II. L'IMPACT TROP INCERTAIN DE LA DÉFISCALISATION PLAIDE POUR UN FORT RECENTRAGE SUR LE LOGEMENT SOCIAL

Le système de défiscalisation en matière de logement en outre-mer tel qu'il s'applique aujourd'hui résulte de la loi de programme pour l'outre-mer du 21 juillet 2003 4 ( * ) . Il est désormais possible de bénéficier soit d'un crédit d'impôt au titre de l'impôt sur le revenu 5 ( * ) , soit d'une déduction des résultats imposables au titre de l'impôt sur les sociétés 6 ( * ) pour la construction ou la réhabilitation de logements dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre et Miquelon, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles de Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises 7 ( * ) .

Sans revenir sur la description précise des dispositifs de défiscalisation en matière de logement en outre-mer, qui figure dans le précédent rapport de votre rapporteur spécial, il s'agit désormais d'évaluer si les remarques formulées dans ce précédent rapport ont été prises en compte et de déterminer, en conséquence, la meilleure orientation à donner au dispositif de défiscalisation en matière de logement.

A. UN COÛT EXORBITANT ET D'IMPORTANTS EFFETS PERVERS

1. Le coût exorbitant de la défiscalisation en matière d'impôts sur le revenu appliquée au logement en outre-mer : 230 millions d'euros prévus en 2008

a) Un dépense fiscale non maîtrisée

Les difficultés d'évaluation de l'efficacité des dispositifs de défiscalisation en matière de logement en outre-mer, qui feront l'objet de développements ci-après, s'étendent à la difficulté d'évaluer précisément le montant de la dépense fiscale liée à ces dispositifs. En ce qui concerne la dépense fiscale au titre de l'impôt sur le revenu, qui est de loin la plus lourde, votre rapporteur spécial constate toutefois une hausse très importante depuis son précédent rapport. Cette dépense fiscale était en effet évaluée à 180 millions d'euros en 2006 et devrait atteindre 230 millions d'euros en 2008 8 ( * ) , soit une hausse de plus de 27 % en deux ans, très loin des impératifs très contraints de hausse des dépenses globales de l'Etat .

Evolution de l'estimation de la dépense fiscale au titre de l'impôt sur le revenu
consacrée au logement en outre-mer

(en millions d'euros)

Source : projets annuels de performances annexés aux projets de loi de finances

L'analyse de cette courbe démontre que le coût de la dépense fiscale en matière d'impôts sur le revenu relative au logement en outre-mer n'est absolument pas maîtrisé .

b) Des créations d'emplois très coûteuses

La défiscalisation en matière de logement poursuit plusieurs objectifs : elle doit favoriser dans les territoires qu'elle vise une activité économique solide, elle peut créer à cette occasion des emplois et elle favorise enfin l'amélioration des conditions d'habitat de la population. En ce qui concerne le nombre d'emplois créés par la défiscalisation liée au logement en outre-mer, votre rapporteur spécial regrette de ne pas disposer d'éléments précis permettant d'attester au non de l'efficacité de ce dispositif. Deux remarques doivent toutefois être faites.

D'une part, le mécanisme global de défiscalisation en outre-mer est peu créateur d'emplois . Votre rapporteur spécial soulignait ce point dans son rapport budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2008 9 ( * ) : « Il apparaît ainsi que les divers dispositifs d'aide fiscale à l'investissement coûtent à l'Etat près de 1 milliard d'euros. [...] On constate que le nombre d'emplois créés grâce à ces mesures est estimé par le secrétariat d'Etat, selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial, à 1.179. Ainsi, en apparence, un emploi créé nécessite une dépense fiscale de plus de 800.000 euros, ce qui appelle, à l'évidence, une réflexion sur l'éventuelle réforme de ces dispositifs ».

D'autre part, selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial, les rares emplois créés par la défiscalisation liée au logement en outre-mer sont des emplois précaires. Les entreprises de construction, à la faveur d'une opération de défiscalisation particulière, peuvent voir leur activité augmenter et embaucher à l'occasion des salariés. Mais la quasi-totalité des emplois créés sont des emplois à durée déterminée qui ne débouchent pas sur une intégration durable au sein du marché du travail.

Par conséquent, la défiscalisation appliquée au logement en outre-mer ne peut se justifier par ses effets sur le marché du travail , qui sont minimes et très coûteux pour les finances publiques.

2. Un dispositif inadapté aux besoins de l'outre-mer

a) La production de logements haut de gamme atteint ses limites

Selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial, notamment auprès de la direction départementale de l'équipement (DDE) de La Réunion, les effets incitatifs de la défiscalisation sur les constructions de logements libres ont été modestes et ont aujourd'hui atteint leurs limites .

Ainsi, la DDE de La Réunion estime que sur une moyenne de 8.000 à 9.000 logements libres construits par an à La Réunion, seuls environ 3.000 le sont grâce au dispositif de défiscalisation en faveur du logement libre. Elle constate, par ailleurs, que les opérations bénéficiant de la défiscalisation concernent surtout le logement haut de gamme . En effet, comme nous le verrons ci-après, le coût de la construction augmente fortement dans les territoires ultramarins. Par conséquent, pour rentabiliser des logements de plus en plus coûteux, il est nécessaire de produire des logements hauts de gamme, dont les loyers élevés permettront de rentabiliser l'opération. Or, la demande de logement dans les collectivités territoriales d'outre-mer ne correspond pas à cette offre .

