlantique. Mais pour être reconnu sur le marché américain de la défense il faut être présent industriellement dans ce pays, Northrop Grumman a reçu du département américain de la défense notification du contrat, puis de son gel, compte tenu du recours introduit par Boeing devant le General Accounting Office, équivalent américain de la Cour des comptes. Ce recours ne porte que sur la régularité de la procédure ; il y a lieu de rester confiant sur son issue, compte tenu des précautions prises par les autorités américaines pour cette mise en concurrence qui faisait suite à une précédente annulation du même ordre ;

- il est important que les nouveaux pays membres de l'Union européenne prennent conscience de leur intérêt à participer à l'effort européen dans le domaine de la défense ;

- la procédure conduite par l'AMF est engagée depuis déjà deux ans. Jusqu'à présent, elle n'a pas été contradictoire ; elle va le devenir dès lors que la Commission des sanctions de l'AMF a été saisie. M. Gallois a déploré des fuites renouvelées qui déstabilisent l'entreprise EADS. EADS souhaite que la procédure se déroule dans le plein respect de la présomption d'innocence ;

- Astrium et Thales Alenia Space sont concurrents mais peuvent aussi coopérer sur des programmes spatiaux ; la coexistence de deux acteurs industriels en Europe n'est pas nécessairement synonyme d'une concurrence négative ; il y a des arguments pour et contre, à juger au niveau de la concurrence mondiale. L'Agence spatiale européenne souhaite, quant à elle, éviter une situation de monopole en Europe ;

- le progrès technologique ne doit pas être considéré comme un risque pour le développement et le financement des programmes d'armement ; il importe en revanche d'éviter l'addition inutile de technologies, en ajustant au mieux les spécifications aux besoins et en renforçant l'évaluation et la réduction des risques technologiques ;

- la densification du tissu industriel des petites et moyennes entreprises est nécessaire dans le domaine de la défense ; ces entreprises ont bien entendu pleinement vocation à profiter d'un renforcement de l'effort de recherche ; EADS est disposée à travailler davantage avec les PME qui ont elles-mêmes intérêt à travailler en réseau, comme leur en donnent l'occasion les pôles de compétitivité qui se sont mis en place dans les régions ces dernières années. Il ne faut toutefois pas oublier que la pérennité des PME est indissociable de celle de leurs donneurs d'ordre industriels.

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