III. QUELLES PERSPECTIVES POUR L'EUROPE SOCIALE ?

Ce ralentissement observé depuis plusieurs années ne saurait pour autant signifier la fin de l'Europe sociale. Les ambitions de l'Union européenne en matière sociale restent fortes, même si elles ne se matérialisent pas toujours dans les faits.

La Commission européenne a ainsi publié, en juillet 2008, un « agenda social renouvelé » destiné à apporter une réponse aux défis socioéconomiques actuels. Ses objectifs sont ambitieux, même si l'on peut s'interroger sur le caractère incantatoire des mesures proposées, tant le document couvre un large spectre.

« L'Agenda social renouvelé » de la Commission européenne

Prenant acte des mutations du monde contemporain engendrées par le progrès technologique, la mondialisation et le vieillissement de la population, l'Agenda social vise à apporter des solutions aux citoyens européens pour leur permettre de s'adapter. Il propose notamment d'améliorer l'accès à des services de qualité et à instaurer une solidarité envers les personnes souffrant le plus de ces évolutions. L'Agenda social prévoit donc des actions de l'Union européenne dans sept domaines prioritaires :

- les enfants et les jeunes, considérés comme « l'Europe de demain » ;

- l'investissement dans le capital humain, la création d'emplois plus nombreux et de meilleure qualité, l'acquisition de nouvelles compétences ;

- la mobilité ;

- vivre plus longtemps et en meilleure santé ;

- la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale ;

- la lutte contre les discriminations et la promotion de l'égalité des sexes ;

- les opportunités, l'accès et la solidarité au niveau mondial.

La Commission européenne entend combiner l'utilisation de plusieurs instruments pour atteindre les objectifs fixés dans le cadre de cet agenda : l'outil législatif, le dialogue social européen, le renforcement de la coopération des États membres dans le domaine de la protection sociale et de l'inclusion sociale ou le concours financier de différents fonds européens.

Au cours des derniers mois, la commission des affaires européennes a examiné plusieurs propositions de la Commission qui s'inscrivent dans le cadre de cet « Agenda social renouvelé » : elles concernaient la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d'âge ou d'orientation sexuelle, l'amélioration du fonctionnement des comités d'entreprise européens et les droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers.

Le changement de format du sommet sur l'emploi réuni à Prague le 7 mai dernier traduit lui aussi cette oscillation chronique entre effets d'annonce et réalisations modestes. Initialement envisagé comme un sommet extraordinaire, réunissant les vingt-sept États membres, il s'est mué en rencontre tripartite entre représentants de la présidence tchèque et des futures présidences espagnole et suédoise, partenaires sociaux et Commission. Le décalage prévisible entre les attentes à l'égard d'une telle rencontre au plus haut niveau et les résultats escomptés semble avoir motivé un certain nombre de chefs d'États en vue de réduire la dimension du sommet.

La déclaration finale du sommet de Prague n'a pas contredit ces craintes. Les dix actions concrètes, au nombre desquels figurent l'encouragement à l'esprit d'entreprise ou l'accroissement du nombre d'apprentissages ou de formations de haute qualité tient plus de l'incantation que de l'action concrète. La Confédération européenne des syndicats a manifesté, à cet égard, ses réserves face à un tel texte en refusant de le signer.

Pourtant, les attentes des citoyens européens à l'égard de l'Europe en matière sociale sont fortes, d'autant plus en cette période de crise. Plusieurs mesures devraient donc être prises pour favoriser une relance de l'Europe sociale.

A. REPENSER LES OUTILS DE L'EUROPE SOCIALE

L'éventuelle entrée en vigueur du traité de Lisbonne pourrait ouvrir de nouvelles perspectives. Sans remettre en cause la primauté des États en matière sociale, ce traité devrait cependant renforcer la dimension sociale de l'Europe.

En ce qui concerne le processus de décision, il prévoit l'extension de la majorité qualifiée aux questions consacrées aux prestations sociales pour les travailleurs se déplaçant au sein de l'Union européenne. Le champ de la majorité qualifiée pourrait cependant s'étendre davantage à l'avenir par l'utilisation de la « clause passerelle » prévue par le traité. En vertu de cette clause, le Conseil européen peut décider de passer au vote à la majorité qualifiée dans un certain nombre de domaines jusqu'ici soumis au vote à l'unanimité. En matière sociale, cela pourrait concerner les mesures relatives à la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail, à la représentation et de la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, ou aux conditions d'emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier sur le territoire européen.

Il convient de noter que le traité de Lisbonne confère également une base juridique aux questions relatives aux services d'intérêt général, qui devrait ainsi permettre à l'Union européenne de définir les principes et les conditions qui régissent leur mise en oeuvre et leur fonctionnement.

