III. DES ADMINISTRATIONS GLOBALEMENT TROP ATTENTISTES

Les réponses obtenues par votre rapporteur spécial à son questionnaire auprès de 15 préfectures et de 14 consulats montrent une mobilisation très inégale des services de l'État autour de l'objectif de développement de l'immigration professionnelle. Un changement de culture apparaît nécessaire au sein des directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, tant elles ont été incitées depuis 1974 à freiner l'immigration de travail plutôt qu'à la faciliter. Dans les services de l'État à l'étranger, la démarche active de recrutement de talents pour une immigration professionnelle reste assez éloignée du quotidien des agents concernés, à l'exception de ce qui concerne les étudiants. La mise en oeuvre encore imparfaite des centres des études 11 ( * ) en France démontre un frémissement intéressant. Pourtant, c'est bien de l'étranger que viendront les migrants professionnels, qualifiés ou non : c'est donc bien sur l'administration française à l'étranger que repose la majeure partie du succès de la politique voulue par le Président de la République.

Le ministre de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire a astreint les services de l'État à une obligation de résultat. Un certain nombre d'ambassadeurs ont ainsi été réunis le 2 juin 2008 pour une réunion de sensibilisation. Cette démarche de performance est essentielle face à des administrations qui restent, selon votre rapporteur spécial, globalement « trop attentistes ».

Ceci illustre la difficulté de conduire le changement, aujourd'hui, dans l'appareil d'État .

A. AU SEIN DES PRÉFECTURES ET DES DIRECTIONS DU TRAVAIL, UNE ÉVOLUTION DE LA CULTURE ADMINISTRATIVE S'IMPOSE

1. Des efforts restent à réaliser en matière d'accueil et de communication

L'amélioration des conditions d'accueil du public , dont beaucoup reconnaissent qu'elles ne sont pas satisfaisantes, constitue la préoccupation principale des préfectures . Des progrès ont néanmoins été réalisés, souvent avec l'assistance de cabinets d'audit, dans certains d'entre elles. Dans ces conditions, la mise en place de « procédures coupe-file », ou de guichets dédiés à destination des migrants économiques, en particulier les plus qualifiés, ou de leurs employeurs constitue une difficulté . La modernisation globale de l'accueil des étrangers dans les préfectures, pour celles qui connaissent encore des défauts dans ce domaine, est nécessaire. Des moyens pourraient leur être dévolus, modulés en fonction des résultats obtenus dans la mise en oeuvre de la politique du gouvernement, grâce à une forme « d'intéressement collectif au mérite ». De manière générale, les services des étrangers des préfectures connaissent un turn-over significatif. Il existe des réticences pour y travailler, alors qu'ils exigent, en outre, le recrutement de personnels qualifiés. Les candidatures pour travailler dans ces services sont très rares. Une compensation indiciaire, au demeurant modeste, est accordée à une majorité d'agents affectés à l'accueil du public ou qui supportent des contraintes particulière sur le plan des horaires.

Dans l'attente d'un accueil dédié à l'immigration économique, les entreprises disposent le plus souvent d'un correspondant pour accomplir les formalités au plus vite, afin que le titre soit produit rapidement. Les salariés pour lesquels l'entreprise n'effectue pas les démarches sont reçus en priorité. Il existe dans la plupart des cas un traitement préférentiel des « salariés en mission », qui n'est pas nécessairement formalisé.

Selon les départements, des partenariats, sous la forme de conventions, ont été conclus avec les grandes écoles et les universités : celles-ci assurent la collecte et la vérification des dossiers en contrepartie d'une procédure prioritaire d'établissement des titres. Selon les préfectures, des guichets sont ouverts dans les universités. Des conventions similaires existent dans certains départements pour les scientifiques, avec les services des ressources humaines des différents laboratoires (CNRS, CEA).

Ces conventions sont plus rares avec les entreprises . Il en existe dans certaines préfectures. Ainsi, la préfecture de région du Nord-Pas de Calais a des partenariats avec l'entreprise Toyota, mais aussi avec les structures de développement économique local. On doit se demander si la signature de conventions proposant de faire des chambres de commerce et d'industrie, des structures de développement économique et des grandes écoles, un guichet spécifique pour l'immigration économique, notamment la plus qualifiée, ne devrait pas être encouragée de manière systématique.

Afin de faciliter le traitement des dossiers des entreprises, des « listes d'attention positive » pourraient être créées afin de faciliter les démarches des entreprises les plus favorablement connues des services de l'État.

La qualité de l'accueil administratif et l'efficacité des procédures constituent un élément, parmi d'autres, d'attractivité auprès des talents que la France cherche aujourd'hui à attirer.

S'agissant de la communication sur l'immigration professionnelle, les efforts de promotion restent limités . Les contacts avec les fédérations professionnelles concernées, et les entreprises, sont variables, et demanderaient à être développés de façon volontariste. Cette démarche est plus fréquente dans les préfectures de région que dans les préfectures de département. Beaucoup restent « en attente » d'un kit de communication promis par le ministère de l'immigration, alors que de très bons outils de promotion et d'explication existent déjà sur le site internet de l'ANAEM...

2. Un pôle « immigration professionnelle » à constituer auprès du préfet

Toutes les préfectures n'ont pas constitué de « pôles » consacrés à l'immigration : dans les petits départements, la coordination des services ne pose, semble-t-il, pas de difficultés. Lorsqu'elle existe, cette coordination est le plus souvent souhaitée au regard des problématiques d'éloignement du territoire. Mais il n'existe pas de pôles « immigration économique », sauf en Isère. Il est parfois considéré que l'accueil et l'intégration relève de l'ANAEM, sans mettre en réseau l'ensemble des institutions compétentes autour de cette agence.

Or l'immigration économique nécessite un travail conjoint d'administrations déconcentrées aux cultures diverses : la « carte compétences et talents » relève des services des étrangers des préfectures, tandis que la procédure d'autorisation de travail est du ressort des directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.

Les directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle disposent d'un forum sur leur site Intranet pour permettre la circulation de l'information et faciliter les échanges visant à la résolution de problèmes ponctuels. Cet outil d'échange gagnerait à être développé par les autres services de l'État chargés de l'immigration professionnelle : services des étrangers de préfectures, consulats, plateformes de l'ANAEM en région ou à l'étranger.

Autre défaut à regretter, les services de l'État dans les départements ne suivent pas encore d'indicateurs en matière d'immigration professionnelle , à l'exception, dans certains cas, du nombre de « cartes compétences et talents », et du nombre d'admissions exceptionnelles au séjour au titre de l'article 40 de la loi du 20 novembre 2007 (carte de séjour temporaire portant la mention salarié), ventilé par métier. En outre, les qualifications et métiers des ressortissants étrangers bénéficiant d'une procédure d'autorisation de travail, qu'il s'agisse d'un changement de statut ou d'une introduction, ne font pas encore l'objet de tableaux de bord .

La constitution de « pôles d'immigration économique » formalisés ou non devient une nécessité, notamment pour réaliser un équilibre entre le développement volontariste d'une immigration de travail, et les risques parfois réels de distorsion de concurrence sociale. Ces risques sont aussi permis par les régimes de prestation de service internationale ou de sous-traitance en cascade proposés, notamment, par des entreprises des nouveaux États membres. L'organisation au niveau local de l'immigration de travail passe donc par des codes de bonne conduite de la part des fédérations professionnelles concernées.

* 11 A l'initiative du ministère des affaires étrangères et européennes.

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