La loi de programme précitée pour l'outre-mer de 2003 10 ( * ) avait pourtant prévu un dispositif incitatif afin d'orienter la défiscalisation vers des logements à loyer relativement modéré. Ainsi, si toutes les opérations de construction de logement peuvent bénéficier d'une défiscalisation, il faut, pour bénéficier des montants maximum de défiscalisation, que le propriétaire bailleur s'engage à ce que le loyer soit inférieur à un plafond fixé à 12,08 euros par mois par mètre carré 11 ( * ) dans les départements d'outre-mer. Mais ce dispositif lui-même semble être devenu inopérant, l'essentiel de la demande actuelle de logement se situant majoritairement en dessous de ce plafond.

Parallèlement, la demande en logement haut de gamme est aujourd'hui largement satisfaite par le parc de logements disponibles . Votre rapporteur spécial a pu constater sur place, à Saint-Denis de La Réunion, que de nombreux immeubles de standing récemment construits ne trouvent plus de locataires à loger 12 ( * ) . Outre l'inutilité totale de favoriser des logements qui ne trouvent pas d'occupants, la défiscalisation en matière de logement en outre-mer pose de plus en plus de problèmes aux investisseurs. En effet, ceux-ci, très majoritairement métropolitains, investissent en outre-mer à la faveur des dispositifs de défiscalisation et ont de plus en plus de difficultés à louer les logements qu'ils ont financés. Ainsi, il n'est plus rare que des investisseurs ne parviennent plus à rentabiliser leurs investissements et perdent même parfois les fonds initialement investis dans ces opérations.

b) Un nombre important de petits logements inoccupés

Par ailleurs, votre rapporteur spécial a pu constater sur place un autre facteur fréquent d'inadaptation aux besoins de la population des logements financés par la défiscalisation.

Il semble que dans de nombreux cas, les promoteurs préfèrent la construction de T1 ou de T2. En effet, ces logements, du fait de leur taille réduite, sont moins chers et peuvent donc plus facilement intéresser des acquéreurs métropolitains qui achètent outre-mer non pour occuper les logements mais pour les louer. Or, malgré un phénomène croissant de « décohabitation » 13 ( * ) , ces petits logements sont en surnombre par rapport à la demande des populations ultramarines . Par conséquent, un grand nombre de ces logements reste vacant et les investisseurs ne peuvent rentabiliser leur investissement. Le nombre élevé de logements défiscalisés à La Réunion devant lesquels figurent des pancartes offrant à la location de petits appartements de ce type en témoigne 14 ( * ) .

Enfin, l'absence d'occupation de ces logements, qui ne trouvent pas de locataires du fait de leur inadaptation aux besoins locaux, conduit en général à leur dégradation du fait de l'absence d'entretien. Ainsi, les bailleurs sociaux ont fait état d'immeubles construits grâce à la défiscalisation qu'ils ont été amenés à reprendre en main parce que, du fait de leur non occupation, ils devaient faire l'objet d'une réhabilitation.

Saint-Denis de La Réunion : exemple de construction défiscalisée haut de gamme récente ne trouvant pas de locataires

Saint-Denis de La Réunion : exemple de construction défiscalisée dont les studios et T2 ne trouvent pas de locataires

3. Un dispositif qui pénalise le logement social

L'ensemble des interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur spécial estime que la défiscalisation sur le logement libre a conduit les entreprises de construction à être moins disponibles pour les opérations de logement social . Les risques de retards de paiement dans les opérations de logement social, dus notamment à l'écart entre les AE et les CP de la LBU, expliquaient en partie le fait que les entreprises de construction privilégiaient les chantiers de la défiscalisation et du logement libre. Une mission d'audit de modernisation a rendu en mars 2006 un rapport sur la politique du logement social outre-mer qui confirme que « les opérations de défiscalisation créent un effet d'éviction majeur à l'égard des opérations de logement social » 15 ( * ) .

A titre d'exemple, Mme Véronique Douyère, directrice générale de la société d'habitations à loyer modéré de La Réunion (SHLMR) a indiqué à votre rapporteur spécial que sur les 13 plus récents appels d'offre lancés par sa société, 11 étaient restés sans réponse car les entreprises de construction étaient déjà occupées par des opérations de défiscalisation en logement libre.

* 4 Loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer.

* 5 Article 199 undecies A du code général des impôts.

* 6 Article 217 undecies du code général des impôts.

* 7 Voir le rapport n° 296 (2002-2003) sur la loi de programme pour l'outre-mer du 21 juillet 2003, fait par M. Roland du Luart au nom de la commission des finances, déposé le 14 mai 2003.

* 8 Projets annuels de performances « Outre-mer » annexé au projet de loi de finances pour 2008.

* 9 Rapport spécial n° 91 - Tome III - Annexe 18 (2007-2008), « Loi de finances pour 2008 - Outre-mer », Henri Torre.

* 10 Loi de programme pour l'outre-mer n° 2003-660 du 21 juillet 2003.

* 11 Article 46 AG duodecies du code général des impôts, annexe 3.

* 12 Voir photo page 21.

* 13 Terme utilisé pour désigner la diminution du nombre de familles ultramarines qui cohabitent sur plusieurs générations.

* 14 Voir photos pages 21 et 22.

* 15 Mission d'audit de modernisation de l'inspection générale des finances, du conseil général des Ponts et Chaussées et de l'inspection générale de l'administration, rapport sur la politique du logement social outre-mer (DOM et Mayotte), mars 2006.

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