L'éventuelle entrée en vigueur du traité de Lisbonne pourrait également renforcer la défense des droits sociaux dans les États membres. D'une part, il devrait introduire une « clause sociale transversale » qui impose à l'ensemble des politiques et actions de l'Union le respect d'exigences sociales « liées à la promotion d'un niveau d'emploi élevé, à la garantie d'une protection sociale adéquate, à la lutte contre l'exclusion sociale ainsi qu'à un niveau d'éducation, de formation et de protection de la santé humaine ». Toute mesure législative ou réglementaire européenne qui serait contraire à ces objectifs pourrait, en conséquence, se voir annulée par la Cour de justice. D'autre part, le traité devrait conférer à la Charte des droits fondamentaux une force juridique contraignante, sans étendre pour autant les compétences de l'Union. Les citoyens européens pourraient donc se prévaloir des droits énoncés dans la Charte devant les juges nationaux et communautaire. Or, les droits couverts par la Charte sont loin d'être négligeables. A titre d'exemple, on peut citer, en matière d'emploi, la « liberté professionnelle et le droit de travailler », le « droit à l'information et à la consultation des travailleurs au sein de l'entreprise », le « droit de négociation et d'actions collectives », la « protection en cas de licenciement injustifié », le droit à des « conditions de travail justes et équitables », « l'interdiction du travail des enfants » ou la conciliation de la « vie familiale et vie professionnelle ». La Charte ne devrait toutefois pas être applicable au Royaume-Uni.

Enfin, le traité devrait également consacrer le rôle des partenaires sociaux et promouvoir le dialogue social en posant l'obligation d'organiser, au moins une fois par an, un sommet social tripartite, réunissant le Conseil, la Commission et les partenaires sociaux, consacré à la croissance et l'emploi. L'organisation de ces sommets, qui existent depuis 2003, devrait ainsi devenir obligatoire.

Les dispositions du traité de Lisbonne devraient donc marquer une réelle avancée en matière sociale. Pour autant, les faiblesses recensées dans le mécanisme actuel appellent à les compléter par une série de mesures.

1. Améliorer le fonctionnement de la méthode ouverte de coordination

La plupart des personnes auditionnées ont souligné, à des degrés divers, l'intérêt de la méthode ouverte de coordination pour favoriser la convergence des États membres dans les différents domaines dans lesquels l'Union européenne dispose de compétences limitées. Cependant, elles ont également reconnu les faiblesses du mécanisme qui, à leurs yeux, mettent à mal son efficacité et sa crédibilité.

Aussi paraît-il essentiel d'améliorer le fonctionnement de ce dispositif. Plusieurs dispositions pourraient être prises :

- l'utilisation accrue d'indicateurs quantitatifs et qualitatifs au sein des diverses méthodes ouvertes de coordination pourrait, par exemple, faciliter le processus de convergence en donnant aux États membres une idée plus précise des objectifs à atteindre. Il faudra cependant veiller à ce que les objectifs demeurent réalistes et cohérents entre eux ;

- une meilleure association des acteurs sociaux locaux et de la société civile à l'élaboration des plans d'action nationaux (programme national de réforme, plan national d'action pour l'emploi, plan national d'action pour l'inclusion sociale), aurait une incidence positive sur leur application et la réalisation des objectifs ;

- des progrès pourraient être réalisés dans la diffusion des meilleures pratiques, afin que les États membres qui rencontrent des difficultés dans la réalisation de leurs objectifs puissent s'en inspirer, quitte à les adapter aux réalités locales. A cet égard, des efforts pourraient être faits afin que l'information soit facilement disponible et que les comparaisons puissent se faire sans entrave ;

- l'introduction de sanctions plus effectives pourrait également davantage inciter les États membres à atteindre les objectifs fixés, tout en maintenant le principe d'une liberté des moyens pour y aboutir. A cet égard, il conviendrait sans doute de renforcer les techniques de « benchmark » en publiant de manière plus systématique des « tableaux d'honneur » faisant état des performances des États au regard des différents indicateurs.

Depuis 2005, le Conseil économique, social et environnemental français publie ainsi, tous les deux ans, un rapport de suivi de la situation de la France au regard des indicateurs de Lisbonne, qui porte un regard critique sur les réalisations de notre pays dans ce domaine. Il dresse un panorama de la situation de notre pays, des progrès qu'il a déjà accomplis et des efforts lui restant à faire. A ce titre, il compare les performances de la France par rapport à celles d'autres pays européens, mais également par rapport à la moyenne de l'Union européenne. En mettant en avant les axes d'amélioration, ces documents peuvent jouer un rôle incitatif non négligeable. Ils pourraient donc paraître opportun d'encourager leur élaboration, tant en France qu'au niveau de l'Union européenne.

Si la création de la méthode ouverte de coordination a précédé celle de la stratégie de Lisbonne, ce mécanisme est toutefois au coeur de la mise en oeuvre de cette dernière. Dans ces conditions, il convient d'espérer que la révision de cette stratégie en 2010 sera mise à profit pour procéder à une refonte de cette méthode de travail.

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