d) Un niveau inquiétant d'immigration irrégulière

Si les phénomènes migratoires ont toujours été importants dans les DOM, l'immigration irrégulière atteint, dans certains d'entre eux, un niveau inquiétant . Ces territoires totalisent en effet en 2008 9 873 mesures d'éloignement et 12 483 infractions constatées à la législation sur les étrangers .

(1) Des situations très contrastées selon les départements d'outre-mer

Si La Réunion et la Martinique ne subissent pas de pression migratoire forte, la Guadeloupe et surtout la Guyane connaissent des entrées irrégulières massives emportant des risques aigus de déstabilisation sociale. La quantification précise de ces phénomènes migratoires reste cependant toujours une question non résolue, seuls les indicateurs d'activité des services chargés de la lutte contre l'immigration illégale permettant d'approcher la réalité des flux.

Indicateurs d'activité en matière migratoire (2007-2008)

Éloignements

Infractions à la police
des étrangers

2007

2008

Variation
2007/08

2007

2008

Variation

2007/08

Guadeloupe

1.536

1.332

- 13,3 %

1.808

1.597

- 11,7 %

Martinique

390

404

+ 3,6 %

527

477

- 9,5 %

Guyane

10.094

8.085

- 19,9 %

12.824

10.287

- 19,8 %

La Réunion

53

52

- 1,9 %

105

122

+ 16,2 %

Total DOM

12.072

9.813

- 18,7 %

15.264

12.483

- 18,2 %

Source : Direction centrale de la police aux frontières

Comme l'a souligné M. Daniel Dubois, directeur central adjoint de la police aux frontières, lors de son audition, La Réunion est relativement épargnée par l'immigration illégale, avec seulement 122 interpellations d'étrangers en situation irrégulière en 2008, principalement des ressortissants malgaches et mauriciens et, dans une moindre mesure, des personnes originaires des Comores, d'Afrique du Sud ou des Seychelles. Ces personnes entrent le plus souvent de manière régulière à La Réunion, avec un visa, et s'y maintiennent après l'expiration de leur titre.

En Martinique, l'immigration illégale reste de faible importance et en diminution. Il n'a ainsi été procédé qu'à 477 interpellations d'étrangers en situation irrégulière en 2008, soit une baisse de près de 10 % par rapport à 2007, cette tendance s'étant confirmée au premier trimestre 2009. Cette amélioration fait suite à une forte hausse de l'immigration clandestine à la Martinique jusqu'en 2005, maîtrisée grâce à la conclusion d'une série d'accords bilatéraux de libre circulation des personnes et de réadmission avec les États voisins, comme Sainte-Lucie ou La Dominique.

Ce territoire est confronté à une immigration illégale de proximité, en provenance d'Haïti et de Sainte-Lucie, employée principalement dans la production de canne à sucre mais également impliquée dans le trafic de stupéfiants.

À l'inverse, la Guadeloupe apparaît de plus en plus exposée à la pression migratoire, notamment en provenance d'Haïti et de La Dominique. L'augmentation de + 67 % entre 2005 et 2007 du nombre d'infractions à la législation des étrangers ainsi que des éloignements le montre de manière flagrante. Néanmoins, les moyens nouveaux mis en oeuvre pour lutter contre l'immigration clandestine dans ce département - qui ont rendu plus efficaces les actions sur le terrain - peuvent expliquer une partie de la forte progression des chiffres permettant de la mesurer. De fait, on constate une diminution de 11 % du nombre d'interpellations en 2008, par rapport à 2007, avec près de 1 600 interpellations.

La situation reste toujours critique en Guyane . M. Daniel Dubois, directeur central adjoint de la police aux frontières, a indiqué à la mission que ce territoire était confronté à une immigration clandestine de nature essentiellement économique en provenance des pays voisins, comme le Surinam, le Guyana, Haïti ou le Brésil et, dans une moindre mesure, la République dominicaine. Ainsi, les Brésiliens ont représenté 48 % du total des reconduites à la frontière en 2006 et les Surinamiens, 46 %. Le nombre de délits à la législation des étrangers avait crû de 11,44 % en 2007 par rapport à l'année précédente, tout comme le nombre d'éloignements pratiqués. Néanmoins, l'année 2008 marque une véritable rupture, avec une baisse de près de 20 % des infractions constatées et des éloignements. La mission espère que cette situation constituera un réel renversement de tendance pour les années à venir.

Comme l'a souligné le général Claude Vicaire devant la mission, ces arrivées massives d'étrangers en situation irrégulière, privés de ressources et sans perspective de formation et d'emploi, induit des risques de tensions sociales fortes. Tel est le cas notamment à Kourou, compte tenu de la coexistence de populations défavorisées et d'une communauté composée de chercheurs et de techniciens aux revenus élevés et particulièrement sensible aux questions de sécurité. Il convient donc d'éviter que cette situation ne constitue, à terme, une véritable « bombe sociale » sur un site qui, paradoxalement, constitue le fleuron du programme spatial européen.

