III. LES PRÉCONISATIONS DE VOTRE COMMISSION

Au cours de ses auditions, votre rapporteur a pu constater que le projet de candidature de la France auprès de l'UNESCO, pour l'inscription de son patrimoine culinaire sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité, suscite un réel enthousiasme chez la plupart des professionnels du secteur.

Cette démarche est perçue comme un signe fort de reconnaissance de la dimension culturelle et patrimoniale de nos arts culinaires , parfois trop occultée, et donc comme une opportunité de réaffirmer, par une série d'actions ou d'initiatives concrètes , l'importance que notre pays attache à la promotion et à la mise en valeur de ce patrimoine et des différents corps de métiers qui oeuvrent en sa faveur .

Même quand il ne suscite pas l'adhésion, ce projet de candidature a un mérite reconnu : celui d'attirer l'attention sur des combats importants à mener pour transmettre aux générations futures cette culture culinaire et répondre aux défis de la transmission et de l'innovation, essentiels à tout patrimoine vivant.

La démarche auprès de l'UNESCO sera certes délicate, mais elle contribue à mettre l'accent sur ces enjeux, pour tenter d'y apporter des réponses concrètes.

A. UN DOSSIER COMPLEXE : CERNER UN ANGLE D'APPROCHE PERTINENT POUR SE DONNER LES MEILLEURES CHANCES DE SUCCÈS

1. Des difficultés à ne pas sous-estimer

Si elle part d'une idée passionnante et pertinente et d'une conviction légitime, la démarche d'inscription sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité est délicate et loin d'être gagnée d'avance.

Les membres de la Mission française chargée d'élaborer ce dossier en ont d'ailleurs bien conscience : ils soulignent également que la France ne pourrait aboutir à un échec. Il convient donc, en amont, d'être extrêmement vigilent afin de se donner toutes les chances de succès.

Plusieurs difficultés ont en effet été signalées à votre rapporteur au cours de ses auditions. A cet égard, le compte-rendu 7 ( * ) de l'entretien avec M. Chérif Khaznadar, récemment élu, en juin dernier, président de l'Assemblée générale des États parties à la Convention, est particulièrement explicite sur ce point. Mais d'autres personnalités, par ailleurs membres de la Mission française, notamment M. Jean Musitelli, ancien ambassadeur et délégué permanent de la France auprès de l'UNESCO, ou encore M. Gérard Cagna, ont également mis l'accent sur certaines difficultés face auxquelles il conviendra de se montrer particulièrement attentif et prudent.


• Tout d'abord, la France devra convaincre les autres États parties à la Convention, et notamment les 24 représentants des pays membres du Comité intergouvernemental 8 ( * ) , de la pertinence de son dossier : il s'agit, en effet, d'une véritable démarche diplomatique . Celle-ci sera conduite, dans sa phase finale, par notre ambassadeur auprès de l'UNESCO, qui est, depuis le mois de mars dernier, Mme Catherine Colonna, ancienne ministre déléguée aux affaires européennes.


• Or, cette entreprise de conviction sera ardue .

D'une part, compte tenu du paysage géopolitique de l'UNESCO, et a fortiori dans le contexte actuel de crise alimentaire , le projet d'inscription d'un patrimoine gastronomique français, plutôt « florissant », pourrait susciter certaines réticences.

D'autre part, et comme cela a été souligné par M. Khaznadar, ce projet apparaît, pour un grand nombre des experts du concept de « patrimoine culturel immatériel », très éloigné de l'esprit de la Convention de 2003.

En effet, celle-ci est articulée autour de la notion de « sauvegarde », même si la Liste dite représentative a vocation à donner une visibilité à des expressions remarquables de ce patrimoine et n'engage pas, à la différence de l'autre liste, de soutien financier.

Mais surtout, cette Convention a d'abord été pensée pour rétablir un équilibre entre les pays « occidentaux » et les « pays du Sud » , alors que la Convention de 1972 sur le patrimoine « matériel » et son illustre « Liste du patrimoine mondial » ont plutôt privilégié les premiers, dotés d'un patrimoine historique et monumental plus dense.

Le programme de proclamation des « Chefs d'oeuvre » du patrimoine oral et immatériel, qui a précédé la Convention, montre bien que ce sont des traditions populaires, rituelles voire folkloriques , rattachées à des communautés ou des ethnies bien ciblées, qui sont ainsi valorisées, et dont il est question d'assurer la sauvegarde.

A cet égard, M. Khaznadar a souligné que la procédure de candidature était volontairement légère , contrairement aux dossiers pour l'inscription sur la Liste du patrimoine mondial, dont le montage est complexe et le niveau d'exigences très élevé.


• Enfin, la dimension du projet , qui est à l'échelle nationale dans sa formulation actuelle, peut poser problème, d'autant que la Convention, et notamment ses directives opérationnelles, font référence à des « éléments » du patrimoine culturel immatériel.

Le dossier de candidature, qui a été mis en ligne le 26 juin dernier sur le site de l'UNESCO, est encore plus précis : il y est demandé d'identifier l'élément et de le décrire en 1 000 mots maximum, étant entendu que celui-ci « doit être une pratique, une représentation ou une expression spécifique, rattachée à une communauté donnée, plutôt qu'un vaste domaine de création ou un ensemble indéfini de manifestations culturelles lié à une zone géographique. »

* 7 Voir le compte-rendu de ces auditions en annexe.

* 8 Depuis juin 2008, les 24 pays membres du Comité (dont le mandat court jusqu'en 2010 ou 2012) sont : Chypre, Italie, Turquie, Bélarus, Croatie, Estonie, Hongrie, Cuba, Mexique, Paraguay, Pérou, Venezuela, Inde, République de Corée, Vietnam, Gabon, Kenya, Mali, Niger, République centrafricaine, Zimbabwe, Emirats arabes unis. Le président du Comité est le représentant de la Turquie ; les vice-présidents ceux des Emirats arabes unis, de la Hongrie, de l'Inde et du Mexique ; le rapporteur est la représentante du Gabon.

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