La demande d'asile dans les départements français d'Amérique est parfois utilisée comme un ultime recours par des immigrants de nature économique. Après deux années de baisse, elle a connu en 2008 une hausse de + 57% par rapport à 2007 , avec 929 demandes déposées et traitées par l'antenne de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de Basse-Terre. Si la majorité d'entre elles le sont en Guadeloupe, l'augmentation la plus importante est constatée en Martinique (+ 143%). Les Haïtiens constituent l'écrasante majorité des demandeurs en Guadeloupe (95,6 %) et en Martinique (97 %). En revanche, leur part est beaucoup plus faible en Guyane (31 %), les nationalités des autres demandeurs dans ce département étant principalement les Péruviens (24 %), les ressortissants de la Guinée-Bissau (8 %) et les Colombiens (7 %).

Ainsi, ces différents indicateurs permettent d'estimer le nombre d'étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire des DOM à environ 59 000. À elle seule, la Guyane représente les deux tiers de ce volume , avec 40 000 étrangers en situation irrégulière estimés, soit environ 20 % de la population du département.

Population étrangère en situation irrégulière dans les DOM (estimation)

Guadeloupe

Martinique

Guyane

La Réunion

15 000

2 000

40 000

1 500

Source : 5 ème rapport au Parlement sur les orientations de la politique de l'immigration (décembre 2008) - Comité interministériel de contrôle de l'immigration.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette pression démographique, en particulier en Guyane et en Guadeloupe. Elles sont identiques à celles déjà avancées, en 2006, par la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine 181 ( * ) .

Avec un produit intérieur brut par habitant 5 à 20 fois plus élevé que les États voisins, la Guadeloupe et la Guyane constituent évidemment des pôles d'attractions. Comparativement aux économies voisines, leurs économies sont à même de procurer à des étrangers, même en situation irrégulière, un niveau de vie plus élevé : l'importance du travail clandestin dans les secteurs de l'agriculture, du bâtiment, du tourisme ou des emplois aux particuliers permet à des Haïtiens ou des Surinamiens de gagner des sommes bien supérieures à celles qu'ils pourraient espérer gagner dans leur pays . Elles leur donnent souvent, du reste, le moyen de subvenir aux besoins de leur famille restée dans leur pays d'origine grâce à des transferts de fonds réalisés par des guichets postaux ou des sociétés telles que Western Union.

Cette attirance peut néanmoins se transformer en mirage. Tel est le cas, notamment, de la « fièvre de l'or » qui favorise, en Guyane, l'entrée massive d'immigrants illégaux. Outre la dureté des conditions de vie dans la forêt amazonienne, ces personnes sont souvent l'objet d'une exploitation qui confine à l'esclavagisme. Ainsi, nombre de « garimpeiros », ces immigrés le plus souvent Brésiliens venus travailler sur les sites d'orpaillage clandestins, s'endettent auprès du commanditaire du site, non seulement pour venir s'y installer mais également pour y survivre au jour le jour.

Les services sociaux, sanitaires et scolaires offerts dans les DOM sont également l'une des causes de l'immigration de ressortissants qui, dans leurs pays, ne bénéficient pas de telles prestations. Ainsi, à l'hôpital intercommunal de Saint-Laurent du Maroni, plus de 60 % des patients sont de nationalité étrangère et représentent environ 50 % des entrées et des journées. En Guyane, le nombre d'enfants scolarisés n'ayant pas la nationalité française est estimé, pour l'ensemble du département, à environ un tiers de l'effectif total. La scolarisation des enfants, outre le bénéfice qu'elle implique pour l'enfant lui-même, peut en effet constituer un élément important dans le parcours de régularisation de leurs parents.

Lors de son déplacement en Guyane et en Guadeloupe, la mission a pu constater que l'une des raisons avancées pour expliquer l'afflux massif d'immigrés illégaux était également un pouvoir d'attraction résultant de la simple possibilité d'accéder à la nationalité française et des effets « quasi-miraculeux » qui s'y attacheraient . En particulier, il a été souligné que les immigrés, en donnant naissance à des enfants sur le territoire de la République, souhaitaient avant tout obtenir pour ceux-ci la nationalité française et pour eux-mêmes une protection en tant que parents d'enfants français. En réalité, cette attractivité résulte, pour l'essentiel, de l'incompréhension d'un droit de la nationalité particulièrement complexe et, souvent, du jeu de certaines filières d'immigration irrégulière qui n'hésitent pas à faire croire aux candidats à l'immigration à la facilité d'obtention de la nationalité française.

* 181 Rapport n° 300 (Sénat, 2005-2006) de MM. Georges Othily et François-Noël Buffet, fait au nom de la commission d'enquête, déposé le 6 avril 2006.

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